© Peuples Noirs Peuples Africains no. 50 (1986) 66-95



LE TEMPS ET L'ESPACE KANAKS : LE LIVRE D'UN GEOGRAPHE (2)

Laurent GOBLOT

On nous a montré un peuple s'élançant dans les bras d'un bon Jésus; mais je ne trouve guère que le fier Canaque de l'Insurrection qui, vaincu, préfère ne pas avoir d'enfants que de les voir exploités par les Blancs.
Maurice Leenhardt
(Lettres à son père, 2 juin 1903)

Maurice Leenhardt avait commencé sa carrière de pasteur en Afrique du Sud. Les choses qu'il a vues et senties là-bas l'ont déterminé pour la vie – et au-delà, à travers sa fille, Mme Roselène Dousset-Leenhardt. Dès son arrivée en Nouvelle-Calédonie, il perçoit ainsi les grandes blessures de l'île, après la grande insurrection qui a eu lieu vingt-cinq ans auparavant, et sa fille exhumera le Rapport sur les causes de l'insurrection du général Arthur de Trentinian, et le publiera dans son livre Colonialisme et contradiction (l'Harmattan), avec ce commentaire :

« Ceux qui avaient gardé une attitude objective, notamment lors de l'Insurrection, avaient vu leur carrière brisée, ou étaient morts peu après dans le silence ( ... ). Ayant fait lire ce rapport à des Néo-Calédoniens, descendants du chef Ataï, le Vercingétorix de l'Insurrection, ceux-ci s'exaltèrent sur ce Blanc, qui avait si bien su comprendre leur cause.»

Il y a, d'ailleurs, dans ce livre de Mme Dousset-Leenhardt, une sorte de préfiguration du livre d'Alain Saussol, sinon dans sa forme, du moins dans le projet. [PAGE 67]

Ces Blancs me paraissent plus nombreux, en Nouvelle-Calédonie, dans le passé, par rapport aux autres histoires coloniales, qui disent, dans le moment même, une opinion comme celle-ci :

« Je persiste à dire que colons et administrateurs ont fait tout ce qu'il fallait pour amener cette grande catastrophe » (J. Manger, 28 juin 1878).

Quant à ce que le pouvoir en faisait, le sort du rapport du général Trentinian l'indique assez. Mme Dousset-Leenhardt réserve à un propos du général protestant une attention particulière : « Le Canaque vaincu comprend qu'on lui enlève des terres; il considère cela comme le prix de la défaite; mais nous n'avions pas fait la conquête; cependant, il avait cédé, reculé, puis consenti à prendre des terres qui n'étaient pas très bonnes; mais enfin, acculé par les Blancs qui avançaient toujours, il a médité de secouer le joug, quand il a vu que, bientôt, il ne pourrait plus vivre. »

Cela lui suggère que Jean Guiart ne devrait pas parler, à propos de l'implantation française dans l'archipel, de « guerres coloniales de type classique », et de « guerres coutumières », et qu'il n'y a jamais eu, selon elle, à proprement parler, de conquête coloniale de la Nouvelle-Calédonie.

Elle a tiré un bon parti de sa découverte, cette femme :

« J'ai retrouvé ce Rapport, que je restitue respectueusement à cette Terre natale à laquelle il appartient. »

L'INSURRECTION DE 1878
N'EST PAS UN « ACCIDENT »

« Il faut constater que, partout, ce sont les indigènes les plus faits à nos habitudes, les plus civilisés, qui ont été les chefs du massacre et du pillage » (anonyme, 1878).

Amouroux, le déporté communard, en 1881, écrit : « Au lieu de les juger et de les confronter, on a exécuté sommairement la plupart des chefs pris les armes à la main. » (Amouroux et Place ne sont pas, comme Louise Michel, des auteurs communards favorables aux Canaques.)

Un seul chef a été interrogé, Aréki, devant une cour martiale de Canala. Amouroux et Place notent aussi le [PAGE 68] comportement de Cavio (ou Gavio), qui a conscience que, si l'insurrection rate, ce sera pour longtemps :

« Cavio fut consterné qu'on ait devancé l'époque fixée, parce qu'il y avait encore des alliés à rechercher, notamment les Faja, Bouli-Faja, Méa et Gouaoua de la côte est, avec lesquels il y a douze ans, il avait soutenu une guerre acharnée dans laquelle il avait été complètement battu. Il cherchait aussi à s'aboucher avec Kaké et Gélima, de Canala; mais on n'a jamais su au juste ce qui avait été convenu entre eux : les interprètes, étant des chefs de tribus de ces chefs, avaient intérêt à dissimuler la vérité. Enfin, Cavio, désespéré de la tournure des événements, est allé se pendre dans une de ses forêts, quelques semaines après le soulèvement de Bourail » (p. 190).

Aréki a dit n'avoir été informé de la révolte qu'à la veille des massacres. Parmi les Européens, une illusion générale de sécurité régnait, tant à la campagne qu'à Nouméa; le gouverneur la décrit au ministre :

« On vivait ici avec une inconscience incroyable, dans des habitations isolées, des portes ouvertes de tous côtés, dont les abords n'étaient même pas découverts; on regardait les Canaques comme de grands enfants, parfois boudeurs, mais toujours inoffensifs; ils jouissaient d'une confiance, d'une intimité même, vraiment étranges »[1].

Les Mélanésiens d'Ourail (La Foa) sont malmenés par [PAGE 69] les nouvelles spoliations de terres. Ataï rencontre le gouverneur à Téremba; le chef canaque a à la main deux sacs, l'un rempli de terre, l'autre de cailloux. Les vidant successivement devant le gouverneur Guillain : « Voilà ce que nous avions (la terre), et voilà ce que tu nous laisses (les cailloux) ! »

Dans le pays de La Foa, le général de Trentinian cite la tribu de Tia, qui est déplacée pour avoir accordé l'asile à des évadés du bagne, sans pouvoir même enlever ses récoltes, qui « devaient » profiter aux concessionnaires qu'on se hâtait d'y mettre. On laisse – ou on provoque ? – la divagation du bétail à cornes dans les récoltes canaques.

Les élevages extensifs à la mode australienne, avec quatre à cinq fois plus de bêtes que des parcelles de 4 à 500 ha n'en peuvent contenir, cela entraîne pour les surfaces voisines des dégâts. Cet élevage est la première véritable spéculation calédonienne. Ce bétail, inconnu jusqu'alors, produit le même effet que les chevaux chez les Indiens d'Amérique, multiplié peut-être pour le petit territoire de l'archipel qui ne connaissait qu'une quantité réduite de mammifères. Plusieurs témoins ont été impressionnés par cette « erreur ».

« Les Mélanésiens voyaient arriver avec terreur, écrit le général de Trentinian en 1879, les colons qui avaient du bétail. »

    Amouroux (1881) écrit : « En Nouvelle-Calédonie, tout est réglé par des arrêtés qui se suivent et ne se ressemblent pas; ils ont force de loi, sans en présenter les garanties de durée. Il en résulte que, la tribu proprement dite, non régie par des lois, mais laissée à la merci des arrêtés, n'est pas plus certaine de conserver sa propriété que le ministre son portefeuille et le chef de la colonie son gouvernement. »
    « Il nous a été donné de voir, plusieurs fois, à l'arrivée d'un nouveau gouverneur, l'émotion indescriptible des vieux kanaks des tribus : leur appréhension était grande de voir arriver sur leurs terres des géomètres pour manier et remanier leur territoire et payer ainsi le don de joyeux avènement » (p. 195). [PAGE 70]

Leurs plantations étaient dévorées par les bestiaux; leurs plaintes restaient sans réponse; ils fuyaient dans les montagnes de la Chaîne centrale.

