© Peuples Noirs Peuples Africains no. 52 (1986) 41-55



LE PROGRAMME DES ETUDES DE LETTRES MODERNES
A L'UNIVERSITIE NATIONALE DU BENIN

Littérature africaine et littérature française
quel dosage?

Guy Ossito MIDIOHOUAN

Un processus irréversible

L'introduction de la littérature africaine dans les programmes d'enseignement en Afrique dite francophone, consécutive à la réforme adoptée par la Conférence des ministres de l'Education nationale des Etats d'expression française d'Afrique et de Madagascar tenue à Tananarive du 21 au 26 février 1972, est l'un des événements culturels majeurs de ces vingt-cinq dernières années en Afrique.

Au Bénin, l'application de cette réforme au niveau de l'enseignement secondaire est aujourd'hui une réalité, même si la conception des programmes, leur exécution et la formation des formateurs soulèvent encore de nombreux problèmes. « Les instructions officielles accordent la priorité aux littératures africaines : cela signifie que la part de cette discipline dans les programmes est plus importante que celle accordée à la littérature [PAGE 42] française et aux œuvres étrangères traduites en français », souligne Adrien Huannou qui ajoute : « Etre professeur de lettres dans le second cycle de l'enseignement secondaire, c'est être d'abord professeur de littératures africaines »[1], Il faudrait, pour rendre compte fidèlement de la réalité, dire aussi que les nouveaux bacheliers qui viennent s'inscrire en Lettres modernes à la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines de l'Université nationale du Bénin sont, en général, incapables de faire la différence entre un professeur de français et un professeur de littérature africaine (orale ou écrite)... Il n'empêche que la réforme de 1972 a marqué dans nos pays l'ouverture d'une ère nouvelle dans le domaine de l'éducation, en initiant un processus dont le développement ne fait que s'accélérer sous l'influence de plusieurs facteurs convergents.

Parmi ceux-ci, il faut d'abord retenir la prise de conscience des Etats africains en général, et des responsables de l'enseignement en particulier, qui manifestent une volonté de plus en plus ferme d'enraciner l'enseignement dans le milieu et d'en faire un facteur de développement, de prise de conscience politique et culturelle.

Un autre élément important est l'évolution du système éducatif qui, malgré ses insuffisances notoires, permet aujourd'hui aux jeunes Africains d'être formés de la maternelle à l'université sur place en Afrique; je veux dire sans être obligés, à une période cruciale de leur vie (grosso modo entre vingt et trente ans), de s'expatrier comme ce fut le cas naguère pour leurs aînés, faisant ainsi l'économie de certaines perturbations, voire de traumatismes aux conséquences parfois lourdes.

Enfin, il y a l'indéniable engouement des élèves et étudiants eux-mêmes pour la littérature africaine, engouement que révèle non seulement le nombre des thèses, mémoires et autres travaux préparés chaque année dans nos universités, mais surtout l'intérêt enthousiaste et actif qu'ils manifestent d'une façon générale à l'égard d'une discipline que l'histoire tourmentée du continent, [PAGE 43] la conscience aiguë d'une identité à sauvegarder et à affirmer ainsi que les anomalies quotidiennement vécues leur font aborder avec une forte charge affective doublée d'un esprit passablement militant; tant il est vrai que, pour l'écrivain africain autant que pour son public naturel, la littérature est souvent un refuge, l'espace où l'on se retire pour traiter des questions fondamentales dont on ne peut débattre autrement en raison de la vigilance musclée des pouvoirs politiques.

Si la littérature africaine a été très tôt introduite dans les programmes d'études en lettres modernes à l'université nationale du Bénin, l'intérêt accordé à cette discipline ne semble pas correspondre à son évolution au cours des quinze dernières années ni répondre à la situation décrite plus haut.

