© Peuples Noirs Peuples Africains no. 59-62 (1988) 9-35



I. – LE DISCOURS FRANCOPHONE

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LA COOPÉRATION PAR PROJETS OU
LES AFFRES DU CHANGEMENT

Gérard RENOU

Au contraire de la presque totalité des théoriciens de la francophonie, qui n'ont pas pour habitude de faire dans la nuance, celui dont on va lire le texte n'a pas seulement revêtu le masque de l'objectivité dont il utilise avec bonheur la rhétorique, il fait aussi preuve d'un réel courage intellectuel, n'hésitant pas à regarder certaines réalités en face.

Il n'en est que plus instructif de retrouver sous sa plume, formulés avec une naïveté qui n'en atténue pas le cynisme, les fantasmes caractéristiques du discours francophone : c'est un impératif d'assurer la protection et le rayonnement de la langue française en tant que facteur de progrès et vecteur de développement (faut-il entendre que l'anglais ne l'est pas ? ni le swahili, ni le lingala, ni le houssah ? etc... n'est-ce pas l'exemple même d'un germe d'idéologie fasciste ?); l'Afrique noire "constitue un enjeu pour la France" (pourquoi l'Afrique noire, et qui en a décidé ainsi ?); "il y a (entre la France et l'Afrique noire) des liens de nature quasi viscérale auxquels s'accrochent les peuples africains" (des liens sans doute, mais de nature quasi viscérale ? Voilà pour le moins une pétition de principe); les pays qui tentent de secouer la tutelle de la francophonie sont des "brebis égarées" (le qualificatif est charmant assurément).

L'apparence de raison dissimule à peine le délire castrateur inséparable de la spoliation de souveraineté. Si ces Etats sont souverains, un tel débat doit être mené dans le sein de chacun et non pas être injecté de l'extérieur.

P.N.-P.A.

[PAGE 12]

La francophonie fait de plus en plus recette à en juger par les flons-flons médiatiques entretenus autour du dernier sommet québécois des chefs d'Etats et de Gouvernements possédant en commun l'usage de la langue française. Et quand bien même le tintamarre"francophonique" dont on nous rebat les oreilles à intervalles réguliers, tiendrait davantage de la production à grand spectacle sur fond d'états d'âmes, que d'un feu suffisamment nourri par les différents acteurs pour préserver durablement l'instrument clé du système que constitue la langue française, il faut néanmoins admettre que, vu de l'extérieur, le monde francophone s'agite, il donne l'impression de se structurer et de s'organiser, à défaut de se développer.

Fiction ou réalité ? En fait, toute la question est de savoir si cette agitation interculturelle entretenue dans le bocal de la francophonie à coups d'opérations de prestige est autre chose que de la poudre aux yeux ou l'expression éphémère d'une minorité réagissant par un sursaut d'orgueil aux agressions extérieures, au nombre desquelles pourrait figurer la percée spectaculaire de l'anglais au cours des vingt dernières années. Le décor étant enlevé, qu'y a-t-il au-delà des mots ? Que peuvent attendre en particulier de tels forums les pays francophones d'Afrique ?

Après le bref passage de Jean-Pierre Cot à la tête du ministère de la Coopération, victime d'avoir voulu prématurément étendre au monde entier les compétences géographiques de ce Ministère au nom de vues tiers-mondistes certes généreuses, mais manquant, sans doute, de réalisme, la gauche et la droite françaises ont au moins accordé leurs violons sur une note de leur partition politique : l'enjeu que constitue pour la France l'Afrique Noire francophone. Sans en rougir, on reconnaît unanimement aujourd'hui, au niveau du discours, l'importance de l'influence que notre pays a exercée et exerce toujours dans cette partie du monde depuis le quart de siècle qui nous sépare des indépendances, la spécificité et la solidité des liens qui unissent les territoires des ex A.O.F. et A.E.F. avec l'ancienne métropole, enfin est reconnue la volonté, sans cesse exprimée par nos partenaires africains – et ce, quelle que soit l'obédience du régime – d'entretenir durablement cette relation avec la "famille française". Brebis égarées, la Guinée et Madagascar viennent de rejoindre le troupeau...

Un attachement mal perçu dans l'hexagone

Un constat toutefois s'impose : la puissance et la qualité de cette filiation sont loin d'être réellement prises en compte. Il saute aux yeux, en effet, que la solidité de ce cordon ombilical, maintes fois éprouvée, n'est pas exploitée au mieux des intérêts des parties engagées, pourtant depuis longtemps dans la voie d'une coopération étroite. A cela une explication : ces valeurs sûres, ces liens de nature quasi viscérale auxquels s'accrochent les peuples africains, cette francophonie à fleur de peau dans laquelle ils se mirent – le Congo, Etat marxiste au demeurant, est à [PAGE 13] cet égard un symbole – sont peu perçus et difficilement reconnus dans l'hexagone, y compris à l'échelon décisionnel.

Il est malheureux de constater que nombre de nos compatriotes n'ont pas dépassé, vis-à-vis de l'Afrique, les attitudes paternalistes et inhibitrices de l'ancien colonisateur, souffrant d'un sentiment de supériorité compliqué d'un syndrome de culpabilité. De tels comportements ne devraient plus être de mise aujourd'hui avec les Africains qui, la plupart du temps, ne les comprennent pas. En la circonstance, ils assument, eux, leur histoire...

Le paradoxe est qu'à cette de cette méfiance ou de cette ignorance des réalités du monde africain francophone par ce qu'il est convenu d'appeler la France profonde, se multiplient les institutions chargées de promouvoir la francophonie, instances auxquelles la France apporte un soutien financier conséquent, de l'Agence de Coopération Culturelle et Technique (A.C.C.T.) à l'Association des Universités partiellement ou entièrement de langue française (A.U.P.E.L.F.), en passant par la Conférence des Ministres de l'Education Nationale des Etats d'expression française d'Afrique et de Madagascar (CONFEMEN), pour ne citer que les principales. Ces institutions sont légion et relayées, en France même, par un nombre non négligeable de structures purement françaises à caractère politique, linguistique ou culturel. La dernière en date n'est autre que le Secrétariat d'Etat chargé, auprès du Premier Ministre, de la Francophonie. Comme si la participation de plus en plus active de la France à la création et à la vie de tels organismes suffisait à nous dédouaner, à nous "blanchir" pourrait-on dire avec ironie ...

Christine Desouches, à travers l'histoire et l'intéressant panorama qu'elle a brossé de l'organisation de la communauté francophone[1] a beau tenter d'en montrer la cohérence et de valoriser le rôle que ces organes jouent présentement pour la structuration de l'espace francophone, nous ne sommes convaincus, pour notre part, ni de leur réelle influence ni de leur efficacité ni de leur rayonnement véritable. Sans doute est-ce la distance séparant le commun des mortels de ces hautes instances qui nous fait penser – au risque de paraître rétrograde – que ces grands projets, axés sur les technologies avancées et concoctés au sein de telles caisses de résonance, au nom de l'avenir, comme autant de faire valoir politiques tournés vers la modernité et le développement, que ces vastes perspectives ne sont, nous semble-t-il, que des arbres qui cachent la forêt aux yeux du Tiers Monde. [PAGE 14]

Francophonie et Science-fiction

Car il est tentant de succomber au charme des mots et des slogans... Comment à priori, ne pas se féliciter que la francophonie soit réellement devenue une ambition collective ? Comment ne pas se rallier à l'idée que le français obtienne, dans les meilleurs délais, le statut de langue de développement susceptible de faire de l'espace francophone un univers scientifique et technologique ? Cependant il y a loin de la coupe aux lèvres ! et lorsque ces perspectives nobles et encourageantes dérivent, comme ce fut le cas au cours des récents sommets des Chefs d'Etats francophones – et pour répondre paradoxalement à une volonté commune de mise en œuvre de programmes concrets ! – vers des débats aussi éloignés des réalités africaines actuelles que le développement des industries culturelles, des banques de données ou de la coopération en matière culturelle, il est permis de s'interroger sur la portée réelle de ces assemblées pour l'Afrique. Y affronte-t-on le futur avec clairvoyance ou ne s'égare-t-on pas dans les méandres de la science-fiction ? A-t-on perdu de vue que le ciment de ce regroupement quasi généralisé des membres de la famille francophone est la langue française ? Sans la maîtrise de cet outil essentiel, point de salut ! Or, pour nos partenaires africains, le français ne deviendra le vecteur de l'économie moderne, le support la technologie et "la langue d'accès à l'information scientifique"[2] comme le prône le Ministre de la Coopération, Michel Aurillac – qu'à une condition préalable, que bien des envolées lyriques semblent avoir fait oublier : il faut qu'en Afrique, le français soit véritablement un instrument permettant d'accéder à tous les niveaux et à tous les domaines de la connaissance".[3]

