© Peuples Noirs Peuples Africains no. 50 (1986) 50-65



POUR UN NOUVEAU CONTRAT SOCIAL

Gorji DINKA

Bamenda (Cameroun), le 20 mars 1985

A Son Excellence le Camarade Paul Biya, Congrès de Bamenda.

Excellence,

Veuillez trouver ci-joint un discours qui, à mon avis, peut être communiqué au Congrès et qui pourrait transformer le Congrès en forum pour la refonte de nos institutions, celles d'Ahidjo ayant été balayées sans coup férir par Dieu, dont les voies sont impénétrables.

J'ose vous suggérer de lire Exodus 7 : 3-5 et 9 : 16-17 et aussi I Samuel 18 : 10 et saint Jean 12 : 40-42, pour voir comment celui que Dieu veut détruire se trouve d'abord possédé d'un esprit démoniaque envoyé par Dieu pour l'aveugler ou pour le pousser dans une arrogance d'auto-protection.

Ainsi, mon frère, gardez-vous bien de chasser cette idée. Je ne demande pas mieux que de discuter avec vous ou avec n'importe quelle commission sur ce sujet.

Que Dieu soit avec vous.

Respectueusement,

Gorji DINKA

[PAGE 51]

L'INTEGRATION OU LA DESINTEGRATION NATIONALE

Notre pays, comme beaucoup d'autres pays africains, est en réalité une Confédération de communautés interdépendantes d'ethnies, de religions et de cultures.

L'intégration nationale de ces communautés se présente donc comme un objectif national qui est le devoir de chaque communauté ou groupe de communautés constitutives.

Depuis assez longtemps, il y a eu des activités qui compromettaient toute la conception de l'intégration. Des individus, des groupes, et le gouvernement lui-même, sont coupables de nous avoir amenés au bord de la désintégration totale.

DE FOUMBAN A ZERO

Comme vous vous en souviendrez, en août 1961, la République du Cameroun a engagé des négociations avec le Cameroun du Sud pour réaliser l'union des deux Etats. Cela a eu lieu dans l'ancienne capitale du royaume de Foumban. La délégation de la République du Cameroun était dirigée par Ahmadou Ahidjo et celle du Cameroun du Sud par John Ngu Foncha. Les deux Etats parvinrent à un accord complet appelé « l'accord de Foumban ». Chaque détail de cet accord était d'une telle importance que l'accord tout entier a pris la forme de la Constitution de l'Union, et l'est devenu. Il est connu aujourd'hui comme « la Constitution de Foumban ».

Selon cette Constitution, les deux Etats ont sabordé leurs identités respectives et sont devenus les Etats fédérés de l'Union. La République du Cameroun a renoncé à son identité pour devenir le Cameroun oriental. Pareillement, le Cameroun du Sud a renoncé à son identité pour devenir le Cameroun occidental. [PAGE 52]

La Constitution répartissait le pouvoir :

    a) par territoire, c'est-à-dire entre les Etats et le pouvoir central ;
    b) par institution, c'est-à-dire entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire;
    c) par personnalité, c'est-à-dire entre le pouvoir exécutif partagé par le président et les premiers ministres des Etats, et le pouvoir législatif se partageant entre les députés des Etats et les députés fédéraux.

On a vu ainsi s'institutionnaliser la garantie de la sécurité des individus.

L'article 47 de cette Constitution-là a établi la procédure de modification ou de révision de la Constitution. Cet article a stipulé que, pour être valide, chaque modification ou révision devrait être soumise à la Chambre législative de l'Union (appelée l'Assemblée nationale fédérale) pour débat, et approuvée par une majorité spéciale. Cette majorité exceptionnelle était définie comme une situation dans laquelle la majorité des députés fédéraux du Cameroun occidental s'unit pour un vote positif à une majorité des députés fédéraux du Cameroun de l'Est. Par conséquent, si cinq députés sur les dix représentant le Cameroun de l'Ouest à l'époque votaient contre l'amendement proposé, cela suffisait pour rejeter ledit amendement.

LE COUP D'ETAT D'AHIDJO

Après le soi-disant référendum du 20 mai 1972, le pays tout entier attendait que le texte de la Constitution proposée par Ahidjo soit soumis pour débat à l'Assemblée nationale fédérale, conformément à l'article 47 de la Constitution-même. Mais, à la surprise de tout le monde, Ahidjo a refusé d'obéir à notre Constitution. Il craignait que sa proposition ne soit rejetée par l'Assemblée nationale fédérale. Ahidjo a décidé alors d'organiser un coup d'Etat contre le Cameroun.

