© Peuples Noirs Peuples Africains no. 80 (1991) 23-53



VOICI POURQUOI LES ETUDIANT(E)S DE L'UNIVERSITE DE YAOUNDE ONT FAIT GREVE

ou
L'INCONTOURNABLE CONFERENCE NATIONALE

Avant propos

La situation qui prévaut à l'Université de Yaoundé ne laisse personne indifférent. Le Président de la République a cru devoir menacer les étudiants et leurs professeurs au lieu de jeter un regard attentif et attentionné sur cette institution en décrépitude. Dans le souci de rétablir la vérité et de rejeter le prétexte facile de la manipulation, des étudiants vous livrent dans le présent dossier des réflexions pour mieux apprécier les liens entre les problèmes de l'Université de Yaoundé et la nécessité d'une Conférence Nationale.

LES INFRASTRUCTURES

Retard chronique, délabrement et délaissement

La carence quantitative et qualitative d'infrastructures de recherche et d'enseignement est un problème crucial de l'Université de Yaoundé. Pour comprendre l'ampleur du désastre, il suffit de s'imaginer que 40.000[1] étudiants sont confinés dans une structure préalablement prévue pour 7 000 : soit un excédent de 33.000. Le surpeuplement du campus est la résultante de la désinvolture du pouvoir qui est plus soucieux de financer les organes pléthoriques de sécurité que d'investir dans la formation de la jeunesse. La politique de démagogie du pouvoir a jusqu'ici fonctionné sur la conscience de l'étudiant comme des neuroleptiques. Pendant ce temps, l'Université de Yaoundé se clochardisait. [PAGE 24]

A – Les laboratoires

L'absence des laboratoires est un mal profond à l'université de Yaoundé. En faculté des sciences, les étudiants en sont réduits à 2 ou 3 manipulations par an alors qu'il en faut au moins 25. Avec leurs enseignants, ils se disputent les rares postes disponibles en laboratoire comme le feraient des chiens affamés à qui on jette une maigre pâture.

La vétusté des microscopes et l'absence de produits chimiques adéquats faussent systématiquement les résultats, On en arrive à un point où l'observateur se fie à son bord (résultat exact de manipulations réalisées en d'autres temps), qu'au froid constat scientifique. En clair, le chercheur en laboratoire est réduit à commettre le péché scientifique majeur : la malhonnêteté intellectuelle.

En 85/86, le Chancelier Owona (actuel Ministre de l'Enseignement Supérieur) avait détourné le projet d'extension des laboratoires de la faculté des Sciences.

En section Maths-Informatique, les étudiants sont contraints aux séances nocturnes de travaux pratiques et autres manipulations du fait de la carence de micro-ordinateurs.

Il y a belle lurette que le laboratoire de langue offert par le British Council à la faculté des Lettres a cessé d'être fonctionnel. Depuis lors, l'Université ne s'est pas crue obligée de doter cette faculté de laboratoires comme l'aurait exigé le bon sens.

De ce fait les cours de formation bilingue et des travaux pratiques de linguistique redeviennent des séances d'abstractions. Ceci sème le doute et la confusion dans l'esprit de l'étudiant et accélère du même coup sa formation au rabais.

Plus de 20 ans après sa création, l'ESSTIC continue à envoyer des étudiants en stage à l'étranger (France, Canada, Etats-Unis) alors que sa dotation en laboratoires spécialisés (Presse écrite, Radio, Télévision) aurait pu éviter cette hémorragie financière. Directeur de cette institution depuis 1982, Fame Ndongo est plus habile à détourner des sommes allouées à l'ESSTIC (plus de 400 millions) qu'à dépanner le peu d'équipements existants, mais défectueux. [PAGE 25]

B – Les salles de cours

Les salles de travaux dirigés sont toujours bondées à cause de leur insuffisance. On y a d'ailleurs l'impression d'assister à un cours magistrat. C'est d'ailleurs le cas puisque, dans ces conditions, le suivi est impossible. Des cours magistraux aux travaux dirigés, la distinction est impossible.

A l'Université de Yaoundé, les amphithéâtres ne sont pas des temples de savoir. On s'y offre en spectacle. On y amuse la galerie. Avant l'année académique 87-88, le plus grand amphithéâtre était l'amphi 700. L'atmosphère y était déjà insoutenable. Depuis peu, le pouvoir se vante de la dotation de l'Université de Yaoundé de 3 amphis 1.000 alors qu'il devrait s'en plaindre puisque leur capacité était dépassée dès leur livraison. Passons outre l'aspect anti-académique de ces stades pour signaler qu'aujourd'hui SN1, SEC01 et Droit1 ont chacun un effectif de près de 4.000 étudiants. Même en les scindant en deux groupes, le problème demeure dans toute sa gravité.

Des T.D. aux cours magistraux, il est normal et courant de voir les étudiants apporter leur propre siège. Ils n'ont ni où les placer, ni où se placer. On en voit à l'estrade, dans les allées et à l'esplanade.

C – Structures de documentation

1 Bibliothèque

La Bibliothèque de l'Université de Yaoundé a une capacité de 400 places, alors que cette institution a 40.000 étudiants. Soit un ratio de 100 étudiants par place.

Comment imaginer une bibliothèque de recherche avec des rayons vides ou anarchiques, sans une politique d'abonnement viable aux revues scientifiques et aux maisons d'édition ? La Bibliothèque de l'Université de Yaoundé a tout d'un musée. Elle a un retard de plusieurs longueurs d'onde sur l'actualité scientifique. [PAGE 26]

Par ailleurs, son service de photocopie et de reproduction est rarement fonctionnel. Ce qui explique le pillage des manuels et autres formes de détournement. Au niveau du service de prêt, on constate très peu de sérieux.

La déficience du service de consigne justifie les cas de perte et vols des effets des étudiants.

Ceux qui ont assez de muscles pour se tailler une place à la bibliothèque ne le font que pour lire leur propre cours.

En principe, la deuxième bibliothèque devrait être entrée en fonctionnement depuis 1986. Aujourd'hui, cet édifice sert de miroir et de caserne aux forces d'occupation du campus. Pourquoi le pouvoir s'obstine-t-il à refuser l'équipement de cette bibliothèque (ou ainsi dénommée) alors que le besoin est pressant ?

2 – Librairie

C'est rarement que l'on trouve à la librairie de l'Université de Yaoundé un document indiqué par la bibliographie du professeur. Des ouvrages propagandistes du régime y sont mis en exergue. Une structure de gestion de cette librairie intégrant les enseignants est un impératif afin que cesse le pilotage à vue. De même, la dotation de la librairie de l'Université d'un service de commande express est urgent.

Les prix qui y sont pratiqués sont spéculatifs alors qu'ils devraient être préférentiels pour les étudiants, professeurs et autres chercheurs. La circulation et la consommation des livres en milieu universitaire doit dépasser le stade de l'amateurisme pour accéder au professionnalisme le plus intégral.

