© Peuples Noirs Peuples Africains no. 55/56/57/58 (1987) 35-47



II. – UN PAYS, AUX MILLE VERITES ?

Le Cameroun suscite depuis plus de vingt ans une méprisable littérature dans certains magazines spécialisés et à gros tirage; des journalistes complaisants, très probablement mercenaires, s'y livrent régulièrement à de plaisantes contorsions dialectiques, à force de nier les évidences, de déformer les faits, de réduire les réalités d'une situation sans exemple selon des grilles imposées par l'orchestration des idéologues néo-colonialistes. Jeune Afrique s'est longtemps distingué dans ce sport, trop répandu malheureusement, imité avec plus ou moins de bonheur et de constance par le défunt Afrique-Asie. Le magazine londonien « West Africa », après s'être tenu à l'écart de cette compétition de mauvais goût, s'est jeté récemment, lui aussi, dans la complaisance alambiquée, comme en témoignent deux textes reproduits ici in-extenso.

Il reste que des publications africaines, en général pauvres et engagées, se refusent à mâcher leurs mots, appelant un chat un chat, et le Cameroun d'Ahidjo et de Biya un laboratoire de la violence et de la mystification néo-coloniales. C'est notamment le cas du magazine nigerian « The Analyst ».

P.N.-P.A.

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VOYAGE DE RETOUR

Jonathan DERRICK

Quelques impressions personnelles par Jonathan Derrick (West Africa, 9 février 1987, pp. 252-254).

On m'avait prévenu de m'attendre à voir beaucoup de changements, et j'avais en effet beaucoup lu à ce sujet, de sorte qu'après huit ans d'absence voyageant au Cameroun, un pays que j'avais bien connu dans les années 70, je fus surtout impressionné par la quantité de choses restées les mêmes spécialement dans les deux villes principales de Douala et Yaoundé.

Les deux villes ont certainement subi un grand renouveau. Cependant le centre historique de Douala – à savoir Bonanjo, Akwa, Bali, New-Bell – ayant peu changé, je pus facilement me retrouver dans les rues familières. A Yaoundé les rues du centre ville ont changé davantage, mais beaucoup d'entre elles sont restées les mêmes.

La prospérité pétrolière, les constructions, et l'expansion sont néanmoins visibles partout où l'on va. Le premier signe de l'expansion des constructions de ces dernières années fut pour moi le nouvel aéroport de Douala situé à côté de l'ancien – lequel semblait parfaitement moderne et adéquat dans les années 70 – et qui a l'air aujourd'hui d'une relique historique. Dans quelques années il y aura un aéroport international encore plus moderne à Yaoundé. A l'extérieur de l'aéroport de Douala se trouve à présent une double allée qui va directement de Banjo à la nouvelle route Douala-Yaoundé. Cette route, bien entendu, est à bien des égards la réussite la plus spectaculaire dans le domaine des constructions. Depuis son achèvement en 1985, les deux villes principales du Cameroun sont à trois heures de distance par voiture, alors que dans le passé elles étaient reliées par un chemin étroit et boueux souvent fermé à la circulation par la pluie.

La « capitale financière » et la vraie capitale sont toutes les deux en pleine expansion. A Douala d'anciens villages bassa comme Ndokoff et Ndosimbi sont maintenant pleinement inclus dans le secteur urbain de l'est. De nouveaux secteurs comprennent plusieurs maisons modernes, certaines bâties à titre privé mais la plupart construites par le gouvernement; Bonamoussadi est une « nouvelle ville » principale dont la construction a été complétée en 1985, et Makepe en est une autre. A l'intérieur du vieux secteur urbain on peut voir un bon nombre de nouveaux immeubles comme par exemple des banques. [PAGE 37]

L'impression la plus saisissante que vous laissent les deux villes principales, de même que certains autres endroits du Cameroun, est celle de la quantité d'argent qui y circule. Seule une minorité en possède il est vrai, mais en est largement munie. La somme totale d'argent fournie par le pétrole depuis 1977 n'est pas encore connue du public, bien que la politique extraordinaire de secret total sous Ahidjo ait été modifiée par Biya et que ce dernier ait récemment admis que la chute mondiale des prix du pétrole allait certainement fortement atteindre le Cameroun qui ne fait pas partie de l'OPEC.

