© Peuples Noirs Peuples Africains no. 63-66 (1988) 148-159



QUELLE ALTERNATIVE AU PLAN D'AJUSTEMENT STRUCTUREL ?

Siméon KUISSU et Mongo BETI

I – Les tristement célèbres "plans d'ajustement structurel" (PAS) proposés par le FMI aux pays africains comme solution à leurs difficultés économiques ont démontré leur inefficacité et leur nocivité dans les faits

Ces plans conçus par les technocrates du FMI, en dehors des dirigeants et des peuples africains, ne collent pas aux réalités de nos économies.

Obnubilés par le rétablissement des "grands équilibres", les PAS ignorent les intérêts des citoyens et les nécessités d'un réel développement économique et social des pays africains. En effet les grands équilibres que le FMI tient tant à rétablir, équilibre du budget, équilibre de la balance des paiements, ajustement des taux des changes (ce qui ne veut d'ailleurs rien dire pour la zone CFA), équilibre de l'offre et de la demande intérieures, etc. ne sont que le reflet de la production et de la gestion de l'économie, ce sont des indicateurs de l'état de santé de l'économie. C'est comme la fièvre qui indique l'évolution d'une maladie. Si on poursuit cette comparaison médicale, on voit que le FMI est un très mauvais médecin, il cherche à faire baisser la fièvre sans soigner la maladie qui l'a provoquée. On peut avoir la fièvre parce qu'on a le paludisme, ou on peut avoir la [PAGE 149] fièvre parce qu'on a la pneumonie, par exemple. Dans les deux cas le Docteur FMI vous donne de l'Aspirine. L'Aspirine fera baisser la fièvre, mais la maladie continuera d'évoluer, et la fièvre remontera plus tard.

Quelle que soit la nature de vos difficultés économiques, le FMI arrive et vous applique la fameuse conditionnalité : réduisez les dépenses de l'Etat et augmentez les recettes fiscales pour équilibrer le budget ! Réduisez la demande intérieure et accroissez les exportations, mais surtout ne réduisez pas les paiements extérieurs ! Dévaluez votre monnaie pour équilibrer le taux de change ! ... Quel est donc ce médecin qui soigne toutes les maladies avec le même médicament ? Que vous ayez une simple diarrhée ou que vous soyez atteint de dysenterie, le FMI vous administre la même pilule : le PAS, avec sa conditionnalité. Si vous avez alors le mauvais goût (c'est le cas de le dire) de prétendre que la pilule est amère, Monsieur Camdessus vous répond que ce n'est pas la pilule qui est amère, c'est votre bouche qui est pourrie. Comment comprendre autrement les déclarations du Directeur général du FMI, quand il dit que ce ne sont pas les mesures dictées par le FMI qui provoquent les troubles sociaux, mais les choix des gouvernements ?

