© Peuples Noirs Peuples Africains no. 63-66 (1988) 61-73



II. – L'HOMME PAR QUI LE SCANDALE ...

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LES "TROIS VIEILLES" DANS LE PIEGE AFRICAIN

Olivier POSTEL-VINAY

Après le désengagement des entreprises françaises en Afrique, doit-on craindre celui des banques ? Si tel était le cas, c'en serait fini des relations privilégiées entre la France et le continent noir.

Prises dans la tourmente africaine, les banques françaises prennent des ris que Le Crédit Lyonnais a posé des conditions draconiennes à son maintien au Sénégal et au Cameroun. La Société Générale argue de sa philosophie de banque privée pour afficher désormais une logique sinon de pure rentabilité, du moins de rigueur. Après s'être retirée coup sur coup de Mauritanie, de Centrafrique et du Congo, elle vient de sacrifier ses intérêts au Nigeria et le fera ailleurs chaque fois que ce sera jugé nécessaire.

La BNP, dont le réseau de banques associées tient globalement la première place, s'est retirée du Congo et entend, ailleurs, redéfinir ses rapports avec ses associés africains dans une partie de bras de fer à l'issue parfois incertaine. Comparable à celui de ses trois consœurs, le réseau africain de la BIAO connaît de sérieuses difficultés dans plusieurs pays. Cadeau empoisonné imposé par le gouvernement français à la BNP fin 1988 (en raison de l'état catastrophique de la maison mère), ce réseau vient encore alourdir la tâche africaine de la première banque française. [PAGE 64]

L'aggravation de la situation n'est pas propre aux banques françaises, ni aux pays de la zone franc. Les banques américaines ont liquidé leurs intérêts en Afrique noire – à l'exception de la Citibank qui a conservé quelques positions. La Barclays qui, avec la BNP et la Standard, occupait l'une des trois premières places au Nigeria[1], se retire de cet énorme marché guêpier qui représente à lui seul une population double de celle de la France. Mais que les intérêts français ne soient pas seuls en cause est une maigre consolation. A l'heure où le CNPF déplore le désengagement des entreprises françaises sur le continent noir, doit-on aussi évoquer une tendance au désengagement des banques ? Si un tel mouvement devait se confirmer, ce serait sans nul doute le début de la fin des relations privilégiées entre la France et ses anciennes colonies.

A Paris, les responsables des « Trois Vieilles » (BNP, Société Générale, Crédit Lyonnais) démentent avoir l'intention de se retirer. Mais leurs responsables s'entourent de précautions oratoires. « Le Crédit Lyonnais réaffirme son engagement total de maintenir sa présence en Afrique... quand les conditions d'exercice de la profession bancaire sont réunies », dit Alexis Wolkenstein, directeur des activités internationales du Crédit Lyonnais. « La BNP n'envisage pas de se retirer, mais ne restera pas non plus à n'importe quelles conditions », dit Jean-Louis Hautcœur, directeur du réseau international (hors Europe) de la BNP. Il ajoute : « En tout état de cause, notre présence n'exclut pas des ajustements. Nous ne sommes certes pas disposés à augmenter nos engagements de façon notable, au moment où la grande clientèle classique française a plutôt tendance à se retirer et où les opportunités d'affaires diminuent. » [PAGE 65]

Directeur pour l'Afrique à la Société Générale, Jean-Michel Lepetit rejette l'idée d'un désengagement global, mais tient à préciser : « Banque internationale, la Société Générale n'entend travailler que lorsque les normes tant externes qu'internes dans lesquelles elle évolue lui sont acceptables. » Et pour faire simple : « On ne joue pas au football avec un ballon ovale ».

Quelques données permettent de prendre la mesure des problèmes. Au Cameroun, longtemps considéré comme le pays phare de l'Afrique centrale, le système bancaire est virtuellement en faillite. Les experts internationaux évaluent le coût de l'assainissement nécessaire à un milliard de dollars. Somme qui équivaut à la moitié du budget de l'Etat camerounais. La quasi-totalité des banques camerounaises (à l'exception de la banque associée à la BNP) sont considérées par la Banque mondiale, écrit-elle, comme « insolvables ou illiquides ». Malgré les centaines de millions de francs injectés par le Crédit Lyonnais dans sa banque associée, celle-ci aurait un « trou » évalué par Peat Marwick à 150 milliards de francs CFA, soit trois milliards de francs français (1 FF = 50 FCFA).

