© Peuples Noirs Peuples Africains no. 63-66 (1988) 227-237



L'IDEOLOGIE DANS LA LITTÉRATURE NEGRO-AFRICAINE D'EXPRESSION FRANÇAISE
DE GUY OSSITO MIDIOHOUAN

Mathias DOSSOU

Pour une historiographie nouvelle

On se souvient sans doute de L'utopie négative d'Alioum Fantouré : essai sur Le cercle des tropiques[1] qui a impressionné plus d'un par son ton percutant et sa "rupture nette avec tout conformisme facile ou sécurisant"[2]. Voici que son auteur Guy Ossito Midiohouan nous revient avec L'idéologie dans la littérature négro-africaine d'expression française, un ouvrage qui dérange... bon nombre de positions [PAGE 228] acquises, d'idées reçues, de préjugés commodes, bref le vieil ordre établi en matière de critique de la littérature négro-africaine d'expression française[3]. Il ne s'agit de rien moins qu'une réappropriation du discours sur l'Afrique longtemps confisqué par l'Occident et un redressement de l'historiographie littéraire négro-africaine.

En soi, ce double projet n'est pas nouveau, Dans les années 60, une vive réaction des spécialistes africains contre les mutilations et les déformations de notre histoire par certains historiens européens devait aboutir grâce à l'appui de l'Unesco à la réalisation d'une monumentale Histoire générale de l'Afrique[4]. L'ouvrage par sa vision de l'intérieur à la fois dynamique et intègre, allait faire date. Les historiens africains eurent des émules dans les autres sciences humaines.

En ce qui concerne la critique de la littérature africaine d'expression française, Pius Ngandu Nkashama à travers sa Littérature africaine écrite[5] fait figure de pionnier sur la voie de la "remise en cause systématique de certaines idées reçues jusqu'alors". C'est du moins l'avis de Guy Ossito Midiohouan qui situe son présent travail comme le prolongement et l'approfondissement de sa "perspective nouvelle, plus véridique, dépouillée de l'obsession délirante de la négritude naguère engendrée par la fascination de Harlem et du quartier Latin qui nous a valu bien des discours pédants et creux".

Certes les premiers critiques de la littérature négro-africaine d'expression française (pour la plupart des Européens) ont eu le mérite d'avoir "incontestablement contribué pour une [PAGE 229] part non négligeable à la reconnaissance de cette littérature dans le monde entier ainsi qu'à son institutionnalisation", estime le critique, le recul du temps et les progrès de la recherche permettent de relever des errements, des dérapages mêmes dans l'historiographie dominante, celle des Thomas Melone, Lilyan Kasteloot et Jacques Chevrier. Et puisque lesdits errements ont été commis à l'abri de nombreuses confusions dans les définitions, c'est à préciser son objet, son champ d'investigation et sa désignation que s'attelle le critique dans son chapitre premier. Pour ce faire il examine minutieusement les diverses dénominations et les critères qui les fondent, signalant leurs insuffisances et/ou leurs nuisances, il en vient à valider l'appellation de "littérature négro-africaine d'expression française". Ce qui apparaît au mieux comme un modus operandi car, et c'est l'auteur lui-même qui conclut, "la littérature négro-africaine est difficile à définir, et c'est là même un élément essentiel de sa définition que cette propriété d'être difficile à définir." En effet les désignations et les champs ne sont pas seulement nombreux et différents à une même période mais ils sont aussi sujets à des fluctuations au fil du temps. Dans une "Etude diachronique de la désignation", le critique distingue trois temps : "Le temps de la ferveur et des grands mythes (1910-1950)" caractérisé par l'émergence d'une conscience raciale et d'une vision pannégriste des Noirs; "Le temps des différenciations..." à partir des années 50, c'est le reflux du pannégrisme au profit de la dimension géographique et le repli des différentes communautés noires sur les contextes socio-politiques locaux. "Et des nationalisations" où on assista vers la fin des années 70 à la balkanisation de la littérature négro-africaine en autant de littératures nationales que de micro-Etats en Afrique post-coloniale. Guy Ossito Midiohouan dénonce la perversité de cette tendance critique qui ressemble, à ses yeux, à une manipulation idéologico-politicienne.

Le terrain ainsi balisé, le critique peut aborder le phénomène littéraire négro-africain proprement dit suivant une perspective dynamique profondément intégrée à l'histoire. De 1920 à 1981, il détermine trois grandes périodes qui se rapporlent [PAGE 230] effectivement à l'évolution globale des peuples concernés. Aussi fait-il précéder l'analyse de la production à chaque étape par une étude du cadre historique et idéologique et des réalités socio-politiques.

