© Peuples Noirs Peuples Africains no. 79 (1991) 17-20



NOUVELLE LETTRE OUVERTE A PAUL BIYA[1]

Le vrai débat

Célestin MONGA

    Monsieur le Président,

J'attendais une réponse du [...] camerounais à ma dernière lettre. J'ai reçu plutôt la visite de policiers en armes, qui m'ont traîné dans une cellule infecte, pour une "garde à vue" dont aucune des conditions préalables prévues par la loi n'était remplie. Puis, un groupe de petits fonctionnaires carriéristes a fait de moi la vedette malheureuse d'un procès truqué parodie de justice qui déshonore davantage le régime dont vous êtes le premier responsable.

Vous conviendrez avec moi que cette manière de répondre à une innocente lettre ouverte n'est pas très élégante ! En tout cas, j'aimerais croire que ceux qui ont organisé cette tragique mise en scène ont agi de leur propre chef, et qu'ils seront sévèrement sanctionnés des conséquences de leurs actes, sinon vous en assumerez seul le lourd passif devant l'Histoire. Des personnes innocentes ont perdu la vie lors de ces tristes événements. Combien de morts faudra-t-il à votre armée et à votre police pour comprendre que ce pays a besoin de liberté ?

En attendant que soit publiée la liste des mots que l'on peut employer pour s'adresser à vous sans tomber sous le coup de [PAGE 18] "l'outrage !", je voudrais vous ramener aux véritables débats de l'heure.

Ne nous égarons pas en subterfuges. Les problèmes que je vous ai posés restent sans réponse. Et au-delà du fait que ce médiocre "procès" dont j'ai été l'objet n'a fait que confirmer tout ce que j'écrivais dans ma lettre, il demeure que votre parti, l'UNC-RDPC, a conduit ce pays dans une situation de faillite économique et morale qui rend extrêmement urgente une nouvelle manière de concevoir le Cameroun.

Vous n'avez sans doute pas, comme moi, le luxe des fins de mois difficiles. Vous n'avez pas le privilège de vous promener dans les bidonvilles où "vivent" ces Camerounais que vous incarnez dans votre palais de marbre. Vos enfants ne sont pas renvoyés de l'école parce que les salles de classes ont déjà 150 élèves. Vos malades ne sont pas "soignés" à l'hôpital Laquintinie, où il manque des médicaments. Vous n'êtes peut-être pas informé du désarroi de ces promoteurs d'entreprises que votre gouvernement a acculés à la faillite en refusant d'honorer ses dettes à leur endroit. Et vous ne connaissez probablement pas les drames quotidiens de ces pères de familles que l'on "compresse" chaque jour des sociétés d'Etat et des banques, alors que les responsables de la faillite se baladent paisiblement, jouissant impunément de leurs milliards empoisonnés, et se préparant même à assumer de plus hautes fonctions ministérielles... Non, M. le Président, vous et moi ne vivons sans doute pas dans le même pays.

A l'heure où l'insuline manque à l'hôpital Laquintinie, et que de ce fait les diabétiques de Douala sont en danger de mort, vous construisez un aéroport particulièrement coûteux dans votre village de M'vomeka. Pour un trafic annuel de combien de passagers ? Commencez donc par moraliser votre propre entourage. Et par vous remettre vous-même en question.

Les agitateurs zélés qui font campagne contre moi aujourd'hui, en essayant maladroitement de fausser le débat, ne méritent que du mépris. Et pour cause : ils ont bien intérêt à ce que rien ne change dans ce pays. Françoise Foning par exemple, qui se veut "une femme du peuple", a monté des sociétés fantomatiques qui ont mis à genoux les banques [PAGE 19] camerounaises. A l'heure où je vous écris, la Centrale des risques de la B.E.A.C. lui réclame 1,5 milliards de FCFA. On comprend qu'elle s'inquiète dès que quelqu'un parle de transparence ou de liberté d'expression. On comprend aussi qu'elle essaie de détourner l'attention, en organisant des manifestations en faveur de "la loi et l'ordre" (la devise d'Hitler).

Quelle solution ? me direz-vous.

Je ne suis pas un homme politique. Je ne prétends détenir aucun remède miracle, mais je vous interdis de croire que votre manière de gérer ce pays est la seule possible. Car je rencontre tous les jours dans la rue des gens qui ne demandent qu'à exprimer leurs compétences; malheureusement, les conditions du jeu social que vous avez fixées favorisent surtout les médiocres. Un seul exemple : la télévision, qui est un formidable outil d'éducation et de sensibilisation des masses, est devenue sous l'emprise du "professeur" Mendo Ze un moyen de diffuser les mensonges officiels, et d'abrutir les Camerounais.

Seule une conférence nationale peut permettre d'associer d'autres compétences à la gestion des affaires publiques. S'il vous reste un minimum de bonne volonté, faites adopter un amendement constitutionnel pour la tenue de cette grande rencontre fraternelle, qui seule peut définir les nouvelles règles du jeu politique et préparer l'organisation de véritables élections.

Je le répète : le Cameroun dispose de toutes les richesses nécessaires à un développement rapide. Si votre gestion avait privilégié le mérite et sanctionné les détournements de deniers publics, au lieu de persécuter les esprits libres, la crise dont on nous rebat les oreilles serait déjà bien loin.

Célestin MONGA

Post-scriptum : lnutile de m'envoyer une fois de plus votre police. Elle réussira peut-être à me faire taire, mais ça ne résoudrait pas les problèmes de ce pays.


[1] Voir la précédente lettre ouverte dans Spécial Afrique francophone naufragée ... On y lira aussi une brève évocation de l'affaire à laquelle donna lieu cette première lettre ouverte.

[PAGE 52]