D – Les bureaux des professeurs

Les bureaux des professeurs ne sont en rien différents des cellules des commissariats tellement ils sont exigus. Nos professeurs sont confinés à 6 ou 7 dans des salles de fortune de 9m2. Il y en a qui sont de véritables baraques. Pis, certains cours y sont dispensés malgré la promiscuité. Ces bureaux manquent d'équipements élémentaires notamment chaises, étagères, rideaux... On comprend [PAGE 27] dès lors que la direction des travaux de recherche (mémoire, thèse) en pâtit.

E – Absence de logistique de recherche

Il est pratiquement impossible aux professeurs de bien conduire un projet de recherche. Sur ce point, il manque de tout :

    – Service de secrétariat
    – Service audio-visuel
    – Service de correspondance (Téléphone, télex, fax, courrier)
    – Service de photocopie.

Les infrastructures de l'Université de Yaoundé sont exiguës et vétustes. Cette institution est une tour de séquestration tant pour les enseignants que pour les étudiants. Comment imaginer l'épanouissement de la recherche sans équipements adéquats : laboratoires, salles spécialisées. Au lieu de s'attaquer à cette déficience infrastructurelle chronique, la dictature de Yaoundé berne les étudiants avec les slogans politiques creux. Tout est promis. Rien n'est fait.

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LES ŒUVRES UNIVERSITAIRES : PRIORITE AUX INVESTISSEMENTS COLLECTIFS

Quand on parle des œuvres universitaires, il s'agit essentiellement du logement, de la bourse, de la restauration, de la couverture sanitaire, du transport, de l'assurance des étudiants. [PAGE 28]

Le logement

Quand on établit le rapport demande/offre des lits à la cité universitaire, l'insuffisance des logements se révèle chronique à l'Université de Yaoundé. La cité Universitaire avec ses 700 (sept cents) lits est désormais le parc de quelques privilégiés parmi les 40.000 (quarante mille) étudiants de Ngoa-Ekelle. Ceci est aussi valable pour les mini-cités conventionnées où les chambres sont marchandées ou réservées à des filles entretenues et autres protégés. De toutes les façons, les critères d'attribution des logements à l'Université de Yaoundé sont inconnus des étudiants, ce qui permet aux responsables d'en faire à leur tête.

Ainsi certains jeunes de 18 (dix-huit) ans débarquant de l'arrière-pays ne bénéficient pas de lits à la cité Universitaire; cependant, d'autres de 24 (vingt-quatre) ans et plus s'y trouvent loger d'après leurs capacités à se défendre. Ces derniers pourront d'ailleurs terminer leurs études dans leurs chambres à force de graisser la patte aux responsables. Or d'après les textes, un étudiant ne peut disposer d'un lit que pour deux ans au maximum à la cité universitaire et trois ans dans une mini-cité conventionnée.

A propos des mini-cités conventionnées, on soulignera en particulier le problème du non ravitaillement de certaines en eau et du non paiement des créances à la SNEC. Cette situation a pour corollaire les coupures d'eau qui rendent précaires les conditions hygiéniques.

Les autres étudiants, eux, sont abandonnés à la merci des locataires véreux qui les confinent dans des réduits effroyables à des prix exorbitants. Ils n'ont pas de choix avec le nombre de postulants toujours supérieur à l'offre. Ils doivent subir leur diktat et verser du coup 12 (douze) mois de loyer depuis le fameux arrêté interministériel qui s'impose en définitive comme un slogan politique parce que les conditions de son application n'ont jamais été définies.

Ici la disproportion entre l'enveloppe allouée aux étudiants à l'étranger et celle réservée à ceux restés au Cameroun est criarde : 7 (sept) milliards de francs contre 5 (cinq) milliards. Cette part du lion réservée aux camarades à l'étranger s'avère absurde pour au moins deux raisons : [PAGE 29]

    – Même si le taux de leur bourse est plus élevé, les étudiants Camerounais à l'étranger sont très peu nombreux par rapport à ceux qui restent au pays.

    – L'envoi fantaisiste des étudiants à l'étranger pour faire des études qui peuvent se faire sur place. C'est notamment les cas des journalistes généralistes que l'on forme bien à l'ESSTIC locale ou de cette fille qui a obtenu, il y a un an, une bourse pour aller en France faire un mémoire sur Ferdinand Oyono dont l'œuvre a déjà fait l'objet de plus d'une thèse à l'Université de Yaoundé.

Au vu de ces arguments, il y a lieu d'entériner les thèses selon lesquelles certaines bourses à l'étranger sont fictives et d'autres le fait des relations qui ne prennent en considération ni les impératifs de recherche, ni ceux d'appui au développement.

Les critères mêmes d'attribution de bourse sont inconnus des étudiants et paraissent totalement subjectifs au regard de certains faits. Comment expliquer par exemple la multiplication des listes de bourses aux étudiants de première année de licence si les textes à ce sujet étaient objectifs ? La tribalisation et le trafic renforcent d'ailleurs l'idée selon laquelle la bourse se partage au gré des humeurs.

En effet, la notion du quota tribal n'a pas épargné l'Université et la bourse : et parce que vous êtes né dans telle ou telle région, vous avez la bourse quand bien même vous êtes plus âgé que certains qui n'en bénéficient pas à cause du délit de leurs origines.

La politisation de la bourse est indubitable avec les listes additives flanquées du discours propagandiste relatif à la constante sollicitude du père du Renouveau vis-à-vis des étudiants.

Le trafic de la bourse passe par la négociation auprès des responsables qui en sont chargés. Il suffit, dit-on à Ngoa-Ekelle, de se faire rançonner avec 100.000 (cent mille) francs.

L'aide même aux étudiants est devenue plus symbolique que réelle. Elle devient de plus en plus insignifiante et ressemble à de l'aumône que l'on fait aux lépreux. Que peut-on faire avec 30.000 (trente mille) francs comme ce fut le cas en 1988 ou avec 40.000 (quarante mille) francs en 1989 et 1990 ? Tout comme la bourse, ses critères ne sont pas connus parce qu'elle est versée à quelques uns sans qu'on daigne donner des explications à qui que ce soit. [PAGE 30]

La restauration

Les conditions hygiéniques laissent vraiment à désirer aux restaurants universitaires. Les lieux sont d'une insalubrité nauséabonde avec des égouts puants qui étouffent et ameutent les mouches, hérons, garde-bœufs.

Les repas sont apprêtés avec la plus grande négligence possible. Le riz à peine cuit, le haricot inondé d'huile, le spaghetti aux charançons, les omelettes en pâte de couscous, le bouillon aux morceaux de carottes et feuilles de choux grossièrement taillées, les poissons aux asticots, les côtelettes de porc et les pattes de dindon insipides, le ndollè amer et autres merdes sont servis sur la crasse des plateaux de Gargantua qui ne sont jamais passés à plonge que pour être mouillés.

Curieusement la qualité des repas s'améliore les jours de fête (06 novembre, 11 février et 20 mai) et on a vraiment de l'appétit en mangeant au restaurant Universitaire à ces occasions. Entrée et sortie, jus et gâteau accompagnent le plat de résistance sur un plat dit spécial. Pareil effort pour améliorer la qualité du repas des étudiants ces jours précis fait ressortir la politisation du restaurant universitaire.