Ainsi, d'après lui, le FMI ne dit pas aux gouvernements de diminuer les dépenses sociales (santé, éducation, etc.), il leur dit seulement de diminuer leurs dépenses et ce sont eux qui choisissent de diminuer les dépenses sociales ! Mr Camdessus prend l'opinion pour des imbéciles. Chacun sait qu'en dehors des pays communistes où l'Etat prend en charge tous les secteurs de l'activité nationale, ailleurs les dépenses de l'Etat sont essentiellement des dépenses sociales, des dépenses d'équipement, ou de défense nationale, la production, quelle qu'elle soit, artisanale ou agricole, étant du domaine de l'investissement privé. Si donc on dit à un gouvernement : réduisez votre budget, cela veut dire le choix draconien suivant (ou les 2 à la fois, ce qui est encore pire ) : soit cessez ou diminuez l'équipement du pays (qui est indispensable au développement du pays), soit cessez ou diminuez l'éducation de vos enfants, le traitement de vos malades, le logement et la nourriture de vos citoyens. Le FMI ne se contente pas de transformer les [PAGE 150] Africains en victimes de "l'égoïsme sans borne" des pays riches occidentaux, il les insulte par-dessus le marché. Quant aux achats d'armements, il suffit de poser à Mr Camdessus deux questions : Qui vend les armes aux pays sous-développés ? Qui attaque les pays sous développés et les oblige donc à équiper leurs armées pour se défendre ? Regardez du côte de l'Angola, du Mozambique, de l'Ethiopie, de la RASD, du Nicaragua, etc. et vous aurez la réponse. Si vous remplissez la conditionnalité, le FMI vous donne une petite aumône sous forme de droits de tirage spéciaux. Dans le cas du Kameroun, c'est une aumône plus que ridicule, comparée aux sommes colossales détournées par les "technocrates tribalistes bardés de diplômes". Si le FMI tient tant aux grands équilibres, au lieu d'aider les pays africains à assurer un développement économique effectif, c'est pour une raison précise, qui est, dans le fond, sa raison d'être : préserver les profits impérialistes. Il est à remarquer qu'une clause de la conditionnalité qui donne accès au PAS interdit aux pays de restreindre les paiements extérieurs courants. C'est-à-dire, entre autres, qu'ils doivent, coûte que coûte, rembourser la dette extérieure, c'est pour cela que le FMI demande d'accroître la production et l'exportation des matières premières (achetées à vil prix). Les résultats sont là : non seulement on sait déjà que l'Afrique est exportatrice nette de capitaux, mais le rapport de la commission économique pour l'Afrique de l'ONU[1] nous apprend aussi que "le continent a, en termes nets, transféré environ 1 milliard de dollars au FMI en 1986 et 1987". Le FMI apparaît ainsi pour ce qu'il est : non pas une organisation internationale au service de tous les pays, une agence spécialisée de l'ONU comme on l'oublie trop souvent, mais un instrument de répression économique et monétaire entre les mains des USA et de la CEE

II – Une illustration supplémentaire de l'inefficacité et de l'inutilité du PAS nous est donnée actuellement par le cas du [PAGE 151] Kameroun

Qu'il soit signé Biya ou qu'il soit signé FMI, le plan d'austérité en cours actuellement au Kameroun a déjà fait faillite : la récession s'aggrave. Le FMI lui-même le reconnaît[2]. Avant la signature de "l'accord de confirmation" par le FMI, le gouvernement avait, dans la loi des finances 87/88 notamment pris toute une série de mesures plus ou moins spectaculaires, visant à réduire les dépenses de l'Etat. Cette politique a eu un impact psychologique certain, mais on en attend toujours les retombées économiques et financières. En voici quelques exemples : "Face à cette situation le Gouvernement a décidé et mis en œuvre une série de mesures visant à établir les grands équilibres macro-économiques. Les premières d'entre elles accompagnaient la Loi des Finances 1987/88, et entraînaient pour les recettes budgétaires un ajustement à la baisse de 19 %, correspondant au niveau de celles réalisées à l'exercice précédent, soit 650 milliards de FCFA. Les dépenses ont été également prévues en baisse avec un plafonnement des dépenses de personnel à 245 milliards de FCFA (soit une diminution de 12,6 % par rapport à 1986-87) et une réduction importante des dépenses de matériel, des subventions et des transferts. La réduction du train de vie de l'Etat s'est ainsi accompagnée de la mise en œuvre de mesures affectant le fonctionnement des caisses d'avance, l'utilisation de téléphone, la dimension du parc de véhicules administratifs, la politique de la gratuité d'eau et d'électricité, le nombre de délégations économiques à l'étranger et le rythme d'affectation des cadres administratifs des catégories B.C.D..." Officiellement c'est l'échec de ces mesures qui avait conduit le gouvernement à recourir au FMI, sans chercher à corriger sa propre gestion et les malversations de ses membres qui sont à l'origine de l'aggravation de la situation. Ayant par ces mesures montré pattes blanches, le Kameroun a acquis le droit d'entrer dans le triste club des pays [PAGE 152] "aidés" par le FMI. Conformément au cérémonial qui prévaut en la circonstance au FMI, le Ministre des Finances du Kameroun, Mr Hayatoua, a envoyé en août 88 à Mr Camdessus, Directeur du FMI, une lettre accompagnée d'un "aide-mémoire sur la politique économique et financière du gouvernement Kamerounais." Dans ce document sont précisés avec détail le calendrier d'exécution et les mesures que le gouvernement entend prendre dans le cadre d'un "programme de stabilisation 1988/92 pour restaurer les grands équilibres de l'Etat", "Restructurer l'appareil de production et établir l'équilibre extérieur ..."