Les autres grandes banques camerounaises sont, pour la plupart, dans un piètre état : situation nette négative partout : – 15 % des actifs du bilan pour la BIAO, – 11% pour la filiale de la Générale, – 6 % pour la filiale de la BNP. La filiale de Paribas, certes de taille plus modeste, connaît une situation nette négative de 46%... La banque associée à la BNP, première de la place, tire à peu près son épingle du jeu : elle a davantage provisionné que ses concurrentes et, à condition d'étaler son effort sur quatre ou cinq ans, elle peut dégager le cash flow permettant de constituer les 14 milliards de provisions complémentaires qu'elle juge nécessaires. Mais il est frappant de constater que la Banque mondiale ne range pas la banque associée à la BNP parmi les établissements justiciables d'un « programme de restructuration » : dans un contexte occidental, celle-ci serait jugée en situation plutôt délicate...

En Côte-d'Ivoire, pays phare de l'Afrique de l'Ouest, la situation des banques n'est pas identifiée comme aussi grave, mais celle du pays est catastrophique, le besoin global de financement [PAGE 66] étant estimé à 3 milliards de dollars. Le système bancaire y est profondément fragilisé. Deux banques publiques ont été formellement liquidées, l'Etat n'ayant cependant pas consolidé le découvert qui s'élève à 50 milliards de FCFA. Deux autres banques publiques sont en voie de liquidation, et la Caisse centrale de coopération économique (qui gère l'essentiel de l'aide française au développement), penche pour la «liquidation en douceur » de plusieurs autres banques et établissements financiers.

Le Crédit Lyonnais aurait réinjecté 52 milliards de FCFA dans sa banque ivoirienne associée, laquelle, malgré une très vigoureuse reprise en main, ne peut pas raisonnablement espérer générer le cash-flow qui serait nécessaire pour récupérer la mise. Même si ces 52 milliards ne sont pas comptabilisés comme une perte, ils sont à tout le moins durablement immobilisés, et les mauvaises langues comparent la somme en jeu aux 600 millions de francs récemment perdus par le Lyonnais à Londres. (Si l'on ajoute le Cameroun, cela fait le double).

La BIAO d'Abidjan n'a pas les moyens de financer les 20 milliards de provisions qui seraient nécessaires. La banque associée à la Générale, qui occupe « malheureusement » la première place (le mot est d'un dirigeant de la banque), est en meilleure situation mais utilise désormais la totalité de son cash flow à provisionner (4 à 5 milliards de FCFA par an). La banque associée à la BNP est à peu près parvenue à se maintenir en selle, moyennant un fort volume de provisions constituées depuis quatre ans (4 milliards de FCFA cette année).

Les banquiers concèdent qu'en raison du mauvais état général de l'économie, il est difficile d'établir une ligne de partage bien déterminée entre les créances douteuses et d'autres encore jugées saines. Les finances publiques étant à sec, les banques ivoiriennes sont d'autre part suspendues à l'échéance mensuelle de la paie des fonctionnaires : si l'Etat ne trouve pas l'argent nécessaire comme cela s'est produit au Bénin et comme cela a déjà failli se produire à l'automne dernier en Côte-d'lvoire, (certaines banques ont fermé leurs guichets), c'est la panique.

Au Sénégal, comme dans la plupart des pays du Sahel, [PAGE 67] le système bancaire est globalement en faillite. Le coût de l'assainissement nécessaire peut être évalué à 200 milliards de FCFA, soit près de la moitié du budget de l'Etat. Les banques publiques sont en cessation de paiements. Avec un « trou » qui serait de 15 milliards de FCFA, la banque associée au Crédit Lyonnais est dans une situation relative aussi catastrophique que sa cousine camerounaise. La BIAO Sénégal a obtenu pour sa part de licencier la moitié de son personnel et de réduire le nombre de ses agences, mais reste dans une situation difficile, avec plus des deux tiers de ses créances compromises. Seules les banques associées à la Générale et à la BNP, dont la part du marché est comparable, connaissent une situation relativement saine. Leur bilan est néanmoins affaibli, surtout dans le cas de la Générale, par le poids de financements forcés.

Comment en est-on arrivé là ? La détestable conjoncture économique, liée à la dépression des cours du pétrole (pour des Etats comme le Cameroun, le Gabon, le Nigeria) et à celle des cours des matières premières agricoles (pour tous les Etats) joue bien entendu un rôle fondamental. Les recettes publiques ont été brutalement amputées. Au Cameroun, elles ont ainsi été réduites de moitié en trois ans. Or l'Etat, dans ces pays, est le plus souvent le premier agent de l'économie. Directement ou indirectement (par le biais des sociétés publiques), son activité pèse d'un poids déterminant sur le bilan des banques de dépôt.

