© Peuples Noirs Peuples Africains no. 59-62 (1988) 165-170



LITTÉRATURES FRANCOPHONES D'AFRIQUE,
PARENT PAUVRE DES DÉPARTEMENTS D'ETUDES FRANÇAISES
RECIT D'UNE EXPERIENCE

Ambroise KOM

La plupart des départements d'études françaises ont été créés dans nombre d'universités hors de France parce que ce dernier pays représente une aire de grande civilisation. De plus, la langue française est une langue de culture et de communication que peu de pays pourraient se permettre d'ignorer. Dans les universités étrangères, les départements d'études françaises s'apparentent donc à des portes d'accès à la France : invitation au voyage, connaissance des arts, de l'histoire, bref de la riche civilisation d'un des plus vieux pays du continent européen.

Le développement des études francophones, c'est-à-dire des littératures et civilisations des pays francophones hors de France (Afrique, Antilles et Amérique du Nord essentiellement) est un phénomène récent. Et ce développement semble s'être accéléré dans les années 1960 avec l'éveil politique de l'Afrique d'une part et du Canada francophone d'autre part.

L'introduction des littératures d'Afrique francophone dans les universités américaines a pour ainsi dire suivi les indépendances africaines et surtout la revendication culturelle des Noirs américains. L'Afrique libérée, les Noirs de la diaspora sont immédiatement montés dans le coche de l'histoire pour donner aux cultures et aux civilisations du monde noir leurs lettres de noblesse. On se souvient d'ailleurs des liens qui avaient existé entre les pères de la Négritude et certains écrivains afro-américains dans les années 1930. Tandis qu'au début des années 1970 les départements d'histoire, de sociologie et autres sciences humaines offrent des cours sur l'Afrique avec la montée du nationalisme noir, les départements d'études françaises accueillent les littératures francophones d'Afrique et des Antilles pour répondre à l'attente de la population noire. [PAGE 166] Evidemment, l'entrée de cette nouvelle discipline à l'université ne se fait pas sans heurt. En plus du personnel enseignant qu'il faut trouver et qu'il faut payer, les tenants des bonnes traditions littéraires contestent la validité de cette jeune littérature et s'interrogent sur l'opportunité de l'inscrire au programme des enseignements. Pareille attitude semble d'autant plus justifiée qu'en se référant à la France qu'on considère, à tort ou à raison comme un modèle culturel compte tenu de son patrimoine – on connaît l'engouement de nombre d'Américains pour les ruines de la vieille France – on ne trouve nulle part dans ses programmes d'enseignement une place spécifiquement réservée à la culture, à la littérature de ses colonies d'Afrique et/ou des Antilles. On veut bien instituer des cours sur la poésie d'un Senghor, d'un Césaire et des poètes de la Négritude mais pourquoi en quelque sorte être plus royaliste que le roi ?

En Afrique même, les universités qui sont organisées d'après le modèle du maître d'hier n'ont pas encore tout à fait intégré des enseignements sur la culture nationale/continentale.

L'entrée des littératures francophones d'Afrique dans les programmes des universités américaines semble s'être imposée essentiellement à cause de la conjoncture socio-politique du moment. D'où la place marginale qu'elle a occupée; marginalité due aussi à la résistance de nombre d'enseignants/chercheurs en littérature française qui, ignorant ou dédaignant les littératures francophones d'Afrique, n'entendaient pas céder de leur terrain. D'où aussi les difficultés que les littératures d'Afrique francophone doivent vaincre pour entrer de manière irrévocable dans les cursus des études françaises aux Etats-Unis d'Amérique. On semble tolérer ces enseignements tant qu'ils n'altèrent pas de manière significative la nature des programmes institués et des diplômes délivrés. La littérature africaine a ici un rôle de littérature de service (service à la communauté noire) tant il est vrai que pour les responsables desdites universités, son caractère valorisant pour la communauté nationale et universelle n'est pas tout à fait attesté.

Voilà qui explique qu'à l'occasion des difficultés économiques, les enseignements les plus susceptibles d'être réduits ou supprimés soient les enseignements portant sur les littératures africaines. Ainsi, les chocs pétroliers de 1973, de 1979 et les ralentissements économiques qui s'en sont suivis ont réduit sensiblement les cours des littératures africaines et ont dans certaines institutions occasionné leur suppression pure et simple. D'ailleurs, le développement fulgurant de l'Association américaine de littérature africaine (ALA) s'explique en partie par la frustration de nombre d'enseignants qui s'étaient orientés vers le champ littéraire africain et qui n'ont pas toujours eu la possibilité de donner toute leur mesure dans leur institution d'attache respective. L'ALA se présente alors comme un département de littératures africaines sans frontière, département où spécialistes chevronnés et chercheurs en herbe [PAGE 167] viennent exposer les résultats de leurs travaux. Avec l'essoufflement de divers mouvements de protestation aux Etats-Unis, la promotion de l'enseignement des littératures africaines semble dépendre davantage de la force des associations professionnelles et autres sociétés savantes comme l'ALA, l'APELA ou même l'AUPELF.