Ainsi le deuxième chapitre est consacré aux "Facteurs de la production littéraire (1900-1960)". La nature de l'enseignement, l'infrastructure éditoriale, l'état de la culture en Afrique sous domination française et belge sont passés en revue. Un accent est mis sur le rôle idéologique de l'école coloniale dans la formation d'une élite indigène servile.

Le troisième chapitre "La genèse entre l'ambiguïté et la compromission (1920-1945)" couvre la première période de la production. Il retrace les débuts de cette littérature, réinsère dans notre mémoire et notre jugement des pans entiers à savoir "le roman colonial négro-africain" et le théâtre indigène généralement occultés par l'historiographie dominante. A l'opposé de cette dernière, Guy Ossito Midiohouan fait grand cas du pôle africain de création plus ancien que le pôle européen qui a focalisé l'attention de la critique traditionnelle. Dans ce pôle africain sont recensés chronologiquement "Ahmadou Mapaté Diagne, pionnier de l'école française", "René Maran et Batouala"; "Massyla Diop et la Psychologie du néo-nègre"; "Bakary Diallo, le tirailleur"; "Félix Couchoro, le moraliste chrétien"; "Ousmane Socé Diop et le métissage culturel"; "Paul Hazoumé, l'éthnologue", "le théâtre pontin et ses dérivés". Pour l'auteur, les tout premiers romanciers et dramaturges négro-africains, en dépit de leur allégeance à l'ordre colonial, représentent un moment significatif de la constitution de cette littérature.

Le critique met en parallèle ce pôle africain caractérisé par la mainmise idéologique, intellectuelle et culturelle du colonisateur avec le pôle européen marqué très tôt par "un foisonnement de l'activité intellectuelle où la critique du système colonial allait de pair avec la "défense et illustration de la race nègre" avant d'être progressivement supplantée à partir de 1930 par le mot d'ordre de la primauté du culturel sur le politique". C'est dans ce cadre que se situe le combat politique des militants anticolonialistes, résidant en France dans les années 20, [PAGE 231] tels Marc Kodjo Tovalou Houenou, Lamine Senghor, Garan Tiémoko Kouyaté et Emile Faure qui animèrent de nombreux journaux et de profonds débats sur le devenir de leur peuple. Ce qui fut possible grâce à l'évolution des idées suite à la première guerre mondiale, à l'environnement politique et intellectuel libéral en Europe. Ici l'auteur fait bien – et ce n'est pas un moindre avantage – de remonter à la source du nationalisme intellectuel négro-africain afin d'en souligner la portée et de l'intégrer dans un processus dialectique dont "Le Paris nègre des années 30" n'est qu'un moment somme toute modeste. Dans ce pôle européen qui n'enregistra de créations que poétiques à cette période, Guy Ossito Midiohouan note que "les Africains n'avaient produit aucune œuvre littéraire avant 1945". Ici deux Antillais, Léon Gontran Damas et Aimé Césaire, à travers respectivement Pigments et Cahier d'un retour au pays natal apparaissent des précurseurs.

Le quatrième chapitre "Du compromis à la révolte" correspond à la deuxième période de l'évolution du phénomène (1945-1960). C'est au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale; on assiste à une poussée irrésistible du nationalisme politique africain malgré les manœuvres de diversion du colonisaleur.

L'auteur observe au début de cette période "un curieux phénomène" : une récession du roman en faveur de la poésie. Celle-ci fait partie intégrante d'un espace plus vaste, celui de la poésie nègre dont la convergence thématique est indéniable. Cependant, nous avertit le critique, coller sans discernement l'étiquette de la négritude à ces œuvres est un abus grave dans lequel Senghor induisit Jean-Paul Sartre, puis la critique traditionnelle. De même que la négritude, concept nébuleux s'il en fut, et son corollaire l'unanimisme nègre, sont des mythes. Lesquels ont servi à dissimuler bien des impostures. Au nombre de ces impostures le fameux "engagement" de la poésie senghorienne. Contrairement aux hagiographes de Senghor, Guy Ossito Midiohouan soutient que cette poésie n'a rien de révolutionnaire nonobstant "sa remarquable qualité stylistique". Car les thèses senghoriennes (l'émotivité, la sensualité, la non violence nègres, l'humanisme négro-africain, la nécessité du pardon [PAGE 232] des crimes coloniaux et de la fraternisation entre colonisateurs et colonisés rehaussés par le lyrisme onctueux et la sensualité des versets aux sonorités envoûtantes ne sont que des arguties de l'idéologie coloniale au même titre que "l'humanisme franco-africain" dont le haut commissaire Robert Delavignette était le principal avocat. On s'explique dès lors que l'appareil idéologique officiel ait puissamment soutenu la fortune quasi exclusive de Senghor. Mais lorsque sous l'œil perçant du critique, l'étoile de Senghor pâlit, le ciel de la poésie négro-africaine de cette époque va-t-il s'assombrir ? Loin s'en faut; il s'anime et s'illumine d'autres constellations.