La couverture sanitaire

On note d'abord l'inadaptation des structures : 40.000 (quarante mille) âmes pour deux médecins qui ne reçoivent qu'à certaines heures et sur rendez-vous.

Vient ensuite le manque chronique de médicaments : au Centre Médico-Social universitaire, l'aspirine est une panacée à toutes les maladies. Encore qu'elle s'épuise par moments.

Pourtant l'on y observe aussi le trafic des médicaments que l'on réserve à des relations particulières ou qu'on conserve jusqu'à péremption si ces relations ne se présentent pas.

Le Centre Médico-Social de l'Université de Yaoundé sert d'ailleurs plus de relais de vaccination. Encore que cette vaccination a échoué lamentablement faute de moyens. Le Centre Médico [PAGE 31] Social est ainsi devenu un centre administratif où l'on fait signer des certificats médicaux pour concours admistratifs à raison de 1.000 (mille) francs le certificat.

Le transport

Initialement, il était mis à la disposition des étudiants un bus qu'ils avaient baptisé Amphi 700 – le plus grand amphi de l'Université d'alors. Afin de satisfaire tous les étudiants. Ce bus a été remplacé par des cars répartis selon les lignes. C'est en 1986/1987 que les bus de la SOTUC ont relayé les cars par trop exigus. Tout le monde avait applaudi l'initiative qui tournait court un an plus tard. Les bus ont été retirés aux étudiants sans que pour autant un autre moyen soit trouvé pour assurer leur transport depuis 1988. Pourtant les cars des étudiants ont été affectés pour le transport des enfants et des pupilles du personnel de l'Université. A qui profitent donc en priorité les œuvres universitaires ?

Au bout du compte, les œuvres universitaires ne procurent pas aux étudiants le minimum de sécurité sociale espérée : un logement raréfié, une bourse propagandiste, une restauration négligée, une couverture sanitaire et un service de transport inexistants. Voilà une situation de délabrement qui se retrouve dans d'autres aspects de la vie universitaire à l'exemple de l'académique[2].

DU SYSTEME ACADEMIQUE : PILOTAGE A VUE ET MEDIOCRATIE

Absence d'une politique des programmes d'étude

Tout porte à croire que les programmes d'études à l'Université de Yaoundé ne sont pas conçus d'avance. Le choix des cours par les [PAGE 32] enseignants semble ne répondre à aucune dynamique d'ensemble. Ce qui les conduit souvent à dispenser le même cours pendant des années, ou à passer leur temps à enseigner leurs thèses aux étudiants, alors que par ailleurs les mutations dans le domaine des sciences et des publications nouvelles imposent une réactualisation constante des enseignements.

L'absentéisme chronique des enseignants

A l'Université de Yaoundé, certains enseignants, sûrs de l'impunité dont ils jouissent, se font de plus en plus absentéistes. Cet absentéisme pour d'autres n'est pas délibéré. Ils sont en effet réquisitionnés par le parti RDPC pour les multiples campagnes d'information à travers le pays. Il s'agit des Mono Dzana, Fame Ndongo, Abanda Ndengue, Bipoun Woum, Eno Belinga, Kangue Ewane, etc. ! Cet état de choses somme toute déplorable fait que les programmes sont rarement couverts.

Enseignants ou administrateurs ?

Depuis un certain temps, la fine fleur de l'Université est récupérée par le pouvoir politique qui nomme des enseignants de rang magistral à des postes de responsabilité en dehors de l'Université. Ce qui ne leur permet plus d'assurer leurs enseignements, et encore moins de suivre des travaux de recherche : Njoh Mouelle, Kontchou Koumegni, Njiné Thomas, etc. Quand bien même ces enseignements arrivent à être dispensés, ils sont tellement politisés qu'ils ressemblent à de la propagande. Tout récemment, le décret no 89/1777 du 07 décembre 1989 réorganisant l'Université a créé 300 postes de responsabilité occupés par des enseignants. Ainsi, les services du sport et des activités culturelles, du matériel ont pour chefs des enseignants de rang magistral (Azeyeh, Ambiana) alors que traînent dans les divisions et les services des œuvres universitaires des professeurs des collèges et lycées d'enseignement général. On le voit, ces enseignants de rang magistral, devenus des administrateurs, ne peuvent plus ni assurer leurs cours, ni suivre les travaux de recherche. [PAGE 33]

La formation des formateurs

L'Université de Yaoundé est-elle capable aujourd'hui de générer elle-même les formateurs de sa jeunesse ? Les conditions de travail, l'absentéisme chronique des enseignants, le niveau même des enseignements font que les étudiants qui soutiennent leurs thèses (quand ils arrivent à les soutenir) reçoivent une formation au rabais. Ils ne peuvent donc prétendre avoir reçu une formation idoine qui les mette au diapason de la recherche universelle. Les écoles de formation ont pour vocation de former des hommes de terrain. Cela veut dire qu'au-delà du savoir, il y a un savoir-faire à acquérir. A l'Ecole Normale Supérieure par exemple, la professionnalisation tant annoncée tarde à venir. Les professeurs passant leur temps à dispenser des cours amphygouriques et des théories fumeuses, toutes choses qui éloignent les élèves de leur future profession.

Quelle pédagogie pour l'Université ?

Il va sans dire que l'Université est le haut lieu de la recherche. Enseignants et étudiants se complètent dans leur quête commune du savoir. Là où le bât blesse, c'est que certains enseignants pour masquer leur incompétence et leur paresse, distribuent en début d'année des dizaines d'exposés aux étudiants et disparaissent sans leur avoir donné ni les moyens (documents), ni des indications pour exécuter le travail demandé. Lorsque ces exposés sont faits, la correction ne suit pas toujours.

Des évaluations

Le taux élevé du nombre d'étudiants ne permet pas une évaluation permanente. Certains enseignants (Jean Tabi Manga) incapables de composer eux-mêmes des sujets, se bornent à recopier dans des livres des exercices et leurs corrigés qu'ils proposent aux étudiants à l'examen. D'autres enseignants, animés sans doute du souci de bien faire, font faire des devoirs qu'ils font ensuite corriger [PAGE 34] par d'autres étudiants; et pour quelle efficacité ? pour quelle objectivité ? On ne saurait passer sous silence les notes fantaisistes attribuées à certains étudiants (surtout du sexe féminin) pour récompenser les services rendus. Que dire de la falsification des notes devenue endémique dans les scolarités des établissements de l'Université ? (le professeur Nguijol en sait quelque chose).