La crise économique qui a frappé les Etats-Unis au début des années 1970 arrive au Canada seulement après le deuxième choc pétrolier de 1979. Auparavant, ce pays avait emboîté le pas à son grand voisin du sud en développant çà et là des cours de littérature et de civilisation des pays francophones d'Afrique, des Antilles et d'ailleurs. Né en 1968, le Centre d'Etudes des littératures d'Expression Française (CELEF) de l'Université de Sherbrooke était à l'avant-garde des recherches et de l'enseignement sur les littératures francophones en général et sur les littératures africaines en particulier. De nombreux diplômés dans le domaine ont été formés à Sherbrooke et plusieurs publications y ont vu le jour. Hormis la célèbre revue Présence francophone, véritable lieu de rencontre des chercheurs en littératures de langue française de par le monde, on peut citer entre autres l'Anthologie littéraire de l'Amérique francophone, Le Roman contemporain d'expression française, Le Thème de l'aliénation dans le roman maghrébin d'expression française, etc. Bien que le Dictionnaire des œuvres littéraires négro-africaines de langue française n'ait pas été publié au CELEF, le projet fut bel et bien une initiative de ce centre. Des chercheurs africains, européens, océaniens, nord et sud-américains vinrent à Sherbrooke pour effectuer des recherches dans la riche bibliothèque du CELEF. Il n'empêche que faute de moyens, le CELEF a fermé ses portes après dix ans d'un rayonnement national et international incontestable.

Ici, l'importance prise par les littératures québécoise et franco-canadienne qui jouissent désormais du statut de littératures nationales, a sans doute contribué à réduire de manière significative la place naguère occupée par les autres littératures de la francophonie. C'est qu'à présent – unité nationale oblige – les littératures québécoise et canadienne-française tendent à occuper une place instituée dans le curriculum des études françaises sur l'ensemble du territoire canadien. En dehors de la Faculté des Lettres de l'Université Laval où il se dispense un cours quasi institué de littérature d'Afrique francophone, cette discipline intervient de manière plutôt occasionnelle dans les autres institutions du pays.

En surface, tout semble se passer différemment sur le continent africain. Au lendemain des indépendances, la prise de conscience des problèmes d'identité contribue à la mise en place des programmes devant revaloriser les cultures nationales africaines. Il fallait remédier à la vision coloniale de l'Afrique et donner aux élites montantes une pleine conscience de leurs identités respectives. Assez paradoxalement, les programmes d'enseignement dans les universités d'Afrique francophone [PAGE 168] furent souvent taillés sinon par le colonisateur d'hier du moins à sa mesure. Pas étonnant dans ces conditions de constater que ces programmes n'étaient rien d'autre que la copie conforme des enseignements dispensés dans les universités françaises.

Liée par le nombril, comme dirait l'autre, au réseau universitaire français – en Afrique Centrale on avait affaire à une Fondation Française de l'Enseignement Supérieur – l'université africaine se devait de délivrer un diplôme équivalant "de plein droit" aux diplômes de l'ancienne métropole. Et pour cause. Très souvent, les universités d'Afrique Francophone de l'époque ne comportaient, faute de cadres et d'infrastructures, que l'année propédeutique ou tout au plus les deux premières années. Pour être autorisé à s'inscrire en France par la suite, il convenait donc de ne pas trop s'éloigner des programmes métropolitains. Qui plus est, la structure administrative des pays nouvellement indépendants étant presque identique à celle du pays colonisateur, seuls les parchemins français et assimilés étaient reconnus et avantageusement validés. A ce jour et bien que nombre d'institutions soient depuis lors devenues des universités nationales, les données de départ sont demeurées à peu près inchangées. Voilà qui explique la portion congrue qu'on réserve jusqu'alors aux littératures d'Afrique francophone en Afrique francophone.

A l'université Mohamed V de Rabat (Maroc) par exemple, le Département de langue et de littérature françaises n'offrait il y a encore quatre ans que quelques cours occasionnels sur les littératures francophones d'Afrique Noire et d'Afrique du Nord. L'essentiel à Mohamed V et au Maroc en général consistait à donner aux futurs diplômés un enseignement classique digne d'être accepté en France comme une vraie licence de lettres françaises. Qu'importe dans ces conditions que les littératures d'Afrique francophone soient ignorées des étudiants ! L'essentiel paraît sauf tant et aussi longtemps que la madère "fondamentale" du champ, c'est-à-dire la littérature française classique, est assimilée.