Si l'Etat n'a plus d'argent, il ne peut plus rembourser ses dettes, éprouve des difficultés à payer ses prestataires de services et même ses agents. Il doit aussi réduire ses ambitions en matière de marchés publics, ce qui se répercute sur une bonne partie du secteur privé. Conséquence : le désengagement d'entreprises européennes, françaises en particulier – autre source d'activité pour la banque, dont le fonds de commerce se réduit comme une peau de chagrin

Mais contrairement à ce que se plaisent souvent à croire et à faire croire les dirigeants africains, la conjoncture n'est pas seule en cause. La crise elle-même a des racines structurelles. C'est que ces pays, il est vrai bien mal conseillés par les [PAGE 68] milieux affairistes (notamment français)[2], n'ont pas su développer des activités secondaires et tertiaires rentables capables de prendre le relais de leur dépendance quasi absolue à l'égard des matières premières[3]. En ce qui concerne l'agriculture, c'est aussi qu'ils n'ont pas donné la priorité à l'autosuffisance alimentaire, laissant se gonfler la facture des importations dans ce secteur vital[4], et qu'ils ne se sont pas donné les moyens de rationaliser la production et la vente de leurs cultures d'exportation, se faisant couper l'herbe sous le pied par les pays du Sud-Est asiatique et d'Amérique latine. Enfin la [PAGE 69] crise a pris au dépourvu un système bancaire perverti.

Les banques aujourd'hui en difficulté sont les héritières des succursales des banques françaises implantées à l'ère coloniale. A l'indépendance, les succursales ont été transformées en filiales, souvent sans même changer de directeur. Et puis, à une époque et dans une proportion variables selon la banque et le pays concerné, elles ont fait ou laissé entrer l'Etat dans leur capital.

Pendant une quinzaine d'années, les choses ont bien marché. La période de croissance qui a caractérisé les décennies 1960 et 1970 a aussi été une période d'euphorie bancaire.

L'étroitesse objective du marché était compensée par les retombées de l'aide publique française et la bonne tenue des cours des matières premières. L'un dans l'autre, les entreprises françaises y trouvaient leur avantage, souvent plus aisément qu'en métropole. La croissance de la population des fonctionnaires et l'élévation du niveau de vie élargissaient sans cesse la clientèle des petits déposants – même si la majeure partie de l'épargne continuait d'échapper aux banques, soit parce qu'elle fuyait à l'étranger, soit parce qu'elle s'investissait dans les circuits et les refuges traditionnels.

Pressées, par les Etats, qui y voyaient un motif de fierté, les banques associées édifièrent des sièges somptueux et créèrent des agences à tour de bras, même dans les coins les plus reculés de la brousse où l'on voit encore aujourd'hui trois ou quatre agences concurrentes construites en dur se partager des clopinettes. Malgré cette surenchère, les banques étaient rentables et la perversion du système n'apparaissait pas.

Pourquoi perversion ? Bien que les données varient, forcément, selon la banque et le pays concerné, le schéma est en gros le suivant. La direction de la banque associée est bicéphale : un directeur général nommé par l'Etat et un directeur adjoint nommé par l'actionnaire étranger (français, en l'occurrence). En pratique, le directeur général est souvent un proche, voire un intime du chef de l'Etat lequel, dans ces pays à structure pyramidale, prend toutes les décisions de quelque importance. En cas de problème grave, l'interlocuteur des actionnaires parisiens de la banque est donc, par personne interposée [PAGE 70] ou en face-à-face, le président de la République.

Les directeurs africains des banques associées, qui sont souvent des hommes de valeur parfaitement rompus aux techniques bancaires sont, on l'imagine, dans une situation délicate. Il n'est pas exagéré d'évoquer dans ces pays la pression de la famille et des questions ethniques, le népotisme d'Etat, un penchant certain pour les dépenses de prestige, une fâcheuse tendance à confondre deniers publics, deniers de l'entreprise et deniers personnels, un nationalisme ombrageux et, pour couronner le tout, l'inévitable mentalité d'assistés, entretenue par la poursuite d'une aide extérieure massive.

Si le directeur africain d'une banque associée juge, dans ce contexte, qu'une injonction venue d'en haut est contraire aux intérêts de la banque, il doit faire preuve d'un réel courage pour le faire savoir, et prend un risque considérable s'il s'y oppose. Concrètement, cela signifie que la plupart des décisions de la banque, qu'il s'agisse de nominations internes, de création ou suppression d'agence, d'octroi de crédit ou d'action en recouvrement de créances, subissent la loi du milieu et sont en outre, susceptibles de remonter au pouvoir politique.