Là où la critique traditionnelle uniformisait et alignait dans le sillage de Senghor, Guy Ossito Midiohouan nous fait découvrir des personnalités aux conceptions et options différentes sinon divergentes face aux réalités de leur temps. C'est ainsi qu'il distingue quatre catégories de poètes. La première composée de "ceux qui, par l'inspiration et les thèmes développés, sont très proches de Senghor : Birago Diop, Paulin Joachim, Ousmane Socé". Dans la seconde catégorie "plus dynamique, plus engagée dans le présent et pour laquelle la nécessité de lutter contre le colonialisme, de libérer l'avenir, s'imposait comme un impératif catégorique" se retrouvent Francesco N'Ditsouna, Martial Sinda, David Diop et Elolongué Epanya Yondo. Ces poètes militants anticolonialistes furent les laissés pour compte de la critique traditionnelle. Oubli, méconnaissance et/ou mise à l'écart ?

Le critique "se demande pourquoi un ouvrage comme Les écrivains noirs de langue française. Naissance d'une littérature, fondé sur le concept de "l'engagement", se montre totalement muet sur un poète aussi engagé" que Francesco N'Ditsouna. Et Martial Sinda dont l'exclusion de l'historiographie dominante n'a aucune justification ? Et le grand David Diop que l'historiographie dominante ne semble retenir que "par respect envers le disparu, par faveur" ? Le critique tient à réhabiliter ces poètes combattants qui ont courageusement pris position contre la domination coloniale. La troisième catégorie qu'il qualifie de mitigée parce qu'elle combine des éléments des deux premières regroupe "les poètes qui tout en célébrant [PAGE 233] les valeurs culturelles africaines (trait dominant de la première catégorie) subordonnent la sauvegarde de celles-ci à la lutte anticolonialiste (trait dominant de la deuxième catégorie) prônée plus ou moins ouvertement". Ce sont Bernard Dadié et Antoine Roger Bolamba. La quatrième catégorie comporte un seul nom; il s'agit de Tchicaya U Tam'si dont la "poésie se caractérise par la prépondérance du lyrisme personnel". Sur le plan théâtral, l'auteur nous apprend que la réorganisation de l'enseignement colonial en 1948 entraîna la transformation de l'école normale William Ponty en un lycée ordinaire et la disparition des activités théâtrales de ses programmes.

Cependant l'administration consciente du rôle idéologique considérable du théâtre pontin, créa d'autres structures pour canaliser le théâtre indigène. Ce dernier ne parvint pas à sortir de l'ornière ethnographique et folklorique de Ponty si ce n'est dans les dernières années de la colonisation grâce aux "Ballets africains" de Fodéba Keita.

Sur le plan de la création romanesque dans cette seconde période Guy Ossito Midiohouan après avoir "remis la poésie à sa place", va souligner les "place et rôle du genre romanesque dans la constitution de la littérature négro-africaine". L'éclipse du roman par la poésie aura été très brève (1945-1950), et c'est une aberration dont la critique traditionnelle s'est rendue coupable de faire passer la poésie pour "l'expression privilégiée des nègres". En effet, "le roman refait son apparition à partir de 1953 et s'impose très vite par son développement remarquable comme le genre dominant, le plus représentatif, parce que le plus "populaire" de cette nouvelle littérature en train de se constituer". Cet essor de la production romanesque s'accompagne d'une révolution thématique et idéologique. Malgré le prolongement de la veine culturaliste et psychologique, le fait marquant de cette seconde période est incontestablement l'émergence du roman nationaliste.