Or, quelle est la situation réelle de notre langue, en 1987, dans les pays d'Afrique subsaharienne ? Il serait temps de s'en inquiéter... De prime abord, il peut paraître rassurant de constater que, vingt cinq ans après les indépendances, elle y a encore en général le statut privilégié de langue officielle et de langue d'enseignement. La position du français en Afrique n'a guère été entamée, au fil du temps, par les initiatives menées maladroitement, ça et là, à la hâte, au nom le plus souvent d'un nationalisme exacerbé, pour lui substituer une ou plusieurs langues vernaculaires. Sans tirer de conclusions sur une question qui est particulièrement sensible, le retour de balancier constaté récemment en faveur du français à Madagascar et en Guinée, où il n'était plus enseigné depuis longtemps à l'école primaire, est, sur ce point, révélateur de la solidité [PAGE 15] de cette position. Si le problème avait été posé au niveau des Etats autrement qu'au plan politique et apprécié en termes de complémentarité des divers outils de communication et de pensée disponibles, au lieu de le limiter aux querelles stériles qu'ont engendrées les choix faits, sans discernement, entre des langues malheureusement placées sur le marché de la concurrence, les plus vulnérables d'entre elles auraient sans doute connu un autre sort...

Quoi qu'il en soit, la mariée est loin d'être aussi belle que son statut semble le montrer. A en juger par les propos très alarmistes tenus à ce sujet par ceux qui parcourent depuis longtemps le continent africain, apparaît une certitude : le français y aurait perdu un terrain considérable en deux décennies. La prolifération des publications en français émanant d'élites intellectuelles africaines et la récente percée réalisée par un certain nombre de jeunes écrivains (dont le Congolais Sony Labou Tansi peut être considéré comme le chef de file en Afrique noire) ne sauraient masquer les reculs de la langue française dans les pays francophones d'Afrique. Nul besoin en effet d'être un spécialiste des questions linguistiques pour faire quelques constats de bon sens : dans certains pays, le français est de moins en moins utilisé dans la rue en dehors de certains quartiers des capitales, la langue écrite est sérieusement malmenée – pour ne pas dire massacrée –, même par bon nombre de ceux qui sont censés en faire leur outil de travail et la plupart des enfants entrant à l'école primaire s'avèrent incapables de s'exprimer dans le français le plus rudimentaire. Pessimisme exagéré et impressions subjectives, teintées d'un soupçon de nostalgie issu d'un passé enjolivé par le souvenir ? Non, il faut se rendre à l'évidence, les clignotants sont désespérément au rouge ! Qui plus est, ce phénomène de dégradation s'accentue selon un mouvement uniformément accéléré, voisin dans certains pays de la chute libre...

Pour une politique linguistique cohérente

Comment pourrait-il en être autrement alors que depuis les années soixante, aucune politique linguistique cohérente visant au moins à préserver les acquis n'a été menée en Afrique ? Il serait hypocrite de rejeter la faute sur nos partenaires africains qui ont maintes fois souhaité des interventions plus significatives en faveur du français mais qui, chacun le sait, n'en ont jamais eu les moyens. Quant à la France, sûre de ses opinions en ce domaine, elle a vécu et vit encore dans un nuage qui flotte au gré d'un postulat hélas erroné. La force des liens privilégiés qui unissent notre pays à ses anciennes colonies suffirait à faire de leurs habitants, ad vitam aeternam, des peuples francophones. Ainsi a-t-on évité jusqu'à présent de se poser des questions embarrassantes et d'entreprendre sur le continent africain les actions appropriées susceptibles d'assurer, avec quelques chances de succès, la démocratisation d'une langue qui n'a jamais été, pour la majorité des Africains leur langue maternelle [PAGE 16] et qui, compte tenu de l'environnement francophone dans lequel ils évoluent en partie, ne peut pas être assimilée à une langue étrangère, même si elle pourrait le devenir.

La langue française est malade en Afrique, c'est un fait. Au delà du simple constat le besoin est-il ressenti de mettre en place la thérapeutique appropriée à un mal qui, chacun le sent, n'est pas incurable ? Par habitude, l'usage en ce domaine est de procéder, sous forme d'abonnements, à un ensemble d'interventions disparates dont les médias, le livre ou l'alphabétisation sont les principaux supports. Ce saupoudrage d'actions laxatives, plus ou moins diluées, rarement cohérentes et pratiquement jamais évaluées, endort la douleur beaucoup plus qu'il ne soigne. Jacques Rigaud, dans le rapport qu'il a rédigé en 1980 sur la D.G.R.C.S.T,[4] tout en déplorant comme beaucoup d'autres la dualité de notre politique de coopération, place le débat linguistique sur un plan opérationnel lorsqu'il fait de la langue un instrument vital de la coopération qu'il convient, comme les autres, de préserver, de consolider et d'amender en permanence.

Des moyens disponibles à la portion congrue

Il serait faux de croire que l'obstacle à l'épanouissement de la langue française en Afrique est d'ordre financier. Si la sauvegarde du français y devenait l'une des principales orientations de notre politique en faveur du développement, si l'urgence et l'utilité à terme d'une telle option étaient enfin reconnues et si cette finalité devenait l'une de nos priorités d'intervention, nul doute que les moyens nécessaires seraient dégagés. Contrairement à bien des idées reçues, les besoins ne seraient pas démesurée. Dans l'hypothèse retenue – qui n'est pour l'heure, faut-il le rappeler, qu'une hypothèse d'école ! – une ventilation différente et une répartition rationnelle des crédits existants dans l'enveloppe que l'aide bilatérale française accorde aux Etats dits "du champ", permettraient de remédier, de manière significative, bien des situations linguistiques actuellement compromises.

Encore faudrait-il admettre de rogner, par exemple, sur certains gouffres financiers alimentés par le Fonds d'Aide et de Coopération (FAC). Dans le domaine du développement rural ou celui des infrastructures, notamment, la France se lance régulièrement dans des opérations de coopération, ô combien onéreuses ! dont le bénéfice pour le développement du pays n'est pas toujours évident et dont il serait parfois opportun, pour notre crédibilité, de faire l'économie. Même si, depuis quelque temps, une rigueur certaine préside au choix des projets à financer et si, dans le passé, bon nombre d'opérations ont répondu aux attentes, il est [PAGE 17] des échecs cuisants et coûteux qui auraient dû être évités (ne pouvait-on pas les prévoir ?). Pour ne gêner personne mais pour illustrer, malgré tout, ce manque de discernement et ce comportement irrationnel de la coopération française dans certains secteurs du développement, on se limitera à l'évocation des puits sans fonds qu'ont constitué, dans un petit pays d'Afrique Centrale, la construction d'un tunnel sur une voie ferrée (l'investissement, de plusieurs milliards de F.CFA était-il rentable ?), la participation à un vaste programme routier lui-même de plusieurs milliards de F. CFA (des voies menant nulle part et aujourd'hui déjà défoncées !) et le lancement hasardeux, à grands frais, d'opérations de développement agricole qui sont depuis en situation d'échec quasi permanent (plusieurs centaines de millions de F. CFA).

Simple exemple (sans parler des ponctions importantes faites sur le compte du FAC inter-Etats pour les études dont l'utilité est pour le moins discutable), mais explicite, et tout à fait révélateur, d'une part, de l'ampleur des économies réalisables par la coopération bilatérale à l'échelle de l'Afrique, et, d'autre part, des possibilités d'investissements qui auraient pu être offertes, de manière moins spectaculaire mais plus durable et au nom d'un véritable développement, à d'autres secteurs d'activité ... Il n'est pas nécessaire de pousser plus avant nos investigations dans cette voie...