L'intrusion du politique dans l'académique

A l'Université, on voit des enseignants sommer d'autres de mettre fin à leurs cours pour des raisons, dit on, idéologiques. Des épreuves, pour parvenir aux étudiants, font un détour par le CENER pour y être censurées. Ce qui évidemment multiplie les fuites. Des enseignants sont interpellés pour avoir éclairé les étudiants sur des sujets touchant aux intérêts du pouvoir, certains professeurs poussent le zèle au point de dispenser dans les amphis des cours partisans sur la doctrine du RDPC (Mono, Valentin Nga Ndongo, Fame Ndongo, Tana Ahanda ... ). Comment oublier ces fameuses majorettes de la Général-Major Effoua Zengue Rachel qui ne sont qu'une caisse de résonance de l'ex-parti unique à l'Université ? Comment comprendre que ces majorettes soient subventionnées à coups de millions pendant que la nouvelle bibliothèque, construite depuis 6 ans, reste désespérément vide ? Quelle est donc cette université si peu soucieuse des franchises universitaires ? Quelle est cette université où les enseignants pourtant appelés à reculer à l'extrême limite les frontières de l'ignorance, sont sommés de n'enseigner que ce qui plaît au pouvoir, au risque de devenir des théoriciens médiocres de l'unidimensionnalité ? Quelle est cette université où l'enseignant modèle est celui qui véhicule l'idéologie du parti RDPC et l'étudiant brillant celui qui défile avec pancartes et banderoles frappées du sceau du parti, avec aux pieds des chaussures portant l'inscription merci Monsieur le Président et, au son de la musique d'une armée qui, décidément, a pris fait et cause pour un parti (les récentes marches du RDPC à Yaoundé l'ont prouvé) ? L'on voudrait bien savoir ce que signifie [PAGE 35] pour les autorités de Yaoundé le radical "univers" contenu dans le mot université.

De la tribalisation des compétences ou le règne de la médiocratie

L'Université de Yaoundé aujourd'hui a un besoin crucial d'enseignants qualifiés. Ce manque, loin d'être le fait d'une carence en enseignants dans le pays, est plutôt dû à une discrimination dans les recrutements. Parmi les étudiants de 3e cycle, ceux qui sont retenus comme chargés de Travaux dirigés (exemple de la faculté des Lettres Département de français), le sont moins pour leur compétence que par leurs relations privilégiées et extra-académiques avec certains dignitaires de l'administration de l'université. La promotion aux grades supérieurs de certains enseignants est retardée afin, dit-on dans les milieux proches de l'université, que certaines tribus n'établissent pas leur hégémonie sur le corps des enseignants (cf. Maurice Kamto à l'IRIC). Des départements restent sans chefs, tout simplement parce que les postulants portent des étiquettes tribales et idéologiques indésirables. On proroge les dates de départ en retraite de certaines personnes, juste pour empêcher l'accès à des postes de responsabilité des professeurs qui risqueraient de rompre le statu quo. Tout se passe comme si le quota tribal déjà en vigueur à la Fonction publique et aux concours administratifs doit être la règle à l'Université. Les grands perdants dans cet échange standard, ce n'est ni l'enseignant postulant, ni la ou les tribu(s) ciblée(s), mais les étudiants et le système éducatif camerounais en général.

De l'inscription à l'Université

L'une des dispositions fondamentales de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, c'est le droit à l'éducation. Or, on se rend compte qu'au Cameroun (pays ayant ratifié cette charte) l'accès à l'Université est sélectif et ressemble plutôt à un [PAGE 36] parcours d'obstacles. Tenez : il ne faut pas avoir plus de 25 ans; ne pas avoir fait plus de 5 ans dans le second cycle de l'enseignement secondaire; certains diplômés de l'enseignement secondaire technique sont tout simplement proscrits des Facultés de l'Université. Ceci est une incongruité et une atteinte grave aux droits légitimes du citoyen, d'autant plus qu'ailleurs les gens s'inscrivent à l'Université même à un âge avancé (Feu le Président Samuel K. Doe n'avait-il pas passé sa licence en géographie il y a deux ans ?). Cette discrimination a pour conséquence l'accentuation des fraudes constatées sur les actes de naissance (une anecdote dit d'ailleurs qu'un étudiant prétendait être né à Limbé en 1970, alors qu'à cette date la ville portait encore le nom de Victoria).

De l'accès au cycle de maîtrise

C'est une ineptie que de rendre l'accès au cycle de maîtrise sélectif alors que partout ailleurs, la 4e année se situe dans le prolongement normal des études à l'université. Ce cycle est ouvert à tous ceux qui désirent s'initier à la recherche avant de quitter l'université. Ce qui n'est pas le cas chez nous. Si on considère maintenant cette sélection en elle-même, on se rend compte que le mérite n'est pas le critère prévalant. Les marchandages, les trafics de notes, sont courants. De plus en plus, on retrouve dans ce cycle des fonctionnaires au détriment de jeunes étudiants prématurément mis sur la touche. Le souci de ces fonctionnaires n'est pas tant de faire de la recherche que de glaner quelques points d'indice et de changer de catégorie à la fonction publique. Le rançonnement est monnaie courante à l'accès au cycle de maîtrise, si bien que certains étudiants ayant obtenu leur licence vont se faire un peu d'argent pendant un ou 2 ans et reviennent acheter leurs places. La conséquence de cet état de choses, c'est qu'une fois le diplôme obtenu, les soi-disant étudiants disparaissent et le nombre de ceux qui arrivent à soutenir leur thèse est inversement proportionnel au nombre de ceux qui étaient inscrits en maîtrise. [PAGE 37]

Maîtrise professionnelle ou instrument de propagande ?

Depuis deux ans ont été créées à l'Université de Yaoundé des maîtrises dites professionnelles, sans que l'on ait défini ni leur contenu, ni leur valeur académique. Les voies qui y mènent sont aussi insondables que celles qui mènent au ciel. Quel est le diplôme qui sanctionne donc ces études et à quoi équivaut-il ? Cet avatar du système universitaire camerounais apparaît plus comme le moyen de distribuer quelques subsides aux frères, cousins et autres copines, et un instrument de propagande politique, qu'une volonté véritablement académique.

De la recherche à l'Université

Chaque année, une ligne budgétaire consistante est consacrée à la recherche à l'Université. Des primes de recherche sont distribuées, sans que l'on sache exactement ce qui motive objectivement celles-ci. N'a-t-on pas vu des enseignants bénéficier de ces primes et des aides alors que depuis des années ils n'ont initié aucune recherche ?

A l'Université, les revues et autres publications ont disparu alors que c'est elles qui devraient jouer le rôle de support à la recherche. Des enseignants ayant initié des projets ne sont pas soutenus et très souvent les jalousies et autres calomnies viennent torpiller ces projets au nom de considérations politiciennes et ethnofascistes. Les étudiants sont victimes souvent de la dictature de certains professeurs qui considèrent certaines spécialités ou disciplines comme leurs chasses gardées. Dès lors, tout étudiant qui s'y aventure est presque sûr de se casser la figure aux barricades érigées le long de son parcours. Et l'aide à la recherche, où est-elle donc passée ? Seuls des travaux allant dans le sens du poil du pouvoir sont subventionnées (Fame Ndongo, le Prince et le Scribe, la thèse de Mono sur la philosophie du Doutché). Les conditions de recherche ne sont pas des plus favorables (la bibliothèque est devenue [PAGE 38] un musée fermé à l'afflux des nouvelles publications, les laboratoires sont insuffisants ... ).