Des programmes déphasés

Pendant l'année universitaire 1975-1976, alors que la réforme de 1972 entrait dans sa phase d'application dans le secondaire et qu'une intense campagne de sensibilisation était menée en direction des professeurs de lettres des lycées et collèges[2], le programme de la « Section Lettres modernes » du D.E.L.L.S.H. (Département des Etudes littéraires, linguistiques et de Sciences humaines) se présentait dans ses grandes lignes comme suit :

Premier cycle

– 1re année

    Littérature française : 9 heures hebdomadaires
    Littérature africaine : 3 heures
    Anglais : 2 heures
    Grammaire : 2 heures
    Linguistique : 1 h 30
    [PAGE 44]

2e année

    Littérature française : 11 h
    Littérature africaine : 3h
    Linguistique : 1 h 30
    Anglais : 2 h

Deuxième cycle

– 1re année

    CL – Littérature française : 9 h
    Littérature africaine : 1 h
    Lecture plurielle : 2 h
    Méthodologie : 2 h

    C1 – Linguistique : 1 h 30
    Littérature africaine : 3 h

2e année

Les cours n'avaient pas été organisés cette année-là, faute d'étudiants. En effet les étudiants de première année du deuxième cycle avaient effectué leur « service patriotique » pendant l'année universitaire 1974-1975.

Ce qui frappe d'emblée dans cette répartition horaire, c'est la prédominance de la littérature française; une prédominance qui, comme nous le verrons plus loin, ne s'explique pas uniquement par l'état du personnel enseignant ou, plus précisément, par le manque de spécialistes de littérature africaine.

Par ailleurs, lorsqu'on analyse de près le programme, on note que l'enseignement de la littérature africaine se résume, en première année du premier cycle, à une introduction à la littérature orale, abordée à travers « le folklore européen au XIe siècle » et « le folklore africain dans la deuxième moitié du XIXe siècle » illustré par l'Anthologie nègre de Blaise Cendrars, « l'art négro-africain et le mouvement surréaliste » et « Equilbecq et [PAGE 45] la tradition orale africaine » ! La deuxième année est consacrée à l'étude de quatre œuvres : Les bouts de bois de Dieu, Le vieux nègre et la médaille, Liaison d'un été et La mort de Chaka. Le CL prévoit, outre une initiation à la « méthodologie en matière de littérature orale », une approche des genres poétiques traditionnels et une étude approfondie... de l'Anthologie nègre de Blaise Cendrars, pendant que le CI retient Les soleils des indépendances, Le cahier d'un retour au pays natal et L'arbre fétiche.

Il apparaît donc très clairement qu'en matière de littérature africaine, le programme de l'année universitaire 1975-1976 manquait de ligne directrice et de cohérence et qu'il faisait peu de place aux vues d'ensemble et aux questions théoriques.

Les conséquences de l'inadéquation de ce programme aux nouvelles réalités du monde scolaire et estudiantin ne devaient pas se faire attendre. En 1978, le département des Etudes littéraires, linguistiques et de Sciences humaines (D.E.L.L.S.H.) devint la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines (F.L.A.S.H.); on procéda à une restructuration de ses différentes entités et les anciennes sections de Lettres modernes et de Linguistique fusionnèrent en un département d'Etudes littéraires, linguistiques et de traditions orales (D.E.L.L.T.O.). Dans le document relatif au projet de création du D.E.L.L.T.O. pour la rentrée universitaire 1979 nous lisons : « Depuis bientôt trois années universitaires, nous avons constaté une baisse croissante des inscriptions en Lettres modernes. On peut supposer que les programmes d'enseignement de cette entité n'accrochent plus les nouveaux étudiants. L'ancienne section de Lettres modernes se trouve donc vouée à une fin inéluctable. »

Les enseignants du nouveau département se virent ainsi obligés de réagir et se confondirent en auto-critiques et en résolutions : « D'ailleurs, le rôle d'une université, c'est d'être à la fois un foyer de formation et un centre d'éclosion de nouvelles orientations. Mais ces orientations ne peuvent se justifier que par des exigences constatées sur le terrain. C'est pourquoi nos unités doivent déboucher sur des recherches permettant l'amélioration de la qualité des enseignements dispensés et l'éclosion de nouvelles disciplines »; « l'U.E.R. de Littérature [PAGE 46] générale et comparée[3] fait donc disparaître l'ancienne et abusive appellation "Section de français" en ouvrant ses portes à des enseignements nouveaux ou rénovés ».