Dans les universités d'Afrique noire, on retrouve le même schéma, les littératures nationales/continentales étant, elles aussi, enseignées dans les départements dits de français ou de lettres modernes françaises. A Dakar, à Abidjan, à Ouagadougou comme à Brazzaville, on veille scrupuleusement à ce que la part réservée aux littératures nationales ou africaines ne dépasse pas le seuil tolérable pour ceux qui seront chargés de juger des équivalences ou de l'intégration dans les diverses administrations. La référence demeure le cursus de la licence française. Qui songerait dans ces conditions à mettre en place une licence de lettres modernes, licence dans laquelle les autres littératures pourraient – pourquoi pas après tout ? – prendre la place qu'occupe la littérature africaine en ce moment dans le cursus des licences de lettres françaises délivrées dans les universités d'Afrique francophone ? [PAGE 169]

Le cas de l'Université de Yaoundé mérite une mention spéciale car il s'agit d'une institution possédant tout un Département (unique en Afrique) de littérature africaine. Il se trouve cependant que ledit département est plus connu par les recherches de son personnel au fil des ans que pour les enseignements dispensés. Ne délivrant pas de diplôme de premier cycle, le département de littérature africaine de l'Université de Yaoundé se contente de jouer son rôle d'unité de service, c'est-à-dire de saupoudrer les licences de lettres modernes françaises et anglaises de quelques rudiments de littérature africaine francophone ou anglophone selon le cas.

Tout tient au fait que les universités africaines, bien qu'autonomes, ont un contrat culturel à honorer : celui de ne point prendre le risque de trop s'éloigner du modèle de l'ancienne (?) métropole. Il importe donc que l'exemple vienne d'ailleurs et que les universités françaises elles-mêmes donnent le ton et servent de modèles à leurs homologues africaines. Car si l'université française avait accordé aux littératures francophones d'Afrique, des Antilles et d'ailleurs une place spécifique dans ses programmes, l'Afrique n'aurait pas tant d'hésitation à développer l'enseignement de sa propre littérature et de celle des autres contrées francophones du globe. Il n'y a pas d'ironie à le dire : l'exemple doit encore nous venir de France.

Du jour où, en France, la licence des lettres françaises comportera des unités de valeur obligatoires de francophonie, il ne fait aucun doute que les universitaires, même les plus conservateurs, fussent-ils en Afrique, en Amérique, en Asie, en Europe ou en Océanie, n'hésiteront guère à valoriser le nouveau modèle culturel français et partant à contribuer à la connaissance de la diversité francophone.

Voilà qui répondrait tout à fait aux vœux chers à l'un des grands pionniers de la francophonie, un Africain féru de culture française et occidentale, Léopold Sédar Senghor, apôtre du donner et du recevoir. (Communication présentée à la Quatrième Rencontre Mondiale des Départements d'Etudes Françaises, New Delhi 15-20 Décembre 1988).

Ambroise KOM
Université de Yaoundé (Cameroun)

[PAGE 170]

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Coopération policière franco-ivoirienne

Le 23 novembre, Simone Ehivet, l'épouse de Laurent Gbagbo, le numéro, un de l'opposition en Côte-d'Ivoire, se rend au consulat général de France à Abidjan. Elle est invitée à participer à un stage de linguistique organisé par l'Ecole internationale de Bordeaux. Simone Ehivet dépose donc une demande de visa pour la France. Le lendemain, elle vient retirer son passeport, mais le fonctionnaire de service lui répond : "Ce sont les autorités ivoiriennes qui ont vos papiers." Autrement dit : les diplomates français ont aidé le gouvernement ivoirien à empêcher cette citoyenne de se rendre en France.

Coïncidence troublante, Laurent Gbagbo, son mari, a réuni trois jours plus tôt le congrès du Front populaire ivoirien. Une organisation interdite dans ce régime à parti unique et dont un des sympathisants vient d'ailleurs d'être arrêté.

Interrogée par "Le Canard" sur cette bavure consulaire, la Direction des affaires africaines au Quai d'Orsay observe un prudent silence radio. Sans rien démentir. Les autorités d'Abidjan déclarent, elles, ne pas être au parfum et démentent avoir reçu le passeport des mains d'un fonctionnaire du consulat français.

Finalement, ce passeport baladeur réapparaît miraculeusement le 17 décembre, soit 24 jours après son dépôt. Il est naturellement trop tard pour que la linguiste ivoirienne assiste au stage, qui s'est terminé la veille à Bordeaux.

La coopération franco-ivoirienne est à facettes multiples.

"Le Canard Enchaîné"
du 28 décembre 1988

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Le SNES Côte d'Ivoire s'adresse aux futurs coopérants

Le poids de la dette et le prix des matières premières ont gravement affecté les budgets des Etats Africains.

La baisse des activités économiques provoque ou accentue l'exode rural, le chômage, la misère et la délinquance.

Qu'en est-il ailleurs ?

Les candidats au départ sont invités à contacter le S4 hors de France ou le S3 du pays où ils veulent aller pour s'informer des conditions de vie et de travail qui les attendent.

Université Syndicaliste
Spécial Congrès de Dijon mars 1989