© Peuples Noirs Peuples Africains no. 63-66 (1988) 190-211



LETTRE PASTORALE DES EVEQUES
CATHOLIQUES DU CAMEROUN

Nous, les Evêques du Cameroun réunis en Assemblée Plénière Extraordinaire le 17 mai 1990, à Yaoundé adressons à tout le peuple de Dieu qui est au Cameroun à tous les responsables des affaires publiques et à tous nos compatriotes de bonne volonté notre salut fraternel de paix et d'union des cœurs, dans le Christ Jésus.

INTRODUCTION

Depuis plusieurs années, notre pays traverse une période difficile connue sous le nom de CRISE. Cette crise économique engendre beaucoup de souffrances et de misères, non seulement au Cameroun, mais encore en Afrique et dans les pays en voie de développement des autres continents.

L'Eglise dont la Mission est d'annoncer la Bonne Nouvelle du salut à tous les hommes, ne peut rester indifférente devant les lourdes et pénibles épreuves que la crise fait peser sur tant d'individus et tant de familles souvent innocentes. Avec le Christ son fondateur, l'Eglise vous dit : "J'ai pitié de cette foule". Voilà pourquoi nous, vos Evêques et vos Pasteurs, avons décidé de vous adresser cette lettre comme un message de solidarité dans vos épreuves, de soutien, d'encouragement et d'espérance, pour vous guider dans la recherche de solutions capables de permettre à tous et à chacun de retrouver des conditions de vie normale, dans la justice, la paix et la solidarité.

Ce faisant, vos évêques ne prétendent nullement se substituer à l'Etat, face aux dimensions politiques de la crise. Ils [PAGE 191] n'ont même pas la prétention de vous proposer des solutions techniques qui sont du ressort des techniciens et des experts. Mais il est de leur devoir de rappeler à tous qu'aucun ordre des choses humaines ne peut échapper à la Loi divine. La crise n'est pas seulement un phénomène économique : elle comporte toute une dimension morale que l'Enseignement officiel de l'Eglise a toujours rappelée aux hommes de notre temps.

LA CRISE

Le phénomène de la crise sévit dans le monde depuis plusieurs années. Les experts en économie affirment qu'il était prévisible, et même qu'il a été prévu. Pourtant dans les pays en voie de développement, et notamment en Afrique et au Cameroun, son apparition semble avoir été si brusque et si brutale, que tout et tous donnent l'impression d'avoir été pris au dépourvu : l'Etat, les institutions publiques et privées, les individus et les communautés organisées ou non, dans les villes comme dans les campagnes.

LES EFFETS DE LA CRISE

La crise se présente d'abord comme une force mystérieuse, aveugle, qui engendre partout la pauvreté, la misère, le chômage, et sème la crainte, le doute, l'incertitude, jusque dans les structures mêmes de l'appareil étatique et des institutions économiques.

Les prix internationaux des matières premières tombent brusquement : le cacao, le café, le coton, le caoutchouc, le tabac, la banane, l'arachide, ... se vendent à des prix dérisoires ou ne se vendent plus. Or ces produits étaient la seule et unique source de revenus pour des millions de Camerounais.

Le pouvoir d'achat de la population s'amenuise et tend vers zéro. La vie devient excessivement chère, non seulement pour les produits importés, mais même pour les biens nécessaires à la vie de tous les jours, et que l'on trouve sur place.

Or, dans le même temps, des banques se vident; certaines vont jusqu'à fermer. On déclare qu'il n'y a plus d'argent [PAGE 192] liquide. L'Etat est mis en difficulté pour payer ses fonctionnaires et honorer ses autres engagements. Entreprises publiques et privées ferment. Les services publics procèdent à des compressions de personnels. Plus grave encore, on bloque tout recrutement nouveau. Des chefs de famille, par milliers, sont réduits au chômage. Et c'est ainsi que d'innombrables familles camerounaises se retrouvent, tout à coup, sans ressources, livrées à elles-mêmes, incertaines du lendemain.

CAUSES EXTERIEURES DE LA CRISE

Les causes de cette crise sont multiples, complexes, et très difficiles à définir pour l'homme moyen et même pour la plupart des hommes instruits.

Notre Saint-Père le Pape Jean-Paul II, devant la gravité du mal dont souffrent tant de millions d'hommes à travers le monde, a pris soin d'éclairer la conscience du peuple chrétien sur les racines profondes de ce mal. Il est convaincu que la cause et l'origine du mal dont nous souffrons se trouvent, en premier lieu, dans les structures de péché qui dominent le monde actuel. Dans son Encyclique "Sollicitudo Rei Socialis" : "la sollicitude de l'ordre social" le Pape écrit : "Si la situation actuelle relève de difficultés de nature diverse, il n'est pas hors de propos de parler de "structures de péché", lesquelles (...) ont pour origine le péché personnel et, par conséquent sont toujours reliées à des actes concrets des personnes qui les font naître, les consolident et les rendent difficiles à abolir".

Le Pape a pris soin de préciser en quoi consistent ces structures de péché : "Un monde divisé en blocs régis par des idéologies rigides, où dominent diverses formes d'impérialisme au lieu de l'interdépendance et de la solidarité, ne peut être qu'un monde soumis à des structures de péché".