Les dépenses effectuées par l'élite comprennent les téléviseurs et les magnétoscopes achetés avant même que la télévision camerounaise (TVC) n'ait commencé sa diffusion en 1985; et bien entendu ce type de dépense s'est largement accru depuis. Cependant les dépenses les plus visibles de la haute bourgeoisie se trouvent être celles faites pour l'achat de voitures privées. A Douala et Yaoundé, le nombre de véhicules a doublé ou triplé en huit ans. Il était possible de traverser Douala en une demi-heure en voiture même à midi en pleine heure de pointe. Maintenant il est plus commun de voir de gros embouteillages. Par moment même la police camerounaise semble perdre le contrôle de ce trafic anarchique.

La criminalité est un autre sous-produit de l'expansion pétrolière au Cameroun et au Nigeria. Dans le passé, malgré toutes les exactions d'un gouvernement policier et répressif, tout le monde convenait que le Cameroun était (relativement parlant bien sûr) un pays où les rues ne représentaient aucun danger. Aujourd'hui Douala est moins dangereux que Londres ou Lagos, mais le crime y règne.

De même qu'au Nigeria, la vague de criminalité n'est pas entièrement due à l'expansion du pétrole, mais est certainement aggravée par la pauvreté du peuple qui fait face en pleine inflation à l'affluence progressive de quelques élus. Dans les villes les loyers seuls sont un fardeau intolérable pour la majorité, sans compter les autres hausses dans le coût de la vie. Les véritables taudis ne semblent pas être plus nombreux à Douala ou Yaoundé que par le passé, mais les habitations de qualité inférieure sont communes et leurs propriétaires font fortune.

A certains égards les centaines de milliers de Nigérians qui vivent et travaillent au Cameroun (où je pense qu'il n'y a jamais eu une suggestion sérieuse de représailles pour les deux expulsions massives d'Africains par le Nigeria) y trouvent les conditions de vie meilleures que celles qu'ils ont connues. Les pénuries, les goulets d'étranglement des importations, et autres fautes professionnelles provenant de vaines tentatives à maintenir une monnaie indépendante au Nigeria et bien d'autres pays, sont absents dans la zone franche du Cameroun. Les marchandises sont disponibles partout; il y a peu de choses que l'on ne puisse pas acheter légalement, venant d'un grande nombre de pays du monde, si l'on a suffisamment d'argent. Ceci ne s'applique pas seulement aux « jouets » des riches (qui s'occupent de toutes façons d'eux-mêmes dans des pays tels le Nigeria ou le Zaïre, et partout ailleurs). Les gens ordinaires au Cameroun peuvent se rendre dans les petits [PAGE 38] magasins de toutes les villes et dans des villages innombrables et y trouver du sucre, du savon, de la pâte dentifrice, du lait en conserve, des lames à raser ainsi que d'autres articles nécessaires à la vie contrairement aux gens ordinaires d'autres pays africains. Malgré les objections politiques qui s'y rattachent, l'idée que la zone franc avec son libre transfert de monnaie et son système de commerce libre ne sont bons que pour les riches peut maintenant être écartée. Il n'est donc pas étonnant que le Cameroun n'envisage pas d'abandonner la zone franc. Par ailleurs attribuer cette décision simplement à sa servilité à la France n'est plus une explication défendable[1].

Cela ne veut pas dire que le Cameroun n'a pas de problèmes économiques; il en a plusieurs. Si les pénuries ne font pas partie de la vie de tous les jours, les pénuries périodiques de certains articles ont lieu de même que les profits excessifs et autres malversations par les commerçants. Le taux d'inflation est grave et le coût de la vie est à présent un véritable souci. Les prix des aliments ont leurs hauts et leurs bas, mais la tendance est à la hausse. Le contrôle des prix s'applique uniquement aux fabricants pour lesquels il est efficace, du moins en ce qui concerne le prix de la bière, boisson nationale dont le prix a presque doublé en huit ans. D'autres marchandises sont sujettes à une plus grande inflation. Deux types de dépenses pour les familles sont devenus particulièrement pénibles : les loyers, déjà mentionnés, et les frais de scolarité et d'uniformes des lycées. Le coût de l'instruction dans le secondaire est devenu réellement prohibitif pour plusieurs familles.