Des écoles de formation

a) Le rançonnement persistant des étudiants par les enseignants est devenu endémique et profond. Pour passer d'une classe à l'autre, point n'est besoin pour certains élèves d'être brillants. Il suffit de rencontrer les enseignants et de satisfaire à leurs desiderata. Cette pratique est tellement courante à l'Ecole Normale Supérieure qu'elle se passe de tout commentaire. Les récentes soutenances de mémoires au département de français sont assez éloquentes à ce sujet.

b) Les critères de recrutement. Ils sont dans certaines écoles des plus fantaisistes. A l'ENS, par exemple, le recrutement sur étude de dossiers a remplacé le traditionnel concours sur épreuves en vigueur à l'entrée dans toute école. La conséquence est justement le favoritisme, les magouilles qui caractérisent l'entrée à l'ENS Des étudiants méritants sont ainsi pénalisés, à la faveur de cancres dont le passage à l'Université n'est marqué que par des acrobaties de toutes sortes. Surtout que les procès verbaux actuellement sont l'objet de falsifications systématiques. Imaginez la suite. On a par exemple vu des acteurs de la troupe les Mousquetaires tous à l'ENS, pour avoir accepté de jouer une ou deux fois au nom de l'école. Des sommes faramineuses ouvriraient également ce sésame qu'est l'Ecole Normale Supérieure.

En définitive, le système académique à l'Université de Yaoundé se résume en une série de maux : programmation incohérente des cours, amalgame entre la politique et l'académique, tribalisation des postes d'enseignants, marchandages des postes et titres universitaires, évaluations peu crédibles, falsification des notes, chantage, intimidation, menace, médiocratie, discrimination à l'inscription à l'accès au cycle de maîtrise... Devant cet agrégat de problèmes, l'autorité universitaire, l'autorité ministérielle [PAGE 39] et même le Président de la République semblent avoir jeté l'éponge. Devant l'Assemblée Nationale, le Ministre Owona n'a rien fait pour défendre la cause de l'Université, et lors de son interview à la CRTV, le Président de la République s'est confondu en menaces aussi inutiles que grotesques à l'endroit des enseignants et des étudiants. Comment donc imaginer apporter une solution idoine et durable à ces maux multidimensionnels sans passer par une concertation véritable qui regroupe toutes les forces vives du pays, si tant est que la révolution politique précède toujours la révolution culturelle ?

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ADMINISTRATION : FONCTIONNARISATION ET POLITISATION

La définition juridique de l'Université en fait un établissement public administratif à caractère scientifique et culturel, doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière (décret no 89/1777 du 07 décembre 1989). Ainsi postulé, il n'existe juridiquement aucune différence entre cette institution et les autres entreprises publiques. Ce qu'il importe de souligner, c'est qu'on oublie dans cette définition lapidaire de relever le caractère académique qui fonde l'authenticité de toute institution universitaire.

La primauté de l'administratif sur l'académie (enseignement, recherche) est dès lors déductible. Témoin de cette imposture initiale, des enseignants ont été mobilisés pour plancher sur la restructuration académique de l'Université. Les administrateurs ont rangé leurs propositions dans les tiroirs de l'oubli pour engager des réorganisations administratives. On peut dès lors conclure, comme l'ont douloureusement confirmé les nominations de décembre 90, qu'il s'agissait de créer des postes pour donner du gari aux frères, complices et autres protégés.

Une lecture du décret de décembre 89 crée un Conseil d'Administration qui est l'organe suprême de l'Université. On constate [PAGE 40] que cet organe si suprême n'a pratiquement aucun pouvoir de décision sur la gestion de l'Université. Non seulement la majorité de ses membres sont cooptés par décret présidentiel, mais il est présidé par le délégué du gouvernement auprès de l'Université, qui est le Chancelier. La voix des professionnels de l'académie n'a aucune chance d'être écoutée, surtout quand elle ne va pas dans le sens des intérêts partisans, voire personnels des représentants du pouvoir politique.

Autre imposture, les conseils d'administration de la CRTV, de la SNEC, de la SOPECAM et de bien d'autres établissements publics ont la capacité de pourvoir aux postes de responsabilité, exceptés ceux de D.G. et D.G.A. Mais, parce que le gouvernement juge les universitaires peu matures et inaptes à gérer leur institution, il s'arroge le droit de nommer par décret (Président) ou par arrêté (Ministre des Universités) les responsables chargés du commandement académique. Une telle ingérence instituée et légale va même jusqu'aux postes de chefs des départements qui n'ont aucun pouvoir administratif.

Pour toujours démontrer la subordination de l'académie à l'administratif, on note que le Chancelier, les Doyens des Facultés et les Directeurs des Grandes Ecoles sont des dépositaires de l'autorité administrative. Leurs subalternes sont les dépositaires de l'autorité académique (Vice-Chancelier, Vice-Doyen, Directeurs-Adjoints).

Le poste de Chancelier ne s'explique que si on accepte la logique de la politisation stérilisante des grands corps de l'Etat. Il est le représentant du gouvernement auprès de l'institution universitaire. Cette situation lui confère des pouvoirs exorbitants qui ne sont pas contrebalancés par l'existence de contre-pouvoirs académiques. Ainsi, on trouve généralement à la tête des magistraux professeurs, de vulgaires administrateurs civils et autres magistrats qui peuvent aller diriger des palmeraies sans que cela scandalise personne.

Cette fonctionnarisation de l'Université met les exigences du mérite académique en péril. Elle aboutit à la désignation arbitraire des responsables qui n'ont aucune légitimité morale, intellectuelle et dont le passé inspire plutôt des frayeurs à la vertu, à la droiture, à l'honnêteté et à la compétence. [PAGE 41]

Ainsi M. Fame Ndongo peut s'éterniser à la tête de l'ESSTIC malgré le gangstérisme financier qu'il organise avec des malfrats tels Biatcha (promu à la FLSH), Tsalla Ekani (chef de la presse parlée du RDPC), M. Nguijol, promu Doyen de la FLSH a été limogé du même poste huit ans plus tôt pour des malversations diverses (trafic des diplômes, trafic de notes, harcèlement sexuel et prévarications). Sur le plan académique, il dispense le même cours de la 1ère en 5e année et depuis sa nomination en Décembre 90, on le voit plus à la télévision appeler au meurtre contre Monga que dans les amphithéâtres. On notera qu'il fut un temps renvoyé de l'Université pour des fautes à connotation tribale. Tels sont les modèles qu'on présente à la jeunesse. Des individus engagés dans le train de la dégénérescence des valeurs morales et de la conscience patriotique.

D'après le Décret de décembre 90, les 40.000 étudiants de l'Université de Yaoundé sont représentés au Conseil d'administration par deux étudiants élus. On se demande sur quelle base ils sont cooptés depuis 1986, date à laquelle le gouvernement a décidé que les associations estudiantines ne seront plus régies par des responsables choisis par élections, mais devront être dirigées par des fonctionnaires de la police politique. Cette satellisation des associations a de fait enlevé aux étudiants la seule structure de concertation. Elle a aussi privé les dirigeants de la seule instance légitime de dialogue. Les revendications des étudiants ne peuvent plus se manifester que par des frustrations muettes ou alors par des marches violemment réprimées.