Si tant de banques associées sont en cessation de paiements ou menacées de l'être, ce n'est donc pas seulement en raison de la crise économique qui frappe l'Afrique noire. C'est aussi parce qu'elles n'ont bien souvent pas su résister aux pressions : « maladie de la pierre », africanisation intempestive des cadres, détournements de fonds, et surtout laxisme dans la distribution du crédit, en particulier à l'égard d'entreprises publiques notoirement mal gérées. Or les créances compromises ne sont souvent pas récupérables, soit parce que le débiteur est une société publique, alors que l'Etat lui-même est en cessation de paiements, soit, dans le cas d'un débiteur privé, société ou particulier, parce que l'Etat s'oppose à ce qu'une décision de justice soit rendue ou exécutée. Quant aux fermetures d'agence et aux compressions de personnel que la situation exigerait, elles sont également le plus souvent bloquées par l'Etat, pour des raisons sociopolitiques.

Le bon exemple aurait pu venir des deux banques centrales, celle de Dakar (pour l'Afrique de l'Ouest) et celle de [PAGE 71] Yaoundé (pour l'Afrique centrale). Chargées de contrôler le respect des règles du jeu et la politique du crédit, elles n'ont malheureusement qu'en partie assumé leur tâche. Au contraire, elles ont donné le mauvais exemple, se lançant dans une politique de croissance propre et de prestige qui a nui à l'ensemble du système. Il n'est que de visiter les immeubles qu'elles se sont fait récemment construire, à Dakar et à Yaoundé, pour s'en convaincre : des tours d'un luxe inouï, génératrices d'énormes charges d'amortissement et de fonctionnement.

La conjoncture ne semblant pas près de s'améliorer, les banques associées sont prises à leur propre piège. A Paris, pour les « Trois Vieilles », la tentation du désengagement grandit. Sans parler de l'Europe, d'autres régions du monde paraissent tellement plus prometteuses... La part de l'Afrique dans le commerce mondial est en baisse régulière : 1,7 % du total en 1987, pour les 66 pays ACP, et 1% du commerce de la CEE. Le total des bilans des banques en Afrique noire (pays anglophones inclus) représente à peine plus du dixième du total des bilans des banques en Belgique. Pour une grande banque française, dont les activités africaines représentent souvent moins de 10% du total de ses activités à l'international, vaut-il réellement la peine de rester et de se battre ? La question est posée.

Elle se pose d'autant plus que les sommes qui seraient nécessaires pour renflouer le système bancaire commencent à devenir rondelettes. Ainsi le « trou » africain du Crédit Lyonnais peut-il se comparer au total des bénéfices nets annuels de cette banque, activités françaises et internationales confondues. A quoi il faut ajouter, pour les « Trois Vieilles», le poids des risques pris sur l'Afrique à partir de Paris. Bien qu'il soit en diminution, il représente encore des dizaines de milliards de francs français.

Raisonnement à courte vue, disent certains banquiers et les hauts fonctionnaires du Trésor. Partir, c'est couper les ponts avec l'Afrique, et se priver, à terme, d'un formidable marché. Raisonnement en outre scandaleux, ajoutent d'autres, qui ont l'Afrique au cœur : nous sommes largement corresponsables de la situation, et avons le devoir moral de rester. Raisonnement cynique, estiment enfin des responsables africains de haut niveau. [PAGE 72] Voilà bien qui démontre l'hypocrisie de la politique française en Afrique : derrière les grandes déclarations d'amitié se cache l'intérêt pur et simple; dès que le vent tourne, tous s'enfuient.

Dans l'état-major des « Trois Vieilles », les avis sont partagés. Entre ceux qui prônent à voix basse l'abandon[5] et ceux qui, au contraire, plaident pour un renforcement des moyens engagés, il reste de la place pour deux attitudes au moins : faisons le gros dos et portons notre croix en attendant des jours meilleurs; engageons l'épreuve de force.

La première attitude n'exclut pas une politique de fermeté accrue, que l'on constate tant à la Générale qu'à la BNP. Cette dernière tente de faire accepter une révision de sa politique de « partenariat » afin d'accroître son contrôle sur ses banques associées. Projet d'autant plus ambitieux qu'avec la reprise forcée de la BIAO, la BNP se trouve désormais en première ligne dans la totalité de la zone.

C'est au contraire la voie de l'épreuve de force que le Crédit Lyonnais a choisie ce printemps au Sénégal et au Cameroun. Les conditions qu'il a posées à son maintien sont révélatrices : liquidation de ses banques associées, création par l'Etat d'une société reprenant la majorité du personnel, les dépôts publics et l'essentiel des créances compromises, et création ex nihilo d'une nouvelle banque, de taille réduite, dans laquelle il aurait la majorité, avec un directeur général nommé par lui... et comme fonds de commerce les créances saines de l'ex-banque associée. A ces conditions qui, espère-t-il, lui assureront le contrôle réel de sa banque, le Crédit Lyonnais accepterait de remettre un peu d'argent. Sinon, il met la clef sous la porte.