Dans sa toute première Encyclique, "Redemptor Hominis : le Sauveur de l'Homme" le Pape avait déjà tiré la sonnette d'alarme sur l'injustice structurelle qui impose sa loi à la vie du monde actuel : "L'ampleur du phénomène (de l'injustice [PAGE 193] sociale) met en cause les structures et les mécanismes financiers, monétaires, productifs et commerciaux qui, appuyés sur des pressions politiques diverses, régissent l'économie mondiale. Ils s'avèrent incapables de résorber les injustices héritées du passé et de faire face aux défis urgents et aux exigences éthiques du présent ... Ces structures font s'étendre sans cesse les zones de misère et avec elles, la détresse, la frustration et l'amertume". Il apparaît ainsi que ces structures de péché sont liées à l'ordre politique, économique, culturel, qui régit la vie internationale. La crise est d'abord un phénomène engendré par l'ordre économique mondial basé sur le seul profit, l'égoïsme, l'exploitation des pauvres, des faibles et des opprimés, par les riches et les puissants de ce monde. Cet ordre impose ainsi à nos pays de nouveaux modèles de dépendance : dépendance économique, politique, culturelle, financière. C'est la spéculation et la domination de l'économie mondiale par les magnats de l'industrie, du commerce et de la finance qui engendrent la détérioration des prix des matières premières, voire la ruine des économies basées sur la production de ces matières premières. C'est un fait connu que, pour ruiner nos fragiles économies, ceux qui, hier, achetaient notre cacao ou notre café, se sont mis à créer d'immenses plantations des mêmes produits dans d'autres régions du monde. Leur surproduction inonde aujourd'hui le marché mondial. On peut donc se passer de notre café et de notre cacao.

LA DETTE

Le même ordre économico-politique engendre la Dette. Nos pays, ne pouvant tirer de leurs ressources propres de quoi investir pour leur développement, font appel à la solidarité internationale. Malheureusement, le système de l'endettement n'est ni un instrument de solidarité, ni un moyen pour sortir de la misère. Endetter un pauvre, c'est le rendre plus pauvre encore. Quant au système de réajustement structurel qui impose à nos pays de réduire leurs citoyens au chômage, de condamner des milliers de familles à la misère, pourvu que les pays riches récupèrent avec des intérêts exorbitants leur argent prêté avec [PAGE 194] usure, c'est un système qui n'est conforme ni à l'esprit de l'Evangile, ni à la doctrine sociale de l'Eglise. C'est un système contraire, par conséquent, à la morale chrétienne. Le Magistère Suprême de l'Eglise Catholique, à plusieurs reprises, l'a rappelé aux hommes de notre temps : le document publié par la Commission Pontificale "Justice et Paix" sur une approche éthique de l'endettement international est formel sur ce point : "Les pays débiteurs se trouvent placés dans une sorte de cercle vicieux : ils sont condamnés, pour pouvoir rembourser les dettes, à transférer à l'extérieur, dans une mesure toujours plus grande, des ressources qui devaient être disponibles pour leur consommation et leurs investissements internes, donc pour leur développement ...
"Les efforts imposés par les organismes de crédit en échange d'une aide accrue, lorsqu'ils ne considèrent la situation que sous un angle monétaire et économique, contribuent souvent à entraîner pour les pays endettés, au moins à court terme, chômage, récession et réduction drastique du niveau de vie dont pâtissent en premier lieu les plus pauvres ainsi que certaines classes moyennes, bref une situation intolérable et à moyen terme désastreuse pour les créanciers eux-mêmes. Le service de la dette ne peut être acquitté au prix d'une asphyxie de l'économie d'un pays et aucun gouvernement ne peut moralement exiger d'un peuple des privations incompatibles avec la dignité des personnes".

Le témoignage des Pasteurs et des chrétiens engagés, sur tous les continents, confirme ces enseignements officiels de l'Eglise. On ne peut que frémir devant les horreurs qui sont la conséquence directe de l'endettement des pays pauvres. "Selon l'UNICEF, plus de 1000 enfants meurent chaque jour en raison des situations créées par l'endettement...".

APPEL POUR L'ABOLITION DE LA DETTE

[PAGE 195]

Sans doute les conséquences désastreuses de l'endettement n'ont pas totalement échappé aux Puissances qui contrôlent l'économie mondiale. C'est avec un réel soulagement que nos cœurs de pasteurs ont appris l'initiative prise par certains pays riches de remettre en tout ou en partie la dette des pays classés parmi les plus démunis. D'autres ont procédé à différents types de rééchelonnement qui risquent en définitive, d'alourdir davantage le fardeau des pays endettés. En ce qui concerne le continent africain, en ce qui concerne particulièrement notre pays le Cameroun, quel que soit le classement adopté par les institutions économiques et financières à l'échelon international, une seule vérité crève les yeux : les conséquences de l'endettement sont partout catastrophiques. De quelque côté qu'on tourne les regards, on ne rencontre que la misère et le désespoir du petit peuple dans l'impasse. Ces misères seraient atténuées si du moins la rigueur et l'intégrité morale avaient présidé dans nos pays à la gestion de nos maigres ressources. Nous en appelons à la conscience et aux sentiments d'humanité des responsables des pays riches et leurs peuples, pour que la seule mesure de solidarité digne des plus nobles aspirations de l'humanité en cette fin du XXe siècle soit adoptée par tous et pour tous : la suppression pure et simple des systèmes d'endettement et de réajustement structurel, tels qu'ils existent aujourd'hui.