La restauration de la concertation passe par la réhabilitation de cette instance incontournable. Elle suppose aussi que la volonté de pouvoir qui aveugle les commissaires du gouvernement auprès de l'Université cède la place à une analyse rigoureuse des revendications estudiantines. La langue de bois et la militarisation ne peuvent résoudre aucun problème.

Par ailleurs, la responsabilisation effective des professionnels de l'académie est plus que jamais urgente. Une décentralisation devrait aboutir :

    – à la création d'un ordre des enseignants du Supérieur chargé de faire respecter la déontologie académique par les enseignants et par les pouvoirs politiques. [PAGE 42]

    – à la mise sur pied d'un syndicat des enseignants chargé de défendre les droits de ses membres.

    – au transfert des pouvoirs plus étendus au Conseil d'administration restructuré en vue d'une représentation majoritaire des enseignants et des étudiants.

    – au transfert du pouvoir de choix des responsables académiques aux professionnels de l'académie.

Conséquences de la fonctionnarisation

La transformation des universitaires en simples agents de l'administration publique a créé chez certains la tentation du carriérisme stérilisant. La connaissance devient alors une mystification, un fétiche, un simple sésame pseudo-culturel pour accéder aux classes sociales plus élevées. (76)

Le CUSS (Centre Universitaire des Sciences de la Santé) a connu et connaît actuellement un prestige certain auprès des élèves et étudiants. Prestige qui n'est pas lié à la noblesse de la fonction médicale ou au sérieux des enseignements, mais à la possibilité qu'ont les médecins de privatiser les hôpitaux publics, d'exercer illégalement en clientèle privée, en somme de mieux résoudre leurs problèmes alimentaires.

L'Ecole Polytechnique, à cause du traitement préférentiel des ingénieurs par le secteur privé ou para-public, a connu son heure de gloire. Mais, depuis que le désastre économique ne garantit plus la sécurité de l'emploi, la cote de cette institution est en chute libre.

L'Ecole Normale Supérieure a été longtemps méprisée à cause du traitement misérable de l'enseignant mais surtout à cause de l'impossibilité des enseignants de vendre leurs services aux amateurs de la corruption. En ces temps de crise, les débouchés se sont raréfiés et la cote de l'ENS est en hausse. On comprend que la tribalisation y fasse un retour en force avec l'étude des dossiers.

Un seul constat s'impose : la résolution du problème alimentaire a créé une véritable crise de vocation. L'éducation a pour mission traditionnelle d'aider la communauté à se sortir de ses problèmes. Au lieu de jouer ce rôle, elle devient partie intégrante du marasme collectif. Ces interrogations de Femi Osofisan rendent [PAGE 43] compte de la dramatique impasse de l'Université de Yaoundé :

    Pourquoi, en dépit de toutes ces lumières transmises (aux étudiants), avons-nous été incapables de chasser la bête qui guette, menaçante, aux portes de la cité ? Pourquoi nos diplômés se sont-ils montrés des serviteurs zélés des ennemis de notre société ? (70)

La réponse à ces questions passe par l'analyse de la valeur scientifique, intellectuelle et morale des admistrateurs et des enseignants de l'Université de Yaoundé. On constate que le loyalisme envers le pouvoir totalitaire a été le seul critère de promotion. L'Université est devenue le tremplin pour accéder aux postes plus élevés non dans la hiérarchie académique mais dans l'administration centrale de l'Etat ou du parti unique. La promotion récompense la docilité des académiciens envers les errements du régime. Elle préfigure l'inféodation de l'universitaire à l'idéologie du mutisme et de la soumission (66). Quelques cas émergent :

[PAGE 44]

Cas des enseignants enrôlés de force au service de la monocratie :

[PAGE 45]

    En dehors des amphithéâtres, ces universitaires n'ont pas pu créer une éthique de la gestion capable de cristalliser l'admiration de la société. Ils se sont mis au pas de la décrépitude quand ils n'ont pas été les inspirateurs. Ainsi, on peut se poser la question de savoir quelle a été la pertinence du savoir académique dans la lutte du Cameroun pour instaurer une société plus humaine. La contribution de l'Université au développement de la Nation dépasse les frontières des amphithéâtres pour interpeller la conscience nationale.

    (Femi Osofisan, Discours (peu) académique, Politique africaine, No 13.) [PAGE 46]

Problèmes universitaires/Problèmes nationaux

Outre le fait que l'Université constitue une institution ayant pour mission de produire des cadres devant conduire à des niveaux divers la marche de l'Etat, on constate que ses problèmes se rencontrent dans les autres domaines de la vie nationale.

En ce qui concerne les infrastructures, les Centres Universitaires de Ngaoundéré et de Buéa sont de véritables opérations de prestige. On rencontre aussi dans la politique d'équipement du pays les aéroports de Nsimalen, de Mvoméka.

La tribalisation se lit à travers les permutations tribales. Ainsi, pour avoir un Bamiléké comme Doyen, M. Jean-Louis Dongmo (Faculté des Lettres) a cédé son siège à M. Gérard Poughoué (FDSE). De même, Mme Elisabeth Tankeu a été remplacée par M. Niat au ministère du Plan. La tribalisation des postes financiers à l'Université n'est qu'une reproduction d'un mal qui mine tous les corps de l'Etat. Par ailleurs, autant le Président se recrute dans l'ancienne colonie française, autant le Chancelier est éternellement choisi parmi les francophones. Autant le Président de l'Assemblée Nationale, deuxième personnage de l'Etat en théorie, est anglophone, autant le Vice-Chancelier est recruté dans l'ancienne colonie britannique.

Le mythe de l'expatrié a la vie dure sur le campus de Yaoundé où le CUSS, l'Ecole Polytechnique et la Faculté des Sciences sont des chasses gardées de l'assistance française. La CAMAIR, les Grands Travaux, l'Hevecam, le Crédit Agricole, la Loterie Nationale reproduisent le même scénario.

Existe-t-il une différence entre la politisation malsaine de l'Université et celle désastreuse des crédits bancaires ?

Le centralisme bureaucratique, instrument du pouvoir totalitaire enfanté par le parti unique, a pour ambition de liquider tous les foyers oppositionnels. Il est le moyen permettant de perpétuer la pensée unique. La fonctionnarisation de l'institution universitaire s'intègre donc dans la logique d'extermination des intellectuels qui caractérise le pouvoir monocratique. Elle ne diffère point de la répression des combattants de l'indépendance, de la folklorisation des autorités traditionnelles, de la violation permanente de la loi fondamentale. Elle participe en définitive de [PAGE 47] la conspiration du silence instituée par l'oligarchie monocratique comme moyen pour s'éterniser au pouvoir.