On comprendra, dans ces conditions, que les partisans d'une coopération dynamique et efficace, qui bénéficierait davantage aux peuples concernés, aient à cœur de mettre en évidence les dysfonctionnements du système. Nous rejoindrions volontiers sur ce terrain tous nos compatriotes qui, depuis des années, faute de milliards, y réalisent malgré tout des miracles, avec rien ou presque, dans les domaines linguistiques et culturels. Pour illustrer ce propos, il faut savoir qu'en 1986, 48 millions de francs ont été consacrés par la coopération française aux actions culturelles en Afrique (dont une intime partie pour la promotion de la langue) contre 563 millions de francs au développement rural et 702 millions de francs aux infrastructures. On rétorquera qu'en toute objectivité, il faudrait mettre dans le même panier les appuis d'ordre culturel et l'aide apportée aux systèmes éducatifs africains. Ceci est une autre histoire... Qu'il nous soit permis, malgré tout, de demeurer convaincu que les difficultés rencontrées par la langue française – clé de voûte de l'édifice franco-africain, qu'on le veuille ou non ! – seraient sérieusement aplanies, sans rallonge budgétaire, si la France le souhaitait vraiment. [PAGE 18]

Il semblerait en tout cas que, du seul point de vue financier, les perspectives soient particulièrement encourageantes pour la coopération dans la mesure où l'actuel gouvernement tient ses engagements[5] :

    – l'aide publique au développement (APD) est en augmentation sensible après une période de relative stagnation : 17,2 milliards de francs en 1982, 24,9 milliards en 1985, 24,3 milliards en 1996 (dont 15 milliards réservés à l'Afrique), 27 milliards en 1987, selon une estimation, et 29,5 milliards en 1988, selon les prévisions (soit 0,54 % du P.I.B.)

    – l'érosion progressive de la participation du Fonds d'Aide et de Coopération (FAC) à l'aide française a été stoppée par un accroissement de 50 % de ce Fonds en 1986 (1,65 milliards de francs en autorisations de programmes);

    – le budget global du Ministère de la Coopération, en hausse de 13,2 % pour 1988 malgré les restrictions, passera de 5,9 milliards de francs en 1987 à environ 6,5 milliards de francs.

De l'illusion lyrique au travail de terrain

Tous les espoirs pourraient donc être donnés à la langue française en terre africaine si les actions la concernant faisaient enfin partie des programmes jugés "utiles et rentables". Mais, de grâce, que l'on cesse de faire semblant de croire – et de faire croire – que des projets tels que la mise en place d'une Agence internationale d'images ou l'étude de l'extension de TV 5 à l'Amérique du Nord dans la perspective d'un élargissement futur à l'Afrique, constituent des enjeux d'avenir pour l'ensemble du monde francophone !

A-t-on pensé au Tiers monde ? Il est vraiment permis de se demander si "le temps de la francophonie lyrique est quelque peu dépassé", comme l'affirme L.E. Hovine[6] ou si, tout simplement, le lyrisme n'est pas en train de changer de forme. Le retour sur terre, dans le présent, conduit à considérer :

Primo : que les institutions de la francophonie et leur notoriété, ne paraissent pas très performantes. Il conviendrait en premier lieu d'améliorer leur image de marque et leur crédibilité (tout particulièrement celles de l'ACCT) en traduisant, dans les faits, les intentions de réformes qui se sont manifestées. [PAGE 19]

Secondo : qu'il faut absolument éviter le danger d'une participation à l'espace francophone qui serait vécue, par le Sud, comme une simple aide au développement supplémentaire et comme un mécanisme unilatéral.

Tertio : que pour servir plus spécialement la cause de la coopération franco-africaine, il s'agit de ne pas omettre de consolider le lien que constitue l'utilisation commune du français. La France se doit donc d'user de son influence et des moyens qui lui sont propres pour concentrer les énergies déployées sur des programmes intégrés et sur des projets fonctionnels visant, directement ou indirectement, la protection et le rayonnement de la langue française en tant que facteur de progrès et vecteur du développement.

Arrêtons-nous sur ce point. N'est-il pas surprenant qu'en France, dans une conjoncture relativement favorable, les propositions constructives qui ont été faites depuis quelques années pour une amélioration de la situation de la langue française en Afrique – à l'initiative desquelles, il est vrai, était la gauche – soient restées sans lendemain ? Qu'en est-il des réflexions menées récemment à ce sujet, à l'intérieur même du sérail, en faveur d'une "politique du renouveau du français en Afrique" et des propositions concrètes d'action, au demeurant fort intéressantes, qui ont été faites par le Ministère de la Coopération ? Pour développer l'environnement francophone, va-t-on bientôt s'orienter vers une coopération de terrain moins spectaculaire, mais, sur le fond, plus rentable ? Quand cessera-t-on d'isoler, au niveau des opérations, ce qui se fait pour la langue française de ce qui se fait en langue française ? N'est-il pas l'heure de passer aux actes ? De donner davantage à lire en français aux jeunes Africains ? De s'ancrer plus solidement sur la presse et sur les médias, en particulier sur la radio qui est toujours très écoutée en Afrique (que d'études ont été faites à ce sujet !) ... Ces voies seront-elles un jour véritablement explorées ?

On le devine, il reste beaucoup de chemin à accomplir, des inerties à vaincre, des verrous à faire sauter... D'autant que vouloir sauvegarder et développer le français en Afrique, c'est nécessairement affronter les réalités des systèmes éducatifs africains et engager le débat sur notre coopération en ce domaine.

Quelle coopération face à la crise des systèmes éducatifs ?

La langue française, langue d'enseignement, est avant tout victime de la crise que connaissent, depuis de nombreuses années, les systèmes éducatifs africains : c'est une évidence... "L'Education africaine d'aujourd'hui [PAGE 20] n'est pour personne un spectacle réjouissant et peu de gens, parmi ceux qui y jouent un rôle, peuvent considérer les résultats de leur travail avec complaisance et auto-satisfaction" disait déjà, dans les années 1970, un spécialiste des questions éducatives.[7]

La situation s'est considérablement dégradée depuis, au point d'atteindre aujourd'hui un seuil critique dans la plupart des pays. Certes un effort gigantesque a été réalisé par les Etats au lendemain des indépendances pour assurer et développer l'Education : en dix ans, les effectifs du primaire avaient été multipliés par trois, ceux du secondaire par 6, et les dépenses consacrées à l'enseignement avaient atteint jusqu'à 30 à 35 % des budgets (4 à 5 % des P.I.B.). La France, qui a apporté son soutien humain et financier à cette explosion, n'a pu que constater les dégâts engendrés par la généralisation d'un système éducatif directement importé d'Europe qui "apparaissait comme la condition nécessaire et quasi suffisante du développement"[8]. Au plan qualitatif, la rentabilité de l'Ecole existante est extrêmement faible en raison de la dégradation considérable des conditions matérielles d'enseignement (locaux souvent délabrés, insuffisance du mobilier et des livres scolaires, effectifs fréquemment pléthoriques,..), du manque d'enseignants et de leur faible qualification, du formalisme et de l'inadaptation des contenus (méthodes et techniques d'enseignement), d'un taux d'abandons et de redoublements très élevés, de disparités structurelles (entre garçons et filles, du fait des différences régionales, des inégalités ethniques, etc ... ).