L'inspecteur Leclos écrivait en 1884 : « Le Canaque n'est pas suffisamment protégé : ignorant notre procédure, il ne fait rien pour obtenir la réparation du dommage qu'il a éprouvé; et quand les vexations sont trop fortes, il lève le camp et va s'établir ailleurs, plein de ressentiment contre les colons qui l'ont forcé à se déplacer et à quitter le village. »

Avant l'insurrection, de nombreux avertissements de cette nature n'avaient pas été écoutés... Après non plus, d'ailleurs. Le rapport de la commission du général de Trentinian, resté confidentiel, n'a été publié que dans les années 1970, dans les conditions déjà décrites.

LE RAPPORT MONCELON (1885)

En 1876, la commission de délimitation avait, dans son rapport,

    « recommandé l'établissement de barrières comme la première conséquence de la délimitation si on voulait qu'elle fût efficace ». Parmi les mesures qu'elle estimait nécessaires pour compléter les dispositions de l'arrêté du 6 mars, elle plaçait : « au premier rang... la clôture des propriétés particulières limitrophes des territoires délimités », estimant « qu'en obligeant les propriétaires à empêcher par ce moyen l'invasion du bétail dans les cultures canaques, on ferait disparaître la plus grande cause d'inimitiés et de disputes. Les indigènes acceptent volontiers de voir les Européens se placer auprès d'eux, mais ils redoutent la présence de ces grands animaux qui ravagent leurs plantations d'ignames et brisent leurs canaux d'irrigation » (Lemire, Moniteur N.C., 14 août 1878).
    La Commission sanitaire du bétail avait à la même époque reconnu cette même nécessité. [PAGE 71]

Les colons veillent à ce qu'on continue, avant comme après 1878, sans faire attention; les Canaques seraient « satisfaits » des dégâts à leurs plantations :

    « Les Canaques, fort paresseux de leur naturel, travaillent peu la terre; la base de leur nourriture se compose de racines qui pendant les trois quarts de l'année n'ont rien à redouter du bétail. D'autre part ils se montrent toujours satisfaits d'occasions qui leur permettent d'exiger du colon une indemnité toujours considérable par rapport au dégât causé. »

De plus, selon ce même rapport, ils attirent eux-mêmes le bétail, pour des indemnités dont ils ignorent comment les conquérir :

    « On ne saurait douter que, les cultures indigènes étant fort restreintes et la main-d'œuvre dont disposent les tribus étant relativement considérable, les Canaques n'aient depuis longtemps pris la détermination de clôturer leurs petits défrichements, s'ils n'étaient alléchés par l'appât de ces indemnités que trop souvent ils provoquent en détournant eux-mêmes le bétail. »

Octobre, novembre et décembre 1877 ont donné une grande sécheresse, qui rend les troupeaux plus malfaisants pour les Canaques. En pleine insurrection, « Le Moniteur » n'est pas soumis aux colons, il s'interroge sur les causes de l'insurrection. Charles Lemire, le 14 août 1878, insiste sur le fait que les Canaques tiennent à leurs plantations et à leurs aliments; ils ne tiennent pas à une compensation pécuniaire qu'il est souvent impossible d'appliquer.

Amouroux cite la fière réponse de Mouriot à un éleveur qui voulait l'obliger à clore ses plantations : « Quand mes taros iront manger tes bœufs, je mettrai une barrière ! »

« Les réquisitions de main-d'œuvre » (que nous appellerions travail forcé) « frappent toujours les tribus les plus proches des centres de civilisation. De plus, on confond souvent les travaux des forçats et ceux des Mélanésiens, ce qui entraîne l'humiliation », observe le général de Trentinian. [PAGE 72]

D'autres risquent les mêmes explications que lui et les publient en Nouvelle-Calédonie, faisant de la colonisation de l'archipel la cause de la guerre. Le commandant Henri-Laurent Rivière (1827-1883) l'exprime lorsqu'il conclut ainsi son ouvrage :

    « Je ne crois pas qu'il faille chercher à cette insurrection de la Nouvelle-Calédonie des causes particulières ou locales. Il y en eut peut-être, mais quelques actes isolés d'arbitraire ou de mauvais traitement ne suffisent pas à soulever un pays. Un grief plus grave serait la prise de possession, plus ou moins justifiée, de terres canaques et l'irruption du bétail dans celles qu'on laissait aux indigènes. Leurs plantations ravagées, c'était pour eux la faim ou le travail sans relâche. Mais la grande cause de l'insurrection, la seule pourrait-on dire, c'est l'antagonisme qu'on a vu de tout temps du peuple conquérant et du peuple conquis. »

Que l'insurrection ait éclaté dans le sud-ouest n'est pas un hasard. La colonisation pénale et les grands éleveurs y pèsent le plus en 1876[2]. [PAGE 73]

Le fondateur et le symbole, encore aujourd'hui, de la rébellion est Ataï. A sa mort, Naïna lui succède. Les tribus de La Foa s'opposent aux Français sur la côte ouest; l'attentisme de nombreux chefs canaques, de la tribu même d'Ataï, peut subsister jusqu'à la fin août 1878.

A l'est, le lieutenant de vaisseau Servan, par un acte de courage, dévie les Canalas de l'insurrection. Il donne à Nondo, un chef qu'il sent favorable à l'insurrection, sa carabine en lui disant : « Si tu me suis, c'est un cadeau que je t'aurais fait; si tu me tues, tu ne pourras pas te vanter de me l'avoir pris. » Il obtient ainsi que les Canalas marchent contre Ataï. On soupçonne qu'ils ont honte de le combattre. Et ils ont des objectifs propres, qu'ils mènent à l'abri de la collaboration avec les Français : une politique de ralliements aux Canalas, sur le versant ouest de la montagne. On rechigne à confier aux auxiliaires mélanésiens des fusils; ils combattent à coups de haches, frondes et sagaies (p. 207).

Le camp pénitentiaire de La Foa, avec ses colons isolés vivant avec des Mélanésiennes – ce qui détruit l'équilibre des sexes – est l'un des points de départ de l'insurrection; la polygamie des chefs accroît le déséquilibre de la « sex ratio ».

« L'élément féminin constitue un facteur de fusion, mais aussi de confrontation entre les deux communautés. » Ce commentaire d'Alain Saussol explique-t-il ou voile-t-il ce qui s'est passé ? (p. 215).

L'AFFAIRE CHÊNE

Chêne, libéré du bagne, en concubinage avec une Mélanésienne (déjà mariée à un Mélanésien), vit avec elle et [PAGE 74] son petit garçon de trois ans. Toute la famille est tuée le soir du 18 juin 1878. Les gendarmes qui enquêtent sur le meurtre sont tués; l'insurrection éclate ainsi le 25 juin; une femme mélanésienne, qui vivait avec l'un des gendarmes, est épargnée et emmenée. Les fusils des gendarmes intéressent les rebelles. D'autres femmes mélanésiennes sont épargnées avec leurs enfants.