Mr Camdessus a répondu par un document appelé dans leur jargon "accord de confirmation" et qui commence toujours ainsi :

    Dans la lettre ci-jointe, en date du 26 août 1988, et dans l'aide-mémoire joint en annexe, le Ministre des Finances du Kameroun présente une demande d'accord de confirmation et expose les objectifs que les autorités Kamerounaises ont l'intention de poursuivre et la politique économique qu'elles se proposent d'appliquer pendant la durée de l'accord de confirmation, et les dispositions convenues entre le Kameroun et le Fonds en ce qui concerne les revues des progrès accomplis dans la réalisation des objectifs du programme de la politique économique des autorités Kamerounaises et des mesures que celles-ci appliqueront jusqu'au terme de l'accord de confirmation. Pour faciliter la réalisation de ces objectifs et le mise en œuvre de cette politique, le Fonds Monétaire International donne son agrément au présent accord de confirmation.

On peut noter au passage, comme d'autres l'ont déjà fait[3] le comportement scélérat du FMI, qui ne signe jamais d'accord avec les Etats dans ces circonstances, mais qui se contente, dans sa magnanimité, d'accéder à la requête d'un gouvernement et "donne son agrément" au contenu de la dite requête. Qui, quelle juridiction osera s'attaquer à un agrément aussi "généreux" ? Quel gouvernement osera dénoncer des propositions qu'il a lui [PAGE 153] même présentées au FMI (même si c'est en fait le FMI qui les lui a soufflées comme chacun sait) ? Malin, non ?

Les effets du PAS au Kameroun sont déjà ravageurs :

    – la dette extérieure est passée de 3 milliards de dollars en 1987 à près de 5 milliards de dollars actuellement;

    – la liste est longue des restrictions dont certaines seraient tolérables en démocratie, mais qui sont inacceptables dans le climat actuel d'injustice sociale et d'absence de démocratie : réduction de 7,7 % du budget, augmentation du prix des carburants, augmentation des tarifs publics, création d'une taxe sur la propriété privée, relèvement du minimum d'exonération fiscale, projet d'instauration de la TVA, réduction des allocations logement, réduction des investissements publics avec abandon des projets ne répondant pas aux objectifs du PAS, etc. Le tarissement de la circulation de l'argent ruine le secteur dit informel. Les professions libérales voient leurs clientèles s'amenuiser. Médecins, avocats, notaires, etc. "ne brassent plus les affaires".

    – le retentissement social du PAS est catastrophique : réduction du nombre des fonctionnaires, licenciements massifs provoqués par les faillites en cascades, les fermetures et les restructurations d'entreprises. Dans le secteur bancaire par exemple : la liquidation de la SCB (Société Camerounaise de Banque) qui est devenue Crédit Lyonnais a entraîné plus de 1 000 sans emploi, celle de l'ONCPB vient de faire près de 1 800 victimes, et celle de la REGIFERCAM va coûter tout autant, et avant cela il y a eu les fermetures de la SODEBLE, de la SODENKAM, du CNCE, de l'OCB etc. Quand on sait qu'au Kameroun un salaire fait vivre plusieurs familles, on imagine l'ampleur du désastre et l'étendue de la misère.

III – Quelle alternative au PAS ?

Le problème n'est pas seulement économique, il est politique avant tout.