Cette prise de conscience devait se traduire dès la rentrée universitaire 1979 par une augmentation de la masse horaire consacrée à la littérature africaine. Mais, au vu du nouveau programme, l'étude continuait de se faire sans progression véritable et les enseignements restaient mal définis. On était loin d'une nouvelle conception des études de lettres modernes malgré le renforcement de la formation en linguistique.

D'ailleurs, le D.E.L.L.T.O., en raison de sa structure et de l'organisation des études en son sein, devait très tôt paraître lourd et académiquement inefficace, et se scinder en août 1981 en deux départements, le Département des Lettres modernes et le Département des Etudes linguistiques et de traditions orales.

En 1982, le programme du département des Lettres modernes, dans la ligne de celui de l'ex D.E.L.L.T.O., distinguait, dans sa structure les enseignements de littérature et de grammaire française (codés LGC) de ceux de linguistique générale et africaine (codés LGA). A cela s'ajoutaient, pour les trois premières années, deux heures hebdomadaires d'anglais[4] et, pour la première année du premier cycle, autant d'histoire[5]. Comme par le passé, ce programme n'établissait aucune différence entre les enseignements de littérature générale, ceux de littérature africaine et ceux de littérature française. Il se présentait comme suit :

Premier cycle

1re année :

    LGC : 12 h
    LGA : 6h
    Anglais : 2 h
    Histoires : 2 h

[PAGE 47]

2e année :

    LGC : 16 h
    LGA : 4h
    Anglais : 2 h

Aux étudiants de ces deux premières années était aussi proposée une liste d'enseignements facultatifs d'allemand, d'espagnol, de russe et de swahili.

Deuxième cycle

– 1re année

    CL – LGC : 10 h
               LGA : 2 h
               Anglais : 2 h
    C1 – LGC : 4 h
    C2 – LGC : 4h

La liste des enseignements LGC fait encore mieux ressortir le déphasage de ce programme :

Premier cycle

1re année

    LGC 101 : Théorie de la littérature : les genres littéraires
    LGC 102 : Méthodologie de la composition littéraire
    LGC 103 : Grammaire et techniques de l'expression
    LGC 104 : Introduction générale à l'étude de la littérature négro-africaine écrite
    LGC 105 : Renaissance et humanisme au XVIe siècle
    LGC 106 : Le classicisme en France

2e année

    LGC 201 : Théorie de la littérature : littérature et société
    LGC 202 : Philologie romane
    LGC 203 : Le roman africain
    LGC 204 : Le langage poétique
    LGC 205 : Littérature africaine orale
    LGC 206 : Littérature médiévale : les lais anonymes
    LGC 207 : Le mouvement des idées au XVIIIe siècle
    LGC 208 : Le héros romantique
    [PAGE 48]

Deuxième cycle

– 1re année

CL

    LGC 301 : Techniques de l'expression théâtrale : le cas négro-africain
    LGC 302 : Introduction à la littérature comparée : la littérature fantastique
    LGC 303 : Stylistique française
    LGC 304 : Littérature écrite béninoise
    LGC 305 : « Ailleurs » ou la littérature surréaliste

C1

    LGC 306 : Oralité et écriture
    LGC 307 : Littérature médiévale : Le testament de Villon

– 2e année

C2

    LGC 401 : Réception critique de la littérature négro-africaine
    LGC 402 : Mythologies modernes

Dans son article cité plus haut, Adrien Huannou affirme, sans toutefois préciser les années académiques auxquelles il se réfère, que la part de la littérature africaine dans les programmes et les emplois du temps du département des Lettres modernes est plus importante que celle accordée à la littérature française. « L'importance accordée aux littératures africaines (sic), écrit-il, croît à mesure que l'on avance vers les années supérieures »[6], ce qui n'apparaît pas de façon évidente dans le programme qui vient d'être présenté. Pour justifier son point de vue, il fait observer qu'« en dehors des cours de littératures africaines proprement dits, les œuvres africaines sont utilisées pour illustrer certains problèmes généraux »[7], mais les intitulés de certains cours cités à l'appui de l'argumentation – « le langage [PAGE 49] théâtral » et « écriture et idéologie » notamment – montrent qu'il n'est pas question du programme de 1982.

