© Peuples Noirs Peuples Africains no. 49 (1986) 121-128



LIVRES LUS

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Victor Kamga : « Duel camerounais
démocratie ou barbarie »

Paris, L'Harmattan, Collection Points de vue, 1985, 204 p.

Guy Ossito MIDIOHOUAN

Tout laisse croire que le changement intervenu à la tête du pouvoir à Yaoundé en novembre 1982 a provoqué un grand soulagement dans le pays. Les Camerounais se sont remis à espérer. Les livres qu'ils ont publiés depuis cette date, et qui traitent de la vie politique particulièrement mouvementée de leur pays au cours de ces trois dernières années, le montrent bien. Les intellectuels camerounais manifestent une conscience aiguë devant l'enjeu que représente ce changement pour l'évolution du Cameroun. Pendant vingt-deux ans le régime barbare d'Ahidjo a réduit au silence les meilleurs fils de ce pays. Aujourd'hui les Camerounais semblent plus que jamais décidés à dire leur mot. Ils écrivent pour dire ce qu'ils pensent du régime d'Ahidjo, pour dire comment ils conçoivent le vrai changement qu'attend le peuple camerounais. C'est dans ce mouvement d'idées qu'il faut situer le livre de Victor Kamga qui porte en exergue un proverbe bamiléké assez significatif :

« C'est l'intelligence qui ennoblit l'homme. »

La première partie de l'ouvrage fait l'autopsie du régime d'Ahmadou Ahidjo en montrant que les facteurs de la longévité de ce pouvoir (ordre musclé, parti unique, tribalisme, démagogie) sont aussi ceux qui expliquent [PAGE 122] son échec (misère du peuple, gabegie, dictature, économie dominée par les intérêts étrangers).

Paul Biya, successeur d'Ahidjo et manifestement partisan de ce régime de démission nationale qu'il a consciencieusement servi pendant près de vingt ans, est-il vraiment l'homme du changement qu'espèrent les Camerounais ? C'est à cette question que tente de répondre la deuxième partie du livre. L'auteur s'appuie sur la personnalité du nouveau président, sur sa carrière politique et son action à la tête du pays depuis novembre 1982 pour montrer la persistance de nombreuses pratiques qui avaient conduit Ahidjo à l'échec, et douter de la réalité du changement : « le Renouveau vogue vers quel rivage ? » s'interroge-t-il.

Pour Victor Kamga la nécessité s'impose de sauver le Cameroun du naufrage à court ou plus long terme. Les conditions du vrai changement et de la survie sont définies dans le dernier chapitre : l'ouverture démocratique[*], le redressement de l'économie nationale, la reconstruction de l'unité nationale et la fusion équilibrée des valeurs modernes dans les valeurs traditionnelles.

Un « tableau chronologique de la vie camerounaise » du Ve siècle au 12 juin 1984 complète ce livre bien documenté qui propose avec un humour frondeur des analyses sérieuses et des réflexions pertinentes qui éclairent le lecteur sur la situation de beaucoup de pays africains.

Guy Ossito MIDIOHOUAN

[PAGE 123]

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Muteba-Tshitenge : « Zaïre : combat pour la deuxième indépendance »
Paris, L'Harmattan, Collection Points de vue, 1985, 124 p.

Guy Ossito MIDIOHOUAN

Quand on lit les livres que les Africains un tant soit peu conscients écrivent sur la situation dans leurs pays respectifs depuis 1960, on se prend souvent à se demander non pas comment les évidences énoncées ont tant de mal à être prises en compte par la vie politique en Afrique (cela nous le comprenons), mais pour combien de temps encore nous sommes condamnés à répéter les mêmes choses. Le danger – qu'il vaudrait peut-être mieux désigner comme un piège – c'est de nous laisser gagner par le découragement, d'en arriver à douter de la pertinence de nos idées qui, depuis vingt-cinq ans, semblent se déployer en marge de la réalité, et de renoncer à les affirmer sans relâche, en facilitant ainsi l'action délétère de l'idéologie dominante.