Comme c'est le cas partout en Afrique, le chômage est aggravé par le nombre d'étudiants dans le secondaire qui abandonnent l'école. Bien que plusieurs d'entre eux tentent d'obtenir le Baccalauréat ou du moins le Brevet comme candidats libres, la plupart des titulaires de ces diplômes ne réussissent pas à trouver du travail; pas même les universitaires. Ceci ne veut pas dire bien sûr que l'éducation universitaire soit moins recherchée que par le passé. L'université du Cameroun déborde d'étudiants (son mauvais état est l'objet de plaintes fréquentes), et plusieurs Camerounais partent toujours poursuivre leurs études à l'étranger, spécialement en France, ce qui est remarquable vu que le coût des études est tellement élevé pour les étudiants étrangers. Les lois relatives aux passeports (qui ne sont pas un droit) aux visas de sortie (obligatoires pour tous les Camerounais) de même qu'aux acomptes qui doivent être versés par les voyageurs d'outre-mer et qui étaient en vigueur sous Ahidjo, ont été pleinement maintenues, et bien qu'elles ne gênent pas les gens ordinaires qui passent la frontière de l'ouest du Cameroun au Nigeria, elles ne peuvent être évitées par les étudiants se rendant en France, ou bien par leurs parents. Aussi élevés que soient les frais, la plupart d'entre eux parviennent à trouver les fonds nécessaires. Mais que dire à propos de l'embauche des diplômés de retour ? [PAGE 39] Les chômeurs hautement diplômés sont maintenant monnaie courante au Cameroun.

La concurrence pour les postes doit aggraver le problème de la position des Camerounais de l'Ouest dans le pays, bien que ce problème qui a été longuement traité dans West Africa ait plusieurs autres causes (c'est bien sûr un sujet tabou au Cameroun). Les griefs politiques et économiques des « anglophones » n'affectent en rien le maintien et le progrès du « bilinguisme »[2] qui sont évidents partout; et la jeune génération de « francophones » apprend de mieux en mieux l'anglais.

Comme par le passé, le Cameroun est un pays dépourvu de tensions ethniques sérieuses. A Douala et Yaoundé les Bamilékés forment depuis longtemps la communauté ethnique la plus nombreuse, mais ceci ne cause aucun problème; les Bamilékés s'attirent les sentiments que provoquent un peu partout les communautés commerçantes et travailleuses (Ibos, juifs, arméniens, etc.), mais dans leur cas ces sentiments ne s'expriment qu'en railleries. Bassas, Ewondos, Bamilékés, « anglophones », et autres coexistent en paix dans les grandes villes. Il y eut en 1984, une rancune temporaire contre les nordistes à Yaoundé à la suite du coup d'État manqué, et certains d'entre eux quittèrent la ville, mais cela fut de courte durée; et les choses reprirent aussitôt leur cours normal.

La situation pacifique au Cameroun plaide-t-elle en faveur du maintien du système rigide du parti unique comme le dit le gouvernement ? ou bien au contraire est-elle un argument pour qu'il prenne fin ? Cette seconde option est rejetée définitivement par le gouvernement. On évoque le grand progrès des élections « démocratiques » des membres officiels du parti l'année dernière. Néanmoins à comparer à celles de pays à parti unique où les élections législatives sont contestées comme la Tanzanie, elles sont bien peu de choses. Au Cameroun tous les pièges du parti unique du régime Ahidjo sont encore présents. Le culte de la personnalité du président est aussi extrême que sous le règne de son prédécesseur; et la télévision camerounaise lui a effectivement donné une nouvelle dimension.

La TVC est excellente du point de vue technique, mais ses reportages d'événements nationaux sont définitivement restreints. Elle peut cependant publier des critiques comme c'est le cas pour la presse. Récemment la TVC a transmis un programme intéressant sur Ebolowa au cours duquel un nombre de problèmes relatifs à la capitale de la province sud, tel par exemple le mauvais état des routes, furent soulignés et on questionna là-dessus Charles Assale, maire et homme politique de longue date. Cela pourrait sembler bien insipide, mais de telles choses parues sur la TVC ou bien dans le Cameroon-Tribune n'étaient jamais arrivées auparavant.