Il s'agit, selon le général de Trentinian, de semer la terreur parmi les colons, par des blessures « sur les Noirs qui nous servaient et n'étaient pas nés ici, voire même sur les femmes canaques qui avaient eu des relations maritales avec les Blancs » (p. 217).

Malchance pour l'insurrection, due au hasard : dès le début, le navire de guerre « La Vire », sous le commandement de H.-L. Rivière, débarque à Téremba (La Foa) une compagnie de marins.

Le 26 juin, la révolte éclate à Bouloupari, plus au sud de La Foa, plus près de Nouméa. « Contrairement à ce qui se passait à Ourail, la veille, quelques colons furent épargnés pas les Canaques : selon Planchut (1878), un petit chef local, Charley (nom anglais, L.G.), a protègé de toute attaque Henry Bull (autre nom anglais, L.G.), respecté, aimé des indigènes, parce qu'il parlait leur langage. La famille Artaud a été sauvée par le seul fait de s'être trouvée réunie par le hasard au protégé de Charley. »

A Nouméa, les meurtres de La Foa n'avaient fait croire qu'à un soulèvement local. Les nouvelles de Bouloupari, retardées par le télégraphe arraché, créent la panique.

Le 29 juin, on exécute les derniers survivants de la tribu Ouamous, du village de Nondo. Le piquet de troupes établi au pont de la Dumbéa, pour surveiller ce qui vient du nord, arrête une vingtaine de Canaques qui travaillent dans un champ de cannes à sucre et en fusille douze. Tous les Mélanésiens de Nouméa sont internés, au nombre de cent trente, à l'île de Nou.

Pendant deux mois et demi, l'insurrection reste limitée, s'enlise. Des appels au meurtre paraissent dans la presse.

M.-J. Mauger écrit en 1878 : « Les plus modérés demandent la déportation de la race indigène sur d'autres terres. »

Le 3 juillet, les insurgés marquent un point en tuant le commandant de toutes les troupes de la colonie, le [PAGE 75] colonel Gally-Passebosc. Début septembre 1878, mort d'Ataï.

Le 11 septembre, l'insurrection se propage à Poya, pays de grands éleveurs, où Routier de Grandval a une concession de 600 ha; l'éleveur ex-gendarme Henri Houdaille aussi. Certaines concessions dépassent 1 000 ou 2 000 ha. Selon le général de Trentinian, le point de départ de l'insurrection serait un enlèvement de femme mélanésienne pour le compte de Houdaille, qui la destinait à l'un de ses amis. A Koné, la révolte s'étend. On évacue les Européens de Koumac.

La rébellion atteint Bourail, lieu pénitentiaire, le 22 septembre 1878, à cause des spoliations. A chaque localité, les meurtres concernent un petit contingent de Néo-Hébridais.

« Le gouverneur voulait que les Canaques, à qui l'on faisait grâce de la vie, abandonnassent l'arrondissement et fussent transportés à l'île des Pins, ou aux îles Bélep, dans le nord. Non seulement cela supprimait des indigènes, mais nous donnait une quantité considérable de terres fertiles », écrit Rivière[3]. La rébellion apparaît comme moyen de conquérir la terre. Rivière ironise, à propos de la reddition du chef Pollo, « qu'on a connu gras et gros, et qui a notablement diminué ». L'état de siège sera levé un an après le début de la rébellion, le 3 juin 1879.

Bilan : près de 200 morts du côté européen (et assimilés). Environ 1000 tués du côté canaque, sur environ 2 860 personnes insurgées. Donc, dispersion dans la nature d'environ 1 800 survivants; Jean Guiart a souligné « l'importance et la complexité des efforts des alliés des Français pour soustraire à la répression le maximum de rebelles ».

Les femmes et les enfants des captifs ont été livrés comme butin, en particulier aux Canalas, qui enrichissent leur potentiel démographique (p. 245). 1 200 Mélanésiens sont déportés à l'île des Pins et à Bélep (p. 320). Les gens de cette dernière île sont mis en minorité par l'affluence; l'Administration propose à ces derniers de venir sur la Grande Terre – ce qui prouve qu'on ne comprend toujours [PAGE 76] pas l'attachement des Canaques pour leur terre natale.

A l'île des Pins, les 600 habitants doivent accueillir 720 personnes, « nus et hagards, écrit Pisier, après avoir passé des mois dans les bois, en groupes hétérogènes, ne se comprenant pas entre eux ».

« La pensée d'un exil perpétuel est la plus grande peine dans l'esprit d'un Canaque, écrit le lieutenant Servan. Beaucoup préfèrent la mort. »

A partir de 1887, d'anciens rebelles peuvent souscrire des contrats de cinq ans chez un colon. Après quoi ils sont regroupés dans des réserves composites. Ceux qui restent à l'île des Pins forment la tribu des Ouatchia. Ils n'ont qu'une envie, revenir au pays, à la Grande Terre. Certains colons voient dans ces hommes « sous contrats » des possibilités de rétablissement du servage. L'inspecteur des colonies Fillou précise dans un rapport (1907) :

    « L'exploitation des indigènes, natifs ou immigrants, était particulièrement en honneur. Nous avons constaté de véritables flagrants délits, pour les uns comme pour les autres. Quatre contrats de louage de services, autorisés en 1900 et 1902 par M. le Gouverneur Feillet, avaient asservi des tribus entières (même leurs générations futures) à des colons bien vus de l'autorité protectrice. Ces actes de pur despotisme faisaient revivre aux antipodes "la glèbe et les serfs attachés à la glèbe". Nos critiques ont abouti à la dénonciation de ces contrats immoraux et illicites » (Inspection de 1907. Rapports nos 26 et 27).

Les familles Le Goupils, Roumy, Devambez souscrivent des contrats avec le chef Samuel « pour plusieurs générations », près de Bouloupary, à Nassirah et Ouitchambo. (Voir annexe.)

Une fringale de terre des colons succède à la victoire. A Canala, le lieutenant Servan doit empêcher les colons du lieu de voler de la terre sur le patrimoine de Gélima et de Kaké – à d'anciens alliés de 1878 ! Il arrive à ses fins, mais les colons obtiendront son départ de la colonie.

D'ailleurs, les colons veulent retirer aux militaires leurs pouvoirs administratifs, car ils sont « trop » conscients [PAGE 77] de ce que la misère des Canaques les mène à la révolte. En 1880, lorsque cette réforme intervient, le gouverneur Courbet craint « le recrutement des chefs d'arrondissement parmi les colons de la colonie ( ... ) capable de provoquer au bout de quelques années une nouvelle insurrection » (lettre au ministre du 24 octobre 1880, citée par P. Gascher, Nouméa, 1975). Les citations de « Caldoches », à propos de ces événements, cent années après, sont fréquentes, dans le livre d'Alain Saussol. Il existe en Nouvelle-Calédonie une réflexion critique sur le passé de la colonie, qui me paraît plus importante qu'ailleurs.

La crainte du gouverneur Courbet est résolue : les chefs d'arrondissement seront métropolitains. Chez les Européens, l'inquiétude subsistera, « progressivement tempérée par la quasi certitude de la prochaine disparition des Mélanésiens » (p. 251).