Le diagnostic a au moins le mérite d'être clair, à défaut d'être rassurant : l'Education en Afrique traverse une crise quasi-généralisée, bien entendu à des degrés divers. Cette crise est tantôt aiguë (Madagascar, Guinée, Mali), tantôt chronique (République Centrafricaine, Congo) ou tantôt latente (Sénégal, Côte d'Ivoire, Zaïre) ... Les multiples réformes lancées çà et là pour tenter d'y remédier (peut-on en douter ?) ont été bien timides (faute de moyens ? ). Dans la plupart des cas, elles n'ont pas dépassé le stade de l'intention ou, sinon, elles ont immanquablement concouru à une aggravation de la situation. Parce qu'elles ne s'attaquaient pas véritablement aux origines du mal ! "Le système fonctionne en définitive sans rapport précis avec les besoins et les possibilités réelles de l'économie nationale... Il se développe en parallèle sous l'emprise de contraintes... indépendantes de l'économie et du marché de l'emploi... [PAGE 21] La plus grande partie de la jeunesse n'est pas intégrée au système ou s'en trouve rejetée en cours de scolarité sans aucune formation réelle, professionnelle notamment",[9] affirmait-on à juste titre, en mars 1982, dans un rapport adressé à Jean-Pierre Cot, alors Ministre délégué à la Coopération et au Développement. A partir du cas de la Côte d'Ivoire, le problème commun aux pays africains dans le domaine de formation y est objectivement présenté par Olivier Bertrand (Cereq) comme une "contradiction radicale entre les aspirations de la population en matière d'éducation, le modèle éducatif adopté, les possibilités de financer son expansion et la capacité de l'économie à employer ceux qui en sortent." Assez curieusement, les plus touchés de ces systèmes continuent malgré tout à fonctionner, à vide ou presque, sans trop de heurts, alors que le fond de l'abîme et le point de non retour semblent atteints. C'est l'Afrique...

Pour aussi semblables que soient, au niveau de l'Education, les problèmes rencontrés par les pays francophones d'Afrique noire et si, partout, les mêmes besoins fondamentaux demeurent, des différences importantes existent entre les Etats. En 25 ans, de par la nature même des différents pays, mais également sous l'influence non négligeable des politiques suivies, la situation de l'enseignement y est aujourd'hui plus ou moins enviable. Peut-on réellement mettre sur le même plan, en 1987, le système éducatif d'un pays considéré comme relativement avancé, tel que la Côte d'Ivoire ou le Cameroun, la misère de l'Ecole centrafricaine, les difficultés liées à la "surscolarisation" au Congo, l'édifice en ruines hérité des récents événements au Tchad et l'éducation de type extra-scolaire, naguère prônée par Thomas Sankara, au Burkina-Faso, pour assurer l'auto-développement du monde rural ?

Absence de choix, nivellement par le bas

Tel est le contexte... Il est intéressant d'observer le comportement et l'évolution de la coopération française, en un quart de siècle, sur ce terrain difficile. Fidèle à une attitude politique assez incompréhensible qui a consisté, par le biais d'une approche "à la demande", à tenter de satisfaire tout le monde et à venir en aide, sans distinguo, aux plus défavorisés, la France s'est finalement tenue à une stricte neutralité de traitement entre Etats (tout au moins vu de l'extérieur) qui explique, pour ce qui concerne la coopération éducative :

a. que des choix n'aient pas été faits et que, du coup, les situations aient été nivelées en grande partie vers le bas; [PAGE 22]

b. que faute d'avoir encouragé prioritairement les options prises par tel ou tel pays, les réussites amorcées, qui auraient nécessité soin et attention, sont demeurées passagères et pas toujours probantes.

En fait à défaut de positions tranchées et de stratégies clairement établies, la coopération française en matière d'Enseignement en Afrique noire a constamment cherché, depuis les indépendances, à empêcher de couler des navires qui prenaient l'eau chaque jour davantage. Ainsi a-t-elle été ballottée, sur une mer plus ou moins agitée, entre le souci de prestige et d'influence de notre pouvoir politique et la tentation de répondre de manière aveugle (solution de facilité !) aux besoins exprimés par nos partenaires africains. Elle a louvoyé à vue, avec visibilité mais sans véritable cap, au gré des éléments, en l'occurrence des circonstances.

Au lendemain de la Conférence de l'UNESCO pour l'Afrique qui s'est tenue à Addis-Abeba en 1961, au nom du développement des pays africains et du renforcement des liens privilégiés de ces pays avec la France, la coopération éducative franco-africaine visait tout naturellement l'amélioration des systèmes éducatifs par la fourniture d'enseignants français (en majorité au niveau secondaire et supérieur), conçue comme temporaire, et par la formation – en attendant la relève d'enseignants africains suffisants en nombre et en qualité, le tout sur fond de langue française.

Les rustines posées n'ont pas suffi à enrayer la lente mais régulière descente aux enfers. Dans les années 70, non seulement le nombre de coopérants enseignants n'avait pas diminué en Afrique, mais l'accroissement sensible et constant de la part de l'assistance technique dans le budget de la coopération commençait à inquiéter (36 % en 1964, 56 % en 1976). Ceci d'autant plus que, loin de rester provisoire ou exceptionnelle, cette opération demeurait de la substitution pure et simple et qu'en se concentrant sur les échelons supérieurs – comme si la construction d'un immeuble démarrait par les derniers étages ! – elle n'était d'aucun secours à un enseignement de base dont l'importance semblait échapper. Bien des Etats en supportent aujourd'hui les lourdes conséquences...

Un tournant manqué et d'autres pistes

Autour des années 80, consciente des insuffisances et des faiblesses du dispositif de coopération mis en place sur le continent africain et alertée par l'exode massif des cerveaux, la France change son fusil d'épaule. Dans l'Education en particulier, sur la base d'une démarche contractuelle, un glissement s'opère d'une coopération de substitution à une coopération d'accompagnement et de formation qui prend pour leviers l'extra-scolaire, les programmes d'alphabétisation, un nouveau type d'Ecole ouvert sur le milieu, des technologies avancées (tel le complexe audio-visuel de Bouaké en Côte d'Ivoire, le précurseur) et le renforcement des systèmes nationaux de formation (au détriment d'une politique [PAGE 23] d'accueil massif, en France, de boursiers étrangers). "La notion d'obligation de résultat se substitue peu à peu à l'obligation de moyen"[10]. C'est la fin d'une coopération par habitude qui permettait à un enseignant français de faire carrière en Afrique en remplissant des fonctions quasiment identiques à celles qu'il aurait eues dans l'hexagone, c'est-à-dire en dispensant des cours à des élèves, fussent-ils africains. A la politique du saupoudrage pratiquée jusqu'alors comme un gage d'efficience, à une forme d'assistance automatique (sans fin ?) qui consistait à occuper le terrain, succède la volonté non dissimulée, d'une part de rationaliser l'aide apportée aux systèmes éducatifs africains, d'autre part de préparer l'avenir par des actions mieux ciblées et programmées dans le temps. Intentions louables et nobles quand on mesure, a posteriori, les déperditions et l'énorme gaspillage engendrés par une coopération évoluant sans cadre précis et dépourvue d'objectifs à plus ou moins long terme.

Dommage, toutefois, que cette brise, empreinte de réalisme et du désir de rentabiliser l'aide française à l'Education, ait soufflé dans les couloirs du Ministère de la Coopération en même temps qu'un vent de restrictions budgétaires qui, en trois ans, de 1983 à 1986, a entraîné la suppression de 3 000 postes d'assistance technique en Afrique. De là à penser que les deux choses étaient liées et que les idées généreuses de réorientation de la coopération n'étaient hypocritement développées que pour mieux faire passer la pilule à nos partenaires, il n'y a qu'un pas ... que nous nous garderons de franchir ! Il est toutefois permis de s'inquiéter des fondements et de l'avenir de cette mutation en forme de leurre qui semble avoir été engagée beaucoup plus pour des raisons économiques que par conviction.

Ne perdons pas de vue, en tout cas, au risque d'irriter, que le renforcement des systèmes éducatifs africains, sous quelque forme que ce soit, ne peut que profiter avant tout à la langue française. En Afrique, peut-être plus qu'ailleurs, la France se trouve, en effet, confrontée à une équation dont la résolution repose sur le triptyque Langue – Education – Coopération. Soutenir la Coopération en langue française et plus spécifiquement l'enseignement français, c'est selon toute vraisemblance améliorer la situation du français. Mais pour déterminer ce que Monsieur Michel Aurillac appelle les "champs privilégiés de notre intervention"[11], il ne faudrait pas s'enfermer dans ce qui peut paraître une évidence et négliger pour autant l'exploitation des pistes, sans doute moins dévoreuses de crédits, qui s'ouvrent en réponse à une autre problématique : [PAGE 24] la relance du français en Afrique passe-t-elle nécessairement et prioritairement par le développement des systèmes éducatifs ?