Il proclama par le fameux décret DF72-270 du 2-6-1972 qu'il : [PAGE 53]

    a) abrogeait l'accord Foumban;
    b) abolissait la Constitution de Foumban; et
    c) nous imposait sa propre Constitution rédigée en secret et unilatéralement.

Ensuite, par cette Constitution, connue aujourd'hui comme « La Constitution de la République Unie du Cameroun », alias « La Constitution d'Ahidjo », il s'est emparé du pouvoir de gouverner par ordonnances en tant que dictateur pendant une année. Durant cette période, il a détruit l'édifice de la Fédération, c'est-à-dire :

    a) le corps législatif et le gouvernement du Cameroun oriental;
    b) le corps législatif, le gouvernement et l'Assemblée des chefs du Cameroun occidental;
    c) le corps législatif et le gouvernement de la Fédération du Cameroun.

Il installa ensuite sa soi-disant République Unie du Cameroun et le système de gouvernement par lequel le Cameroun, son peuple et ses ressources, devinrent tributaires du premier venu pourvu qu'il fût à la tête de l'Etat. Il érigea des institutions et des fonctionnaires pour faire marcher ce système. C'est ce système qui nous gouverne maintenant et qui désintègre notre peuple.

Au lieu d'un gouvernement par le dialogue, nous avons un gouvernement par la terreur. A la place d'une législation par le débat, nous avons une législation par l'embuscade. Au lieu de la loi et de l'ordre par la persuasion, nous avons la loi et l'ordre par le brigandage et la piraterie. Depuis lors, Ahidjo lui-même y fait référence comme à « la révolution paisible ».

Une révolution ou un coup d'Etat, que cela soit violent ou non, n'a qu'un seul résultat : Il met de côté le gouvernement constitutionnel et établit à sa place une junte. Et une junte se définit comme un gouvernement dont l'autorité n'a d'autre légitimité que la force ou l'intimidation. Dès le 2 juin 1972, notre pays est donc passé de l'ère du gouvernement constitutionnel à l'ère d'une junte. Le gouvernement d'aujourd'hui, les institutions d'aujourd'hui, le système d'aujourd'hui, le style de direction de l'Etat aujourd'hui, ont tous été installés par la junte. Et c'est [PAGE 54] le système de junte que nous sommes obligés de détruire; autrement c'est lui qui nous détruira.

Cette Constitution-là, celle d'Ahidjo, ajoutée au mécanisme du style propre au système d'un parti unique qui nous gouverne, a mis effectivement entre les mains du président du Cameroun :

    a) tous les pouvoirs exercés par les Etats;
    b) tous les pouvoirs exercés par la puissance fédérale;
    c) tous les pouvoirs législatifs de la région;
    d) tous les pouvoirs législatifs de la Fédération.

Les élections, quelles qu'elles soient, sont devenues tout simplement des rituels. En fait, c'est toujours le président qui nomme certains individus en tant que conseillers des municipalités, qui nomme leur président, nomme les membres du Parlement, autant que son président. Et en plus, il peut aussi renvoyer n'importe qui aussi facilement qu'il l'a fait pour Moussa Yaya.

Quant à la vie même, le système ne nous offre aucune sécurité. Selon le système, on ne pourrait avoir de garantie de sa sécurité personnelle qu'à condition d'être un ami du président ou un membre de sa tribu. Et puisqu'aucun être humain n'aime vivre dans un état de peur et d'insécurité, ce système a ouvertement invité chacun des groupes ethniques à se battre pour installer un de ses membres au pouvoir, pour avoir la garantie de sécurité personnelle.

La première réponse à cette invitation est venue le 4 juin 1984. Des vies humaines ont été perdues en grand nombre, et il reste encore beaucoup de misère et un ardent désir de vengeance. Et pourtant ceci n'est que la première réponse à ladite invitation. C'est un jeu d'enfant, comparé avec ce qui se produira quand la bombe du temps de ce système explosera. L'arrogance maladroite et l'avidité du groupe ethnique au pouvoir à l'heure actuelle ont déjà allumé la mèche de la bombe.

L'exhortation continuelle à la vigilance et la tension de l'insécurité qui augmente quotidiennement, ne font que confirmer le fait que chacun, gouvernants autant que gouvernés, en uniforme ou pas, en ville ou au village, vit maintenant en attendant quotidiennement son explosion.