L'espoir pour une vraie libéralisation sous Biya (que j'ai brièvement [PAGE 40] partagé, parmi d'autres) a vite été écrasé. Les fonctionnaires gouvernementaux retiennent un énorme pouvoir dont ils abusent souvent malgré les condamnations officielles de crimes d'ordre bureaucratique dont l'étendue est bien connue. La police n'a rien changé dans ses méthodes. Elle continue à tourmenter le peuple et à lui extorquer de l'argent comme d'habitude. Le taux fixe de l'impôt, méchant héritage colonial que certains pays africains ont aboli, survit au Cameroun bien qu'il ne puisse être mis en vigueur dans les villes.

Cependant le gouvernement s'est montré par certains endroits plus sensible aux besoins du peuple que par le passé. L'exécution longtemps promise de la route Douala-Yaoundé en est un exemple; et bientôt une nouvelle route reliera Kambo à Mamfe. Mais c'est toujours le gouvernement autoritaire qui accorde les développements par décret et au compte-gouttes, et qui se vante de ses réussites plutôt qu'un débat public sur les besoins du peuple. A cet égard comme à plusieurs autres, cependant, le Cameroun ne fait que se conformer à la norme relative à une grande partie de l'Afrique.

Bien qu'aucun défi au régime actuel ne soit permis, j'ai constaté avec intérêt que les références au passé récent ne sont plus censurées comme auparavant. Ceci est l'indication d'un changement subtil, qui n'a pas été rendu public mais qui pourrait être important.

Le Messager, un journal publié légalement à Douala, parle ouvertement de l'UPC, parti révolutionnaire des années 50, d'une manière qu'on n'aurait pu imaginer sous Ahidjo. A l'université les cours d'histoire contemporaine entraînent une discussion libre sur l'UPC par les conférenciers et les étudiants. Des livres qui traitent objectivement ou même favorablement du parti de gauche banni sont maintenant ouvertement en vente au Cameroun. L'État au Cameroun de François Bayart, une étude – pas entièrement pro-UPC mais certainement objective et très révélatrice par son style froidement clinique – sur le régime Ahidjo à qui elle avait déplu se trouve dans les librairies. Plus remarquable encore est l'ouvrage de Richard Joseph intitulé Le Nationalisme radical au Cameroun qui traite de l'UPC et se montre très sympathisant envers elle, a maintenant une édition française qu'on trouve au Cameroun, et le Dr Joseph lui-même a été interviewé récemment par le Cameroon-Tribune. On peut à présent prédire que le nom de Ruben Um Nyobè pourra être de nouveau mentionné.

Tout cela paraîtrait dérisoire dans bien des pays, mais a une signification au Cameroun. Faire face à la vérité du passé peut ouvrir de nouvelles voies.

Jonathan DERRICK
Texte traduit par Josette Ackad,
Sydney, novembre 1987

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LE MONSTRE DU LAC NYOS

West Africa, 14 septembre 1987, pp. 1772-1773.

A peu près à cette époque l'an dernier, les Camerounais pleuraient encore la mort de près de 2 000 victimes du gaz toxique du lac Nyos; les scientifiques restent encore perplexes au sujet du désastre et les témoignages disponibles suggèrent que n'importe lesquels des soixante lacs dans la « ligne volcanique camerounaise » pourraient être potentiellement dangereux pour les Nigérians et les Camerounais habitant la région. Un correspondant le dit.

Les scientifiques à la recherche d'indices sont maintenant disposés à écouter les fables, légendes ou autres récits concernant les lacs diaboliques qui entourent le Mont Cameroun – « zone linéaire à croûtes faibles ». Selon le docteur Sam Freeth, membre de l'équipe de scientifiques britanniques venus enquêter au lac Nyos, « les vieilles gens pourraient connaître des histoires d'esprits malins qui seraient en fait l'histoire orale des gaz dégagés depuis des décades ou des siècles ». Freeth pense que l'histoire orale du peuple kanuri du sud de Borno au Nigeria pourrait contenir des preuves sur l'activité volcanique catastrophique du passé.

