© Peuples Noirs Peuples Africains no. 59-62 (1988) 175-185



LE SOTTISIER FRANCOPHONE

Guy Ossito MIDIOHOUAN


"Ce qui n'est pas clair n'est pas français."
Rivarol, Discours sur l'Universalité de la Langue Française, 1783.

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Discours de l'Abbé P.-D. Boilat devant les parents d'élèves de l'Ecole des Sœurs de Goée lors d'une distribution de prix :

    "Pères et mères,

Vous êtes ici assemblés pour examiner les progrès que les jeunes demoiselles ont faits dans leurs études durant cette année scolaire.

Rien de plus juste que de connaître par vous-mêmes les travaux et les succès de vos enfants; c'est un moment de bonheur pour un père et une mère. Cependant, tout en admirant leurs progrès, vous devez aussi vous sentir liés par deux devoirs : la reconnaissance envers le gouvernement qui fait tant de sacrifices pour instruire vos enfants, les civiliser, en faire pour ainsi dire de jeunes Françaises, et envers ces dames qui ont renoncé à leur pays et à leurs familles pour venir dans une terre meurtrière consacrer leur temps, leurs veilles et souvent sacrifier leur santé, pour former vos filles à la société et à la morale évangélique. Conséquemment, Messieurs, vous devez les aider de tout votre pouvoir à diriger et maintenir vos enfants dans la voie du progrès. L'un des moyens que vous devez employer est de leurs parler en français et d'exiger d'elles qu'elles ne parlent point d'autre langue dans vos maisons.

Ce moyen, qui vous paraît peut-être de peu d'importance, est absolument nécessaire pour avoir ici une jeunesse instruite, des filles vertueuses et des personnes civilisées.

Je dis d'abord une jeunesse instruite. Ces enfants étudient la grammaire française, font des analyses grammaticales, s'appliquent à l'histoire, à la géographie, à l'astronomie et au calcul. Or, sans une connaissance assez approfondie du français, elles ne pourraient jamais parvenir à raisonner des termes qu'elles ne comprennent pas. L'histoire, loin de les instruire, ne ferait que charger leur mémoire d'une infinité de mots inutiles. La géographie, cette belle science qui nous fait parcourir en esprit toutes les contrées de la terre et qui est l'âme de l'histoire, deviendrait pour elles un objet d'ennui insurmontable. L'astronomie qui nous découvre dans le firmament la gloire, la puissance et la majesté de Dieu, deviendrait une suite de mots absurdes et barbares. Les mathématiques seraient une montagne escarpée qu'il leur serait impossible de gravir. Toutes les leçons de la classe seraient, de la part de la maîtresse, une peine infructueuse, et pour le gouvernement des dépenses folles. Toutes ces enfants, en général, annoncent une grande intelligence et une brillante mémoire. [PAGE 176]

S'il en est qui soient encore bien arriérées dans leurs études, c'est toujours faute de comprendre et de ne pas parler le français. Vous remarquerez aisément que celles qui ont profité le mieux sont les enfants qui, chez elles, ont été familiarisées avec la langue française. Celles, au contraire, qui ne connaissent que l'idiome du pays prennent du dégoût à l'étude, manquent souvent la classe, et arrivent à l'examen aussi arriérées qu'au commencement de l'année.

Des filles vertueuses

Déchus par le péché de nos premiers pères, Dieu nous retira les prérogatives dont il nous avait comblés. Nous naissons avec le germe de tous les vices, et nous sommes plus portés vers le mal que vers le bien. Il faut donc la religion pour nous éclairer au milieu des ténèbres et soutenir nos pas chancelants dans le sentier de la vie. Les jeunes filles surtout ont besoin du secours de la piété et des vertus chrétiennes. On leur apprend le catéchisme; celles qui comprennent le français saisissent, les autres n'apprennent que des mots. On ne peut que grossièrement le leur expliquer en wolof. Ce langage manque de tous les mots théologiques, comment donc leur enseigner parfaitement le dogme catholique, les devoirs chrétiens, sans la langue française ?... On leur met en main les prières les plus touchantes, les actes héroïques des saints de leur âge et de leur condition, les lectures spirituelles les plus attendrissantes; elles les lisent avec l'indifférence la plus glaçante !...

Manquent-elles de cœur, Messieurs ? Non, elles sont au contraire peut-être trop sensibles; mais elles ne comprennent pas la force des mots, elles n'y trouvent que de l'ennui.