Le sens chrétien de la solidarité internationale exige qu'au lieu de l'endettement, un nouvel ordre économique mondial crée de nouveaux termes d'échange basés sur la justice, l'esprit de partage, d'interdépendance et de complémentarité. Il faut dire résolument non ! à la dette, et oui à un ordre économique qui nous permette de vendre nos produits du sol et du sous-sol à leur juste valeur. Notre pétrole, notre gaz, notre or, nos diamants, notre cuivre, notre uranium, notre cobalt, notre manganèse, notre bauxite et nos produits agricoles, notre cacao, notre café, notre vouacanga, notre strophantus, notre bois, vendus à leur juste prix, sont capables, non seulement de rééquilibrer nos économies perturbées, mais encore d'ouvrir pour nos pays les chemins de la prospérité. [PAGE 196]

CAUSES INTERNES DE LA CRISE

La situation que vivent les pays africains aujourd'hui est trop grave; elle invite chacun de nous à un examen de conscience sérieux. Cet examen de conscience appelle des solutions rapides et radicales. Les structures de péché qui ont perverti les relations économiques internationales, ont également trouvé dans nos pays un terrain privilégié. Il est bien connu que c'est dans les guerres absurdes, dans les industries et le commerce des armes, dans le soutien des régimes d'oppression et d'injustice sociale, dans le gaspillage forcené de tyrans mégalomanes, dans la drogue, dans le détournement des fonds publics... que souvent, trop souvent, est gaspillé l'argent de notre endettement. De pseudo-investissements de prestige engloutissent en palais, en gratte-ciel inachevés, en projets bidons, des milliards et des milliards, vidant ainsi les caisses de l'Etat, et décuplant la misère de générations condamnées pour des dettes qu'elles n'ont point contractées. On se trouve ainsi devant une véritable industrie mondiale de la misère et de la mort, entretenue par ces structures de péché dont les ramifications s'étendent jusqu'au sein de notre société.

SITUATION PARTICULIERE DU CAMEROUN

C'est ici que nous appelons solennellement notre peuple chrétien à un discernement des esprits. Le mal est profond. L'illusion est facile. Elle est d'autant plus facile que le Cameroun, dans certains courants des mass-média, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, passe pour un îlot de paix et de prospérité au sein de l'Afrique. Le Saint Père nous le rappelait encore, tout en nous mettant en garde contre notre propre fragilité, au cours de sa visite pastorale au mois d'août 1985. [PAGE 197] Oui ! notre situation privilégiée au centre de gravité de notre continent, à la croisée des chemins de toutes les races, de toutes les ethnies, de toutes les tribus, de toutes les cultures, et de tous les courants venus des quatre points cardinaux, notre expérience, unique, de tous les types de colonisation venus du Nord, la reconquête historique de notre unité nationale par la réunification et le bilinguisme, l'étonnante variété de nos produits du sol et du sous-sol, notre stabilité politique, notre tolérance religieuse, ... tout cela constitue pour le Cameroun indépendant un héritage qui fait notre fierté. Voilà pourquoi le Saint Père saluait avec respect et espérance, la politique du Renouveau de nos responsables.

SOUFFRANCES DU PEUPLE

Mais nous ne pouvons pas, nous ne devons pas ignorer qu'à l'heure de la crise, la misère, la faim, le dénuement, le chômage, et dans certaines zones rurales, un véritable désespoir, pèsent lourdement sur le destin non seulement du peuple en général, mais surtout des plus pauvres, des plus faibles, des plus démunis. Nous ne pouvons pas ne pas prêter l'oreille au peuple désemparé qui nous demande : "Pourquoi des banques sont vides ? Et qui a vidé ces banques ? Où sont donc ceux qui les ont vidées ? ...". Et la voix du paysan nous harcèle : "On nous a dit, on nous a même imposé autrefois de faire des cultures de rente... Pourquoi le cacao, le café, le thé, le coton... ne se vendent plus comme autrefois ? Qu'allons-nous faire maintenant de tant de récoltes accumulées ?...".

Le poids de tant de questions sans réponse crée le mécontentement parmi le peuple. La haine y trouve un terrain privilégié. Des tensions provoquées et entretenues par des intérêts sans scrupule et souvent dissimulés, menacent la stabilité des institutions publiques, la cohésion sociale et la paix des familles. On cherche alors des boucs émissaires. C'est souvent le moment propice pour les démagogues et les agitateurs irresponsables et incontrôlés. Que tout le peuple de Dieu qui est au Cameroun, que tous nos compatriotes de bonne volonté se rappellent [PAGE 198] que le patrimoine de notre unité nationale, de notre cohésion, de notre solidarité et de notre stabilité dans la paix est un trésor très précieux qui fait notre fierté aux yeux du monde, et que nous avons conquis au prix d'incalculables sacrifices. Ce trésor, tous les Camerounais doivent le sauvegarder, le promouvoir, le protéger jalousement.

APPEL AUX POUVOIRS PUBLICS

Nous en appelons également aux pouvoirs publics pour que le peuple, dans son désarroi, sente toujours et partout la protection et le soutien de l'Etat. La tentation est trop grande, en ces moments d'incertitude, pour les pouvoirs responsables de l'ordre public, d'alourdir la misère du peuple en limitant, voire en violant ses droits et ses libertés.