C. Lemire écrit en 1878 :

    « On a répété que depuis quelques années le dépérissement de la race canaque avait beaucoup augmenté. De soixante mille le nombre est tombé à quarante mille : mais il n'est guère aujourd'hui au-dessus de trente mille. » Et déjà il prophétisait la disparition de ce peuple : « Nous ne traquons pas les indigènes, écrivait-il, comme l'Angleterre, l'Espagne et les Etats-Unis ont été accusés de le faire, mais tout en les protégeant, il est à craindre que, par une loi irrésistible, la colonisation, qui se fait aujourd'hui avec les Canaques comme auxiliaires, ne s'établisse définitivement sur des tombes. »

Les causes d'un « mal de vivre » ne viennent pas que d'une démographie déclinante : avortements, infanticides des filles; en 1887, on décrète le régime de l'indigénat, avec des infractions variées pour les « sujets français » : désobéissance aux ordres (corvées); sortir de « son » arrondissement; port d'armes dans les localités européennes; sorcellerie; entrer dans un débit de boisson; nudité dans les localités européennes; interdit de circuler à Nouméa passé 20 h, matérialisée par un coup de canon jusqu'en 1945...

Un « froid désespoir » les mène à une natalité déclinante, [PAGE 78] que constate le chef d'arrondissement Moriceau (1886) : « Depuis quelques années, le Canaque cultive beaucoup moins que par le passé; j'attribue cet état de choses à un découragement trop justifié. » Moncelon, avocat de la colonisation, l'année suivante : « Le manque de goût à la vie, par suite des mesures administratives, et de l'insécurité dans la possession des terres ( ... ), aucun effort ne sera tenté pour arrêter cette extinction d'une race, sur laquelle il compte ( ... ), on érige en principe le dépouillement des ayants-droit, de ceux qui vont s'éteindre. » Moriceau parle « de dégâts des bestiaux qui, dans certaines parties de l'île, sont navrants ».

Le gouverneur Laffon, dans un rapport du 15 juillet 1893, prévoit déjà la politique de son successeur, Paul Feillet, quand il décrit « une politique foncière construite sur la démographie déficitaire des Mélanésiens ».

    « Depuis 1876, la population indigène a décru dans une proportion invraisemblable malgré toutes les mesures d'aide et de protection adoptées par l'Administration locale, et toute la bienveillance dont elle a fait constamment preuve à l'égard de l'élément autochtone. Ne pense-t-on pas que l'inviolabilité et l'imprescriptibilité s'effacent en même temps que leur objet et que les 20 000 indigènes qui peuplent actuellement la Grande Terre n'ont pas besoin de la même étendue de terres que les 40 000 qui, en 1878, représentaient la population canaque » (Sorin, 1956).

Cette préoccupation inspirera la grande période du cantonnement. Mais il aurait fallu mettre en regard cette politique (menée en vertu d'une natalité canaque décroissante) avec celle de Messmer de nos jours (alors que la natalité canaque est repartie), lequel importe des étrangers pour faire nombre, contre les premiers occupants de l'archipel.

LES CAFEIERS DU GOUVERNEUR FEILLET

Feillet compare les 40 000 Canaques de 1878 avec les moins de 22 000 de 1896. Paris entre dans ses vues : une [PAGE 79] dépêche ministérielle explique que « les réserves qui leur ont été affectées sont devenues trop vastes pour leurs besoins ». Et Feillet reprend de nouvelles délimitations.

Les chefs doivent participer par des « renonciations volontaires » (1895-1897); cela entraîne une perte de leur prestige. Les premières opérations auront lieu à Voh (1894) et à Canala (1895) – ce dernier lieu étant celui des principaux alliés des Français dix-huit ans plus tôt. Le chef est ainsi discrédité. « Du reste, il ne devient ainsi prévaricateur que poussé par un sentiment de vengeance envers ses sujets », écrit Pillet, – cité par E. Salmon en 1935 (p. 271).

A la suite des chefs Kaké et Gravinié, de Canala, selon M. Moriceau, « c'était, parmi les chefs, à qui ferait les offres les plus avantageuses » (pour les colons).

Les affaires d'Ina, Tiéti et Poindimié (côte est, au sud de Touho, février 1896) démentent cet optimisme. Dans une région où la Mission Mariste est puissante – et plutôt favorable aux Canaques – le marché de dupes ne cesse pas au niveau des sujets des chefs. Ici, il s'agit d'obliger les Canaques à travailler chez les colons. Cela diminuerait d'autant la main-d'œuvre quasi gratuite des missionnaires. Les caféiers de Feillet sont donc aussi une machine de guerre contre les missionnaires catholiques, et Feillet ressemble beaucoup à Guillain. Les pères n'ont pas de bons rapports avec les colons; le pasteur Leenhardt est dans ce cas. Les colons, eux, apprécient la « docilité » des animistes. Pour le colon, le gouverneur, l'administrateur, le Canaque est corvéable, une main-d'œuvre; il est d'ailleurs en voie de disparition prochaine. Pour le missionnaire, au contraire, le Canaque est sa raison d'être, ce qui l'amène à prêcher le refus de payer un impôt de capitation.

En guise de mesure de rétorsion, le gouverneur Feillet force l'évêque à se réfugier à Saint-Louis, et ouvre la Grande Terre – jusque-là réservée aux missions catholiques, à celle de l'Eglise réformée.

Le droit des chefs, sur le plan foncier, n'avait jamais eu la moindre existence sur le plan coutumier, et était une création des administrateurs et des gouverneurs. Avant 1897, seuls les rebelles étaient dépossédés de la terre. Les innovations du gouverneur Feillet étendaient les procédés de spoliation à tous les Canaques. Les cantonnements [PAGE 80] de Feillet, par leur ampleur, laissent loin derrière toutes les spoliations antérieures (p. 286).

Comme du temps du gouverneur Guillain, les rapports entre les missions catholiques et le couple colons-Administration reprennent le même conflit, que Alain Saussol décrit ainsi :

    « Les colons accusaient les missionnaires de faire de l'obstruction, de chercher à les décourager (331) pour les empêcher de s'établir et conserver le monopole de leur influence sur les indigènes. Cette obstruction se faisait de la façon suivante : on interdisait aux indigènes catholiques de venir travailler chez les colons désignés à ceux-ci comme "païens", c'est-à-dire qui n'avaient pas la chance de plaire à la mission. On espérait ainsi les inciter à repartir. Il y aurait même eu collusion entre la mission et certains colons "bien pensants" pour évincer les autres et se partager leurs terres. Par suite de ces manœuvres, la plupart des colons devaient travailler avec les autochtones non convertis qui étaient plus dociles et plus travailleurs. Aussi ces tribus non-catholiques étaient-elles celles qui avaient le plus d'argent et elles ne faisaient aucune difficulté pour payer l'impôt de capitation. Quant aux catholiques, deux raisons expliquaient leur manque de numéraire : ils refusaient de travailler avec les colons, et se faisaient exploiter par les Pères qui les payaient fort peu et surtout "avec des bénédictions". »

Feillet obtient souvent ce qu'il veut par la perspective d'avoir, « comme les Blancs », un titre de propriété. Voilà comment Jules Garnier, dans l'édition de 1901 de son livre de 1871, parle de cette perspective de papier :

« On a eu le bon esprit de délimiter les terres qu'on leur consacre, et même de les munir d'un titre régulier de propriété, et dont ces grands enfants ont la naïveté d'être fiers. »

Des chefs se sont pendus dans leur case, à Gomen, parce que la tribu devait évacuer le village. En d'autres temps, les réactions auraient été beaucoup plus vives; une résignation nouvelle s'explique par le vieillissement [PAGE 81] de la population, la crise morale devant la diminution progressive de la population.