Le cinquième et dernier chapitre du livre est consacré à "La littérature négro-africaine depuis les indépendances". Fidèle à sa méthode qui est de considérer l'œuvre littéraire comme [PAGE 234] "le point de rencontre d'une sensibilité et d'une situation historique, avec l'exigence de restituer son contexte socio-historique et de référer les structures dynamiques de l'œuvre aux structures dynamiques socio-historiques au sein desquelles l'œuvre a été élaborée", l'auteur met en place le nouveau contexte général. Sur le plan politique c'est l'échec des indépendances : "De la dictature des colons l'Afrique passa sans transition à la dictature des colonels". Sur le plan culturel on note l'extension de la scolarisation malgré les conditions d'ensemble extrêmement précaires. Ainsi se constitue un lectorat africain plus large auquel s'adressent en priorité les écrivains africains. Cette, évolution est confortée par la réforme de l'enseignement littéraire adoptée par la Conférence des Ministres de l'Education des Etats francophones d'Afrique et de Madagascar tenue à Tananarive en février 1972 qui met fin au règne sans partage de la littérature française en introduisant officiellement la littérature négro-africaine dans les programmes d'enseignement africains. Cependant, nous dit l'auteur, il reste beaucoup à faire pour la promotion de cette littérature en tant qu'instrument d'épanouissement de la jeunesse.

Dans le domaine de l'édition, le critique constate amèrement la lourde dépendance de l'Afrique vis-à-vis de l'Occident vingt ans après les "indépendances". Dans le même ordre d'idées, il dénonce une autre situation paradoxale et scandaleuse, à savoir que l'essentiel de la vie intellectuelle et littéraire africaine se passe à Paris à cause de la suppression de la liberté d'expression par la quasi totalité des pouvoirs en place aujourd'hui en Afrique. Abordant la création littéraire proprement dite, l'auteur note un renouvellement du théâtre qui s'oriente dans trois grandes directions. Il y a un théâtre d'inspiration historique qui exalte les grandes figures du passé précolonial ou celles de la résistance anti-coloniale ou les luttes de libération nationale. Le deuxième courant apparu en 1968 "s'attache à présenter les tares et les antagonismes de la société africaine d'après les indépendances". Le troisième courant rend compte de "L'évolution sociale et (du) changement des mentalités". Par rapport à ces trois courants, l'auteur fait remarquer qu'il y a eu deux attitudes différentes du pouvoir [PAGE 235] politique. Le premier courant, du fait de l'enthousiasme national qu'il véhicule, a reçu le "soutien intéressé des nouveaux dirigeants politiques. Le deuxième courant a été simplement banni de la scène par le pouvoir politique qu'il dénonçait. Cette situation allait confiner le théâtre négro-africain d'expression française au canal réducteur du Concours Théâtral Interafricain de Radio-France Internationale. En poésie, le critique signale la médiocrité des œuvres qui, malgré leur foisonnement à cette étape, ont beaucoup de mal à renouveler leur thématique et leur inspiration. Selon lui, cet état de choses s'explique par la persistance de l'influence des poètes "de la négritude", par le totalitarisme intellectuel et culturel des "partis uniques iniques" au pouvoir qui somment les poètes de relayer leur propagande et par le manque de talent et l'arrivisme de beaucoup de poètes. Néanmoins quelques noms émergent que le critique répartit en trois tendances : "Les épigones de la négritude" qui sont les plus nombreux dans la première décennie des indépendances; "La poésie militante" qui dénonce les réalités de l'Afrique d'après les indépendances et appelle à "une mobilisation générale pour un combat véritablement libérateur", et la poésie de "L'expression du Moi".

Quant au roman, il connaît, selon l'auteur, un essoufflement de la production et de la qualité des œuvres lié à l"'état de grâce" au lendemain des indépendances, à l'imprécision du nouveau contexte. Cependant une reprise s'amorce à partir de 1970 qui permet au roman de reconquérir sa position dominante au sein de la littérature négro-africaine. Afin de rendre compte de cette production diversifiée et complexe des vingt dernières années, il tente une typologie par laquelle il détermine trois grands types. Le premier qu'il dénomme "Le roman culturaliste" regroupe les romans qui traitent essentiellement "la problématique culturelle négro-africaine". Ceux-ci comportent deux variantes : le "roman socio-traditionniste" qui envisage le devenir de la société traditionnelle, et le "roman psycho-culturaliste" qui analyse, sur un mode psychologique, le désarroi d'un individu confronté à la ruine des valeurs. Le second type dit "roman néo-social" se présente comme une enquête sociologique sur les problèmes humains, socio-économiques, moraux de [PAGE 236] l'Afrique d'aujourd'hui. Le troisième type appelé "roman politique" à l'intérieur duquel le critique distingue deux courants : l'un est le prolongement de la veine nationaliste anticolonialiste; l'autre, "le nouveau roman politique" dévoile les cruelles réalités néocoloniales. Le critique se montre particulièrement attentif à ce dernier courant. Il ne limite pas ses analyses aux thèmes, aux orientations et motifs idéologiques mais il s'attache – ce n'est pas fréquent dans l'ouvrage – à l'examen de "la nouvelle écriture romanesque", de ses métaphores et structures afin d'en déceler les homologies avec les structures réelles. La "Table chronologique de la production" qui clôt l'ouvrage vient en appoint. Elle permet de suivre l'évolution de la production, sa distribution par genres et par périodes en même temps qu'elle fournit de précieuses indications bibliographiques. Au sortir de ce livre, on peut s'offusquer de l'accent passionné par endroits et de la hardiesse des analyses et partant questionner la pertinence des principes critiques aux conséquences aussi radicales.

