© Peuples Noirs Peuples Africains no. 59-62 (1988), couverture.



CAMEROUN

Au secours, les terroristes français reviennent !

Dans l'actuelle cascade de crimes politiques, l'affaire Yondo Black, bien que l'avocat en ait réchappé, est certainement la plus instructive, en particulier du fait de l'impunité des agresseurs français, dont l'un fut presque aussitôt subrepticement rapatrié. En 1953 il y a donc trente-cinq ans, un chauffard français écrasa un petit garçon indigène à Mvog-Mbi, quartier populaire de Yaoundé. Le grand-père de la victime, parce qu'il s'indignait bruyamment, fut incarcéré; le chauffard rapatrié, donc soustrait à la justice. Il y a trente-cinq ans...

Yondo Black appartient à la caste des notables diplômés qui s'est toujours volontairement aveuglée sur l'indépendance du Cameroun et de ses dictateurs. Aveuglement peu désintéressé, il est vrai, surtout au lendemain de l'avènement du perroquet rhétoriqueur du "Renouveau". Les pétrodollars submergeaient les comptes de l'Etat, whisky et champagne coulaient à flots, les plus humbles citoyens même se laissaient aller à rêver. Ceux qui dénonçaient la dictature et prédisaient de grands malheurs étaient traités d'illuminés; quant aux militants qu'on emprisonnait, ils l'avaient bien cherché, dit-on. Il fallait absolument se donner bonne conscience, c'était le prix à payer pour fouler les avenues fleuries de l'enrichissement.

La catastrophe annoncée par les "prophètes de malheur" est pourtant arrivée sous forme de désastre économique et financier. Plus de pétrodollars, plus de whisky ni de champagne, plus rien à l'horizon pour de longues années, sinon la grisaille de la misère et du désespoir. Le cacatoès grandiloquent du "Renouveau" lui-même s'est tu, de peur de devoir s'expliquer sur la dette, la corruption, le pillage des caisses de l'Etat, le recours au F.M.I., les lycéens sans lycées, les mères sans maternité, les étudiants sans avenir.

Et nos grands notables diplômés de se troubler enfin, de s'interroger. La caste des bourgeois "modérés" ne croit au néocolonialisme que quand il déverse enfin ses maux sur elle, quand elle est en première ligue. Au Cameroun, c'est trop tard : dans sa logique destructrice irréversible, le système a pris la caste dans son collimateur. La BMM et les Israéliens ne pouvant suffire, la Main Rouge a repris du service. Mais oui, la Main Rouge, celle-là même qui a sévi en Afrique du Nord dans les années 50, assassinant notamment le syndicaliste tunisien Ferhat Hached en 1954. Il y a trente-cinq ans...

Décidément, la "francophonie" est en marche arrière et rien ne l'arrêtera.

Mongo BETI

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Achevé d'imprimer le 30 mai 1989
sur les presses de Dominique Guéniot
Imprimeur à Langres
Dépôt légal : juin 1989               No d'imprimeur : 1767