Ceci est l'imminence de la désintégration à laquelle le [PAGE 55] système de junte d'Ahidjo nous a menés. Et, à moins que nous ne changions immédiatement de système, nous devons attendre une désintégration violente totale, le suicide collectif. Est-ce cela que nous voulons ?

Alors, pourquoi essayons-nous de soutenir et de nourrir un système que nous détestons, un système que Dieu lui-même a liquidé, d'abord en exilant ses architectes et ensuite en abolissant toutes ses institutions ?

L'ABROGATION DE L'ACCORD DE FOUMBAN

Le résultat le plus désastreux du coup d'Etat d'Ahidjo ce fut le fait que, en abolissant la Constitution de Foumban, il a abrogé par le fait même l'accord qui maintenait les deux Etats ensemble. L'abrogation de cet accord a effectivement dissous cette union. Et le fait que les deux Etats continuaient à se camoufler sous la prétendue « République Unie du Cameroun » n'a pas changé le fait que la base légale de l'union avait été détruite. Dès ce jour-là, les rapports entre les deux Etats ont perdu leurs fondements légaux. C'est comme un mariage qui, ignoré des voisins, aurait été annulé par le juge mais l'homme et la femme continuent à vivre sous le même toit.

Or, dès le moment où l'accord de Foumban a été abrogé, la junte nous a amenés d'un acte d'illégalité à un autre, d'une invalidité à une autre, jusqu'au point où, maintenant, nous n'avons plus aucune institution valide.

Ainsi, le 21 juillet 1983, la loi no 83-11 du 21-7-1983 a été promulguée, en vue d'amender la Constitution d'Ahidjo. Cette loi annulait l'article 12 de cette Constitution, par lequel les députés ont reçu leur mandat parlementaire en mai 1983. Les principes élémentaires du droit exigent que, quand une nouvelle loi remplace une ancienne, tout en voulant préserver quelque chose de celle-ci, la nouvelle loi soit obligée d'offrir une clause de réserve, pour maintenir cet élément. Dans ce cas précis, la nouvelle loi aurait dû déclarer que le mandat parlementaire de nos députés, qui ont été élus sous l'ancienne loi, avait été converti en un mandat sous la nouvelle loi. Cela aurait sauvé leur mandat de l'abrogation. [PAGE 56]

Mais, que ce soit à dessein ou par négligence, on n'a pas inclus une telle clause. Par conséquent, la nouvelle loi non seulement a annulé l'ancienne, mais elle a effectivement mis fin au mandat de nos députés, qui dépendait de l'ancienne loi. La loi ne 83-11 du 21-7-1983 a donc dissous l'Assemblée nationale de la République Unie du Cameroun dès le 21-7-1983, jour de sa promulgation.

Nous avons signalé cette anomalie au général Semengue, qui nous a conseillé de rédiger un rapport, qu'il a transmis tout de suite au président Biya. Le rapport faisait valoir au président Biya que la loi 83-11 du 21-7-1983 avait dissous l'Assemblée nationale, et que seulement de nouvelles élections pourraient lui donner un Parlement adéquat avec lequel travailler.

En novembre 1983, pourtant, les mêmes députés sans mandat se sont réunis pour promulguer une loi que le président Biya a immédiatement acceptée, se donnant le droit d'organiser les élections présidentielles du 14 janvier 1984. Ensuite, le 21 janvier 1984, les mêmes députés se sont réunis une fois de plus pour permettre au président Biya de prendre pour la deuxième fois la fonction de président de la République Unie du Cameroun. De plus en plus d'amendements à la Constitution d'Ahidjo ont suivi, votés par cette Assemblée sans validité.

Une fois que les députés ont perdu leur mandat, l'Assemblée nationale devient caduque et toutes les lois promulguées sous cette Assemblée sont complètement nulles et parfaitement sans effet.

Et voici le coup de grâce à l'édifice d'Ahidjo : ceci se passait le 4 février 1984. Ce jour-là, le camarade Biya a promulgué la loi no 84-001 du 4-2-1984, qui a aboli la République Unie du Cameroun dont il était le président. Encore une fois, à dessein ou par négligence, la loi n'incluait pas une clause déclarant que les institutions de la République Unie du Cameroun allaient être maintenues comme institutions de la nouvelle République du Cameroun. Cette loi a donc aboli toutes les institutions de la République Unie du Cameroun.