On en arrive ainsi à ternir à l'intérieur comme à l'extérieur l'image de notre pays et de ses institutions, hier encore vantées comme un Etat de droit appelé à donner au milieu d'une Afrique perturbée, l'exemple de la démocratie, de la liberté de pensée et d'expression, du respect des droits fondamentaux de l'homme. Vivant au milieu du peuple que Dieu nous a confié, nous sommes bien obligés de constater, de jour en jour, autour de nous, des violations de plus en plus flagrantes des droits de l'homme : des pauvres, des faibles sans défense, sont livrés à l'arbitraire de fonctionnaires sans scrupule, d'agents des forces de l'ordre ou même de personnages aux attributions mal définies, couverts soit du manteau du Parti, soit d'une mystérieuse impunité qui fait scandale. On a vu d'honorables citoyens abattus dans la rue ! des crimes crapuleux enveloppés d'énigmes, devant le silence apparemment impuissant de ceux-là à qui le peuple a confié la protection et la défense de son destin de ses biens, de sa vie...

APPEL AU PEUPLE CHRETIEN

Un examen attentif montre que c'est dans la vie même de notre peuple, dans le cœur et la conscience de chaque citoyen, que se trouvent les racines du mal. L'action de l'Etat, tout [PAGE 199] comme l'action de l'Eglise, demeureront sans effet, aussi longtemps que le peuple n'assume pas résolument ses responsabilités devant son propre destin. Les structures de péché sont malheureusement en nous et autour de nous. Il est douloureux de le dire : nous ne sommes pas seulement des victimes de la crise : nous en sommes aussi les causes et les agents.

Le peuple chrétien qui est au Cameroun doit savoir que cette crise nous met en jugement devant Dieu. Le Premier Commandement de la Loi et de l'Evangile nous dit : "Tu aimeras ton prochain comme toi-même". Nous savons tous, tant que nous sommes, que dans notre pays, ce Commandement n'est pas entré dans les habitudes du peuple chrétien. La vie privée des individus ou des communautés, la vie publique des citoyens sont encore dominées par l'égoïsme, la mesquinerie, les jalousies et les haines. Voilà pourquoi c'est l'absence d'un véritable esprit de solidarité, la malveillance, le tribalisme omniprésent, ... qui détruisent les efforts des bonnes volontés et s'opposent à tout vrai développement. Si la Loi du Christ est l'AMOUR, la Loi du Diable c'est la HAINE. La haine détruit les foyers; elle divise les villages et les quartiers; elle oppose les ethnies; elle fait appel aux forces maléfiques; elle accrédite leur action par la superstition, la croyance à la sorcellerie, au fétichisme et aux mauvais sorts; elle pratique les empoisonnements; elle démolit la foi et la vie chrétiennes. Oui ! la cause la plus grave de la crise, chez nous, c'est la Haine.

CORRUPTION ET INCIVISME

Les conséquences de cet esprit anti-évangélique sont incalculables. Dans la vie publique, l'absence de tout esprit civique entraîne, chez les fonctionnaires de toutes catégories, la corruption, le laisser-aller, l'absentéisme, l'esprit vénal, et ces fameux détournements de fonds publics qui défient toute vigilance. La fraude douanière, le refus de payer les taxes et les impôts dus à l'Etat, sont des pratiques que l'on retrouve jusque dans les secteurs vitaux de l'économie de notre pays. Ces comportements constituent pour le chrétien des fautes graves, [PAGE 200] contraires non seulement au civisme, mais encore à la morale au sens chrétien du mot. Quand on pense que parmi les Camerounais qui gèrent des secteurs vitaux de notre économie, les arriérés d'impôts s'élèvent à plusieurs milliards de francs CFA, on doit reconnaître honnêtement que c'est en nous, Camerounais, que se trouve en grande partie, la cause de la crise dont nous souffrons.

GASPILLAGE

Le gaspillage, malgré ces difficultés, continue à se développer de façon inquiétante, surtout dans les milieux des grands et des riches. Le petit peuple, d'ailleurs, n'y échappe pas. L'amélioration des conditions de vie, l'humanisation de notre milieu ou de notre environnement, l'éducation des enfants, l'entretien du foyer, la prise en charge de sa famille, ... semblent totalement étrangers à beaucoup de Camerounais qui ne travaillent que pour s'amuser et gaspiller un salaire aujourd'hui envié par tant de chômeurs. Des pères, voire des mères de famille passent des journées, et même des nuits dans les bars; et l'on entend des agents des grandes Brasseries se vanter tout haut que les Camerounais consomment la bière pour deux cents milliards de francs CFA chaque année.

FUITE DES CAPITAUX

La fuite des capitaux vient aggraver une situation déjà catastrophique. Le pays saigné à blanc, voit ainsi bloquée sa vie économique, politique, sociale et culturelle. On avance des chiffres effrayants : près de 150 milliards de francs CFA fuiraient ainsi du Cameroun chaque année !

Parmi les raisons que l'on donne à cette fuite des capitaux, on déplore surtout l'égoïsme et la cupidité des grands et des riches. Plusieurs entreprises opèrent parfois comme de véritables sangsues installées sur les veines économiques et financières du pays. Le résultat, c'est que nos capitaux vont ainsi enrichir [PAGE 201] les pays riches, précipitant nos propres pays de la pauvreté à la misère.