Une chose est certaine : seule l'exploration intelligente de toutes les voies et stratégies possibles d'intervention peut permettre aux 380 millions d'habitants utilisant actuellement le français à la surface du globe et aux 275 millions d'Africains environ dont le français sera la langue officielle ou d'usage courant en l'an 2 000 de devenir des francophones à part entière. Contrairement à ce que pensent certains, le jeu en vaut peut-être la chandelle...

Mythe et réalités de la formation

Vouloir maintenir et diffuser la langue française en Afrique nous semble un objectif tout à fait légitime même s'il est discuté aujourd'hui, notamment par ceux qui ont une vision étriquée et à court terme de la coopération. Mais ce ne peut-être, comme l'ont précisé J.P. Mounier et F. Dumont dans un rapport précédemment cité, un objectif isolé : l'outil linguistique est "au service du développement économique, social et culturel des Etats"[12] et, à ce titre, il est indissociable des actions entreprises dans le vaste champ de la formation.

Au sujet de la formation et de notre coopération en ce domaine, deux remarques liminaires dicteront le cheminement de notre pensée :

a. La formation ne doit pas être une panacée. Ce mot passe-partout, aux multiples connotations, a été outrageusement malmené ces derniers temps. Un emploi abusif en a fait le remède miracle aux maux les plus divers touchant les différents niveaux et ordres d'enseignement, la profession, l'éducation permanente. En particulier, tous les problèmes liés au développement semblent devoir être abordés et pouvoir être résolus avec des doses plus ou moins fortes de formation. Précisons les choses. Nous admettons le poids grandissant et justifié, à nos yeux, de l'aide à la formation dans le processus de coopération, mais l'expérience nous a appris à nous méfier de l'usage qui en est parfois fait.

b. Pour la coopération française, la formation est un tonneau des Danaïdes. Il faut savoir que, depuis des années, la France a consenti, vis-à-vis de ses partenaires africains, d'énormes efforts pour subvenir à leurs besoins en formation, efforts sur lesquels il est inutile de s'étendre. Rien qu'en termes d'hommes, 100 000 personnes se sont occupées de formation, [PAGE 25] en coopération, depuis 15 ans. Environ 400 millions de francs sont consacrés chaque année par la France au financement de 15 000 bourses et stages de formation pour l'ensemble des pays en voie de développement, selon des chiffres récents avancés par le Ministère de la Coopération,[13] qui précise que, pour sa part, il finance chaque année, pour les pays du champ, 4 700 bourses représentant un montant de 170 millions de francs. Or, en dépit des moyens imposants mis en œuvre et de notre savoir-faire, est-il besoin de rappeler que les systèmes de formation africains sont, pour la plupart, en perdition. Les plus épargnés d'entre eux ont droit au qualificatif de système en crise. Les avis à ce sujet sont malheureusement unanimes... Nul ne contestera que ces échecs à répétition méritent réflexion et que, tôt ou tard, ils nous seront reprochés. On assiste déjà à quelques grincements de dents... La réorientation de notre aide à la formation est une urgence, tant pour le développement des pays concernés que pour son vecteur, la langue.

Sortir rapidement de l'impasse, mettre en œuvre une politique cohérente et novatrice d'appui à la formation, mieux adaptée aux besoins des Etats, et profiter de l'expérience acquise pour mettre fin à l'engrenage des placements peu rentables ou à fonds perdus, tels doivent être les buts immédiats de notre coopération en ce domaine. Facile à dire, difficile à faire ! La gravité de la situation implique pourtant qu'avec courage, soient posés sans tarder les vrais problèmes, les vraies questions, et qu'ils soient mis franchement sur la table des négociations bilatérales. De grâce plus de faux-fuyants, nous n'avons rien à y gagner... Les grandes lignes de ce que pourrait être cette nouvelle politique d'aide à la formation sont d'ailleurs connues : à peine couchées sur le papier par la gauche sans avoir pu être vraiment suivies, elles ont été passées sans grandes modifications au filtre de la droite après 1986.[14]

Pourquoi ce chœur, habituellement à deux voix, chantant pour une fois à l'unisson, ou presque, ne réussirait-il pas dans son entreprise ? Face à une situation sérieusement compromise qui commence à être mal vécue par les parties en présence, un consensus doit impérativement être trouvé avec nos interlocuteurs africains autour de quelques principes explicites et réalistes, dans la limite, s'entend, des contraintes politiques et de non-ingérence.

Un exemple de dysfonctionnement : les bourses

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Sur quelles bases entreprendre cette indispensable négociation ? Quels principes, quelles orientations et quelles stratégies opérationnelles adopter ? Ces choix fondamentaux appartiennent aux décideurs, pourvu que les options prises soient claires et, surtout, qu'elles soient suivies d'effets. Deux conditions qui ne nous semblent pas réunies actuellement. En serait-on encore, rue Monsieur, au stade des états d'âmes, voire à celui de la prise de conscience ? Ou bien, plus sûrement, l'ampleur et la complexité du problème rebutent-elles ? Des intentions de réorientation de l'aide française à la formation ayant été affirmées, quand verra-t-on sur le terrain un commencement d'application ?

Il est des mesures qui pourraient déjà être prises à peu de frais pour, au moins, tenter d'enrayer les principaux effets pervers du système. Sans parler de ce qu'il faudrait reprendre dans des secteurs aussi importants que la formation professionnelle ou la formation des adultes, la formation des formateurs – fer de lance de la coopération française en matière d'Education, présentée en Afrique comme le sauveur potentiel de la langue française (le placement n'a pas encore beaucoup rapporté !) – offre, pour sa part, des exemples aveuglants de dysfonctionnements, de déperditions et de gâchis, au premier rang desquels figurent les bourses FAC de formation. Instruments essentiels du processus d'appui à la formation, le bénéfice qui en est tiré est minime eu égard à l'investissement. Monter, chaque année, un imposant programme d'accueil en France d'environ 5 000 boursiers africains est une opération qui n'a aucun sens si un certain nombre de précautions élémentaires ne sont pas prises :

a. Si des garanties sérieuses ne sont pas données sur le choix des candidats, afin que les meilleurs étudiants soient effectivement sélectionnés. C'est loin d'être le cas à l'heure actuelle. Cela suppose, de notre part, une attitude responsable basée sur un dialogue beaucoup plus serré avec nos partenaires et sur des exigences quant à la validité des procédures et des techniques de sélection. Sur ce point, d'autres que nous ont su se faire entendre. La création de comités de sélection au sein desquels les deux parties seraient représentées ne pourrait-elle pas être envisagée ?

b. Si les candidats sélectionnés sont envoyés dans des disciplines ou dans des filières peu utiles au développement du pays ou ne correspondant pas au marché de l'emploi. Cette situation est trop fréquente ! Il n'y a guère qu'au Maroc où cette orientation a été réalisée. Les réunions des Commissions mixtes (ou, localement, les comités précédemment cités) pourraient être l'occasion privilégiée de discussions bilatérales conduisant, par pays, à un accord programme assurant la répartition par secteur du quota des bourses attribuées par la France. Des tentatives ont été faites; elles semblent n'avoir été ni systématisées, ni étendues. Ce serait l'occasion, pour chaque Etat concerné, de dresser l'inventaire de ses besoins.