Mais des troubles éclatent à Hienghène (1897), Amoa (1899), Touho (1901). Et il y eut des réactions en métropole contre les spoliations de Feillet. Russier estime que 200 000 ha ont été pris aux Canaques entre 1895 et 1901 entraînant une régression du patrimoine foncier mélanésien de 60 %. Le morcellement de ce patrimoine est aggravé par l'obligation de résidence, l'interdiction de circuler, qui atrophie le sentiment de l'espace où l'on vit.

Un rapport de l'inspecteur Fillon, du 15 mai 1907, indique que, parmi les Européens, il en est qui voient en quoi cette politique n'est pas innocente : « Renseignés comme nous le sommes sur les sentiments que nourrissent les colons à l'égard des indigènes, nous tenons pour certain que le respect de la paisible jouissance des tribus n'a jamais préoccupé les bénéficiaires de ces décisions. »

PROMISCUITE ET MAGIE NOIRE[4]

Les tribus deviennent hétérogènes, le cantonnement étant assorti de déportations partielles; les conséquences sociales seront encore pires que les conséquences économiques ou politiques. Le chef devenant exécuteur des ordres administratifs, certains déclinent la nomination, et désignent des hommes de paille, dont le pouvoir coutumier est nul; une crise de l'autorité se manifeste.

Le cantonnement et l'obligation de résidence suppriment les relations entre les Canaques et forcent chaque société à un repli sur soi-même. Les contacts avec des parents lointains se perdent. Les « pilous » (fêtes religieuses) doivent être autorisés par l'Administration. La vie en réserve devient ennuyeuse. Il s'agit d'un ghetto économique et culturel, où la tribu est composite, la promiscuité créant l'animosité. La magie devient un moyen de surmonter les conflits, bien étudié par Jean Guiart (1959) et Eliane Métais (1969). [PAGE 82]

Au début du XXe siècle, le grignotage de la terre canaque se poursuit. Maurice Leenhardt, en 1909, estimait que l'on avait « déjà repris depuis six ans, morceau par morceau, 3 500 hectares de terres concédées aux Canaques, et non de moindre qualité ». D'autres pasteurs, on le verra, suivent avec lui la question au jour le jour.

A partir de 1908, et surtout dans le Nord de la Grande Terre, les Canaques, sans bétail, louent de vastes étendues pour avoir de la monnaie... ce qui est dangereux, car ils fournissent une nouvelle justification aux partisans d'une reprise du cantonnement. Et peu avant la guerre, les colons revendiquent à nouveau la terre.

Le gouverneur Brunet remet en valeur l'argument démographique en février 1914. Les locations se faisant sans barrières, les relations entre Noirs et éleveurs blancs se tendent.

En 1917, la dernière rébellion, dans les hauts de Koné, éclate, « héritage » de 1878. Certains de ces clans avaient combattu les colonnes françaises, puis avaient accueilli des réfugiés. Depuis, la politique de cantonnement avait brûlé des villages à Pouépaï, à Pamalé : Maurice Leenhardt incrimine « la désespérance causée par la spoliation foncière ».

Comme d'habitude, pour les prépondérants, les colons, la rébellion prend sa source ailleurs : « Manque de vigilance et de fermeté de l'Administration; la mobilisation est une occasion à ne pas laisser perdre; un sorcier canaque affirmait que Guillaume, le Kaiser, devait envoyer des cartouches; le bolchevisme s'y infiltrait dès avant la lettre » (L'Océanie française, septembre-décembre 1919).

Le rôle de la guerre n'est pas négligeable, par la mobilisation des Canaques, en France; on sait que le nord de la France est occupé par les Allemands. On sait que les colons répugnent à aller en France pour la guerre : une révolte canaque possible les justifierait.

Le complot préparant la révolte remonte à 1913; le point de départ, Hienghène, éloigné du périmètre troublé au centre montagneux de l'île, ne fut révélé qu'au procès. [PAGE 83]

LA QUEUE DU CYCLONE

L'événement – qui ne peut être comparé à 1878 – se manifeste comme un retour aux coutumes, à l'animisme. La défaite s'accompagne, au contraire, par la conversion aux religions importées, catholique ou protestante.

La rébellion de 1917, où apparaissent pour la première fois des cavaliers canaques, rappelle aux responsables le fait mélanésien; le gouverneur Repiquet préconise, « pour prévenir le retour de tels événements », une augmentation de superficie des réserves, une réorganisation du service des Affaires indigènes, avec budget autonome alimenté par l'impôt de capitation et les droits de douane.

Après le procès à Nouméa, le chef Bouarate, de Hienghène, s'étant pendu, ce fut la première fois qu'il n'y eut pas de spoliation foncière : est-ce parce que tes secteurs montagneux rendaient la convoitise moins immédiate ?

LES DERNIERS VOLS DE TERRES

Les fils des colons amenés par Feillet ont constitué des familles de sept ou huit enfants, qui veulent de nouvelles concessions. On remonte par les hautes vallées vers la Chaîne centrale.

Cela mène aux dernières opérations de cantonnement, contre les Canaques, dont la démographie est à nouveau ascendante depuis 1921. Les incidents et les controverses autour de la réserve de Ouengo-Pouépai, dans le secteur agité de 1917, sonnent en 1920-1921 le glas de cette procédure.

Metzdorf, qui louait de la terre aux Canaques pour son élevage, liquide ses biens pour repartir en France, donnant ainsi une occasion aux Canaques de devenir éleveurs de gros bétail. Cette nouveauté paraît insupportable au syndic voisin de Voh :

    « Il est bon, écrivait-il, de dire que cette réserve d'Ouengo est composée, en très grande partie, de terres à pâturages. Pendant plusieurs années les indigènes les ont louées à des éleveurs, mais ils ont cessé cette location et, depuis quelque temps, [PAGE 84] ils font l'élevage du bétail pour leur compte. Ils jouissent en fait d'une station d'élevage qu'un Blanc serait obligé de payer au Domaine par une location de 4 700 F. Ils paient en tout et pour tout 110 F d'impôt de capitation. Je crois devoir attirer l'attention sur cette situation anormale. Il me semble qu'il y a là quelque chose de choquant à l'intérêt général. Les arrêtés sur l'indigénat n'ont pas prévu que les indigènes pourraient un jour, sans bourse délier, se transformer en gros éleveurs de bétail et de chevaux »

Le syndic se montre donc partisan d'une mesure de cantonnement :

    « En vertu de quoi, ce même syndic proposait d'installer définitivement les gens d'Ouengo, (dont il rappelait au passage qu'ils avaient été, bien qu'acquittés, suspects de sympathies pour la rébellion) sur la partie de Témala louée au colon Metzdorf, ce qui, ajoutait-il, tout en groupant les indigènes et en les plaçant de telle façon qu'ils puissent vraiment être surveillés, formerait cependant une tribu distincte de celle de Témala et d'Ouélisse et éviterait, me semble-t-il, des motifs de discorde". »

Le 20 août 1920, le syndic obtient gain de cause et la réserve d'Ouengo-Pouépaï (2 240 ha) fait retour au Domaine. Une protestation de la mission protestante du pasteur Bénignus alerte le gouverneur Repiquet. Celui-ci annule l'acte de suppression, parvenant à atténuer la spoliation :