Cependant, un regard attentif sur les institutions financières de notre pays, nous oblige à reconnaître qu'il y a d'autres causes, souvent graves, à ces fuites des capitaux. Ces causes tiennent à la non crédibilité de certaines institutions financières, banques, assurances et autres ... Les règles de déontologie propres à leurs corps de métier ne sont malheureusement pas toujours respectées dans notre pays. Un nombre encore important d'institutions financières dans notre pays sont gérées sans contrôle et sans scrupule. Ajoutez à cela les violations des droits des clients, l'ignorance généralisée ou la mauvaise foi concernant les droits de propriété; tout cela provoque le doute, l'incertitude, l'insécurité et des craintes plus ou moins fondées. La tentation est alors trop grande d'aller chercher ailleurs une garantie de sécurité pour ses avoirs bancaires.

Cette tentation pousse beaucoup de Camerounais à des solutions artisanales, qui, sans aller jusqu'à la fuite des capitaux, créent des réseaux parallèles de circulation monétaire.

REMEDES

Si nous rappelons tous ces maux, ce n'est pas pour nous y complaire ni pour vous accabler. Au moment où une certaine presse étrangère traîne l'Afrique dans la boue, et prétend sonner le glas sur le naufrage de notre continent, l'Eglise, forte des promesses du Seigneur qui nous répète chaque jour "je suis à vos côtés jusqu'à la fin du monde !", a la mission de proclamer la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, qui est un message de libération et de salut, à tous les hommes de bonne volonté. L'Eglise affirme tout haut, à chaque femme, à chaque homme de ce pays, qu'il n'y a pas de pays, pas de continent, pas de peuple maudit, et que ni l'Afrique, ni le Cameroun ne sont irrémédiablement condamnés. Nos pays et nos peuples ont traversé, depuis la préhistoire, des millénaires de lutte contre les adversités de la nature, contre les maladies, les famines, les [PAGE 202] guerres; l'Afrique a vaincu l'esclavage; elle a vaincu la colonisation; elle doit vaincre la crise, cette crise qui n'est ni la première, ni la dernière de sa longue histoire.

Voilà pourquoi chaque chrétien doit considérer que c'est à lui, personnellement, que s'adresse l'appel du Pape Jean Paul II quand il nous invite, en ces temps difficiles, à la confiance en Dieu et à la confiance en l'homme, c'est-à-dire à la confiance en nous-mêmes.

UN NOUVEL ORDRE ECONOMIQUE, MONDIAL

Dans ce combat, le peuple de Dieu qui est au Cameroun doit lutter aux premiers rangs. C'est pour vous inviter à examiner votre conscience devant les maux dont nous souffrons tous, et rechercher avec tous les hommes de bonne volonté, des moyens de parvenir à des solutions convenables pour tous, que nous vous lançons cet appel. Puisque nos maux viennent des structures de péché qui dominent le monde, tous nos responsables, les premiers, et tout le peuple camerounais doivent se mobiliser pour que ces structures changent chez nous et dans le monde. Nous devons aider la communauté internationale à prendre conscience que l'ordre économique mondial est vicié, qu'il faut repenser les systèmes d'échange, de dialogue, de solidarité qui nous ont conduits à la situation actuelle. Il est temps de se demander si les beaux noms de coopération internationale d'une part, d'ordre et de sécurité nationale d'autre part, ne servent pas de prétexte pour perpétuer des structures d'injustice, d'exploitation et d'oppression.

UNE NOUVELLE COOPERATION

Après trente ans d'indépendance et de coopération internationale, nos pays ne sont parvenus ni à une vraie démocratie, ni à une libération totale de la domination coloniale. Il est nécessaire de réexaminer le dialogue Nord-Sud, d'inventer de nouvelles institutions de solidarité et d'interdépendance, basées, [PAGE 203] non sur l'enrichissement et la domination des uns, et l'appauvrissement et l'oppression des autres, mais sur une promotion mutuelle fondée sur le bien commun de tous. Que les puissants de ce monde n'oublient pas qu'"on a souvent besoin d'un plus petit que soi". Loin de nous de mettre en cause l'idéal qui a inspiré et mis en place, depuis nos indépendances, les mécanismes de la coopération et de l'Assistance technique. S'il est vrai que la pratique du gaspillage, dans nos pays, les a empêchés d'atteindre leurs objectifs, pourquoi n'a-t-on pas cherché d'autres voies ? Pourquoi ne nous présente-t-on pas en Afrique, ou ailleurs dans le monde, un seul exemple de coopération ou d'assistance technique ayant réussi, après trente ans d'expérience, à conduire un pays à un niveau accompli de développement moderne ? Pourquoi, hélas ! ne nous parle-t-on que d'endettement et de réajustement structurel, véritables machines aveugles qui fabriquent chaque jour davantage, pour nous, la pauvreté qui est aujourd'hui, l'arme absolue de l'asservissement des peuples ?

OUVERTURE ET RECHERCHE DE NOUVELLES VOIES

Après trente ans d'une coopération et d'une assistance technique au bilan si peu convainquant, il est temps que les responsables camerounais fassent, pour leur peuple, l'évaluation de tant d'années de promesses, d'espoirs, de sacrifices. Il faut résolument renoncer à des types d'engagement qui débouchent sur des voies d'impasse, des systèmes de chasse gardée, le Cameroun demande à tous ceux qui se sont engagés à conduire son destin et à gérer ses affaires, de laisser toutes ses portes grandes ouvertes sur le monde avant que ne sonne le glas, irréparable, de l'asphyxie.