Pour la partie française, de juger la validité des demandes par rapport [PAGE 27] aux besoins exprimés et de concentrer utilement l'aide à la formation sur nos principaux domaines d'intervention. Une évidente rigueur s'impose dans la mise en œuvre de tels programmes. C'est souvent là que le bât blesse...

c. Si les modèles de formation proposés ne sont pas adaptés aux besoins du formé et aux réalités de son pays. Le cas se présente souvent lorsque le Ministère de la Coopération opère aveuglément par sous-traitance auprès d'organismes divers. De cette manière se trouvent confortés et perpétués des schémas de pensée et des comportements que la formation était supposée faire évoluer.

d. Si un "suivi" des étudiants formés à l'extérieur n'est toujours pas assuré pendant et après les études et si les conditions de leur réinsertion n'ont pas été discutées au préalable. Ainsi se sont évaporés, dans la nature, nombre d'Africains qui, grâce au diplôme obtenu dans une Université au dans une Grande Ecole française, ont réussi, de retour chez eux, à ne pas occuper l'emploi ou la fonction correspondant à la formation reçue mais un poste plus élevé ou répondant mieux à leurs aspirations personnelles. Sans parler de ceux qui s'installent, à vie, ou presque, en dehors de leur pays ! On en arrive à un paradoxe : une demande accrue des Etats en coopérants français, alors que des nationaux formés et compétents exercent ailleurs. Qu'importe, on sollicitera à nouveau la France pour en former d'autres ! Contrairement à l'effet voulu, l'appui prodigué sous forme de bourses de formation agit exactement comme un prisme déformant...

La notion de contact est essentielle

D'autres mécanismes de l'aide accordée à la formation en Afrique mériteraient d'être ainsi démontés pour le plus grand bien de la coopération, les accords interuniversitaires et les missions (d'études et d'enseignement) notamment. Les effets démultiplicateurs attendus des actions entreprises, en particulier dans le domaine de la formation des formateurs, tiendront moins du mirage ou d'une vue de l'esprit lorsque de telles approches auront engagé les partenaires, de manière concertée, sur la voie de la réflexion et de l'efficience. Pour l'avenir de la coopération éducative, la notion de contrat à remplir est essentielle. Des engagements doivent être pris par les partenaires, des objectifs doivent être conjointement définis. Si tel n'est pas le cas, il est inutile d'entreprendre et de faire-semblant : notre dispositif d'appui demeurera dilué, peu rentable et pas très crédible. Ces préalables doivent être impérativement réunis pour espérer apporter des réponses satisfaisantes aux véritables questions : former qui, pour quoi faire et comment ? Il est d'autant plus urgent d'agir en ce sens que les détracteurs de la politique de formation de formateurs – amorcée en Afrique, est-il besoin de le rappeler, depuis de nombreuses années – en attendent les effets et s'interrogent : que penser aujourd'hui du rôle joué par la France en ce domaine, face au manque [PAGE 28] chronique de maîtres et de professeurs africains et aux insuffisances de leur formation ? La présence d'assistants techniques dans un centre de formation d'enseignants, par exemple, ne garantit pas en elle-même la qualité de la formation initiale qui y est donnée.

L'essentiel est de s'assurer que, d'un commun accord, leur mission a été clairement déterminée (notamment dans le temps), qu'elle est réellement complémentaire des apports nationaux (et non pas qu'elle s'y juxtapose ou qu'elle les chevauche) et que les moyens nécessaires pour l'accomplir (éventuellement avec la participation d'autres bailleurs de fonds) ont été réunis. Les modes d'intervention et les intervenants eux-mêmes doivent s'adapter au but poursuivi et varieront selon qu'il s'agit de renforcer la formation académique des futurs maître, de mettre l'accent sur leur formation didactique ou de leur donner une solide formation professionnelle. Pour être fonctionnelles, les actions de formation continue supposent également une approche par objectifs et une démarche de ce type. La rentabilité de notre système d'appui à la formation des formateurs est à ce prix...

Le "Comité permanent d'évaluation de la coopération en matière de formation", créé par Monsieur Aurillac, répond à ce louable souci d'efficacité. Il peut être d'une grande utilité s'il lance, accélère et régule cette dynamique. A quand l'adoption par la France de cette attitude courageuse et responsable qui consisterait à moduler l'aide à la formation, selon les pays, en fonction de l'adéquation de la politique suivie en la matière à nos propres conceptions ?

Cibler les objectifs et concentrer les moyens

Consciente à la fois de ses limites budgétaires et de l'inadaptation grandissante des actions entreprises dans le domaine de l'Enseignement et de la Formation à la situation de systèmes éducatifs qui contribuaient de moins en moins au développement des Etats africains, la coopération française a été ballottée ces dernières années entre deux attitudes contradictoires : la première, laxiste, consistant à répondre à la demande par une sorte de "coopération-guichet"; la seconde, volontariste et porteuse d'avenir, visant à rechercher des stratégies d'intervention dont le caractère novateur répondait, en fait, à des préoccupations de rendement et d'efficacité.

Aujourd'hui, le second point de vue semble avoir prévalu à Paris (pour combien de temps ?) en dépit du poids énorme de l'habitude et de nombreuses réticences au changement qui se manifestent dès que sont débattues des questions d'éducation, quelles qu'elles soient. Il est vrai que le processus d'évolution des mentalités françaises a été accéléré au niveau supérieur, par l'informatisation, il y a environ cinq ans, de l'ensemble des programmes du Fonds d'Aide et de Coopération et par la rigueur que le procédé impose. Il a ensuite été conforté par la réussite [PAGE 29] reconnue d'opérations de coopération conduites dans d'autres secteurs d'activité, sur la base d'un regroupement des aides disponibles autour d'une même finalité. Enfin ont été entendues les voix de ceux qui, impliqués dans le système depuis un laps de temps suffisamment court pour pouvoir prendre le recul nécessaire, ont refusé de se laisser prendre au jeu déconcertant et navrant d'une coopération par abonnement, inchangée depuis la décolonisation, devenue trompeuse et conduisant à une impasse. Ainsi a pris corps, bon gré mal gré, la notion de coopération éducative par projet...

Loin d'être neuve (diverses aides multilatérales l'ont adoptée depuis longtemps), l'idée d'une mise en projets de la coopération repose sur des principes simples : se mettre d'accord avec nos partenaires sur des objectifs à poursuivre en un temps donné dans un secteur déterminé, y concentrer l'ensemble des moyens – humains, financiers et matériels mis en œuvre (en mettant éventuellement à contribution d'autres bailleurs de fonds) et prévoir, conjointement, un dispositif d'évaluation permettant, notamment, chemin faisant, d'éviter les éventuels dérapages ou de "corriger le tir" si nécessaire. Pour revenir à l'Afrique, il s'agit en somme, pour la France, de ne plus donner l'impression de pouvoir tout embrasser (qu'on l'avoue ou non une politique d'aide tous azimuts est aujourd'hui bien au-dessus de nos possibilités !) mais, de manière contractuelle, de procéder à des choix utiles sur des opérations correctement "ciblées"...

Convaincre des partenaires échaudés

Cette approche intellectuelle et cartésienne de la coopération peut satisfaire sans aucun doute l'esprit français. Elle se heurte, toutefois, à de très importantes difficultés dans son application à des projets éducatifs en terre africaine. Ainsi, s'explique qu'à ce jour, un nombre très limité d'actions méritant le label de projet aient pu réellement être lancées (il en existe au Maroc, au Sénégal, au Congo, en Guinée, et au Tchad pour ce qui est, à notre connaissance, de la formation de formateurs) et qu'aucune conclusion sérieuse n'ait pu encore être tirée de ces quelques ébauches (à l'exception du bilan très positif, semble-t-il, établi à propos de l'opération de formation de professeurs menée dans les Centres Pédagogiques Régionaux marocains, l'expérience la plus ancienne il est vrai). A défaut de références probantes et d'éléments palpables – seuls susceptibles de convaincre les nombreux sceptiques –, le Ministre de la Coopération lui-même en est réduit aux vœux pieux : souhaiter qu'en ce domaine "un saut qualificatif" soit fait dans les meilleurs délais...

Les obstacles majeurs qui contrarient actuellement la mise en projets de notre coopération en matière d'Enseignement et de Formation se situent, à notre avis, à trois niveaux : la relation contractuelle avec les nationaux, notre politique du personnel et le fonctionnement des appareils de coopération. [PAGE 30]

Première pierre d'achoppement : entretenir un dialogue de caractère contractuel avec nos amis africains sur la coopération éducative, culturelle ou linguistique n'est pas une évidence. Bâtir un programme par projets dans un esprit de concertation véritable et à partir d'une relation qui se veut égalitaire implique :

    * que l'aide de la France ne soit plus perçue comme un tout indissociable ou comme un catalogue de moyens disponibles;

    * que l'intérêt d'une approche en co-responsabilité du type contrat soit reconnu;

    * que la démarche sur objectifs s'impose, parce que jugée nécessaire et avantageuse.