C'est donc à une double remise en cause que s'est livré le Crédit Lyonnais : celle d'abord de la politique que sa banque associée a menée pendant deux décennies, celle ensuite des principes de base du système bancaire africain, tel qu'il fonctionne dans la plupart des cas. Cette démarche très nouvelle, pour ne pas dire [PAGE 73] révolutionnaire, lui a été facilitée par la situation catastrophique dans laquelle ses filiales se trouvent dans ces deux pays. Il est donc réellement tenté de partir, et les Africains le savent. Or les conditions posées par le Crédit Lyonnais rejoignent largement les mesures préconisées par le FMI et la Banque mondiale pour assainir les systèmes bancaires africains. En deux mots, liquider les banques insolvables et regrouper les activités bancaires en deux secteurs : un secteur public africain, et un secteur privé dans la gestion duquel les conditions d'intervention de l'Etat seraient redéfinies.

Tel est également le point de vue, comme le Crédit Lyonnais ne pouvait l'ignorer, du Trésor français et de la Caisse centrale de coopération économique. Cette affaire a donc valeur de test. Bien que d'apparence bilatérale, elle montre que la partie qui s'engage est désormais internationale. D'un côté les autorités françaises, le FMI et la Banque mondiale font dépendre leur aide à l'assainissement du système bancaire de l'engagement des Etats de liquider, restructurer et changer de méthodes; de l'autre, les Etats africains, asphyxiés par la crise, sont pris entre l'humiliation – et le courage – qu'il y aurait à reconnaître l'impéritie dont ils ont jusqu'ici fait preuve, et le risque de voir un beau jour leur système bancaire exploser pour de bon, comme au Bénin, où il n'y a plus de banque du tout.

Olivier POSTEL-VINAY
(Dynasteurs, juin 1989)


[1] Oui, c'est vrai, les pays anglophones africains n'ont pas échappé à ces errements; mais ils n'avaient pas, eux, le privilège d'être cornaqués par un ministère de la coopération ni d'être partie intégrante du domaine réservé. Leurs erreurs, ils peuvent les attribuer à leur seule inexpérience. C'est une bien maigre consolation mais c'en est une. Il n'y a pas de comparaison raisonnable ici avec les républiques francophones. (NDLR)

[2] C'est à se demander une fois de plus, à quoi peuvent bien servir tous ces assistants techniques coopérants et autres conseillers français, incrustés dans tous les rouages des Etats africains où, notoirement, ils font la pluie et le beau temps ? De deux choses l'une : ou ils sont incompétents alors renvoyons-les sans plus tarder à leurs chères études. Ou ils ont cyniquement assisté, sans broncher, à l'approche du désastre, espérant en tirer prétexte pour parachever leur mainmise sur les affaires de ces pays comme on le voit aujourd'hui avec M. Roland-Billecart à Air-Afrique, pour ne citer que cet exemple connu de tous. (NDLR)

[3] Il est marrant, lui ! Voilà-t'y pas qu'il encourage maintenant les Africains à devenir autonomes ? Et qu'est-ce qu'il fait, M. Postel-Vinay, du pré carré cher à F. Mitterrand ? Il n'en a jamais entendu parler, peut-être ? Ah, la la, ces intellectuels ! Enfin, voyons qu'est-ce qui est le plus important ? Que les Africains apprennent à se passer de l'extérieur ? ou que F. Mitterrand organise annuellement ses sommets francophones ? Et pourquoi les dictateurs africains s'empresseraient-ils de venir assister à ces sommets s'ils n'espéraient décrocher une gentille petite enveloppe à la fin ? Il ne faut vraiment pas avoir le sens de l'observation pour débiter des jobardises pareilles. (C'est un lecteur de PNPA qui parle, excusez son style un peu ... populaire). (NDLR)

[4] Oui, mais imaginez que ce marché se resserre ou même se ferme. Il y a bien des produits agricoles français, certains vins du Sud-Ouest par exemple, (je pense aux ravages de Kiravi au Cameroun, un vin qu'on ne peut boire que là-bas) qui ne trouveraient plus preneur. Imaginez alors la colère des viticultures de cette contrée dont beaucoup ont voté pour le Parti Socialiste. (NDLR)

[5] Solution à retenir, car ce serait enfin pour les Africains la première vraie chance de se rapproprier leurs affaires !