Pour le paysan camerounais, la crise actuelle est essentiellement la crise des produits agricoles. Comment parler d'espérance et d'optimisme quand on ne voit aucune perspective de changement dans un avenir prévisible ? Le cacao, le café, le coton... retrouveront-ils demain leurs cours des années [PAGE 204] de vaches grasses ?

Personne, hélas, ne peut répondre à cette question. Pourtant une réponse serait possible, si l'ordre économique mondial pouvait se libérer de ses structures de péché. Voilà pourquoi nous faisons appel à la solidarité de toutes les communautés chrétiennes du monde, de celles notamment, des pays riches, pour qu'elles œuvrent en faveur d'un ordre économique plus juste et plus solidaire, et qui permette enfin à nos pauvres paysans de vivre du fruit de leur travail.

MOBILISATION GENERALE CONTRE LA CRISE. LES ATOUTS DU CAMEROUN

Parce que les structures de péché se retrouvent en nous-mêmes et autour de nous, nous lançons un appel solennel à tous nos chrétiens et à tous les hommes de bonne volonté, pour que tous s'attellent, corps et âme, à la lutte contre la crise, à l'intérieur de notre pays.

RICHESSES HUMAINES

Le Cameroun, grâce à Dieu, est un pays riche : riche en hommes, riches en ressources du sol et du sous-sol. Les potentialités humaines de notre pays sont l'un des fondements les plus sûrs qui permettent à tout Camerounais de regarder avec assurance l'avenir. Le sex-ratio du Cameroun est l'un des plus sains et des plus faibles, du continent africain : 48 % d'hommes; 52 % de femmes. La population active, de 15 à 60 ans, représente au moins 55 % de notre population totale; quant à la jeunesse scolaire et universitaire, elle nous permet d'affirmer que près de 75 % de toute la jeunesse camerounaise est aujourd'hui scolarisée. Peu de pays en Afrique, atteignent de tels pourcentages. Les diplômés d'université et les techniciens supérieurs représentent à l'heure actuelle, une masse que le pays n'arrive plus à absorber. Si une tranche, de plus en plus nombreuse, figure parmi les victimes de la crise condamnées au chômage, d'autres [PAGE 205] parmi les meilleurs, ont tenté leurs chances en Europe ou en Amérique, souvent avec un succès envié même par les nationaux de ces pays. Tous les observateurs sont unanimes : le Cameroun, dans tous les secteurs, dispose de cadres exceptionnellement bien formés. La vitalité de l'Eglise du Cameroun permet les mêmes espoirs. A la veille de notre Centenaire, nous rendons sincèrement grâce au Seigneur pour les merveilles qu'il a faites pour notre pays. Avec Mgr François-Xavier Vogt, l'un des fondateurs de l'Eglise Catholique dans notre pays, nous pouvons appliquer au Cameroun les paroles du Psalmiste "Non fecit taliter omni nationi !" Le Seigneur n'a pas accordé à tous les peuples les faveurs qu'il a réservées au Cameroun ! Quand nous considérons, en plus de ses potentialités humaines et de sa vitalité spirituelle, les ressources du sol et du sous-sol que possède le Cameroun, nous disposons de données sûres pour envisager l'avenir avec optimisme. Oui ! nous pouvons vous le dire en toute assurance : nous pouvons vaincre la crise; nous en avons les moyens.

RESSOURCES AGRICOLES : RECHERCHE DE NOUVELLES VOIES

L'agriculture de rente qui nous conduit aujourd'hui dans l'impasse nous a été imposée sous la période coloniale. Il est désormais nécessaire que le Cameroun se mobilise pour une agriculture alternative. Il faut pour cela l'organisation, la discipline, l'ardeur au travail, et le soutien logistique des pouvoirs publics. Nous avons atteint l'autosuffisance alimentaire. Le moment est venu de conquérir le marché vivrier au Cameroun, en Afrique, et dans le monde. Le Cameroun importe des centaines de milliers de tonnes de maïs. Le Cameroun peut les produire et les écouler sur place. Le Cameroun peut briguer, par exemple, le marché mondial du piment, un marché qui rapporte. Le Cameroun possède des plantes rares, dont la transformation peut bouleverser notre économie. Le vouacanga, le strophantus, et d'autres encore, poussent chez nous à l'état sauvage. Beaucoup de ces plantes sont livrées à l'exploitation anarchique de trafiquants étrangers. Pourquoi ne pas les promouvoir [PAGE 206] au même titre que le cacao, le café, le thé ?... Pourquoi l'Etat du Cameroun ne ferait pas ce qu'a fait le régime colonial ? Elaborer un nouveau plan agricole, promouvoir de nouvelles espèces et conquérir de nouveaux marchés ... ?