Nos partenaires sentent très bien que la réorientation souhaitée de notre aide consiste pratiquement à revoir et à modifier l'ensemble de notre dispositif : assistance technique, bourses, subventions, appuis logistiques et pédagogiques ... On comprend d'autant mieux la défiance de nos interlocuteurs que, dans un passé récent, les redistributions de moyens ou autres revendications de personnels se sont, en général, effectuées à la baisse et que, par ailleurs, elles ont correspondu, dans l'enseignement, à la remise en cause quasi systématique d'une coopération de substitution à laquelle ils demeurent profondément attachés. A juste titre, serait-on tenté de dire, car la substitution se justifie encore (ne serait-ce que dans l'enseignement technique et professionnel ou sur les profils "pointus" pour lesquels aucune relève n'est assurée par exemple). Toutes ces raisons expliquent qu'ils ne soient pas prêts à digérer aussi facilement la pilule ! Il nous faut convaincre avec des arguments solides. Le transfert d'hommes et de crédits vers des opérations de la nature des projets ne saurait s'effectuer sans difficultés, réticences et blocages de toutes sortes, dans la mesure où il nécessite une démarche contractuelle sur plusieurs plans : accord "politique" d'abord (objectifs généraux fixés entre gouvernements), accord-programme discuté localement ensuite (objectifs spécifiques entre la Mission française de Coopération et les Départements ministériels concernés), accord sur les opérations de terrain enfin (au plan technique et pédagogique entre le Chef de projets, les opérateurs français et les responsables nationaux impliqués). Concrètement, c'est cette stratégie de concertation par strates qu'il nous faut systématiquement déployer pour mettre en œuvre de manière opérationnelle une coopération éducative par projets.

Pour une véritable politique du personnel

Second frein – et non le moindre – à l'évolution de notre stratégie d'intervention dans l'Enseignement et la Formation en Afrique : la Politique pratiquée par la France en matière d'assistance technique. [PAGE 31]

Sur les 21 500 coopérants français (civils ou volontaires du service national) opérant à travers le monde,[15] 7 700 exercent cette année en Afrique subsaharienne. Parmi eux, 6 000, environ, sont des enseignants. Objet de curiosité, cette race étrange, familière des aéroports africains qu'elle envahit, par vagues successives, avec famille, armes et bagages, ces migrants au service de la langue et du développement ont été, maintes fois, observés, répertoriés, caricaturés sur tous les tons, du langage journalistique grinçant[16] à l'étude ethno-sociologique badine.[17]

Population hétéroclite, ils constituent le potentiel humain de la coopération, en l'occurrence une force de frappe a priori considérable et essentielle, le moteur même du développement. Une attention toute particulière mérite donc d'être portée au choix et à l'utilisation de cette main d'œuvre, au demeurant coûteuse, avec le souci de mesurer son impact tant pour la France que pour nos partenaires.

Il est curieux de constater que le ministère de la Coopération ne se soit jamais doté d'une politique du personnel qui soit à la hauteur de sa mission et de ses ambitions. En matière de coopération éducative, en particulier, tout se passe, depuis des années, d'une part comme si enseigner en France et exercer à l'étranger étaient des tâches strictement équivalentes, d'autre part comme si savoir enseigner c'était pouvoir former. L'importance numérique des enseignants au sein du personnel de coopération (et donc la lourdeur de l'appareil) ne suffit pas à expliquer que les problèmes posés à l'assistance technique enseignante aient pu être aussi longtemps esquivés. Le silence a été rompu et le sujet, dans son ensemble, largement disséqué par Monsieur Alain Vivien dans un rapport intéressant qui fit grand bruit en 1982[18] mais qui, malheureusement, n'a guère apporté de changement.

A notre connaissance, aucune mesure importante susceptible d'améliorer le rendement en Afrique du dispositif français d'assistance technique dans le secteur éducatif n'a été prise. Or, si dans le passé, un certain nombre d'insuffisances à ce niveau ont pu être dénoncées, dans le présent et dans la perspective d'une coopération par projet, l'inadaptation de l'outil aux fonctions qu'il est appelé à remplir est criante. Aujourd'hui, la mise sur rails d'une coopération éducative de type contractuel [PAGE 32] et sur objectifs nécessite, plus que jamais, que soit totalement revue la politique du personnel enseignant d'assistance technique, notamment et en toute première urgence :

a. le recrutement de l'assistance technique :

L'adoption de nouvelles procédures de sélection pour les enseignants français envoyés en Afrique (quels qu'en soient le prix et les difficultés d'exécution) est une évidente priorité. Il faut d'abord s'affranchir d'une première idée préconçue (et vivace !) qui consiste à croire (ou à laisser croire) qu'un bon enseignant français est nécessairement "un produit exportable", sans prendre la précaution de s'assurer qu'il possède, outre sa compétence professionnelle, au moins trois qualités indispensables au méfier de coopérant : la capacité d'adaptation (il en aura besoin !), la motivation (aucune action de formation ne peut être valablement conduite sans une adhésion à la coopération dans son ensemble et aux fonctions à remplir en particulier) et la disponibilité (hors de l'hexagone, le coopérant a des compensations suffisantes pour qu'il ne soit plus question de "faire ses 12 ou 15 heures" hebdomadaires, n'exportons pas nos maux !)

Si une telle approche est admise, cela implique que le recrutement sur dossiers qui se pratique actuellement, ne soit plus considéré comme suffisant, d'autant qu'il se fait en grande partie "au barème" (lequel est basé essentiellement sur l'ancienneté de services et de situation familiale), comme si un enseignant – tel le bon vin ! – s'améliorait automatiquement en vieillissant et qu'un homme marié avec trois enfants enseignait mieux qu'un célibataire du même âge ! Dans la vaste entreprise qu'est la coopération, employant un personnel volontaire, tenir de tels discours ne relève pas de l'utopie mais d'une préoccupation d'efficacité.

La seconde idée, préconçue, que le système de recrutement actuel ne permet pas de déjouer, est liée à la confusion qui est entretenue entre deux appellations apparemment voisines, enseignant et formateur. La coopération éducative a de plus en plus besoin de professionnels de la formation. En mettant dans le circuit un pourcentage souvent élevé de personnel peu expérimenté, en transformant ipso facto, au bénéfice d'un changement d'affectation, un enseignant de substitution en formateur sans prendre d'autres garanties, l'administration de la coopération fait preuve d'un laxisme qui, la plupart du temps, lui coûte cher : un enseignant, aussi compétent soit-il, ne fait pas nécessairement un bon formateur ! Des critères sérieux d'identification pourraient être aisément dégagés sur ce thème. Car ce "maître Jacques", cet "oiseau rare" appelé formateur existe ! C'est avant tout un enseignant solide, un praticien ouvert au monde et tolérant ce qui ne l'empêche pas d'être critique !), apte à l'observation et au dialogue, respectueux de "l'autre", à l'aise en équipes et dans les situations de communication sociale les plus diverses, [PAGE 33] possédant, en outre, un esprit de curiosité, de découverte et d'initiative. C'est le contraire d'un "fondamentaliste" ou d'un "spécialiste". En outre, c'est quelqu'un qui sait entretenir avec l'enseignant à former une relation d'égalité. Autant de pistes à creuser... Aucun diplôme ne garantit ces aptitudes !

b. Le statut et le rôle de l'assistant technique formateur :