En ce qui concerne le présent, l'incident du lac Nyos risque de finir en légende du Cameroun. Au terme de la conférence de mars dernier, plus de cent savants complétèrent les détails de ce qui était arrivé au lac Nyos sans pour autant se mettre d'accord sur la cause de l'événement. Voici le récit du désastre à ce jour : Dans la nuit du 21 août de l'an dernier trois millions de mètres cubes de carbone bioxyde mêlés à 200 000 tonnes d'eau se sont dégagés du lac Nyos et ont asphyxié au moins 1700 personnes. La conférence a conclu que « la raison de base » de cette catastrophe « est en définitive liée au fait que le Cameroun est coupé par une zone linéaire à croûtes faibles ». Mais, poursuit le compte rendu de la conférence, « malgré les informations détaillées dont nous disposons maintenant sur l'état actuel du lac, on sait très peu de choses au sujet de son état avant l'éruption du gaz... Tout modèle construit afin d'expliquer l'éruption du gaz du lac Nyos devra s'appuyer sur certaines assertions soutenues uniquement par des preuves indirectes. Ces genres d'arguments auraient des degrés variables d'importance dans les esprits des différents savants qui s'en occupent ».

Les personnes ordinaires qui ne peuvent pas comprendre pourquoi la nature les a choisies pour en faire des victimes utilisent leur imagination pour combler les trous laissés par les savants. Dans une sorte de superstition moderne, plusieurs personnes sont maintenant prêtes à croire que le désastre du lac Nyos a été humainement créé. Selon la publication américaine, le National Enquirer, parmi toutes les théories qui sous-tendent la « superstition » en question, la plus forte en celle d'essais secrets américains d'une arme meurtrière – la bombe à neutrons. [PAGE 42] Il y a ceux qui soutiennent leur théorie de complot en la comparant au comportement du gouvernement durant un incident semblable au lac Monoum il y a de cela deux ans.

Le docteur Freeth a été surpris de n'avoir appris qu'« accidentellement » l'incident du lac Monoum. Bien que le nombre de morts ne s'élevât qu'à trente-sept, chiffre mineur, les ressemblances scientifiques furent telles que certaines précautions contre les méfaits du lac Nyos auraient pu être possibles. Reste maintenant un fait scientifique probable : le mois d'août (14 août en 1984, 21 août en 1986) est le mois pendant lequel des « monstres » criminels surgissent des lacs dans la région montagneuse. Cependant, le résultat des enquêtes au lac Monoum ne fut publié qu'au début de cette année. Pourquoi ?

Que l'événement fût humainement créé ou pas, les faits suivants n'en demeurent pas moins vrais : le lac a été formé au courant du dernier millénaire par une éruption volcanique. Des analyses détaillées de spécimens aquatiques pris après le désastre montrent que le lac contient environ 20 % de carbone bioxyde dissout d'origine magmatique issu d'un réservoir qui nourrissait le volcan à l'origine de la formation du lac. Une preuve physique autour du lac suggère qu'un large volume d'eau et de gaz a été rejeté par le lac. Les calculs indiquent que la quantité de carbone bioxyde qui peut être relâchée par un lac saturé correspond à celle qui a formé le nuage mortel responsable du désastre. L'examen médical des victimes aussi bien que celui des survivants montre que la seule cause plausible des décès fut l'asphyxie dans une ambiance carbonisée.

La question principale que se posent les scientifiques est la suivante : Qu'est-ce qui a bien pu déclencher le dégagement du carbone bioxyde ? L'équipe des scientifiques britanniques rapporta que selon eux « le renversement convexionnel fut la cause du relâchement d'un nuage dense, frais et toxique provenant d'un lac intrinsèquement instable et hautement chargé de carbone bioxyde ». Néanmoins, le Dr Freeh dit que l'expression « renversement convexionnel » n'était qu'une expression scientifique passe-partout voulant dire que « quelque chose » d'externe avait perturbé les conditions normales des eaux du lac Nyos.

D'après le compte rendu de la conférence, la stabilité du lac peut-être troublée par plusieurs forces que l'on pourrait classer en deux catégories : « (a) des forces qui sont libérées à cause des propriétés physico-chimiques internes du lac comme système dynamique; et (b) des forces mécaniques externes qui perturbent l'équilibre physico-chimique... Les informations à notre disposition ne permettent pas de faire une distinction claire entre les alternatives à tirer ». Il ne sera possible d'être plus précis que lorsque les savants auront répondu à un nombre de questions telles que : Comment le gaz pénètre-t-il dans le lac ? Pourquoi les lacs Monoum et Nyos avaient-ils été nourris par une aussi grande quantité de gaz et non pas les autres ?