    « La réduction de la réserve d'Ouengo-Pouépaï peut être envisagée, non sa suppression. C'est au moment de la rébellion de 1917 et sous la pression des événements que les indigènes de cette tribu se sont réfugiés en partie sur la réserve de Témala. Il serait injuste :
    1) que cette circonstance fortuite eût pour conséquence le retrait de terrains à des occupants qui ne les ont quittés que pour échapper au péril ou [PAGE 85] tout au moins à l'accusation de pactiser avec les rebelles;
    2) que l'Administration, en les imposant définitivement aux Témala, sur la réserve desquels ils seraient astreints à vivre désormais, consacrât un état de choses qui équivaudrait à une usurpation forcée.
    Par contre, il est excessif qu'une quarantaine d'indigènes aient la jouissance exclusive de 2 240 hectares, même en prévoyant l'accroissement de la population, en tenant compte de la coutume canaque qui consiste à laisser le terrain de cultures en jachère... donc il convient de procéder à la révision de la réserve. »

Dans ce cas, la politique de cantonnement, menant à exproprier soixante Canaques, « ayant plus de cent têtes de bétail à eux », a subi son premier échec, semble-t-il, à cause de cette propriété insolite; le gouverneur Repiquet observa :

    « Etant plus de soixante, et ayant plus de cent têtes de bétail à eux, il me paraît bien difficile de les placer dans une autre tribu où on leur fera vite sentir qu'ils seront des étrangers. » Aussi préconisait-il de substituer à la suppression pure et simple de la réserve, une diminution de sa superficie : « Je suis persuadé que si l'on diminuait leur réserve des deux tiers, ils s'installeraient dans le fond de la réserve et pourraient y travailler en paix. »

La colonisation mène, en 1925-1926, des campagnes pour des concessions à l'île des Pins où, en 1913, la restitution aux Canaques du domaine pénitentiaire s'était faite contre l'opinion des colons. Entre les deux guerres, Me Jacques Feillet, avocat parisien fils de l'ex-gouverneur, appuie par ses articles les revendications des colons aux dépens des Canaques. Mais l'Administration résiste par l'inertie à ses campagnes, à l'île des Pins comme à la Grande Terre. Il y aura encore une demande de cantonnement en 1943. [PAGE 86]

LE RENOUVEAU (1925-1956)

Quarante-trois ans après 1878, se dessine le périgée de la courbe démographique canaque sur la Grande Terre, en 1921. La reprise fut irrégulière. Les enfants représentent 32,9 % des Canaques en 1911; 36 % en 1936. Plusieurs explications : l'action antialcoolique hygiéniste du pasteur Leenhardt à Houaïlou.

Comme on craignait le manque de main-d'œuvre, par disparition des Canaques, une prime de 10 F à la natalité indigène est décidée, en 1909. On y ajoute des explications médicales : hypothèse d'une plus grande résistance de la jeunesse, accoutumée aux virus importés. En 1938, on observe une diminution de population après une épidémie de grippe et de rougeole. Une nouvelle génération arrive, qui n'a pas vécu la politique de cantonnement.

Avant 1930, les Canaques entrent dans l'économie de traite (café, Coprah). Ils accèdent au statut de petit planteur. L'opposition de la colonie n'est pas unanime, et si P. Borgès y voit « la fosse où sera ensevelie la colonisation libre » (« Faisons tout le bien possible à ces grands enfants; mais le café ne doit pas être le fossoyeur de la colonisation »), d'autres membres de la Chambre d'agriculture sont plus réservés, comme R. Metzger : « M. Borgès, le temps de nos pères n'est plus : il nous faut grossir notre exportation. Cette exportation indigène, c'est de l'argent qui restera au pays. Tous les Canaques ne sont pas planteurs, je prétends que les trois quarts n'auront jamais le courage de planter une caféière. »

C'est à cette époque qu'un capitaine de gendarmerie, Menier, franc-maçon, voyant que les Canaques pouvaient en tirer une raison de vivre, a fait de la production du café par les Canaques l'essentiel de son activité. Cette activité a joué un rôle dans la nouvelle natalité. Dans certains cas, plus des trois quarts de la production d'une famille sont consacrés au café, un quart aux cultures vivrières, en 1955.

La production canaque de café sur la Grande Terre et de coprah dans les îles ne cesse d'augmenter de 1932 à 1939 : [PAGE 87]

Et pourtant, les réquisitions de travailleurs (travail forcé) se poursuivent jusqu'en 1945. Et en 1946, la suppression de cet esclavage permet aux Mélanésiens de dépasser la production européenne. Apogée de cette culture en 1955; par elle, pour la première fois, les Canaques ne dépendent pas des Européens. La longévité du caféier crée de nouveaux problèmes fonciers par les prêts de terres d'une tribu à l'autre.


Le succès du café canaque rend discutable à leurs propres yeux le maintien sous tutelle européenne de deux fois plus de terres que n'en contrôlent les Canaques, pourtant aussi nombreux. En 1956, on procède aux agrandissements des réserves, qui ne couvrent en Grande Terre que 143 271 ha; alors que les exploitations extensives des Européens en couvrent 318 000. Ce sont les gendarmes, et le capitaine Menier d'abord, qui sont les initiateurs de cette évolution.

Ce problème des terres, qui réunit les Canaques et les petits colons européens contre les grands domaines de la côte ouest, crée le mécontentement qui remplit – avec des petits planteurs, Noirs et Blancs – les rangs de l'Union calédonienne naissante. [PAGE 88]

Pendant que les Européens quittent la campagne pour la société industrielle, les Canaques demandent l'extension des réserves, pour reconquérir le territoire perdu. Les Canaques n'ont pas oublié, malgré les déplacements en tous sens des populations, leur géographie précoloniale.

Aussi bien la Première que la Seconde Guerre mondiale ont des effets vers l'assimilation, dont les Canaques savent tirer parti contre le colonat. La guerre européenne prend un effet intégrateur :

– C'est en 1921 que s'inverse la courbe de la natalité, puisque le café commence à devenir une production canaque.
– C'est le 20 février 1946 que le statut de l'Indigénat est aboli.
– C'est en 1945 que le dernier coup de canon de 20 heures, qui interdit aux Canaques de sortir dans les rues de Nouméa, est tiré.
– C'est en 1945 que le Bureau international du Travail abolit le travail forcé, les corvées réservées aux Canaques.
– C'est le 3 mai 1946 que l'obligation de résidence, qui restreint la vie sociale des réserves canaques, est abolie, ce qui brise le ghetto; explosion de vie qui jette les Mélanésiens sur les routes, multiplie les visites des parents éloignés, ranime les coutumes; les jeunes, qui échappent aux contrôles des anciens et des chefs.
– C'est en 1951 qu'une loi permet à l'électeur mélanésien de passer de 1 144 voix à 8 700; élection de Maurice Lenormand, « le député des Canaques », de l'Union calédonienne « l'U.C., c'est les Canaques, mais aussi les petits colons européens).

De 1925 à 1956, « le chemin parcouru est immense », écrit Alain Saussol...

LE RETOUR AU VIEUX PAYS

Les premiers agrandissements de réserves remontent pourtant à Feillet, avant la Grande Guerre : des lieux de pêche sur le littoral. Il appartint surtout au gouverneur [PAGE 89] Repiquet, après 1917, de formuler un réquisitoire contre les délimitations de Feillet.

« Les mêmes lois, écrit Alain Saussol, qui avaient impitoyablement sanctionné leur déclin démographique, vont jouer en sens inverse, étendant le patrimoine foncier des Mélanésiens » (p. 368).