Puisque la République du Cameroun ressuscitée n'a pas encore établi ses propres institutions, elle n'a ni gouvernement, ni Chambre législative, ni autre institution d'administration. Le camarade Paul Biya, alors, n'est ni [PAGE 57] président de la République Unie du Cameroun, qui vient d'être abolie, ni président de la République du Cameroun ressuscitée. Et alors, non seulement Dieu a renversé le tyran Ahidjo, mais il a pacifiquement fait disparaître toutes les institutions que celui-ci avait établies.

Nous remercions Dieu pour cet excellent travail en faveur de son peuple.

SECESSION ET ANNEXION

Nous arrivons maintenant à la triste fin de cette histoire. En ressuscitant l'ancienne République du Cameroun, que l'accord de Foumban avait abolie pour créer une Fédération avec le Cameroun-Sud-sur-Ambas, la République du Cameroun s'est séparée irréparablement de l'Union. Les frontières de la République du Cameroun sont bien définies et reconnues internationalement, autant que les frontières du Cameroun-Sud-sur-Ambas.

Ainsi, à moins qu'un nouvel accord ne se conclue afin de créer une base pour l'union des deux Etats, toute prétention de la République du Cameroun à gouverner le Cameroun-Sud-sur-Ambas ne signifierait qu'une annexion pure et simple. Tel est le droit international. Le fait que quelques habitants du Cameroun-Sud-sur-Ambas occupent des fonctions dans le soi-disant gouvernement de la République du Cameroun prolonge simplement le système colonialiste français, par lequel des habitants des colonies africaines étaient désignés pour siéger au gouvernement et au Parlement français.

Par conséquent, ceux qui ont pu développer ce plan diabolique d'annexion veulent que le Cameroun-Sud-sur-Ambas soit considéré et traité comme une colonie de la République du Cameroun.

Qu'il soit donc entendu très clairement maintenant que personne de lucide n'acceptera jamais cette annexion. Ceux qui sont derrière ce complot honteux ne réussiront à nous transformer en une colonie que s'ils enjambent nos cadavres. Il existe des limites au-delà desquelles aucun être humain ne peut supporter d'insultes, même venant d'un frère. Si l'expression « Cameroun du Sud » [PAGE 58] nous a exposés aux ambitions annexionnistes, nous nous appellerons donc dorénavant L'AMBASONIE.

DEUX OPTIONS

En ce qui concerne cette situation, il nous reste deux options, l'une violente, l'autre pacifique. L'option violente est celle qui s'obstine à maintenir que le Cameroun-Sud-sur-Ambas, alias l'Ambasonie, a été annexé et devrait donc être administré en tant que colonie de la République du Cameroun.

Quel que soit celui qui envisage cette option violente, il devrait remarquer que s'il espère employer les forces de la loi et de l'ordre telles qu'elles existent, il se trompe sérieusement. Premièrement, nos forces sont fatiguées, et elles ont honte d'être forcées de tuer leurs propres frères. Deuxièmement, par cet exposé même tout homme raisonnable doit savoir que les forces seront paralysées par une faiblesse inhérente aux nationalités. Pas un anglophone sain d'esprit ne tirera sur les membres de sa famille parce qu'ils rejettent le statut de colonie. Au contraire, ils lutteront contre l'annexion, sur les collines, sur les toits, dans le vallées, en plein air, sur la mer et n'importe où, jusqu'à ce que ce monstre d'annexion soit anéanti.

Que celui qui pense à une option violente se rappelle qu'il s'expose à l'intervention étrangère des mercenaires, des notoires gendarmes internationaux qui fournissent d'habitude des armes aux deux partis, et dont nous voyons maintenant l'ombre derrière cette magouille sordide. Enfin, tout affrontement ici provoquera certainement l'intervention des pays voisins, dont le Nigeria.

Le régime d'austérité du Nigeria pour le redressement économique est d'une telle importance nationale que le gouvernement nigérian ne restera pas les bras croisés pendant qu'une guerre insensée d'annexion inonde d'ici son pays de milliers de résidents nigériens et de réfugiés camerounais anglophones – qui forment ensemble une population de plus de deux millions d'hommes et de femmes. Voilà ce qu'implique l'option violente. [PAGE 59]

Est-ce que quelqu'un ici préfère l'option violente ? Si par hasard un tel personnage existe, qu'il se lève et soit pris en compte.

Alors, l'option qui nous reste est la voie non-violente. Cette option pacifique reconnaît les faits et la situation tels qu'ils existent selon nos analyses, c'est-à-dire :

a) que le système d'Ahidjo a été dissous et aboli par ses propres lois;
b) qu'il n'existe plus aujourd'hui de système légalement valide pour gouverner ni la République du Cameroun ni le Cameroun-Sud-sur-Ambas, alias l'Ambasonie, ni l'union des deux non plus;
c) que notre tâche maintenant sera de mettre en place un nouveau système d'administration pour notre peuple.