Le Cameroun, on l'a dit, possède aussi un riche sous-sol. Sans nous comparer à d'autres régions beaucoup plus favorisées (l'Afrique du Sud, le Nigéria... etc.), nous savons que nous sommes un pays relativement modeste par sa taille et sa population. Mais nous savons aussi que pour un pays modeste, le sous-sol camerounais a des ressources qui peuvent permettre à notre pays de faire face aux besoins majeurs de ses populations. Nos bassins fluviaux disposent de réserves importantes d'énergie hydraulique : leur mise en exploitation qui est en cours, a donné des résultats partout positifs. Hydrocarbures, gaz, bauxite, eaux minérales, fer, manganèse, voir or et diamants sont exploités ici de façon industrielle, là de façon artisanale, avec des résultats importants pour les premiers, variables pour les derniers. Le plan de prospection systématique, ralenti par la crise, est loin d'avoir couvert l'ensemble du pays. Il faut reconnaître que les réserves du sous-sol camerounais sont encore mal connues. Mais on peut dire que les résultats jusqu'ici obtenus permettent de grands espoirs. Il est bien connu que la prospection et l'exploitation du sous-sol d'un pays demandent des investissements énormes. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'Etat est obligé de s'endetter. Nous lançons donc un appel urgent aux Camerounais qui placent leurs capitaux à l'étranger : en investissant dans ce secteur extrêmement intéressant, ils peuvent hâter pour leur pays la fin des mauvais jours de la dette et de la crise.

CONDITIONS REQUISES POUR REALISER CE PROGRAMME

Pour mettre en valeur toutes ces richesses, la première condition est d'avoir des hommes valables. Nous invitons donc le peuple de Dieu qui est au Cameroun, et avec tous les hommes de bonne volonté, à donner à notre pays les hommes valables dont il a besoin. La formation des hommes s'impose ainsi [PAGE 207] comme la priorité des priorités, et la première des nécessités. Cette formation n'est pas seulement professionnelle; elle est d'abord morale. Le Cameroun ne manque ni de techniciens, ni de cadres professionnels de haut niveau. Pour sortir de la crise, le pays a besoin que ces techniciens et ces cadres professionnels aient pour règle de vie l'intégrité morale et la conscience professionnelle. C'est eux en effet, qui doivent former, encadrer et soutenir leurs frères. Le peuple a besoin, pour cela, de structures de promotion et de solidarité paysannes, qui développent l'esprit d'initiative, en même temps qu'elles stimulent la responsabilité dans l'engagement : coopératives villageoises, caisses populaires, institutions d'épargne et de crédit conçues et gérées au niveau des communautés de base. Bien plus, il faut que le peuple, dans les villes comme dans les campagnes, entre résolument dans la modernité, par un travail rationnel et une plus grande maîtrise des technologies adaptées, et par des réseaux routiers qui permettent une meilleure circulation des personnes et des biens.

APPEL AUX POUVOIRS PUBLICS

Mais il y a des domaines qui dépassent les compétences des individus et des groupes même organisés. La crise affecte la totalité de la vie de la Nation. Tout notre système d'éducation, l'encadrement de la jeunesse, la politique du travail et de l'emploi, la vie culturelle, les communications, les médias, les loisirs, ... tout cela constitue le lot des tâches dont la responsabilité incombe à l'Etat. Or tout cela est profondément affecté par la crise.

C'est un devoir pour l'Etat, si nous voulons vaincre la crise, d'aménager pour le peuple une atmosphère saine de solidarité nationale, de sécurité des personnes et des biens, de respect des droits de la personne et des communautés humaines. Il faut que la démocratie ne soit pas un pur slogan, mais qu'elle soit vécue de façon responsable par tous les citoyens. Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, dans son Encyclique "Sollicitudo Rei Socialis" : "La sollicitude de l'ordre social", le rappelle à tous [PAGE 208] les fidèles en termes lapidaires :

"Il faut rappeler, en outre, qu'aucun groupe social, par exemple un parti, n'a le droit d'usurper le rôle de guide unique, car cela comporte la destruction de la véritable personnalité de la société et des individus membres de la nation, comme cela se produit dans tout totalitarisme. Dans cette situation, l'homme et le peuple deviennent des "objets", malgré toutes les déclarations contraires et les assurances verbales".

Dans sa toute première Encyclique, le Pape affirmait déjà ces principes avec fermeté : "Le sens fondamental de l'Etat comme communauté politique consiste en ce que la société qui le compose, le peuple, est maître de son propre destin. Ce sens n'est pas réalisé si, au lieu d'un pouvoir exercé avec la participation morale de la société ou du peuple, nous sommes témoins d'un pouvoir imposé par un groupe déterminé à tous les membres de cette société".

Le devoir des décideurs et des élites, pour le Cameroun d'aujourd'hui, est de déployer tous les efforts pour hisser notre pays à l'âge de la vraie démocratie, où chaque citoyen se sentira à l'aise, c'est-à-dire libre, protégé et encouragé.

Que la censure ne musèle donc pas la bouche de ceux qui ont quelque chose à dire pour promouvoir des valeurs fondamentales : Qu'elle ne paralyse pas la main de ceux qui peuvent écrire; qu'elle n'étouffe pas le cerveau de ceux qui peuvent penser. Fasse le ciel que les procès d'opinion et les prisons politiques cèdent la place aux chantiers de construction nationale.

La lutte contre la crise est impossible sans une atmosphère de paix, de concorde et de stabilité dans tout le pays. Alors tous pourront travailler pour libérer le pays de la crise. [PAGE 209]

APPEL AUX MILITANTS D'ACTION CATHOLIQUE

Il faut, pour cela, que chacun de nous, à son niveau, travaille à la promotion d'un réseau de solidarité humaine et économique entre les villages, les régions, les villes, les pays voisins de l'Afrique Centrale. Un tel réseau ne peut que favoriser un dialogue fraternel, des échanges fructueux et un réel développement intégré.