Ensuite, il atténue par des chiffres ce propos. La fin de ce livre me déçoit par un manque de rigueur, inattendu de ce qui précède.

Donner comme explication de cette évolution un changement des mentalités et des comportements, par une longue citation du père O'Reilly sur le passage des Américains me paraît expéditif – voir annexe sur cet « historien ». Alain Saussol parle, à propos des paysans canaques, d'un « colonat mélanésien » (p. 448).

Aussi l'auteur est-il amené à nuancer, affaiblir ce « changement ». Les surfaces restituées proviennent de biens japonais, de rachats de propriétés européennes par le territoire (Pouébo), de plantations menacées d'abandon, les jeunes Européens allant à la ville. Les extensions les plus importantes ont eu lieu dans la Chaîne centrale. Leur caractère montagneux restreint souvent les terroirs utilisables, et on ne mécontente pas l'électorat européen broussard.

L'une des faiblesses de l'opération est électoraliste. Le record annuel des extensions : 3 754 ha, année des élections législatives.

« Même si, économiquement, le bilan paraît mince, psychologiquement, le retentissement est considérable. Pour les Européens, cette politique fut facilement acceptée » (p. 378).

Pardi !...

« Le geste importait plus que la chose. L'attribution d'une surface, quelle qu'elle fût, suffisait à souligner l'intention généreuse » (p. 384).

La pauvreté des sols restitués provoque un élevage mélanésien. Le commentaire d'Alain Saussol est imprégné – tout géographe qu'il est – par la subjectivité des historiens, signalée par ailleurs : « Les paysans mélanésiens ont mis un siècle à surmonter cette hostilité » (envers le gros bétail).

Mais ne reprochons pas à l'auteur, qui écrit en 1979, de ne pas apporter de réponses aux questions que l'on pose [PAGE 90] six années après; de plus, l'optimisme excessif de ces deux propos est tempéré par ce qui suit.

RÉSERVE, TRIBU,
IDÉES FAUSSES QUI ONT TOUJOURS COURS...

« De nos jours comme en 1868, on continue à vivre sur ce mythe. Tout se passe comme si un cordon étanche enfermait la réserve et ses mystères, l'isolant du monde extérieur. C'est dire à quel point l'intégration des Mélanésiens à la société moderne est encore loin d'être parfaite » (p. 389).

Ces agrandissements sont vécus du côté mélanésien comme des restitutions. Il en résulte des problèmes de succession entre les familles. Comme on attend que le litige soit tranché, les Européens hostiles à ces agrandissements disent : « on leur donne de la terre, et ils n'en font rien ! » Et voilà comment le mépris fait des progrès... à la suite d'une entreprise au profit des Mélanésiens.

« La réserve est aujourd'hui tout ce qui survit du vieux pays mélanésien. Voilà pourquoi elle est devenue un tabou » (p. 397).

Les tensions sociales entre les familles, les gérontocraties, l'ennui des jeunes en « réserve », une scolarisation tardive et au rabais; une pression sociale qui exalte le conformisme, combat l'initiative, contrarie l'apparition de qualités et d'initiatives personnelles : tout cela a conduit, par une contestation de la réserve, depuis 1970, au tassement des agrandissements. Ce livre, écrit à la veille de l'action du F.L.N.K.S., montre le problème que pose cette structure de la « tribu », de la réserve.

A travers l'échec de la Coopérative de Ouitchambo (p. 410), on retrouve encore aujourd'hui, dans cette expérience, l'idée fausse (pratiquée par Feillet) d'un collectivisme néo-calédonien, expérience tentée avec la même réserve de Nassirah pour laquelle le scandale des contrats de servage avait été évité en 1903. De 1961 à 1965, le recours aux mêmes clichés aboutissait au gâchis, avec les descendants des rapatriés de l'île des Pins, insurgés en 1878. [PAGE 91]

Relatant ce fait récent, Alain Saussol semble n'avoir pas conscience que ce qui manque le plus, dans une colonie qui continuerait sur « l'héritage » du passé qu'elle contient, c'est une rupture avec ce passé, avec l'histoire. Serait-ce parce qu'il est géographe ?

L'octroi de concessions provisoires accordées chaque année reste injuste (p. 446) :

Cet autre tableau rend compte d'un progrès notable pour l'année 1977 :

Moins de 1 000 actifs agricoles européens ou assimilés contrôlent 370 000 ha de propriétés avec la plus grande part de 145 000 ha de locations domaniales; le nombre total de propriétaires européens est 2 700. [PAGE 92]

25 000 Mélanésiens (6 000 familles) ont 165 000 ha de réserves, une dizaine de milliers d'hectares de concessions privées, et quelques sociétés civiles.

Est-ce faute d'une solution à cette disparité que la revendication de l'indépendance est née depuis l'édition de ce livre, mot qui n'y est pas imprimé ? On est d'autant plus frappé, aujourd'hui, par l'absence de ce mot, qu'on trouve, dans la conclusion des phrases telles que : « Certes, depuis longtemps déjà, l'égalité civique est atteinte. » Mais ce n'est plus ici que le livre est précieux; dans sa conclusion, il date déjà.

« Il nous faut convaincre, dit Jean-Marie Tjibaou, cette opinion française que, si elle s'endort sur la colonisation, la colonisation continuera. Si elle réagit, si elle est anticolonialiste, cela se répercutera au niveau des décisions politiques. En conséquence, nous disons que le problème de décolonisation qui nous concerne passe aujourd'hui par une prise de conscience du peuple français. Le problème se pose entre le peuple kanak et le peuple français. Ce n'est pas le peuple kanak qui occupe la France. C'est la France qui a envahi notre pays. »

Certes. L'échéance électorale de 1986 ramènera au pouvoir les amis de M. Pierre Messmer, dont la politique projette, en Nouvelle-Calédonie, une émigration qui lui paraît d'autant plus utile qu'elle est noire; venant de territoires où le chômage règne (Antilles, Guyane, Réunion), amenée par le B.U.M.I.D.O.M., dans le dessein de maintenir éternellement le peuple canaque en minorité chez lui[5], j'ai pensé utile de faire connaître, dans une revue africaine, le passé séculaire de cette politique cyniquement démographique, de telle façon que cette arme, qui pourrait être à double tranchant, soit autrement utilisée : l'immigration des Antilles, de Guyane et de Réunion fait partie des « Peuples noirs-Peuples africains », et il importe qu'elle sache, avant de partir, comment elle [PAGE 93] risque d'être utilisée dans l'archipel calédonien, selon les orientations définies au début de mon article par M. Messmer. Il ne s'agit pas d'un transfert de responsabilité des Français sur les Antillais : seulement d'une information. C'est en Nouvelle-Calédonie que ce machiavélisme démographique a sans doute pris naissance, sur le corps véreux du colonialisme français, car dès le XIXe siècle, au lendemain de la prise de possession, sous Napoléon III, on y a pris l'habitude de déjà parler des « Européens et assimilés ». Mais la diversité des territoires où cette politique est menée, aux quatre coins de la planète, finira par faire un jour contre elle l'unanimité des colonisés. Je l'espère.