Entendent-elles prêcher la morale du haut de la chaire : ne comprenant qu'à demi ou pas du tout, elles se fatiguent d'écouter et n'en tirent aucun profit.

C'est faute de bien comprendre le français que beaucoup de jeunes personnes se sont égarées, malgré les avis de leur pasteur et de leurs maîtresses. C'est faute de comprendre le français que la religion est encore pour ainsi dire dans sa naissance, et qu'il serait presque permis de douter qu'elle obtienne jamais de l'accroissement.

Des personnes civilisées

La moralité, la politesse et le bon ton ne peuvent avoir de base que quand ils ont pris naissance chez les femmes. Jugez-en-vous mêmes, Messieurs; entrez chez les dames qui possèdent ces qualités que nous proclamons ici, n'êtes-vous pas obligés de parler avec plus de retenue et de modestie ? Ne vous sentez-vous pas tenus à un ton plus réservé, à une conversation plus remplie d'ordre, de raison et de sagesse ? N'est-il pas vrai que vos manières sont toutes différentes de celles que vous avez ailleurs ?... Tant il est vrai que cette éducation soignée et cette vertu qui [PAGE 177] brille sur leurs fronts vous inspirent des bornes de respect et de vénération que vous ne pouvez outre-passer ! Tels sont les effets de l'instruction et de la religion chez les dames. Leur société, devenue plus intéressante, est plus recherchée. Les jeunes gens, pour se mettre à leur niveau, sont obligés de s'étudier eux-mêmes, et dans peu d'années elles ont opéré un bien que les prédicateurs n'osaient espérer.

Plus tard, devenues des mères de famille, elles communiquent ce ton, cette éducation religieuse à leurs enfants; tôt ou tard elles ramènent à la vertu des époux peu religieux.

Telle est l'éducation que ces dames essaient de donner à vos enfants, elles les surveillent d'une manière admirable. Leur vie même n'est-elle pas la meilleure leçon qu'elles puissent leur donner ? ...

"Les paroles touchent, dit un savant, les leçons instruisent, mais l'exemple entraîne. L'exemple est un langage muet qui persuade sans qu'on y pense, qui pénètre l'âme, qui répond agréablement à la conviction, surtout quand il vient de personnes avec qui on a de fréquentes relations".

Cependant il faut s'entendre pour construire un édifice. Ces dames emploient toute leur énergie pour obliger les enfants à parler le français pendant qu'elles sont à l'école. Au sortir de là, elles se rendent dans leurs maisons; leurs pères parlent le français, leurs mères en savent un peu. Si ces dernières voulaient se donner la peine de converser en français avec leurs jeunes filles, elles se perfectionneraient, toutes prendraient l'habitude du français. Il s'engagerait même des conversations très utiles et très intéressantes. Les enfants raconteraient à leurs mères le peu de religion, d'histoire ou de voyages géographiques qu'elles auraient appris en classe, leur expliqueraient les beautés de la religion, et leur feraient comprendre combien on est heureux de connaître Dieu et de le servir. La mère, dans la conversation avec sa fille, trouverait un bonheur et une consolation bien grande. Sa maison se remplirait de bénédiction.

Si elles parlaient le français avec leurs compagnes, ayant reçu les mêmes principes, elles se reprendraient l'une l'autre, se piqueraient d'émulation pour mieux parler, se perfectionneraient dans la prononciation (qui leur coûte le plus), mettraient en pratique les leçons de politesse qu'elles reçoivent en classe.

Si elles parlent le français à leurs domestiques, elles éviteront d'entendre une foule de mots que la décence ne permet point et qui sont sans cesse dans la bouche des noirs.

Dans peu de temps, les domestiques parleraient français; alors elles tâcheraient de les civiliser par la religion, leur apprenant tous les devoirs que la religion impose aux serviteurs à l'égard de leurs maîtres. [PAGE 178] Bientôt vous verrez tous les vices qu'amène l'esclavage se détruire, tels que le vol, le mensonge, l'hypocrisie, qui sont l'apanage des domestiques de ce pays. Vous serez servis avec plus de fidélité. Toute la société y gagnera. On aura au moins des personnes avec qui on pourra tenir des conversations raisonnables et suivies. Les alliances illégales disparaîtront de jour en jour. Alors, et alors seulement, la civilisation aura fait plus de progrès que depuis plusieurs siècles que la colonie est fondée.