Les Etats généraux de l'Université se confondraient aux Etats généraux de la société. Ils impliqueraient les Etats généraux du patronat pour définir le profil du cadre dont ont besoin les entreprises. Ceux-ci nécessiteraient des Etats généraux sur la relance de l'activité industrielle ou commerciale. Quelle que soit la qualité des réformes techniques initiées, on ne bougerait pas d'un iota aussi longtemps que la volonté politique manquera à l'appel. Et c'est ici que le drame de l'Université fait corps avec celui de la Nation. Or, il apparaît évident que l'impasse actuelle est d'abord politique. Et pour refaire les fondements du système, il faut dégager un consensus national : c'est l'objet de la conférence nationale.

La Conférence Nationale : Enjeux et portée

La conférence nationale est le forum de la concertation entre toutes les composantes de la société camerounaise. Elle est le lieu de la rencontre entre les bourreaux de la Nation et les victimes des errements, entre ceux qui répriment et les victimes de l'oppression. C'est aussi le lieu de résolution des contradictions qui divisent les uns et les autres au point de remettre en cause l'existence même de l'entité nationale.

La Nation, au cours de cette concertation, demande des comptes à ses brebis égarées. Il ne s'agit point de vouer au feu de l'enfer les incriminés. La perspective est plutôt celle de mieux maîtriser les ressorts de l'échec pour établir des bases plus fiables pour le futur. La Nation se remet en question tout en espérant mettre fin au passé de douleurs muettes, de trahisons et de prévarications.

La Conférence nationale est le lieu de la reconnaissance de la responsabilité collective. Elle est une occasion où la Nation accorde son pardon collectif. Mais peut-on accorder le pardon sans avoir exigé au préalable une confession sincère et totale ? Avant la conférence nationale, il existe des accusés et des plaignants; au sortir de celle-ci, il n'y a plus que des Camerounais réconciliés. L'exigence de la réconciliation nationale se trouve dans le principe de la conférence nationale. [PAGE 48]

Le sabordement des forces patriotiques par le colonisateur français a permis à ce dernier d'installer au pouvoir un régime antinational et inféodé aux intérêts néo-colonialistes. Après avoir arraché les pleins pouvoirs à l'Assemblée en 1959, le régime de M. Ahidjo a exclu le peuple camerounais du processus de prise des décisions. Ainsi, la loi fondamentale de 1960 a été rédigée par un seul homme soucieux de légitimer constitutionnellement son pouvoir totalitaire. Plus tard en 1972, le même scénario devait se renouveler.

Mais, ce qui est encore plus grave, c'est que cette constitution a été mise entre parenthèses depuis trente années par une administration totalitaire qui a créé des blocages lui permettant impunément de violer la loi fondamentale pour mieux servir ses intérêts partisans.

Les multiples manipulations désignées sous le terme licite de modifications ont toujours été l'œuvre du Président de la République qui a, pour ce faire, mis l'Assemblée Nationale en veilleuse.

Si de telles manipulations et violations de la constitution ont été réalisées, c'est parce que celle-ci ne disposait nullement d'éléments pouvant la protéger. La constitution est devenue au fil des ans un texte soumis au bon vouloir des dignitaires sur mesure pour ces hommes sans loi ni foi patriotique.

Pour un nouveau départ, il faut rompre avec les habitudes du passé. Il faut inaugurer une nouvelle démarche privilégiant le consensus sur la dictature de l'exécutif ou pire d'un parti. L'élaboration d'une nouvelle méthodologie de l'existence s'impose. La loi fondamentale, codification de ce nouveau départ, devra être l'œuvre de toutes les composantes politiques et civiles de la Nation.

A partir d'une constitution émanant du consensus national, on pourra, toujours, lors de la conférence nationale, mettre en place les jalons pour la restauration des valeurs fondamentales capables de régénérer le tissu moral de la société camerounaise.

La nouvelle pédagogie consensuelle définira le projet de société et le profil du citoyen que l'école aura la tâche de former. Rénover la société camerounaise, c'est instaurer une pédagogie du mérite, de l'effort, du patriotisme. [PAGE 49]

La conférence nationale, ainsi postulée, est une critique radicale portée sur le système et non dans le système. La conférence nationale récuse d'emblée le système actuel dans sa totalité ou en tant que totalité. Le principe de la conférence nationale réside dans le constat que le système a dépassé les limites de l'acceptable, que les indicateurs négatifs du système priment désormais sur les indicateurs positifs. Le système ainsi récusé repose sur une logique qui ne peut conduire qu'au suicide collectif. Le système du parti unique a déjà rempli toutes ces conditions du suicide du peuple camerounais (misère) et de la Nation camerounaise (braderie de la souveraineté nationale). C'est le parti unique qui a rendu inévitable l'urgence d'un tel forum.

Peut-on élaborer une pédagogie consensuelle en maintenant des compatriotes à l'écart du processus ? Le faire serait recommencer les erreurs du passé douloureux dont on souhaite définitivement tourner la page. C'est pourquoi la conférence nationale nécessite une amnistie générale dénuée d'arrières-pensées politiciennes.

L'Amnistie générale

Constitutionnellement, l'amnistie relève de la souveraineté populaire qui l'exerce à travers ses représentants institutionnels que sont le Président de la République et l'Assemblée Nationale. Elle est donc cette disponibilité légale et morale qu'a la patrie de pardonner à des citoyens antérieurement coupables devant la loi. Elle se présente comme une entreprise de réhabilitation des droits et de la dignité de ceux qui en bénéficient.

Au Cameroun, malgré la reconnaissance de la liberté d'expression et d'opinion par la constitution, des textes d'origine présidentielle ont entravé l'exercice des libertés fondamentales. De nombreux Camerounais ont été privés de leur liberté voire de leur vie pour des délits d'opinion. D'autres ont pris le chemin de l'exil pour se soustraire au couteau de la tyrannie. Il importe aujourd'hui de reconnaître cette erreur historique. L'armistice accordée aux victimes de la dictature n'est pas un pardon, mais une réhabilitation. Elle n'en devient que plus urgente.

La conférence nationale est donc un acte politique car elle constitue le lieu où sont élaborées les normes fondamentales de la [PAGE 50] gestion de la Nation camerounaise. Le refus d'un tel forum découle de la volonté de rester au pouvoir contre les intérêts de la Nation. Ce refus est un acte qui programme le dépérissement inéluctable de la Nation. Pour que les jeunes aient un avenir pour la Nation, il faut se concerter afin de repartir sur de nouvelles bases.

Avril 1991

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COMMUNIQUE DE PRESSE DES ETUDIANTS DE L'UNIVERSITE DE YAOUNDE

Les étudiants de l'Université de Yaoundé ont décidé d'observer, depuis le 02 Avril 1991, un mouvement de grève pour protester contre les conditions de dégradation inquiétantes que connaît le campus. La grève avait aussi pour but d'attirer l'attention de l'administration universitaire, du gouvernement de la République et de la communauté nationale sur l'impasse rencontrée par les étudiants après leur cycle universitaire.

Ces revendications n'avaient jamais trouvé une oreille attentive auprès de l'administration universitaire, du ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Présidence. Ces dernières étant plus préoccupées par les manœuvres carriéristes et politiciennes destinées à décerveler les étudiants et les enseignants encore volontaires. Pour mieux exercer un contrôle policier, les autorités administratives ont procédé au démantèlement des structures de concertation et de dialogue que sont les associations d'étudiants. En l'absence des responsables démocratiquement élus, des fonctionnaires de la police politique ont été installés à la tête desdites associations.