La conférence conclut qu'« il est impossible d'exclure la possibilité de la survenance d'autres événements potentiellement désastreux dans la région du lac dans l'avenir ». Des suggestions pour réduire cette probabilité [PAGE 43] comprennent « une désintoxication contrôlée » des eaux du lac en supprimant l'eau saturée du fond du lac en utilisant des trous de sonde qui atteindraient le système hydrothermal situé sous le lac de façon à diminuer l'écoulement du gaz au sommet du lac.

L'impression qu'on en tire est que les scientifiques sont d'accord que toute mesure préventive prise maintenant ne pourrait au mieux que souligner des symptômes puisqu'ils ignorent ce qui se passe dans la région. Pour la même raison ils ne sauraient dire quand le monstre du lac Nyos fera sa prochaine apparition : « Il a été établi qu'aucune méthode de prédiction sûre ne pourrait être envisagée ». La conférence dressa ensuite la liste des critères qui doivent être contrôlés pendant au moins une année au bout de laquelle on pourrait tenter de faire une prédiction.

Aux yeux du profane il semble que les scientifiques savent trop peu de choses sur le lac Nyos pour pouvoir fournir une aide quelconque susceptible d'apaiser les craintes de danger dans la région. La responsabilité incombe donc aux Camerounais qui feraient bien de recruter les Nigérians pour renforcer l'enquête. Des soixante lacs qui ont besoin d'être examinés, seuls quatre ont été l'objet d'un examen quelque peu détaillé. Le contrôle des conditions climatiques vient à peine d'être commencé avec l'établissement il y a moins d'un an d'une station météorologique à Bamenda.

Si l'anticipation d'un désastre est difficile, l'expérience acquise en y faisant face pourrait peut-être s'améliorer après Nyos. La mission catholique qui s'est occupée des opérations de sauvetage dès le début n'est pas d'accord là-dessus. Elle a constaté que la population a perdu sa dignité à cause de l'incident qui a « changé la mentalité des gens d'une façon dramatique les rendant apathiques et entièrement dépendants des provisions fournies par le monde entier ». Les missionnaires sont inquiets en raison du « petit nombre de personnes dans le pays encore intéressées au sort des victimes ».

Des observateurs pensent que le manque d'intérêt du gouvernement camerounais a été évident dès la première semaine du désastre alors que le Premier Ministre israélien, qui faisait sa première tournée en Afrique, recevait un accueil de premier ordre pendant qu'on enterrait encore les victimes. Pour certaines personnes, la date de cette visite étoffe la suspicion à l'égard des Israéliens qui en accord avec les États-Unis auraient été responsables du désastre. Chose étrange la grande équipe de dix-huit savants israéliens qui accompagnaient le Premier Ministre, et furent le premier contingent d'experts à arriver sur la scène du désastre, a gardé un silence remarquable au sujet de ses découvertes.

La politique de désastres illustrée par le lac Nyos a trois groupes d'acteurs. Il y a d'abord le groupe de sympathisants internationaux qui voudraient venir en aide à la nation camerounaise et à son peuple. La véritable responsabilité d'agir incombe aux autorités camerounaises elles-mêmes handicapée par le manque d'argent et de savoir-faire technique. Les habitants de la région qui ont fait l'expérience de la colère de la nature souhaiteraient croire qu'ils ont le droit d'être protégés par l'État. Au lieu de cela ils reçoivent des messages du genre « la commission [PAGE 44] de sauvetage a épuisé les provisions fournies par la communauté internationale », message servis à la sauce rhétorique épaisse des crises. Si ces habitants traduisaient leur angoisse et leur confusion en superstition, le monstre du lac Nyos serait un meurtrier invisible et silencieux capable d'engendrer une excitation internationale sans pour autant donner des indications sur ce qui l'a provoqué ou bien sur la manière dont il pourrait être apaisé. Qu'il soit de fabrication humaine ou naturelle, ce monstre est maléfique.

Texte traduit par Josette Ackad.
Sydney, novembre 1987

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BOMBE A NEUTRONS AU CAMEROUN ?

The Analyst, vol. 2, no 4, 1987, pp. 18-19.