Vous voyez, Messieurs, toutes les richesses morales que vos enfants accumuleraient en parlant le français : l'instruction et la civilisation. Mettez donc la main à l'œuvre. Il en coûtera très peu. Presque toutes comprennent un peu le français; quelques-unes le parlent couramment; d'ailleurs vous allez en juger par l'examen, et je suis persuadé qu'après avoir été témoins de leurs travaux et de leurs succès, vous prendrez la résolution de veiller tellement sur elles, qu'elles ne perdent pas pendant les vacances les fruits de tant de travaux, et qu'elles deviendront pour vous un sujet de joie, d'espoir, de consolation".

Esquisses Sénégalaises, Paris, P. Bertrand, 1853, pp. 11-18

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"Le pouvoir de la France est assez grand pour abriter contre tout mal tous les peuples d'Afrique". Bakary Diallo, Force-bonté, 1926.

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"Ma qualité de Français exige de moi une connaissance pleine et entière de ce qu'a fait la France pour les colonies placées sous sa tutelle et sous sa protection, et avant même que je ne vous ai parlé, j'étais déjà un adversaire résolu des troubles et agitations pouvant provenir de certaines personnes plus ou moins agissantes et qui ne cherchent avant tout que leur intérêts".

Lettre adressée en 1929 par le Malgache Thomas Ramananjato au chef du CAI (Service des Renseignements du Ministère des Colonies).

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Le Vietnamien Jean Toan (lui aussi de nationalité française) signait ses rapports du terme "Francophile". [PAGE 179]

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Préface de Georges Hardy à Doguicimi du Dahoméen Paul Hazoumé :

"En 1892, les troupes françaises commandées par le colonel Dodds occupaient Abomey; en 1931, un instituteur dahoméen, Paul Hazoumé, faisait accepter par l'Institut d'Ethnologie de l'Université de Paris, qui n'est pas suspect d'indulgence aux mauvais ouvrages, la publication d'une étude sur "le Pacte de sang au Dahomey". En moins de quarante ans, la recherche scientifique s'est donc acclimatée au pays des Amazones et des Grandes Coutumes. Il faudrait être aveugle pour ne point voir dans ce rapprochement de dates et de faits, quelque chose de proprement merveilleux. Africa portentosa, disaient les anciens : les prodiges, pour avoir changé de caractère, n'en sont pas moins éclatants.

C'est pour la France, bien entendu, un singulier mérite que d'avoir, au lendemain même de l'installation coloniale, opéré de telles conquêtes intellectuelles et morales. Le cas de Paul Hazoumé, n'est pas isolé en Afrique Occidentale Française; il est seulement le plus brillant de toute une série, et c'est si vrai qu'en 1931 le Gouverneur Général Brevie à pu fonder, à l'intention des auteurs indigènes de travaux ethnographiques ou historiques, un prix annuel qui jusqu'ici n'a récompensé que des œuvres de solide valeur. Mais comme il serait injuste de méconnaître en la circonstance la pan de l'Afrique elle-même et de ne point admirer la vitalité de son âme, la souplesse d'adaptation de ses races jeunes et vibrantes, mieux encore, la fécondité de civilisations que défigurait un masque barbare et qui contenaient réellement toutes sortes de vertus !

Paul Hazoumé, mon ami Paul Hazoumé, – car nous sommes de vieilles connaissances, – offre à cet égard un curieux mélange de modernisation européenne et de traditionalisme africain. Si son teint ne trahissait son origine, vous le prendriez pour un Français de France; tout, dans sa façon libre et gaie de s'exprimer, dans son allure courtoise, dans ses gestes aisés et mesurés, dans l'aimable ardeur qui émane de sa personne, est d'un homme de chez nous. Tout, dans sa tenue, dans sa conduite, est d'une conscience scrupuleuse, attentive à ses devoirs, soucieuse des responsabilités spéciales qui s'imposent à l'élite, tout entière pénétrée d'une moralité telle qu'on ne songe pas un instant à le traiter en étranger. Citoyen français, il ne conçoit, au surplus, d'autre patrie possible que la nôtre, et vous l'étonneriez fort, si vous lui prêtiez imprudemment la moindre visée autonomiste. Mais, à la manière de beaucoup d'entre nous, qui, sans cesser un instant d'être d'excellents patriotes, réservent une particulière tendresse à leur région natale, il entend ne point se détacher inutilement du sol de ses ancêtres, du passé de sa famille, des habitudes de son entourage, de toutes les forces qui ont concouru à former sa personnalité profonde. Il représente par là le type même de cet humanisme africain que nous rêvons d'étendre largement et qui amènerait notre entreprise [PAGE 180] de colonisation à cet émouvant résultat : une amélioration d'existence sans déracinement, une communauté d'intérêts et de sentiments sans fausse uniformité.