Pour parachever la séquestration du milieu universitaire, des forces armées sont en permanence installées dans les recoins du campus; la bureaucratie budgétivore a été alourdie et les enseignants détournés de leurs occupations académiques.

Pour ainsi répondre à nos pertinentes, légitimes et évidentes revendications, le Chancelier a réquisitionné des forces militaires. Ce renforcement des forces répressives démontrait clairement l'option du gouvernement pour l'escalade. Contrairement aux allégations mensongères du Chancelier selon lesquelles les forces répressives ont été requises pour rétablir l'ordre, nous tenons à préciser que dès le 02 Avril à 12H et même avant, les gendarmes avaient déjà pris position sur le campus. La marche n'a commencé que vers 14h. Cette présence anticipée des gendarmes relèverait des méthodes de provocation utilisées par le Chancelier contre des étudiants pacifiques et désarmés. [PAGE 51]

On compte des morts et des blessés par suite des tortures, des viols des étudiantes, des cas de vol et une chasse ouverte à l'étudiant. Des sources pas toujours dénuées de fondement feraient état d'exécutions à bout portant. Les documents à l'instar des diplômes, des actes de naissance et autres ont été détruits par les agents de la répression au cours des perquisitions illégales.

En ce qui est du cas de l'étudiant calciné à la cité universitaire, nous tenons à faire savoir que la responsabilité des étudiants n'est, à ce jour, nullement établie. Le Président de la République, en nous accusant au cours de son interview avec Eric Chinjé, a fait preuve d'une légèreté inadmissible de la part d'un homme d'Etat. Nous mettons quiconque au défi d'affronter la justice camerounaise afin de prouver les accusations injustement portées contre nous. Ces accusations participent de la stratégie du gouvernement qui est plus prompt à discréditer l'étudiant au lieu de l'écouter pour éventuellement le contredire.

Par ailleurs, la présence de cet étudiant de l'Ecole Normale Supérieure dans une chambre de la cité universitaire réservée à un autre qu'à lui représentait en soi une infraction au vu de la réglementation en vigueur.

Une hypothèse de plus en plus répandue attribuerait sa mort à une conséquence de la lutte mortelle que se mènent les indicateurs de la police présents sur le campus. Le contexte futur de liberté rendant caduc leur métier de l'ombre.

En dépit des agressions caractérisées de la part des forces répressives, en dépit des accusations non fondées et outrageantes, en dépit des insultes grossières dont nous avons été l'objet de la part de la CRTV et de Cameroon Tribune, nous avons pu, pendant quatre semaines, maintenir pacifiquement le flambeau de la résistance.

Par une série de dossiers documentés, nous avons sensibilisé l'administration universitaire, l'opinion nationale et internationale sur la gravité de nos problèmes académiques et sur notre avenir gravement hypothéqué. Eu égard à l'interdépendance entre l'Université et les autres secteurs de la Nation, nous maintenons que seule une conférence nationale peut poser les jalons de leur résolution.

Malgré le fait que nous ayons transmis ces dossiers par voie officielle et confidentielle, avec décharge dans le Secrétariat particulier du Chancelier, ce dernier a nié à la télévision avoir reçu nos revendications académiques. Pourtant, aussi bien les questions du journaliste que les réponses du Chancelier tendaient à démontrer qu'ils avaient pris connaissance dudit document.

En adoptant pareille attitude, le Chancelier ne tenterait-il pas seulement de discréditer les étudiants et de souscrire aux présomptions [PAGE 52] gratuites de manipulation défendues par le Ministre de l'Enseignement Supérieur et le Président de la République ? Une telle fuite en avant ne résoudra aucun problème. Elle entre dans la logique du gouvernement : éviter le débat d'idées.

Le Chancelier a tenté de dégager ses responsabilités en se déchargeant sur son Ministre et sur l'armée. Nous comprenons qu'il supporte difficilement les viols, les vols, les exactions diverses et les morts qui sont à l'actif des mercenaires du Quartier Général de l'armée camerounaise. Mais son attitude ressemble à celle d'un militaire qui, après avoir déclenché sa mitraillette, déclare ne pas être responsable des dommages causés par les balles.

Au ton faussement compatissant du Dimanche à la télévision a succédé un durcissement du ton le lendemain. Le Chancelier a menacé les étudiants de radiation, mesure non prévue dans les textes organisant l'Université de Yaoundé. Il a cautionné la création des milices tribales appelées "comités d'auto-défense". Ces milices organisent des marches illégales avec la bénédiction des gendarmes. Ces groupes d'étudiants armés ont pour mission de dénoncer les étudiants hostiles au RDPC. Ils constituent le noyau des indicateurs dirigé par le commissaire du gouvernement auprès de l'Université, c'est-à-dire le Chancelier.

Les étudiants sont ainsi sommés de reprendre les cours dans des conditions d'insécurité chronique. L'option de maintenir des légions de gendarmes et d'entretenir des milices tribales est contraire au sacrosaint principe des libertés et franchises universitaires. Des informations concordantes soutiennent qu'on n'attire les étudiants que pour mieux les traquer. Ceux ainsi arrêtés dans les actuelles conditions de confusion totale iraient grossir le nombre de nos camarades qui croupissent encore dans les geôles. Et ils sont nombreux, contrairement aux allégations mensongères du Chancelier.

Nous saisissons d'ailleurs cette occasion pour dénoncer les mascarades pseudo-judiciaires qui sont en cours pour faire incarcérer des étudiants sans chef d'accusation, sans procès contradictoire. Nous aimerions aussi savoir qui a intenté ces procédures. Le Chancelier ou l'armée ?

En tout état de cause, nous avons pris nos responsabilités envers l'Université de Yaoundé et envers la Nation camerounaise. Nous sommes fiers de nos actions responsables, nobles et pacifiques. A tous les ennemis de notre institution universitaire, aux mercenaires sans scrupules du Quartier général, aux fossoyeurs de la Nation camerounaise, nous lançons ces paroles d'Amilcar Cabral, grand Vainqueur du colonialisme : [PAGE 53]

    Répudiant la condition de mendiants – laquelle n'est pas conforme à la dignité et au droit sacré de notre peuple d'être libre et indépendant – nous réaffirmons ici notre ferme décision de liquider, de toute urgence, quels que soient les sacrifices à consentir, la domination (néo)coloniale dans notre pays et de conquérir pour notre peuple la possibilité de bâtir, dans la paix, son progrès et son bonheur.

La bataille continue.

Yaoundé, 24 Avril 1991,
Les étudiants de l'Université de YAOUNDE


[1] Officiellement, l'Université de Yaoundé compte 33.000 étudiants.

[2] Les chiffres sur la bourse à savoir 7 milliards pour les étudiants camerounais en poste à l'étranger contre 5 milliards pour les compatriotes restés au pays ont été communiqués par la Télévision nationale le 11 Février 1991 et plus précisément au journal de 20h30. Le journaliste officiant était Paul Ngounou.