Ce que révèle par contre ce programme de 1982, c'est la place dérisoire qu'il accorde à la littérature africaine au regard du mouvement général imprimé à l'enseignement des lettres en Afrique par la réforme de 1972. Adrien Huannou note lui-même que « presque tous les sujets de mémoire de maîtrise portent sur les littératures africaines, au point que l'on est autorisé à parler d'une mode[8] des littératures africaines ». « L'engouement pour cette discipline, poursuit-il, s'accompagne d'une désaffection vis-à-vis de la littérature française. Il apparaît que beaucoup d'étudiants auraient souhaité préparer un diplôme spécifique de lettres africaines[9]. Outre l'existence d'une certaine mode à laquelle très peu d'étudiants arrivent à résister, cette attitude pourrait s'expliquer, en partie, par l'influence des professeurs, par le fait qu'être professeur de lettres dans l'enseignement secondaire, c'est être essentiellement professeur de littératures africaines, vu l'importance que cette discipline a pris dans les programmes et vu le temps qui lui est consacré, mais aussi par le fait que l'étudiant se sent plus chez soi dans les littératures africaines que dans la littérature française »[10].

Tout se passe donc comme si le programme de 1982 avait été conçu pour refréner « une mode, avec – on l'a sans doute noté – le souci constant d'un équilibre entre la littérature africaine et la littérature française, selon un dualisme mécanique qui ne se maintient d'une année à l'autre qu'au détriment de l'ouverture sur d'autres littératures étrangères.

Ainsi donc l'Université qui devrait être à l'avant-garde de la défense de l'esprit de la réforme de 1972 et ouvrir des voies nouvelles se crispe sur des schémas périmés, des traditions branlantes, et se montre réfractaire au changement. On comprend alors, comme l'écrit Adrien Huannou en 1984; qu'« il y a un écart assez grand entre [PAGE 50] les instructions officielles (relatives à l'enseignement des lettres dans le secondaire) et les pratiques pédagogiques »[11]. Si les objectifs assignés à l'enseignement littéraire dans le secondaire ne sont pas atteints, la responsabilité en revient, pour une large part, à l'Université !

Un tournant : la « journée pédagogique » du 3 juin 1983

En vérité, l'intérêt marqué de certains enseignants du département des Lettres modernes pour la langue et la littérature française et leur volonté de contenir la littérature africaine s'expliquent par le fait que, pour eux, « la baisse progressive du niveau en langue française que l'on observe même chez les maîtres » (A. Huannou) est une conséquence du recul de la littérature française; c'est-à-dire que ces enseignants continuent d'établir une relation entre la maîtrise de la langue française et l'enseignement de la littérature française ! ... « La volonté d'accorder à cette discipline (la littérature africaine) toute la place qu'elle mérite répond aux vœux des étudiants » reconnaît Huannou; « mais, souligne-t-il, elle comporte un risque, un danger : il y a lieu de craindre qu'en prenant un peu plus d'importance chaque jour, elle n'étouffe les autres matières prévues au programme des diplômes de lettres modernes et ne limite l'horizon mental des étudiants, en les enfermant dans l'univers culturel africain comme dans une tour d'ivoire. Aussi doit-on veiller à ouvrir l'esprit des étudiants aux autres littératures et aux autres cultures, à leur permettre de mener des travaux sur les littératures étrangères »[12].

Il semble donc, selon Adrien Huannou, que les innovations dans « le programme des diplômes de lettres modernes » ne doivent pas dépasser un certain seuil, autrement les diplômes de lettres modernes ne seraient plus de vrais diplômes de lettres modernes ! Mais quelle est l'instance qui a édicté cette règle et de quelle autorité peut-elle se prévaloir sur nous, enseignants africains de lettres ? Et pourquoi brandir des diplômes quand [PAGE 51] il est question d'adapter l'enseignement à l'évolution des idées ? Par ailleurs, ce que Adrien Huannou appelle « les littératures étrangères » ou encore « les autres littératures » n'est, au regard du programme du département des Lettres modernes, que la littérature française, et c'est justement ce culte de la littérature française qui empêche l'émergence d'une nouvelle conception des études de lettres chez nous.