C'est cet honnête homme, ce grand laborieux, ce bon Français, qui se propose maintenant de nous faire connaître comment le heurt, dans les relations de la France et du Dahomey, a fait place au rapprochement et d'étudier à fond un de ces problèmes de contact qui correspondent à l'un des aspects les plus intéressants de notre temps. La forme romancée qu'il a cru bon d'adopter n'est qu'une apparence : c'est bel et bien de l'histoire qu'il nous apporte, exacte, parfaitement objective, et de l'histoire psychologique, la seule qui compte vraiment. Aux sèches analyses qui demeurent toujours éloignées des réalités vivantes, il a préféré une suite de scènes animées et colorées, une résurrection des faits et des gestes, un drame qui nous porte au cœur même de la société locale et nous familiarise progressivement avec ses démarches de pensée. Il n'est pas jusqu'aux longs discours de ses personnages qui ne jouent ici un rôle essentiel, et l'on se condamnerait, en ne les suivant point patiemment, à ne rien comprendre du débat ni des acteurs. Si l'on se rappelle qu'il ne s'agit pas ici d'événements très reculés dans le passé ni d'habitudes entièrement disparues, on conviendra sans doute que cette méthode est plus près que toute autre de la vérité et qu'elle garde la valeur d'un intelligent "reportage".

Voilà donc dans quel esprit il convient d'accueillir et de lire ce livre : qu'on se garde d'y voir un roman colonial; il n'invente rien, il se contente de choisir, parmi les héros et les événements d'un lieu et d'une époque, ceux qui lui paraissent le plus caractéristiques; il vise avant tout à nous faire admettre que des idées et des usages puissent différer des nôtres sans être pour autant dénués d'intérêt et détestables, et il veut nous montrer en fin de compte comment des groupements humains peuvent s'accorder sans se ressembler point pour point.

Je me permets de réclamer, pour cet ouvrage puissamment original, toute la sympathie du public français. Son auteur en est digne au plus haut point et nous trouvons là, de surcroît, au milieu de tant d'alarmes, une belle occasion de réconfort : aux côtés de la vieille France d'Europe, il y a désormais des Frances nouvelles, qu'on essaie bien de troubler, elles aussi, mais qui se reconnaissent pour ses filles et lui donnent tous les jours des preuves touchantes de leur attachement. Sans déclarations grandiloquentes, sans vaine sentimentalité, Doguicimi nous offre une de ces preuves indéniables. Il importe de la retenir avec gratitude et de lui donner son plein effet."

Georges Hardy, Directeur honoraire de l'Ecole Coloniale, Recteur de l'Académie de Lille in Paul Hazoumé, Doguicimi, Paris, Larose, 1938, pp. 9-11. [PAGE 181]

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"EN AFRIQUE NOIRE
ON PARLE FRANÇAIS
ON PENSE FRANÇAIS"

Oumar Bâ, Presque griffonnages ou la francophonie, Dakar, 1966, p.15.

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"La culture française, par ce qu'elle implique d'équilibre entre les facultés créatrices et l'enracinement au cosmos, répond aux aspirations profondes de l'âme noire. Quel homme sent plus intensément l'appel des forces telluriques que l'Africain ? L'Amérique, décuplée, précipite l'Africain dans le vertige. Les pays restés dans l'orbite culturelle de la France peuvent tenter l'aventure du modernisme sans pour autant renoncer à leur passé".

Gérard Tougas, La francophonie en péril, Montréal, 1967, p. 167

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"Importer du vocabulaire, pour une langue, est toujours un signe de faiblesse".

J. Duhamel, in La Nouvelle Revue des Deux Mondes, 1968.

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"On peut penser que les problèmes importants qui préoccupent la planète auront une chance d'être mieux résolus s'ils peuvent l'être à l'intérieur d'un ensemble qui parle la même langue : (qu') inversement si on ne parvient même pas à les régler à l'intérieur d'un ensemble linguistique, il y a peu de chances qu'ils soient jamais résolus autrement que par une crise tragique. Par conséquent, la francophonie est une sorte d'école de la fraternité humaine".

Extrait du Rapport 1977 du Haut Comité de la Langue Française.