La vérité de la vie est que chacun d'entre nous n'est qu'un simple outil entre les mains de Dieu.

Comme vous voyez, nous pourrions croire peut-être que nous possédons le contrôle d'une situation, mais en fait, c'est Dieu qui nous utilise, selon ses propres moyens.

Lorsque les camarades Paul Biya et Ahidjo ont lancé la loi L83-11 du 21- 7-1983, savaient-ils qu'ils entamaient la liquidation des institutions d'Ahidjo, que Dieu avait silencieusement renversées ? Lorsque le camarade Paul Biya a lancé la loi L84-001 du 4-2-1984, savait-il qu'il signait sa propre mort politique ? Cela, c'est l'œuvre de Dieu.

Aujourd'hui, nous répondons à l'appel que nous a lancé justement le camarade Biya, en disant : « L'histoire nous invite depuis le 6 novembre 1982 à effectuer un changement profond dans notre mode de vivre national. » Il interpellait surtout l'élite, en déclarant : « L'élite doit devenir l'architecte de ce changement profond – pour créer un nouvel ordre social.

Dieu a entendu la prière de notre peuple et a suscité les architectes qui vont construire le nouvel ordre social.

Nous avons ici avec nous les piliers de la reconstruction et nous les fixerons dans une fondation dessinée par Dieu. « A moins que Dieu ne construise, ils travaillent en vain, ceux qui disent qu'ils construisent. » [PAGE 60]

L'ASSEMBLEE CONSTITUANTE

Nous sommes obligés maintenant de retourner à la loi naturelle.

Les personnes ici présentes représentent chaque partie des deux Etats. Etant par leur nature des juristes, ces gens peuvent aménager tous arrangements et conclure tout accord pour faire fonctionner l'administration courante, pendant que le détail de la loi fondamentale est soumis au débat.

Cette Assemblée devient donc par la loi naturelle ce que les spécialistes de la loi et de la Constitution appelleraient « une Assemblée constituante de la Confédération des deux Etats ». Ce faisant, nous supposons que nous pourrons au moins nous accorder sur un type d'Union confédérale.

Tandis que ceux de l'ouest du Mungo deviennent l'Assemblée constituante du Cameroun-Sud-sur-Ambas, alias l'Ambasonie, ceux de l'est de la rivière Mungo deviennent l'Assemblée constituante de la République du Cameroun.

REGIME DE TRANSITION

Maintenant, en attendant un accord sur les termes exacts de l'union entre les deux Etats, nous pouvons au moins nous accorder sur certaines lignes de base.

a) Les groupes ethniques seront répartis en provinces, dont chacune aura un gouvernement et une Chambre législative pour traiter des sujets relevant de la compétence provinciale, selon la nouvelle Constitution.

b) Les aménagements constitutionnels qui fonctionnaient dans chacun des Etats avant que l'accord de Foumban ait été conclu seraient intégrés après les modifications inévitables et serviraient de Constitution de transition pour chacun des Etats. [PAGE 61]

c) Au niveau confédéral – c'est-à-dire de l'union des deux Etats – nous proposons que l'administration présente continue en tant que régime provisoire, sous l'égide de l'autorité souveraine de cette Assemblée constituante réunie. L'autorité de cette Assemblée, pour des raisons pratiques, sera confiée au Conseil de la Reconstruction de la Confédération (CORECO), qui se composera de neuf représentants, choisis de chaque côté de la rivière Mungo.

d) Trois membres des forces de la loi et de l'ordre seront adjoints en tant que conseillers à chaque délégation.

LES FONCTIONS
DU CONSEIL DE LA RECONSTRUCTION
DE LA CONFEDERATION

1) Assumer dès aujourd'hui tout le pouvoir exécutif et toutes les fonctions du gouvernement pour que tout ministère et tout organisme parapublic agissent sous son autorité et deviennent responsables devant le CORECO.

2) établir une administration provisoire dans chaque Etat, d'après la Constitution provisoire que nous avons proposée.

3) En finir progressivement avec le système présent, pendant que le nouveau système commence à se mettre en place.

4) Etablir une Assemblée pour articuler un système précis de gouvernement, sur quatre niveaux : le municipal, le provincial, l'Etat, la Confédération.

5) Assurer l'installation de ces quatre niveaux par un processus électoral qui soit suffisamment démocratique.