Le 21 août 1986 un mystérieux désastre a eu lieu au lac Nyos dans la région montagneuse du Cameroun, à quelque centaine de kilomètres de la frontière du Nigeria. Selon les compte rendus officiels, plus de 1 200 fermiers et éleveurs de bétail de même que toutes leurs bêtes – en fait presque toute vie (humaine et animale) dans la région – furent silencieusement et instantanément tués. Les chiffres non-officiels estiment cependant que le désastre a fait à peu près 5 000 morts. Qu'est-ce qui a tué ces gens ?

Au moment du désastre, ces décès furent rapportés comme étant le résultat d'une explosion du lac volcanique qui déclencha les gaz et des vapeurs empoisonnés asphyxiant les personnes qui les respirèrent. La revue West Africa rendit compte que les survivants dans la région rapportèrent avoir entendu une explosion bruyante vers vingt et une heures alors que la plupart des gens dormaient. Cette explosion fut suivie par une odeur fétide dans l'air semblable à l'odeur du gaz de cuisine.

Néanmoins, les médecins qui se rendirent dans la région à la suite de la tragédie remarquèrent que les survivants souffraient de brûlures dans les poumons et sur la peau; des indications claires de brûlures et de blessures étaient évidentes sur les cadavres. Ces découvertes n'étaient pas compatibles avec l'affirmation que les victimes étaient mortes seulement de suffocation due à la respiration de gaz empoisonnés.

La cause réelle de l'explosion et des décès demeure jusqu'à ce jour un sujet de controverse scientifique. La revue New African de juillet 1987 rapporte qu'un groupe de 120 experts et scientifiques ont assisté récemment à une conférence sur le désastre du lac Nyos tenue à Yaoundé. Après une semaine de délibérations, et après avoir examiné des documents totalisant 5 000 pages, les savants ne purent se mettre d'accord sur les raisons de l'explosion bien qu'ils semblèrent convenir que c'était un gaz contenant du carbone bioxyde qui avait tué la population. Mais le processus par lequel ceci eut lieu demeure inconnu. Des savants camerounais, britanniques et américains discutèrent de la question que le gaz s'était dégagé du fond du lac en raison d'un brusque changement de température ou bien d'un glissement de terrain. Les experts italiens, suisses et français quant à eux estimèrent que l'explosion du lac fut provoquée par une intensification de la pression qui entraîna le relâchement du gaz. Cependant aucune des théories n'a pu répondre aux questions posées par les événements du lac Nyos. Comme le note le New African, s'il y avait eu une explosion, il aurait dû y avoir des débris, mais il n'y en eut aucun. D'autre part, les médecins n'ont pu expliquer les brûlures et blessures trouvées sur les victimes, [PAGE 46] et qui n'avaient pas pu être causées par le dégagement du carbone bioxyde.

Toutefois, une nouvelle lumière qui est venue récemment éclairer le désastre, soulève certaines questions alarmantes pour les Nigérians et pour les Africains. Selon un article paru dans un journal américain, le San Francisco Examiner [3], et qui a pour auteur la commentatrice politique Mae Brussel, l'explosion du lac Nyos a été causée par une bombe à neutrons secrètement mise à l'essai dans la région par les États-Unis et Israël. Brussel constate que les interprétations actuelles données à la tragédie ne sauraient expliquer les blessures et brûlures trouvées sur les victimes. Elle relève aussi le fait que les États-Unis et Israël ont tous deux été partisans du développement de la bombe à neutrons capable de tuer toute vie humaine et animale dans une région sans endommager la propriété. Le fait qu'Israël ait agi dans plusieurs parties du monde comme représentant ou substitut des États-Unis dans des affaires délicates auxquelles les États-Unis n'auraient pas voulu être directement associés, est aussi noté par le reporter. En fait, comme une source de Washington l'a récemment indiqué, « Israël est devenu une sorte d'agence fédérale (du gouvernement des États-Unis)... agence qu'il est commode d'utiliser quand on a besoin de faire quelque chose en sourdine ».