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"( ... ) La Révolution de 1917 devait avoir des conséquences considérables pour la diffusion des idées françaises et de leur moyen d'expression. Répudiant sur le plan littéraire le style de pensée classique, aussi bien que, sur le plan politique, l'individualisme libéral propagé [PAGE 182] par la langue française aux XVIIIe et XIXe siècles, l'Union Soviétique entendit dès la création du Komintern se substituer à la France dans le rôle de nation progressiste, de guide des peuples – en un temps où le déclin temporaire de la vitalité, physique et morale, des Francophones ne permettait à aucun credo politique ou social nouveau, à aucun grand souffle doctrinal de caractère universel, de s'exprimer en français.

Le monde attendait. La réponse fut le cataclysme de 1939-45. Le déchirement de l'Europe dès la première guerre mondiale et la Révolution soviétique, puis la nuit du nazisme devaient donner ses dimensions gigantesques à la plus grande crise de civilisation qui ait ébranlé le monde depuis la fin de l'Empire Romain. Nous l'avons déjà vu en d'autres circonstances : crise de civilisation égale effacement du français.

Celui-ci sera en 1940 et pour une génération, balayé par la force dans de vastes régions d'Europe Centrale et Sud-Orientale tant par des équipes nazies que par les Soviétiques qui leur succéderont.

Ailleurs, les doctrines nationalistes ou totalitaires qui, jointes au développement des techniques, avaient mordu plus ou moins sur tous les Etats, assujettissaient le siècle à la force matérielle. C'est ainsi que, dès Septembre 1940, l'Argentine abolissait la primauté dont jouissait l'enseignement du français dans ses universités. Après elle, toute l'Amérique latine se trouvait, bon gré mal gré, entraînée vers la langue des Etats-Unis qui doublaient leur puissance économique.

Quand le monde libre l'emporta enfin, la présence des forces américaines dans de vastes régions du monde pendant et après la guerre, celle des troupes britanniques au Proche-Orient (jointe aux intrigues anglaises en Syrie) répandirent la langue anglaise dans les territoires traversés. Le relais fut assuré en temps de paix par les techniciens anglo-saxons du pétrole et des industries de base ainsi que par les instructeurs militaires américains.

Et, conjonction éclatante des passions nationalistes et des velléités contradictoires de la politique européenne, dans une Egypte depuis cent ans tirée du sommeil par les archéologues et les enseignants de notre pays (la France), une Egypte qui, en partie par goût spontané, en partie par anglophobie, restait si profondément pénétrée de notre culture que le français était devenu sa seconde langue officielle, il suffit d'une étincelle locale et du geste d'un dictateur pour anéantir en 1956 nos positions du jour au lendemain, fermer nos écoles, expulser nos professeurs ...".

Philippe Lalanne – Berdouticq, Appel aux Francophones, Paris, la pensée universelle, 1979, pp. 57-59.

"Or, quel est l'enjeu ? Il ne s'agit à aucun moment d'étouffer d'illustres langues nationales sous la domination de l'une d'elles, mais précisément [PAGE 183] de les garantir contre le poids écrasant de la seule qui soit à même de les faire dépérir : l'américain".

Ibidem, p.77.

"Peu d'occidentaux souhaiteraient voir le russe reconnu comme langue de l'Europe... alors que nombreux sont à l'Est ceux qui voient dans le français une langue d'ouverture, la plus apte, au vrai, à servir de pont le jour espéré où s'estompera la barrière entre les deux Europes".

Ibidem, pp. 78-79.

"Le handicap allemand est donc le premier à franchir par la langue française en Europe et ce franchissement est dans l'intérêt même de l'allemand".

Ibidem, p. 80.

"Le jour où le "marché allemand" sera librement reconquis par la langue française et ce jour-là seulement, la cause sera gagnée sur le plan européen".

Ibidem, p. 81.

"Le mélange de deux langues condamne l'une d'elles. Leur juxtaposition ordonnée peut épanouir l'une et l'autre. Une communauté de civilisation bilingue de part et d'autre de l'Atlantique ? Oui avec les Etats-Unis s'exprimant dans leur langue et l'Europe rassemblée par le français. Non dans le déséquilibre d'une Europe où les mêmes droits seraient reconnus aux deux langues".

Ibidem, p. 121.

"Il reste qu'une langue aussi peu charpentée et disciplinée que l'anglais n'a pas l'étoffe de jouer un rôle mondial. A peine celui-ci serait-il reconnu et dévolu que les forces divergentes se hâteraient d'écarteler cette pâte malléable selon les continents, les secteurs de langage, les générations. Seul pourrait être assuré d'une certaine permanence par son caractère rudimentaire l'anglais de base, petit-nègre de l'occident. L'évocation de son règne, triomphe de l'inculture, dispense de commentaire".