C'est ce que devaient souligner les ténors de la révision du programme de 1982 qui, lors d'une « journée pédagogique » tenue en juin 1983, n'avaient pas hésité à parler d'anomalie intolérable. Ces enseignants avaient, à juste titre, mis l'accent sur le fait que le département des Lettres modernes n'est pas un département d'Etudes françaises et qu'il ne délivre pas un diplôme de français, même si beaucoup de ses étudiants sont appelés à devenir « professeurs de français » ! Au département des Lettres modernes de l'Université nationale du Bénin, le français doit être pris pour ce qu'il est : un outil de travail. Le but de l'enseignement dispensé est à mille lieux au-delà de la maîtrise de la langue française et il est important de faire extrêmement attention au terrorisme intellectuel de « la francophonie » qui a tendance à nous couper les ailes sous l'anesthésie d'une prétendue communauté culturelle qui nous divertit de nos priorités et nous confectionne une généalogie mutilante.

Le débat avait été fort houleux, mais, à l'issue de cette « journée pédagogique », on tomba d'accord sur une nouvelle augmentation de la masse horaire consacrée à la littérature africaine désormais abordée dans toutes ses aires culturelles et linguistiques.

Le programme de l'année universitaire 1983-1984 se structurait donc comme suit :

Premier cycle

1re et 2e années

  • Littérature générale : 2 h
  • Littérature africaine : 8 h
  • Littérature française : 4 h
  • Grammaire et linguistique : 8 h [PAGE 52]
  • Formation complémentaire obligatoire

    – 1re année : anglais et histoire : 4 h
    – 2e année : anglais : 2 h

  • Formation complémentaire facultative (allemand, espagnol, russe et tout autre enseignement choisi par l'étudiant et dispensé dans un département de la Faculté).

    Deuxième cycle

    1re année

      CL

    • Littérature générale : 6 h
    • Littérature africaine : 4 h
    • Littérature française : 2 h
    • Grammaire et linguistique : 4 h
    • Formation complémentaire obligatoire (« langue anglaise et littérature africaine »)

      CI

      Au choix de l'étudiant :
    • Littérature africaine et comparée : 4 h
    • Littérature orale : 4 h
    • Littérature française : 4 h

    2e année (C2)

      Au choix de l'étudiant :
    • Littérature africaine écrite : 4 h
    • Littérature orale : 4 h
    • Littérature générale et comparée : 4 h

    Pour les années universitaires 1984-1985 et 1985-1986 la structure d'ensemble de ce programme a été maintenue, sauf qu'en troisième année l'étudiant a le choix entre un CI de Littérature africaine (orale et écrite) et un autre de Littérature française; et en quatrième année entre un C2 de Littérature africaine (orale et écrite) et un autre de Littérature française et comparée. [PAGE 53]

    Au total, la « journée pédagogique » de juin 1983 a marqué un tournant décisif dans la vie pédagogique de notre Département. Mais si elle a permis une réflexion générale sur l'enseignement dispensé et a abouti à l'affirmation de la primauté de la littérature africaine dans la formation de nos étudiants, elle est toutefois loin de consacrer la nouvelle conception des études de lettres qui devrait s'imposer en Afrique francophone.

    Pour une nouvelle conception des études de lettres en Afrique

    Pour que les diplômes de lettres modernes continuent, sous la pression de l'engouement général pour la littérature africaine, d'être de vrais diplômes de lettres modernes, Adrien Huannou propose de distinguer désormais les études de « lettres modernes » des études de « littératures et civilisations africaines », « ce qui devrait permettre, explique-t-il, de développer l'enseignement des littératures africaines sans porter préjudice aux autres littératures (entendez la littérature française) »[13]. « Mais, s'empresse-t-il d'ajouter, la spécialisation ainsi envisagée pourrait poser un problème au moment du placement des maîtres ainsi formés. Comment serait, en effet, reçu sur le marché du travail, un professeur de l'enseignement secondaire qui n'enseignerait que les littératures africaines ? La spécialisation d'un tel enseignant serait peut-être (sic) jugée, trop poussée; ce qui pourrait amener les employeurs (l'Etat ou les particuliers) à le considérer comme moins utile que le professeur de lettres traditionnel qui est, lui, polyvalent » ! Retenons, sans nous arrêter au manque de rigueur qui caractérise cette argumentation, que cela revient à dire que la création d'un « département de littérature et civilisations africaines » n'est pas raisonnablement envisageable et que la littérature africaine ne peut s'enseigner qu'avec la littérature française, dans le cadre d'un département de lettres modernes.

