© Peuples Noirs Peuples Africains no. 50 (1986) 117-123



POÈMES

REVOLUTION

A man swimming fast
into deep water,
is much afraid, surely,
of currents;
still if he swims
strongly, doesn't struggle,
his arms will lift him
high above the surface
I have seen many, they follow
the wind, breathing firmly.

I have seen, too, small boys
chase tigers, of paper or flesh,
without tearing one bone from
their smiling skulls;
small girls often stand firm
in rows, fields stained with
ash of fire-blackened cities,
destroyed : brown legs unscratched,
they hike up their skirts,
sign of hardship.

A woman running fast
across desert,
even though she stumbles
over rocks and her hair
grows tangled, her
bare feet reddened and
burned in the sand;
she can follow the wild horse
high into mountains,
and pray.

Catherine A. SALMONS
20-2-1986

[PAGE 118]

RÉVOLUTION

Un homme qui plonge, vite,
dans l'eau profonde,
a peur certainement
du courant;
mais s'il nage avec force,
ne lutte pas trop,
ses bras le soutiennent
sur la surface :
j'en ai vu plein, ils suivent
le vent, souffrants.

Il y a aussi de petits gars
qui chassent le tigre – de soie ou
de chair – sans déchirer
les os de leurs sourires;
très souvent de petites filles
restent, fortes, aux champs empoisonnés
de cendres, d'une ville incendiée,
détruite : les jambes nues,
elles lèvent leurs jupes aux genoux,
signe de hardiesse.

Une femme qui court, vite,
dans le désert –
bien qu'elle tombe
sur les rochers,
ses cheveux emmêlés,
les pieds nus rouges et
brûlés dans le sable –
elle peut suivre encore [PAGE 119]
le cheval sauvage, haut dans
les montagnes, pour prier.

Catherine A. SALMONS
20-2-1986

« J'étais si près de toi que j'ai froid près des autres », Paul Eluard.

Si près de toi
que nos corps gelés
se fondent en
soupirs; ta voix
dessine un cercle,
ferme l'espace

entre nos bras :
l'abîme qui nous
sépare, se remplit
du moindre bruit
de ta voix, la peau
résonante des oreilles.

Ta voix contient
la chaleur de
toutes les voix qui
chantent autour de moi :
dans les autres je n'entends
que la froideur de ton absence.

Catherine A. SALMONS
18-2-1985

[PAGE 120]

AFRIQUE OU ES-TU ?

A Rufali Lazaro Muhutu,
pater, amicus in re certa et incerta.

Dis-moi Afrique est-ce toi
Qu'on disait hier chercher
Sous les décombres composites
De fer oui de fer et d'argent
Et de verroterie et d'alcool
Est-ce toi ?

Est-ce toi qu'on pointait du doigt
Arbre au milieu des fleurs blanches
De mille étés fanées, est-ce toi ?

Est-ce toi qui dansais de mort et de vie
Outre-tombe quand les fers du Septentrion
Trucidaient les uns et bâillonnaient les
Autres des tiens est-ce toi ?

Dis-moi cette servitude myriade
Qui t'emmitoufle et dont tu rabats
Les bouts aux épaules et à la tête
Est-ce là piètre legs de ces sacrés
Jours proconsulaires ou atavisme malin
Fruit de tes entrailles sans âge ?
Afrique où es-tu ? Où eeees-tu ? [PAGE 121]

Est-ce toi dont on dit que tu sais et aimes
Danser danser et chanter chanter ne varietur
Tu danses de ta voix tu chantes de tes pieds
On a dit est-ce vrai ? Parole d'honneur ou
Contre-parole des parloteurs colportée ?

Est-ce toi qui promettais de renouveler
Le monde des canons à coup de rythme
Et tam-tam était-ce toi dis-moi ?

Tout danse on dit tout danse on redit
Mais dis-moi Afrique dis-moi quaeso
N'est-ce pas facétie et imposture impie
Que de danser chanter chanter danser
Quand les Affreux font rage au Congo
Congo de ton cœur tirant dans le tas
Des fleurs nubiles de faim fanées

Et que les mains blanches ubiquitaires
D'argent et d'acier ne laissent de faucher
Tes rôniers ? Et sais-tu déjà que tes
Rôniers aiment mieux s'entendre appeler
Oliviers et peupliers ? Quel opprobre !

Chanter danser... as-tu vu ou entendu
Troyen chanter et danser quand
Pergame grommelle de feu et
S'affaisse suant sous le coup des
Myrmidons ?

Et si comme Enée je m'en vais me
Faire ballotter per unda flanqué
De mon père à l'ardeur trompée,
Les ailes dégarnies et fatiguées
Et les yeux exsangues
Quelle fée folle
Et quelle dupe Didon
Croira que je rentre d'une fête infinie
A me voir emboucher mes foutus flûteaux
Déballant sans prière expresse
Mon arsenal de kôras xylophones et balafongs
Horresco referens ce ballet ininterrompu [PAGE 122]

De danse macabre de turpitudes voilées
Ces princesses agonisantes à gogo
Ces Junies qu'enlèvent journellement
Ces ogres fieffés de Nérons
Ces jeunes Junies à l'hymen d'un jour
Trompé qu'on envoie vides pourprer
Les eaux du Victoria Congo l'Oubangui
Le Chari le Sénégal...
Est-ce donc cela diabolo le rouge l'aurore
Du jour nouveau hier clamé par les thuriféraires
De ta nuit noire, ces Judas qui te baisaient
Bavant d'hystérie comme de traîtrise hier !?

Afrique écoute amie écoute
Choisis et choisis bien
D'un côté tu as les Señors azimutés
Les loups Mba ou Mbutu ou Msiri
Tous de grands dadais ballots flanqués
De griots flagorneurs qui disent avec la
Même verve d'hier : « vendons-en encore
Davantage des esclaves, vendons, il nous faut
Davantage d'argent, d'ornements et surtout
De miroirs. »

Derrière ceux-ci tu traîneras
Evidemment la queue entre les pattes
Pathétiquement et pesamment comme
Ce chien galeux.
De l'autre tu as les Ruben et les
Lumumba, ces « Miles gloriosus » avec qui
Tu chemineras intrépide et la tête haute
Vers des horizons que nul autre œil
N'a vus et mille autres attentes dont
Le ciel est plein
Et Homère fera d'autres vers immortels
Chantant Zeus s'en allant prendre part
Au festin des « Ethiopiens sans reproche »
En compagnie de tous les autres dieux...
Et Ulysse s'éblouira à nouveau devant
Les enfants du divin Memmon
Et avec Virgile on entonnera
Arma virumque Memmo Aithiopeus... [PAGE 123]

Viens Afrique amie et les autres suivez
Viens le choix est clair oublie ces miroirs d'argent fragile
Nous en cueillerons d'autres mille fois
Mirifiques – serre tes rangs cadavérise
Ces transfuges qui s'improvisent commandants.

Ntarugera DEO KOYA