Selon Muteba-Tshitenge, le citoyen zaïrois (et plus généralement africain) conscient doit se sentir mis au défi devant sa propre déshumanisation. « L'homme, écrit-il, n'a qu'une seule vocation : la voie de l'humanisation. Vocation souvent niée, mais en même temps affirmée du fait même de cette négation. Vocation niée dans l'injustice, l'exploitation, la violence des oppresseurs... Mais affirmée dans la soif de la liberté, de la justice, dans la lutte de l'opprimé pour récupérer son humanité. Cette lutte, parce qu'elle est juste, est nécessairement triomphante. »

C'est sur cet optimisme que se fonde le combat de Muteba-Tshitenge pour l'indépendance véritable du Zaïre. A partir de la situation dans son pays, l'auteur analyse la question du sous-développement et les conséquences de celui-ci sur la vie des peuples qui le subissent, mais fait surtout des propositions concrètes qui devraient [PAGE 124] permettre pour l'avenir la construction d'une société plus humaine. Quelle industrialisation ? Quel développement agricole ? Quels choix technologiques ? Quelle démocratie ? Quel Etat ? Quelle école ? Quelle médecine ? telles sont les questions auxquelles Muteba-Tshitenge, économiste et gestionnaire de formation mais aussi ancien détenu politique, propose des réponses dans l'intention, affirme-t-il, d'ouvrir un débat d'où beaucoup sortiront édifiés. Car le jour où la majorité des Africains connaîtront les fondements du sous-développement et comprendront que la misère qu'il engendre est une situation objective d'oppression, le jour où ils sauront que la famine n'est pas une fatalité et ne s'explique pas fondamentalement par les méfaits d'une nature peu conciliante, comme on cherche souvent à le laisser croire, ce jour-là beaucoup de choses changeront en Afrique. C'est à travailler à ce changement que Muteba-Tshitenge convie ses compatriotes zaïrois...

Guy Ossito MIDIOHOUAN

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Max Liniger-Goumaz : « Guinea
Ecuatorial. Bibliografia general », V

Genève, Les Editions du Temps, 1985, 264 p.[**]

Guy Ossito MIDIOHOUAN

Pour beaucoup d'Africains (parmi lesquels de nombreux intellectuels) la connaissance de la Guinée Equatoriale se résume à un nom : Macias Nguema ! En effet, ce pays se trouve encore dans un certain isolement, en raison de l'espagnol, langue de l'ancien colonisateur, qu'il est le seul en Afrique à utiliser comme « langue officielle », comme d'autres utilisent l'anglais, le français [PAGE 125] ou le portugais. L'auteur du présent ouvrage a déjà beaucoup fait pour mettre fin à cette ignorance et à cet isolement. Les lecteurs de Peuples noirs-Peuples africains se souviennent de ses articles dont le dernier en date (« Journal d'un renversement d'alliance. Guinée Equatoriale, 1983-1985. Titres de presse et histoire immédiate ») a paru dans le numéro 45 (mai-juin 1985)[1]. Si La Guinée Equatoriale. Un pays méconnu (Paris, L'Harmattan, 1980), Guinée Equatoriale. De la dictature des colons à la dictature des colonels (Genève, Les Editions du Temps, 1982) et De la Guinée Equatoriale nguemiste. Eléments pour le dossier de l'afro-fascisme (Genève, Les Editions du Temps, 1983) sont aujourd'hui plus ou moins connus, on ignore encore, en Afrique francophone particulièrement, les travaux de bibliographie de Max Liniger-Goumaz sur ce pays.

Les quatre premiers volumes de Guinea Equatorial Bibliografía General, comptant en tout 6 098 titres ont paru entre 1974 et 1980 grâce au concours de la Commission nationale suisse pour l'UNESCO.

Le volume V de cette bibliographie n'a malheureusement pas pu bénéficier de cette aide financière et nous ne devons son édition qu'à l'opiniâtreté de son auteur. Ce dernier volume qui compte 2 000 titres supplémentaires, porte à 8 125 le total des références. L'inventaire est complété par quatre indexes (indice de etnóminos; indice de personas; indice de movimientos, organismos, partidos, personas morales, empresas, etc.; indice geográfico y por materias) qui font de l'ouvrage un précieux instrument de travail pour les chercheurs et un guide pour tous ceux qui désirent en connaître plus sur la Guinée Equatoriale.

Guy Ossito MIDIOHOUAN

[PAGE 126]

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Manya K'Omalowete a Djonga :
« Patrice Lumumba, le Sankuru et l'Afrique », préface de Jean Ziegler

Lutry (Suisse), Les Editions Jean-Marie Bouchain, 1985, 175 p.

Guy Ossito MIDIOHOUAN

En s'appuyant sur la documentation écrite, sur ses souvenirs personnels et l'observation sur le terrain, et enfin sur des interviews ou des entretiens, le Zaïrois Manya K'Omalowete a Djonga se propose dans cet essai d'apporter de nouveaux éléments pour une meilleure connaissance de la personnalité de Patrice Lumumba et pour une meilleure compréhension de la nature, de l'influence et de la portée de son action politique.