6) Rendre le pouvoir aux institutions, et se retirer, dans six mois au plus tard à partir d'aujourd'hui. [PAGE 62]

PROPOSITIONS POUR UN NOUVEAU SYSTEME

Structure régionale

1) Les deux Etats seront divisés chacun en gouvernements provinciaux. L'Etat de la République du Cameroun n'aura pas moins de huit et pas plus de treize provinces.

L'Etat du Cameroun du Sud alias l'Ambasonie aura au moins deux et pas plus de cinq provinces.

2) Les deux Etats constitueront ensemble une seule Union. Les détails de cette Union seront le thème de négociations et d'accords.

La possibilité sera donnée à tout Etat voisin d'entrer dans l'Union. Les modifications nécessaires à la préservation de l'identité d'un Etat voisin désirant entrer dans l'Union seront aménagées.

Structure des institutions

3) PROVINCE

Une province aura :

    a) un conseil législatif,
    b) un conseil exécutif.

4) L'ETAT

Un Etat aura :

    a) un parlement (Chambre législative),
    b) un gouvernement (exécutif).

5) LA CONFÉDÉRATION

La Confédération aura :

    a) un congrès (législatif),
    b) un confédium (exécutif). [PAGE 63]

Structure du pouvoir

6) LA PROVINCE

Les sujets suivants seront de la compétence de la Province : développement, coopératives et mutualités, agriculture et élevage des animaux, éducation en langues vernaculaires et enseignement maternel, santé rurale et prophylaxie.

Tous autres sujets, que l'Etat trouve plus opportun de transférer à la compétence de la Province.

Les sujets relevant de la compétence de la Province n'excluront ni la responsabilité ni l'intervention de l'Etat, dans une optique d'harmonie et d'efficacité du service.

7) L'ETAT

Tout sujet qui ne relève pas de la compétence exclusive de la Confédération fait partie des prérogatives de l'Etat.

8) LA CONFÉDÉRATION

a. Attribution exclusive : Nationalité, système monétaire, poids et mesures, douane, service des communications, administration pénitentiaire, défense et sécurité extérieure, services et conflits entre Etats, organisation judiciaire et administration de la Justice (sauf tribunaux douaniers), aviation, fonction publique confédérale et coordination législative d'ensemble et harmonisation naturelle pour la gestion de l'Etat et des pouvoirs provinciaux.

b. Attributions partagées avec l'Etat : Libertés publiques, défense de l'Etat et sécurité entre Etats, commerce, industrie, banques, assurances, moyens de communication, transports, ports, éducation supérieure, recherche, comptabilité publique.

Les désignations

Les désignations suivantes porteront les significations qui leur sont ici définies : [PAGE 64]

9) LA CONFÉDÉRATION

a. le président – le chef d'Etat,
b. le chancelier – le chef du gouvernement,
c. le ministre – le ministre d'Etat dans le gouvernement confédéral,
d. le confédérateur – le président du Congrès.

10) L'ETAT

a. le prior – le chef du Protocole représentant le Président,
b. le Premier ministre – le chef du gouvernement,
c. le secrétaire d'Etat – le ministre au service du gouvernement de l'Etat,
d. le speaker – le président de l'Assemblée de l'Etat.

11) LA PROVINCE

a. le délégué général – le chef de la Province, représentant le chef de l'Etat,
b. le commissaire général – le chef du gouvernement provincial,
c. le commissaire – le ministre du gouvernement provincial,
d. le coordinateur – le président de l'Assemblée provinciale.

Vous devez vous interroger sur le rôle de Paul Biya dans le nouvel ordre social. La réponse est simple. Les principes que nous avons déjà adoptés décideront du rôle de chacun d'entre nous. Nous sommes tous placés, autant que les deux Etats, à la disposition de l'Assemblée constituante de la Confédération, dont l'exécutif est le CORECO. A moins que quelqu'un ne se déclare indisponible pour le service du nouvel ordre social, le CORECO trouvera certainement un rôle approprié pour tous ceux qui veulent bien servir. Il est certain que, soit par son silence discret soit par ses actions, Paul Biya et chacun d'entre nous avons joué le rôle que Dieu nous a attribué, donc chacun d'entre nous recevra un rôle dans le nouvel ordre, grâce à Dieu. Nous remercions Dieu notre Père pour sa [PAGE 65] miséricorde. Cela nous encourage à avoir de la miséricorde entre nous, autant que l'amour de tout être humain.

Organisons donc pour commencer le Conseil de la Reconstruction de la Confédération.

Gorji DINKA