Au demeurant les critiques africains ne sont pas unanimes sur la grille d'interprétation de la littérature négro-africaine. Jean-Norbert Vignonde se demande encore "quelle critique pour la littérature africaine ?"[6] Mohamadou Kane, pour sa part, emprunte une voie aux antipodes de celle préconisée dans le présent ouvrage[7]. Quant à Mateso Locha, au nom du "texte et ses valeurs formelles ou stylistiques", il récuse l'engagement politique en tant que critère fondamental d'appréciation parce qu'il lui apparaît une mutilation[8].

Or précisément Guy Ossito Midiohouan, absorbé par son dessein proclamé de débusquer l'idéologie politique à travers les œuvres, invective, excommunie ou approuve et bénit selon les options à telle enseigne qu'il néglige la littérarité des textes. Par ailleurs on sent que le critique suspecte indifféremment [PAGE 237] le culturalisme. Si cette suspicion se justifie au regard du franc collaborationnisme du roman colonial négro-africain et du théâtre pontin ou indigène, des compromissions de la négritude senghorienne, l'étendre à tous les courants culturalistes s'avère inopportun. Il faut éviter de donner dans la logomachie senghorienne sur la primauté entre le culturel et le politique car elle n'a d'autre issue que le manichéisme stérile. Tout culturalisme n'est pas spéculation pure, ni passéisme, ni dérobade aux sollicitations de son temps. Culturalisme et engagement politique peuvent participer solidairement du même projet de société africaine nouvelle. Et dans cette optique le culturalisme contribue également des éléments prospectifs. En définitive quelles que soient les réserves que pourrait susciter l'approche de Guy Ossito Midiohouan, force est de reconnaître que son discours se développe libre, sans faux éclectisme, ni intellectualisme oiseux, toujours soucieux de clarté, de cohérence et d'efficience. Ainsi le critique fait sienne cette vérité qu'"il faut admettre désormais, (avec Pius Ngandu Nkashama) que la littérature africaine n'est plus un fait exclusif aux cercles universitaires, à leurs discours tautologiques. Elle appartient maintenant aux peuples d'Afrique. Ce sont ces peuples qui lui accordent son statut de véracité, de validité et de légitimité"[9].

Mathias DOSSOU
(Flash-UNB)


[1] G.O. Midiohouan, L'utopie négative d'Alioum Fantouré : essai sur "Le cercle des tropiques", Paris, Editions Silex, 1984.

[2] Cf. J.N. Vignonde, "Quelle critique pour la littérature africaine ?" Notre librairie no 78, janvier-mars 1985, p.12.

[3] G. O. Midiohouan : L'idéologie dans la littérature négro-africaine d'expression française, Paris, L'Harmattan, 1986.

[4] Histoire Générale de l'Afrique (publiée sous les auspices de l'UNESCO en français, anglais et arabe), Paris, UNESCO, 3 vol. en cours de parution depuis 1979.

[5] Pius Ngandu Nkashama, Comprendre la littérature africaine écrite, lssy-les-Moulineaux, Edition Saint-Paul, les classiques africains, 1979, 728 p.

[6] J.O. Vignonde, op. cit.

[7] Cf M. Kane, Roman africain et tradition, Dakar, NEA, 1983.

[8] Mateso, La littérature africaine et sa critique, Paris, A.C.C.T.-KARMALA, 1986.

[9] P. Ngandu Nkashama, Littératures africaines de 1930 à nos jours, Paris, Editions Silex, 1984, p.13.