    Je ne pense pas, pour ma part, que la solution au [PAGE 54] problème posé consiste en une spécialisation qui se traduirait par la création de deux disciplines distinctes, ni qu'il soit nécessaire de sauvegarder les « lettres modernes » telles que conçues traditionnellement.

    Je dois, par ailleurs, avouer que je suis quelque peu surpris par cet acharnement à défendre les « lettres modernes » qui s'apparente à une fixation. Car que signifie le concept de « lettres modernes » dans le contexte africain ? Voilà une discipline que nous avons héritée de l'Occident où elle se définit par opposition aux « lettres classiques » axée sur l'étude de l'antiquité gréco-latine considérée comme la base de l'éducation et de la civilisation; une discipline conçue en fonction d'une société qui n'est pas la nôtre et d'un système de valeurs spécifiques. Nous devons donc nous libérer de ce schéma d'emprunt et nous situer désormais par rapport aux réalités de notre univers culturel.

    Cette décolonisation des études littéraires que je préconise – car c'est d'une décolonisation qu'il s'agit – doit avoir une double dimension d'enracinement et d'ouverture.

    L'enracinement doit nous permettre de nous connaître d'abord, de faire de l'Afrique la source et la destination de notre savoir, d'avoir notre mot à dire sur nous-mêmes. Comme les universités françaises qui ne viennent pas chercher leurs spécialistes de littérature française en Afrique, nos universités, par la rénovation des études littéraires, doivent œuvrer à mettre fin à l'humiliation qui consiste, pour nous, à aller chercher les grands maîtres de la littérature africaine (écrite et orale) en Occident. En somme il s'agit essentiellement de travailler désormais à nous prendre en main.

    Mais autant cet enracinement ne saurait être synonyme d'autarcie autant l'ouverture ne saurait se limiter à la France. Il n'est pas normal que, sous prétexte d'être dispensé dans une université de langue française, l'enseignement des littératures étrangères se réduise, comme c'est le cas aujourd'hui encore dans notre Département, à la littérature française. L'éventail doit être le plus large possible et s'étendre sur tout le cursus de formation pour le plus grand bien de nos étudiants.

    Une université, comme son nom l'indique, a pour [PAGE 55] vocation d'ouvrir l'homme au monde, de l'amener à une meilleure compréhension de l'univers afin de mieux s'y intégrer. Si la rénovation des études littéraires en Afrique passe par la primauté de la littérature africaine, elle ne doit toutefois pas perdre de vue cette nécessité qu'il convient de comprendre sans exclusive.

    Guy Ossito MIDIOHOUAN


    [1] Adrien Huannou, « L'enseignement des littérature africaines en République populaire du Bénin », in Recherche, Pédagogie et Culture, no 68, oct.-nov.-déc. 1984, pp. 26-29.

    [2] Du 31 mai au 4 juin 1976 s'était tenu à Porto-Novo un séminaire sur l'enseignement de la littérature africaine dans le secondaire. Plusieurs Professeurs de l'Université nationale du Bénin avaient pris part aux travaux.

    [3] Cette U.E.R. était créée dans le cadre du D.E.L.L.T.O.

    [4] Dans les deux premières années, le cours est intitulé « Langue et civilisation britanniques », et en troisième année « Littérature négro-africaine d'expression anglaise».

    [5] Il s'agit d'un cours d'histoire de l'Afrique contemporaine.

    [6] Adrien Huannou, op. cit, p. 27.

    [7] Ibid.

    [8] Le mot est révélateur d'une certaine réticence. Il convient d'ajouter qu'Adrien Huannou est l'un des plus anciens professeurs de... littérature africaine du département des Lettres modernes.

    [9] C'est nous qui soulignons. G.O.M.

    [10] Idem, p. 29.

    [11] Idem, p. 28.

    [12] Idem, p. 29.

    [13] Idem.