Le développement de la bombe à neutrons par les États-Unis a été profondément enveloppé de mystère pendant plusieurs années. Il n'y a jamais eu d'essai officiel de cette arme chère au cœur des stratèges du monde capitaliste pour sa capacité de tuer les vies humaine et animale, tout en préservant les bâtiments et autres propriétés. Israël et l'Afrique du Sud vouent au développement de la bombe à neutrons, de même qu'aux armes qu'on appelle nucléaires, un intérêt particulier, à cause de leurs adversaires immédiats (les Palestiniens dans le cas d'Israël, et la population sud-africaine noire, de même que les États africains voisins dans celui de l'Afrique du Sud) situés dans un territoire adjacent. Ils veulent développer des armes qu'ils pourraient utiliser contre ces « ennemis », et qui en même temps n'affecteraient pas leurs propres populations.

Cependant, avant qu'une arme comme la bombe à neutrons puisse être rendue utilisable, elle doit être testée. Une zone telle la région montagneuse du Cameroun, dans la proximité de lacs volcaniques connus où des éruptions de gaz ont tué des gens dans le passé, pourrait offrir un site idéal à la bombe à neutrons étant donné que les décès pourraient être attribués au gaz et que leur cause véritable pourrait être aisément dissimulée. Est-ce bien cela qui est arrivé au lac Nyos ?

Entre-temps la pénétration croissante d'Israéliens en Afrique noire de même que leur rôle de substitut des États-Unis sont la cause d'une inquiétude grandissante parmi les forces progressistes. Comme le savent les lecteurs de The Analyst, Israël fournit des armes et de l'argent aux cruels dictateurs de l'Amérique Centrale et du Sud; il a été la source [PAGE 47] majeure d'armes du régime fasciste d'Afrique du Sud et a coopéré avec ce pays pour le développement d'armes nucléaires à son usage. Ces armes sont utilisées par l'Afrique du Sud contre la population noire des pays de même que contre ses voisins africains; et Israël a bien entendu joué un rôle principal dans le marché d'armes iranien qui fait actuellement l'objet d'une investigation aux États-Unis. En Afrique noire, Israël s'est assuré les faveurs des régimes pro-impérialistes et a renouvelé ses relations diplomatiques avec le Zaïre, la Côte-d'Ivoire, le Liberia, et le Cameroun; il est en voie de les renouveler avec le Togo, Sierra Leone et peut-être la Gambie, le Gabon, le Sénégal, la Guinée et le Niger. Israël s'acharne encore pour obtenir la reconnaissance diplomatique du Nigeria. Le New African de juillet 1987 rapporte qu'à l'heure actuelle quelque 15 000 Israéliens travaillent et vivent en Afrique noire, dont 4 000 au Nigeria, « certains en tant que conseillers pour la sécurité à la présente administration militaire ».

Toute cette activité croissante d'Israël en Afrique noire, en plus de son rôle certain comme couverture des États-Unis et de ses autres activités impérialistes contre les forces du progrès en Afrique, soulèvent des questions pour nous autres au Nigeria que nous ne pouvons pas nous permettre d'ignorer. Que faisait par exemple le Premier Ministre Shimon Peres en visite officielle au Cameroun précisément à la période du désastre du lac Nyos ? Pourquoi avait-il emmené avec lui pendant cette visite dix-huit savants israéliens pour examiner ce qui était arrivé au lac ? Pourquoi avait-on décliné l'aide d'un vaisseau de la marine britannique qui naviguait dans les eaux camerounaises au moment du désastre (i.e. Pourquoi avait-on écarté les Britanniques de la région ?). Pour quelle raison Israël s'était-il montré tellement intéressé à ce qui s'était passé au lac Nyos ? Cet intérêt était-il purement humanitaire compte tenu qu'Israël n'avait jamais auparavant manifesté un tel intérêt pour ce petit pays ?

Qu'est-ce qui a en définitive causé l'explosion du lac Nyos? Les Nigérians doivent connaître la vérité. La continuité de la survie de tous les Nigérians, des autres Africains et de toute personne en dépend. Nous ne pouvons plus nous permettre de dissimuler la vérité.

Texte traduit par Josette Ackad.
Sydney, novembre 1987


[1] Opinion à l'évidence extravagante. C'est la zone franc qui est le principal responsable de l'évasion du capitaux qui étrangle le Cameroun (N.D.L.R.).

[2] Autre appréciation plus que complaisante, totalement contraire à la vérité de faits (N.D.L.R.).

[3] Erreur ! Il s'agit plutôt du « National Enquirer » (N.D.L.R.).