L'auteur nous retrace d'abord la vie de Lumumba depuis sa naissance le 2 juillet 1925 à Onalowa dans le clan des Ewango, en territoire de Katako-Kombe, dans le district du Sankuru (Province du Kasaï au centre du Zaïre), jusqu'à sa fin tragique au Katanga sécessionniste de Moïse Tshombe le 17 janvier 1961, en dégageant les temps forts de sa brève existence (trente-six ans) et en soulignant le rôle que son parti, le Mouvement national congolais (M.N.C.) a joué dans la lutte pour l'indépendance du « Congo belge ».

La deuxième partie du livre s'intéresse aux diverses réactions enregistrées à l'annonce de la mort de Lumumba, particulièrement au Sankuru, sa région natale, où, à l'incertitude et à l'inquiétude, succéda la colère populaire dirigée non seulement contre les Occidentaux, mais aussi contre les Congolais agents du pouvoir central pro-impérialiste de Léopoldville, et même contre de nombreux Ankutshu a Membele (de la tribu de Patrice Lumumba) originaires des vastes savanes que leurs frères habitant les régions forestières du Sankuru assimilaient [PAGE 127] aux colonisateurs, en raison de l'attitude arrogante de ceux-là à l'égard de ceux-ci.

Si ces premières réactions, immédiates et spontanées, ont été particulièrement violentes, elles n'ont pourtant pas été aussi meurtrières que la lutte armée organisée et menée par les amis politiques de Lumumba, Pierre Mulélé, Christophe Gbenye, Gaston Soumialot et Nicolas Olenga. C'est de cette action armée que nous parle la troisième partie du livre. Pierre Mulélé dirige les maquis du Kwilu en proposant aux masses rurales « une deuxième indépendance, réellement libératrice et démocratique » et « un gouvernement socialiste et populaire ». Christophe Gbenye, en collaboration avec Gaston Soumialot et Nicolas Olenga, lance l'insurrection simba qui, outre quelques endroits de la région du Kivu, de Lisala (Moyen-Congo) et de Boende (Cuvette centrale) parvient en deux mois et demi à conquérir les provinces suivantes : le Nord-Katanga (Albertville), le Maniema (Kindu), le Haut-Congo (Stanleyville), le Kibali-Ituri (Bunia), les Uélés (Paulis), le Sankuru (Lodja). A la fin du mois de septembre 1964, la moitié du territoire de la République du Congo est contrôlée par les forces simba, dénommées « Armée Populaire de Libération », en abrégé A.P.L. Christophe Gbenye installe à Stanleyville un gouvernement pro-lumumbiste et prend le titre de Président de la République populaire du Congo.

Manya K'Omalowete a Djonga insiste particulièrement sur l'occupation du Sankura par les Simba, sur l'accueil enthousiaste réservé à ces derniers par la population locale, sur la politique des Simba à l'égard des chefs de groupements et des villageois, mais aussi sur les facteurs idéologiques, sociaux, psychologiques, etc., ayant favorisé le succès des insurgés.

Mais le gouvernement pro-impérialiste de Léopoldville, dépassé par les événements et voyant son pouvoir chanceler, fit appel aux gouvernements belge et américain qui intervinrent directement sur le plan militaire au Congo. L'impérialisme sortit victorieux de ce combat inégal qui mit fin en novembre 1964 à la juste lutte du peuple congolais pour son indépendance.

Le rêve de liberté est pourtant loin d'être étouffé. C'est ce que montre l'auteur en consacrant la dernière partie de son ouvrage à la « persistance du "mythe" Lumumba » [PAGE 128] au Sankuru, au Congo (Zaïre) et en Afrique. Si le 30 juin 1966 Joseph-Désiré Mobutu n'hésita pas, dans un discours, à rendre publiquement hommage à Patrice Emery Lumumba désigné comme un « illustre Congolais, grand Africain et premier martyr de l'indépendance économique (1) du Congo », s'il demanda à cette occasion à tous ses compatriotes, sur les ondes de la radio nationale, d'observer une minute de silence à la mémoire de Patrice Emery Lumumba, proclamé officiellement Héros national et promit d'ériger à Léopoldville (Kinshasa) un monument à la mémoire de ce combattant, c'est bien la preuve que le rêve de liberté est très vivace au sein des masses populaires. Aucune manœuvre politicienne ne peut empêcher un peuple d'aspirer à l'indépendance et à la liberté. Lumumba est mort mais au Congo, comme dans toute l'Afrique, les peuples attendent impatiemment sa résurrection. C'est là la grande leçon du livre de Manya K'Omalowete a Djonga.

Guy Ossito MIDIOHOUAN


[*] L'ouverture démocratique est aujourd'hui la première exigence des intellectuels progressistes de tous les pays africains.

[**] Diffusion – Les Editions du Temps, 1349 La Chaux, Suisse.

[1] Ces lignes ont été écrites avant là publication de « Connaître la Guinée-Equatoriale », P.N.-P.A, no 46, Juillet-août 1995.