Laurent GOBLOT

ANNEXE

Frappé par la façon édifiante avec laquelle l'histoire de la Nouvelle-Calédonie est souvent écrite, je saisis cet exemple de contrats « pour plusieurs générations », signés par le chef Samuel, à l'occasion du retour des insurgés de 1878 de l'île des Pins, pour montrer comment le R.P. O'Reilly (historien très souvent cité) en rend compte dans son « Répertoire bio-bibliographique calédonien » (1953).

Au sujet de Devambez, il ne souffle mot de la participation de ce propriétaire de 10 000 hectares d'un seul tenant à cette affaire :

    « Il sera président de la Chambre de Commerce et un des organisateurs fondateurs de l'Union Agricole calédonienne. Il mourut à quatre-vingt-deux ans, le 26 août 1930, à Ouitchambo. Le gouverneur Thaly et de nombreuses personnalités locales se déplacèrent pour assister à ses obsèques. C'était un grand travailleur, franc, honnête, un véritable puritain, un peu trop sévère parfois pour son entourage, plus sévère encore pour lui-même, mais foncièrement bon et dont les employés étaient les mieux rétribués de la colonie. » [PAGE 94]

Si rien n'est dit pour Devambez, Marc Le Goupils, qui a dû, à la suite de ces contrats, regagner la France avec ses enfants, a écrit un texte pour « expliquer » les raisons de son retour : « Comment on cesse d'être colon. Six années en Calédonie » (1910). Le R.P. O'Reilly écrit que c'est une amusante narration des malheurs du modeste colon calédonien, qui a osé critiquer le puissant proconsul. Alors que, en fait, Marc Le Goupils est expulsé à cause de contrats de servage, cet « historien » reprend sans autres implications, cette thèse :

    « Il y aura à Nassirah jusqu'à 600 ou 700 têtes de bétail et l'on y ramassera annuellement de 10 à 15 tonnes de café. Marc Le Goupils sera élu membre du Conseil général, en 1900, dont il deviendra, en novembre 1902, le président. Son opposition ouverte à l'"administration autocratique" du gouverneur Feillet et à ses procédés de gestion lui valurent quelques ennuis personnels, si bien qu'un colon Feillet ayant fort bien réussi, quittera la colonie en juillet 1904 et reprendra à la rentrée suivante sa chaire au lycée Louis-le-Grand »[6].

Une histoire officielle doit être réexaminée, jusqu'à présent écrite aux dépens des Kanaks, au profit des colons. Patrick O'Reilly, Le Mémorial calédonien, et vingt autres ouvrages doivent être suspectés dans chaque thème abordé. Qu'écris-je ? « Suspectés. » C'est « discrédités » qu'il faut lire.

Le Monde a publié une carte de l'archipel, le 27 avril 1985, où l'île des Pins est incluse dans les îles Loyalty, alors que ces îles bénéficient d'un statut très particulier : les Français n'ont jamais osé installer de pénitencier, ni de colons dans les trois îles Ouvéa, Lifou et Maré, à cause des missions britanniques. Le livre d'Alain Saussol a le grave inconvénient de laisser en dehors de ses préoccupations ces trois îles. [PAGE 95]

Après le départ des Américains, en 1946, beaucoup de matériel fut abandonné; le gouvernement ordonna de jeter tout ce matériel presque neuf à la mer : il pensait ainsi conjurer les espoirs d'indépendance que les Américains avaient semés et fait mûrir à travers le Pacifique – un moyen magique, en quelque sorte, qui trouva des critiques aussi bien du côté européen et colonial que mélanésien. En métropole, on n'a aucune idée, à gauche autant qu'à droite, des surprises que réserverait en Nouvelle-Calédonie la poursuite d'une politique coloniale dans les rapports avec les Anglo-Saxons.

Laurent GOBLOT


[1] Cette illusion de calme a été créée par les Canaques dans une intention stratégique, pendant dix années. Je ne vois guère que Mme Dousset-Leenhardt, qui ait prêté une réflexion (sur cette période de dix années de paix et d'observation, pour endormir la méfiance des Blancs, après les troubles qui l'avaient précédée, voir la première livraison de cette contribution), avant sa publication du Rapport du général Arthur de Trentinian. Cette tactique, observée sur toute la Grande Terre, donne la mesure de leur capacité pour un projet politique, malgré leurs divisions. On lira une très bonne description de la réunion du 3 février 1879, au cours de laquelle le général de Trentinian a lu son rapport sur les causes de l'insurrection aux notables de la colonie – réunion et rapport qui brisèrent sa carrière, à cause de son honnêteté – dans Louise Michel, la Canaque, de Françoise d'Eaubonne (Editions Encre, 1985). Pour expliquer la valeur de ce rapport, on soulignera que le général de Trentinian était d'origine huguenote. En Nouvelle-Calédonie, cela peut avoir, aujourd'hui encore, une valeur particulière du fait du partage, par moitié, des Canaques entre catholiques et protestants.

[2] Rivière est en même temps capable de propos stupides : Ataï étant amoureux d'une veuve, qui a refusé ses avances, Rivière la blâme de n'avoir pas accepté, « ce qui aurait empêché l'insurrection », et il la taxe rétrospectivement « d'égoïsme »; c'est dire que sa perception des véritables causes de l'insurrection n'est qu'épisodique. Le rapport Trentinian, au contraire scrupuleux, nous informe même de la sécheresse qui précéda l'insurrection; il dit des choses qui doivent être encore répétées aujourd'hui, par exemple, pour les journaux :

« Les journaux en Nouvelle-Calédonie se sont occupés d'une manière constante de l'insurrection canaque, l'un d'eux a complètement oublié que quelques indigènes ont été élevés parmi nous, que par suite plusieurs d'entre eux savaient lire et écrire et comprenaient parfaitement notre langue. Un de ces natifs, qui a profité sans doute des leçons qu'il a reçues, a trouvé et ramassé un morceau de journal sur lequel on avait répété un propos qui avait été tenu souvent, à tort ou à raison, en Algérie. Il faut tuer les hommes faits parce qu'ils nous combattent ou nous combattront, les femmes parce qu'elles mettent au monde des enfants qui, plus tard, nous feront la guerre et enfin les jeunes gens parce qu'arrivés à l'âge d'homme, ils agiront comme ont agi leurs pères.

« Ce Canaque fut fort inquiet, il manifesta sa crainte à plusieurs personnes, demandant s'il ne courait pas les mêmes risques que les insurgés, c'est-à-dire de perdre la vie. Rien ne dit que ce fait ait été ignoré par les tribus révoltées. Je ne veux pas trop m'y arrêter, mais je dois constater qu'il aurait pu avoir un effet fâcheux, puisqu'il se produisait en pleine insurrection, et demander un peu plus de prudence à messieurs les rédacteurs, si cela est possible. »

(On notera ici une comparaison avec l'Algérie. Du Second Empire à la Ve République, ces comparaisons, du côté canaque comme du côté français, sont innombrables.)

[3] Rivière, commandant de navire, est plus perméable aux idées des colons que ses collègues militaires.

[4] J'ai souvent repris les sous-titres du livre dont je parle.

[5] On lira, sous le titre « Crainte de la submersion démographique » dans Le Monde diplomatique d'août 1985, la liste des territoires où la France applique cette politique d'implantation d'un élément amené d'ailleurs par l'autorité... coloniale, pour minoriser les indépendantistes – Réunion, Guyane, Comores, Martinique, Polynésie – dans un article de Michel Capron et Jean Chesneaux.

[6] Les « colons Feillet », installés par la politique du gouverneur, sont les exploitants du café, à l'époque.