A tous nos militants d'action catholique, nous disons : "Voilà le chantier que la Providence a préparé pour vous, à la veille du Centenaire de notre Eglise".

L'appel que nous vous avons lancé le 15 janvier 1988, à l'annonce des élections législatives, nous vous le réitérons aujourd'hui, pour un engagement non seulement politique, mais encore économique et social. Unissant notre voix à celle du Pasteur Suprême, nous vous disons que pour vous, laïcs camerounais, l'heure est venue d'entreprendre une nouvelle évangélisation de votre pays. Cette évangélisation, pour les laïcs que vous êtes, est une mission de libération : libération des hommes de la misère; libération du pays de la corruption, du marasme et de la crise. Une telle libération est impossible si vous n'êtes pas fidèles à l'Evangile, si vous n'êtes pas formés, si vous n'êtes pas organisés, si vous n'avez pas les moyens, c'est-à-dire si vous ne travaillez pas, si vous ne produisez pas, si vous n'êtes pas partie prenante dans l'aventure économique de votre pays.

APPEL A LA CONVERSION

A la veille du premier centenaire de l'Eglise catholique dans notre pays, notre devoir le plus urgent, en tant qu'individus et communautés chrétiennes, est de procéder à notre propre conversion. La crise est une véritable visite divine, au sens biblique du mot. Elle nous met en Jugement devant Dieu. Et ce jugement [PAGE 210] concerne, en premier lieu, les Responsables, aussi bien les responsables des valeurs spirituelles que nous sommes, que les responsables des affaires publiques. La conversion doit commencer par le sommet. C'est cela que nous rappelle le Magistère de l'Eglise : "Pour les dirigeants d'un pays en difficultés économiques et financières, ... il est souvent tentant de reporter toutes les responsabilités sur les autres pays, afin d'éviter de s'expliquer sur leurs propres comportements, erreurs ou même abus, et de proposer des changements qui les concerneraient directement..." Il est trop facile de rejeter sur les autres la responsabilité des injustices si on ne perçoit pas en même temps comment on y participe soi-même et comment la conversion personnelle est d'abord nécessaire. "L'Eglise entre, elle aussi, dans cette voie".

Nous lançons un appel solennel au peuple chrétien, car c'est maintenant que le Seigneur nous interpelle pour la conversion. Nous connaissons les maux qui ruinent notre pays. Un examen de conscience honnête permet à chacun de mesurer sa part de responsabilité dans la situation douloureuse que nous vivons. La corruption, la fraude, le manque de conscience professionnelle, la fuite des capitaux ... ne sont-ils pas autant de poutres dans l'œil de bien des chrétiens ? Et voici que le Seigneur nous somme, aujourd'hui, d'abandonner ces chemins d'iniquité.

APPEL A LA RECONCILIATION

Nous en appelons à tout le peuple de Dieu qui est au Cameroun pour une mobilisation générale contre la Haine et l'Egoïsme, qui divisent individus, familles et communautés, et qui sont comme nous l'avons dit, l'une des principales causes de la crise. Nous devons vaincre la haine, si nous voulons vaincre la crise.

Nous demandons à tous les agents pastoraux, prêtres, diacres, religieux et religieuses, catéchistes et laïcs engagés; nous demandons à tous les responsables des communautés en milieu [PAGE 211] traditionnel ou dans les villes, d'organiser tout au long de l'année du Centenaire, des palabres de réconciliation, de pardon, de solidarité chrétienne. Nous adressons un appel pressant aux mouvements d'Action Catholique, aux mouvements des jeunes particulièrement, pour le lancement, dans les villages, dans les quartiers, dans leur milieu de vie ou de travail, des comités d'action et des programmes d'année, axés sur le pardon, la réconciliation, la solidarité, le travail en équipe, l'entraide fraternelle, face aux assauts de la crise.

Ainsi chacun portant avec son frère la croix des épreuves de tous les jours, l'union des cœurs s'affirmera et vous rendra plus forts devant la tentation et les agressions de la crise.

CONCLUSION

Nous prions la Vierge Marie, Reine des Apôtres et Patronne de notre pays, de porter au pied de son fils cette Lettre pastorale comme un écho de toutes nos voix qui montent vers Lui en ces temps de crise. Qu'au jour de sa visite tout au long des célébrations de ce Centenaire que nous préparons, il nous trouve tous unis dans la foi, la prière et la solidarité, autour de notre Mère la Reine des Apôtres. C'est à elle que s'adresse notre dernière prière. Qu'elle daigne jeter sur son peuple du Cameroun son regard maternel qui ranime la foi et redonne l'espérance; qu'à tant de travailleurs réduits au chômage, à tant de familles sans ressources, à tant d'enfants qui n'ont pu aller à l'école faute de moyens, à tant de jeunes qui s'interrogent sur leur avenir, à tant de malades privés de soins parce que démunis, à tant de paysans découragés, son Cœur maternel trouve des paroles qui réconfortent et qui rassurent. A la veille du premier centenaire de notre évangélisation, qu'elle obtienne pour tous ses enfants du Cameroun, la libération définitive du joug de cette crise, et pour le monde entier, la libération de ces structures de péché qui sont à l'origine de tous ces maux.