Ibidem, p. 123

"Depuis la deuxième guerre mondiale, le russe s'est taillé par la force une place de langue internationale. Il est à présumer qu'il la gardera tant que des bouleversements imprévisibles ne changeront pas l'ordre établi. Le vieillissement du dogme marxiste-léniniste, ciment moral de l'Empire Soviétique, le réveil des nationalités d'Asie Centrale compliqué par les revendications chinoises peuvent, sans que cela soit fatal, [PAGE 184] hâter un processus que le desserrement de l'étreinte en Europe satellisée a déjà rendu visible en Roumanie.

En attendant, l'enseignement du russe reste imposé de la Bulgarie à la Corée. Peut-être même sa sphère d'influence est-elle destinée à s'étendre en Asie. Les difficultés que présente l'étude du russe ne pèsent guère à des cerveaux d'Extrême-Orient habitués à des idiomes autrement ardus".

Ibidem, p. 133.

"A vrai dire ce nom (le swahili) représente plutôt le commun dénominateur d'une série de dialectes qui vont se dégradant de la côte d'Afrique Orientale à celle de l'Atlantique mais avec de si nombreuses variantes que l'arabe en comparaison semble un modèle d'unité. Promu langage officiel en Tanzanie ex-britannique, le swahili, enseigné en quelques ghettos noirs des Etats-Unis par une secte extrémiste, sert de porte-drapeau à une forme archaïsante et radicale de renaissance africaniste. De là à voir un Empire culturel swahili prendre comme un feu de brousse d'une côte à l'autre de l'Afrique, il y a un abîme que nous ne franchirons pas.

Dépourvu des termes abstraits nécessaires à l'avancement de la civilisation technique et à la promotion des esprits de notre temps, le swahili connaît les mêmes insuffisances que les autres idiomes sub-sahariens. Le retour à ceux-ci équivaudrait à un dramatique recul. Il appartient non seulement au français, à l'anglais et au portugais de justifier leur présence par de constants apports techniques et intellectuels, mais d'abord aux dirigeants raisonnables de l'Afrique Noire de comprendre par quel canal d'avenir passent l'accomplissement humain et le développement de leurs pays".

Ibidem, pp. 136-137.

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"Le français est une langue non alignée, désintéressée".

Boutros Ghali, 1981, Ministre d'Etat aux Affaires Etrangères du Gouvernement Egyptien.

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"La langue française est pour beaucoup de ces pays (africains) un élément essentiel de leur identité à l'égard de leurs voisins souvent géographiquement ou ethniquement semblables. 'Notre frontière c'est [PAGE 185] la langue française', disait ainsi le Ministre de l'Education de Djibouti, Djemal Elabé".

Xavier Deniau, La Francophonie, Paris, PUF, 1983, pp. 38-39

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"S'il est vrai que les Américains de façon générale n'ont guère de propension à apprendre les langues étrangères et qu'ils estiment parfaitement normal, voire nécessaire, que le monde entier parle anglais (de préférence dans sa version américaine), on doit constater qu'ils éprouvent, assez curieusement, une hostilité particulière envers la langue française ou, plus précisément, envers la présence, la diffusion internationale du français. Il y a là visiblement au regard de nombreux Américains une prétention excessive, une sorte d'irréalisme en même temps qu'un facteur de complication des relations internationales. Sauf chez les spécialistes universitaires des études françaises, certains cercles diplomatiques et quelques hauts fonctionnaires et journalistes cultivés et libéraux, la volonté de maintenir les positions internationales du français et d'aménager la communauté francophone suscitent au mieux l'étonnement, le plus souvent l'ironie ou l'irritation, aux Etats-Unis. L'Amérique est fondamentalement francophobe".

Jean-Marc Léger, La Francophonie : grand dessein, grande ambiguïté, Editions Hurtubise HMH limitée, (Canada) Nathan, 1987, p. 164

"En vérité, le combat à mener pour le français sur le plan international est celui de toutes les autres langues et des cultures qui les sous-tendent".

Ibidem, p. 168

Citations rassemblées par Guy Ossito MIDIOHOUAN

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"Il est des idéaux qui ne se peuvent concevoir et des causes qui ne se peuvent défendre qu'en français."

Bernard Billaud, Commissaire Général de la langue française (Le Monde, 3 mars 1988).

( A part l'idéal et la cause du Front National de M. Le Pen, auxquels cette phrase logiquement convient, on ne voit pas à quel idéal ni à quelle cause Bernard Billaud peut bien faire allusion. O. Tobner. )