Il revient aux économistes d'élaborer des propositions techniques pour sortir de la crise, en tenant compte des besoins de la population du pays, de l'état de l'appareil de production, et [PAGE 154] du contexte de l'économie mondiale. De telles propositions doivent viser à supprimer les mécanismes de l'exploitation néo-coloniale et à corriger les déséquilibres de la gestion tropicale. Le rapport de la commission économique pour l'Afrique est une grande contribution à ce travail.

Mais à l'exception de rares pays, comme le Burkina Faso qui est connu pour l'honnêteté et la rigueur des autorités dans la gestion du bien public, les dirigeants africains actuels, repus et corrompus, sont inaptes à appliquer ces propositions :

    1) stopper l'exportation illicite des capitaux;

    2) punir les coupables de telles exportations,

    3) chercher à faire rapatrier au Kameroun les énormes sommes d'argent placées à l'étranger

    4) rechercher les détournements de fonds publics et punir leurs auteurs, quel que soit leur rang social ou leur fonction,

    5) cesser la politique des prêts bancaires sans respect des critères de solvabilité et de moralité,

    6) récupérer les énormes créances douteuses et punir leurs bénéficiaires dont un grand nombre est connu.

Les conditions fondamentales pour une alternative efficace au PAS

L'union des populations du Cameroun a longtemps fait cavalier seul, ou presque, en affirmant que le développement des pays africains était impossible sans la réalisation de deux conditions minimales : la démocratisation et l'intégration panafricaine. Aujourd'hui elle a la satisfaction de constater qu'elle n'a pas tout à fait prêché dans le désert depuis maintenant plus de 20 ans. Que peut-il arriver de mieux à une idée que d'être récupérée par d'autres ? La seule chose de mieux que la récupération d'une idée, c'est sa réalisation, mais nous n'en sommes pas encore là.

La toute première condition à réaliser pour créer les conditions d'un plan de relance et de développement économique qui ne soit pas seulement un projet sur le papier, c'est la démocratisation de nos sociétés. La démocratie multipartiste défendue depuis des décennies par l'UPC trouve ces temps derniers des [PAGE 155] partisans de renom : c'est d'abord Edem Kodjo, ancien secrétaire général de l'OUA, qui sait donc de quoi il parle, qui écrit, il y a déjà 5 ans[4] : "Comment justifier les systèmes aristocratiques répandus sur une terre dont la tradition millénaire s'axe autour du respect de la vie, ce "despotisme obscur" qui empêche les Africains d'affirmer leur positivité et leur spécificité ?" et encore : "En définissant une approche lucide du développement et en adoptant une démarche rectiligne vers sa "modernité" qui intègre les ressources humaines, la culture du terroir, le rôle éminemment décisif de la science, ainsi que la problématique des droits de l'homme, n'est-il pas possible de faire sortir du marasme un continent dont les fils se prennent à désespérer ?" Qui ne serait d'accord avec de tels propos ? Il n'y manque que le mot démocratie, mais qu'importe le mot quand le contenu y est ? Et peut-être qu'il y a 5 ans le mot passait moins qu'en ce début des années 90. La commission économique pour l'Afrique de l'ONU écrit ceci en Avril 89 : "... Les droits fondamentaux, la liberté individuelle et la participation démocratique de la majorité de la population font souvent défaut en Afrique. L'absence généralisée de démocratie rend difficile la mobilisation et la responsabilisation effective. C'est là un domaine important où l'Afrique a besoin de structures politiques plus démocratiques pour faciliter le développement."

Citons, last but not least, Mr Pelletier, Ministre français de la coopération[5] : "Le Ministre de la coopération Mr Jacques Pelletier, a appelé, vendredi 5 janvier à Paris, l'Afrique à ne pas rester "à l'écart du grand mouvement de liberté" qui secoue l'Europe de l'Est et à s'en inspirer. "Il n'y a pas de démocratie sans développement, mais il n'y a pas non plus de développement sans démocratie, sans possibilité offerte aux hommes et aux femmes d'exprimer librement leurs capacités", a déclaré le ministre en présentant ses vœux à la presse. Il a ajouté : "En restant à l'écart de la révolution démocratique, l'Afrique se condamnerait elle même à rester à l'écart de la révolution économique, [PAGE 156] c'est-à-dire de l'établissement d'une croissance durable."