Un recrutement de qualité est une affaire d'hommes. Dans l'Enseignement et la Formation, il ne pourra être assuré sans qu'un certain nombre de mesures "attractives" soient prises en faveur des dits formateurs. L'argent et les conditions de vie sont, à coup sûr, des leviers puissants; le français ne s'expatriera pas pour rien et "faire du F. CFA" n'est pas une image d'Epinal ! A cet égard, la grille salariale appliquée depuis 1978 aux assistants techniques enseignants, comparée à celle dont bénéficient les coopérants techniciens, est tout à fait injuste : à indice égal de rémunération dans la fonction publique française, un technicien a, en Afrique, un salaire souvent beaucoup plus élevé que son homologue enseignant, grâce au jeu modulaire de l'indemnité dite d'expatriation. Il faut bien admettre que pour les intéressés, "les conditions de rémunération, la couverture sociale et médicale, la scolarisation des enfants, les régimes sociaux, l'exercice des droits sociaux, syndicaux et politiques, le bénéfice de la formation permanente, compensent de moins en moins les difficultés de la situation d'expatrié temporaire".[19]

Fermons la parenthèse... Il importe par ailleurs de répondre à un souci légitime de carrière. Actuellement, qu'on le veuille ou non, un enseignant-formateur qui part travailler à l'étranger en position de détachement, est, à coup sûr, pénalisé dans son administration d'origine, à savoir l'Education Nationale. Pour de multiples raisons et en dépit des textes en vigueur, il réintégrera la France dans des conditions acrobatiques ou difficiles, la plupart du temps sans que son expérience africaine soit prise en considération. D'où la nécessité impérieuse de revoir son statut et les termes de son contrat de coopération. Dans cette perspective, nous feront nôtre l'idée de la "lettre de mission" développée par Claude Olivier[20] qui propose, à juste raison, d'inclure au contrat habituel, à caractère purement administratif, un "contrat pédagogique" valorisant pour le formateur. Ainsi pourrait être fixée "la place de la formation dans le dispositif et les règles de fonctionnement (obligations, avantages, durée du contrat, modes d'évaluation etc...)" Il s'agirait "pour l'institution, de préciser son projet et, pour l'enseignant qui accepte d'y [PAGE 34] collaborer, de réfléchir sur la manière dont il est disposé à s'inscrire dans ce projet".

A la recherche de synergies

Troisième entrave à la mise en place de projets en Afrique dans le domaine de l'Education : le fonctionnement des structures françaises de coopération. Les problèmes se situent à deux niveaux : le Ministère de la Coopération et, dans les postes diplomatiques, les Missions de Coopération et d'Action Culturelle.

Vu de l'extérieur, il est difficile de porter un jugement objectif sur le fonctionnement du Ministère lui-même. Il semble vivre de plus en plus en une sorte d'autarcie qui l'éloigne des réalités du terrain... et des hommes. Il donne une étonnante impression de sérénité et d'assurance sans être réellement la force d'impulsion convaincante dont l'assistant technique de base, qui écoute Radio-France International, aurait besoin. Outre qu'elle est "centralisante", cette Centrale, précisément – qui est pourtant organisée dans une logique de filières propice à l'intégration d'un ensemble de moyens à des projets pédagogiques – paraît davantage gérer le quotidien que montrer le visage d'un organe volontaire qui applique une politique...

Les missions de Coopération sont, pour leur part, des relais vitaux entre le Ministère, l'assistance technique et les instances nationales. De ces structures – en l'occurrence du profil et de la qualité des personnes qui y exercent – dépend en grande partie la réussite d'une coopération par projet. Il est inutile d'insister sur la multiplicité des tâches qui leur incombent... Les assistants techniques, opérateurs en prise directe avec les réalités, doivent non seulement s'y sentir en confiance mais y trouver des oreilles réceptives, disponibles et compétentes, connaissant le terrain, prêtes à les conseiller utilement et à infléchir leur action. Une attention toute particulière mérite donc d'être portée au choix des hommes appelés à occuper ces postes de responsabilité dont le profil est en train d'évoluer. Dans ce cadre et dans l'esprit des projets, le Conseiller chargé des questions éducatives, culturelles et linguistiques, qui gère et suit ces dossiers, constitue pour les formateurs (en particulier pour les Chefs de projets dont l'existence est indispensable) un interlocuteur éclairé et responsable, engagé comme eux sur la base d'une relation égalitaire et de confiance réciproque dans la dynamique des opérations. Les réactions de nos partenaires et de l'assistance technique, l'adhésion à un projet ou son rejet dépendent en grande partie, d'une part, de sa capacité de persuasion et de mise en œuvre, d'autre part, de son comportement et de celui du Chef de Mission (il ne faut pas oublier qu'en Afrique les relations personnalisées et affectives ont beaucoup plus de poids que les rencontres institutionnelles !). [PAGE 35]

Ce vaste tour d'horizon s'achève sur les espoirs fondés sur une politique de coopération par projet qui nous inspire confiance, chacun l'aura compris. Cette approche stratégique et méthodologique peut-elle fournir une réponse au problème linguistique initialement posé ? Une certitude : les Africains souhaitent apprendre le français. La mise en œuvre d'un processus de concertation permanente sur objectifs sera au moins l'occasion de nourrir une réflexion sur ces questions et d'éviter que la langue française ne se trouve dans une position difficile par rapport aux langues africaines. C'est, en outre, concourir, de manière plus efficace, grâce à des programmes réalistes, ceux-là !, intéressant la région ou le pays, à l'amélioration de l'apprentissage du français, au renforcement de l'environnement francophone et au développement de la langue à travers de nouvelles voies. Car relancer le français, ce n'est pas nécessairement relancer les systèmes éducatifs. Devenue en Afrique langue de l'Ecole, la langue française peut avoir l'ambition, par ce biais, d'être aussi de plus en plus – et sans choquer personne – l'une des langues majeures de la rue.

Gérard RENOU
Article paru dans Géopolitique Africaine, Février 1988


[1] Voir C. DESOUCHES. "Difficile gestation d'un ensemble cohérent", Géopolitique africaine, Décembre 1986, p.105-126.

[2] Voir M. AURILLAC, " Les nouvelles orientations de la politique française de coopération", Publication Ministère de la Coopération, 1986, p.21.

[3] AURILLAC (M.), op. cit., p.21.

[4] Voir Jacques RIGAUD, "Les relations culturelles extérieures", la documentation française, Paris, 1980.

[5] Voir l'A B C de la coopération française, Publication Ministère de la Coopération, 1987.

[6] Voir L.E. HOVINE, "Francophonie et Coopération", La coopération multilatérale francophone, Paris, ACCT-Editions Economics, Août 1987, p. 322.

[7] Voir Harold HOUGHTON, L'Education Africaine, Hier et Aujourd'hui.

[8] Voir "Panorama de l'action du Ministère de la Coopération", Etudes et Documents, no 38, Février 1980, p.51.

[9] Voir J.P. MOUNIER et F. DUMONT, "Propositions pour une nouvelle politique de coopération dans le domaine de la formation", Ministère de la Coopération, Mars 1982, p.1.

[10] Voir A. BOUCHER, "Transfer et Formation", Publication CFECTI, 1980.

[11] C.f. Les nouvelles orientations de la politique française de la coopération, op.cit.

[12] C.f. Les nouvelles orientations de la politique française de la coopération, op. cit.

[13] C.f. Les nouvelles orientations de la politique française de la coopération, op. cit.

[14] Sur cette question, les points de convergence entre le rapport de J.P. MOUNIER et F. DUMONT et les nouvelles orientations de la politique française de la coopération de M. AURILLAC, déjà cité, sont nombreux.

[15] Lire "Les Coopérants", Revue Nord-Sud, no 16, Déc. 1985.

[16] Voir "Coopérants : croquis au vitriol", Jeune Afrique no 1113, 5 mai 1985, p.29-30.

[17] Voir F. de NEGRONI et M. SIMEON, "La récréation sociale des coopérants français", Revue française d'études politiques africaines, octobre 1975.

[18] Voir A. VIVIEN, " Rapport sur le personnel d'assistance technique en Coopération", Octobre 1982.

[19] Voir Alain BOUCHER, "Réflexions sur les fonctions, les rôles et le statut de l'assistance technique", Publication CIFACE.

[20] Voir Claude OLIVIERI, "Pour un nouveau contrat pédagogique", Revue Dialogue, Décembre 1986, p.18.