"Dans ces deux dimensions inséparables que sont la construction de l'Etat de droit et la restructuration économique, les Africains et les amis de l'Afrique devront se montrer plus exigeants dans la décennie à venir, a poursuivi Mr Pelletier. L'assainissement financier, la lutte contre la corruption à tous les niveaux, la rénovation économique, la construction d'Etats de droit, ne dépendent pas de l'aide extérieure et a fortiori de notre responsabilité de partenaire. Notre aide peut accompagner ces réformes, elle ne peut les réaliser."[6]

Les socialistes français nous ont habitués à tant de duplicité qu'on a de la peine à croire à la sincérité de ces propos. Souhaitons à Mr Pelletier une carrière gouvernementale plus longue que celle de l'un de ses prédécesseurs, Jean-Pierre Cot, le tout premier ministre de la coopération de François Mitterrand en 1981, qui avait osé demander le respect des droits de l'homme par les gouvernements africains. Mais le monde change, les personnes et les institutions aussi. L'avenir, pas très lointain, nous dira si ces propos sont ceux de Mr Pelletier ou ceux du gouvernement et du Président de la France. En attendant, faisons preuve d'un optimisme non pas béat mais vigilant, pour considérer cette nouvelle position de la France comme importante. Effrayé par les craquements de l'empire stalino-brejnevien, François Mitterrand serait-il en train de changer de tactique pour sauver l'empire français ? "La construction d'Etats de droit ne dépend pas de l'aide extérieure et à fortiori de notre responsabilité de partenaire", dit Mr Pelletier. Très bien, une question et une seule reste déterminante : si des Africains, prenant Mr Pelletier au mot, se décident à instaurer la démocratie et à construire un Etat de droit dans leur pays, la France s'abstiendra-t-elle de faire donner la troupe ? ou d'asphyxier économiquement ce pays ? Contrairement aux appréhensions du Doyen Houphouët-Boigny[7], les [PAGE 157] événements des pays de l'Est Européen ne sont pas forcément négatifs pour l'Afrique; ils auront au moins le mérite d'enlever aux puissances occidentales, la France en tête pour ce qui concerne l'Afrique francophone, une argutie souvent utilisée pour réprimer les mouvements d'opposition en Afrique : cette argutie voyait la main de Moscou derrière tout ce qui bouge en Afrique contre les dictatures néo-coloniales. Ce n'était pas vrai. En tout cas pour ce qui est de l'UPC, les liens avec le PCUS ont cessé depuis le début des années 60. Quoi qu'il en soit Moscou a retiré sa main de partout où il l'avait mise. Il sera désormais difficile d'assimiler les luttes de classes en Afrique à des conflits américano-soviétiques indirects.

Si la déclaration de Mr Pelletier veut dire que, dans ce nouveau contexte, la France laissera désormais les Africains, et en l'occurrence les Kamerounais, régler leurs affaires entre eux, alors cette déclaration est positive.

Il se dessine donc un consensus assez large sur la nécessité de la démocratie en Afrique. Il reste à passer des propos aux actes.

La deuxième exigence minimale est celle de l'intégration. En effet, même démocratique, aucun pays africain actuel ne peut s'en sortir seul. L'UPC le dit depuis des dizaines d'années, et cette thèse trouve ces derniers temps des défenseurs inattendus : encore une fois Edem KODJO[8] : "Les Africains doivent voir dans la lutte pour l'unité le combat vital pour leur survie collective, pour leur grandeur future." Un autre haut fonctionnaire des institutions panafricaines, celui-là en fonction, Foalem Ambroise[9], est encore plus net et plus précis : "L'Afrique ne pourra se développer que si elle s'intègre et que les droits de l'homme sont respectés" ou encore "L'intégration totale ne signifie ni plus ni moins qu'une fédération politique" et il cite à juste titre Kwame Nkrumah, le chantre du panafricanisme, à son secours. Cette déclaration a le double mérite de souligner la nécessité de l'unité politique [PAGE 158] continentale, ou tout au moins sous-régionale pour commencer, et celui de montrer d'emblée l'utopie d'une intégration purement économique sans unité politique. Seule une Afrique unie et démocratique peut s'affirmer face aux grandes puissances et tirer profit de l'économie mondiale. Une telle évolution vers l'intégration politique ne se fera pas sans mal. Il faudra vaincre les séquelles du colonialisme et les effets en cours du néocolonialisme qui ont tous les deux cultivé les nationalismes et l'esprit de clocher. C'est la responsabilité de tous les démocrates et partis politiques démocratiques et révolutionnaires d'Afrique d'apprendre à travailler ensemble, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition.

Siméon Kuissu

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CAMEROUN : UNE DICTATURE MILITAIRE DEGUISEE

Qui gouverne au Cameroun ?

Question posée avec pertinence naguère dans un ouvrage qui fit du bruit en son temps. Question tragiquement d'actualité, plus que jamais.

Selon plusieurs témoignages concordants, tous d'excellente source, Paul Biya, l'ami bien connu de François Mitterrand, n'existe pas, réduit qu'il est au rôle de caution civile de militaires imprudemment promus, dont le chef de file est un énergumène qui a séjourné dans un établissement psychiatrique. Il lui suffit, dit-on, d'un froncement de sourcil pour terroriser le "chef de l'Etat". Celui-ci vit d'ailleurs le plus souvent à Mvomeka, son village natal. D'où cette succession de "bavures" jamais élucidées, toujours impunies, les dernières étant l'assassinat par des militaires d'au moins deux manifestants à Garoua, le 17 janvier dernier, et le retrait de leur passeport aux deux journalistes, Célestin Monga et Pius Njawé, jugés récemment. Ce retrait ne s'est accompagné, comme d'habitude, d'aucune explication.

Une particularité de ces officiers fascisants, genre tontons macoutes : ils ont contribué à l'assèchement des banques en prenant des crédits exorbitants que, aujourd'hui, ils sont bien incapables de rembourser; ils redoutent donc, par-dessus tout, un changement politique au lendemain duquel ils seraient sommés de s'expliquer sur ces dettes. C'est pourquoi on peut tout imaginer, sauf de voir ces individus accepter la moindre réelle démocratisation. C'est pourquoi aussi ils s'acharnent contre la presse. Biya est autorisé à faire tous les discours qu'il veut, à condition qu'ils ne débouchent jamais sur des mesures concrètes.

Le prétendu colloque préparatoire à une conférence nationale, organisé par Hogbe Nlend, qui se dit assuré de la neutralité (sic) bienveillante (?) de Paul Biya, est totalement bidon. Ou plutôt c'est le nouveau gadget de Biya et de ses conseillers élyséens pour gagner du temps, selon une stratégie du bunker devenue désormais la seule ressource de ces apprentis sorciers en plein désarroi.

Mongo BETI


[1] Solution africaine de rechange au programme d'ajustement structurel : un cadre pour la transformation et le redressement.

[2] Lettre du représentant résident du FMI au Kameroun à Mr Hayatou, Ministre des Finances, le 16/12/89.

[3] Marie-France L'Hériteau : Le fonds Monétaire International et les pays du Tiers-Monde, P.U.F. 1986.

[4] Et demain l'Afrique – Introduction

[5] Le Monde, 7/8 janvier 1990.

[6] Le Monde.

[7] Le Monde.

[8] Ouvrage déjà cité

[9] Jeune Afrique Economie, no 120.