© Peuples Noirs Peuples Africains no. 48 (1985) 97-131



LES FILMS DE LA DIFFÉRENCE A OUAGADOUGOU

Une chronique du neuvième Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou
(23 février - 2 mars 1985)

Pierre HAFFNER

Le lecteur de nos Cinémas de libération à Tunis[*] est à présent familier de ce genre, la chronique, qui nous paraît approcher d'assez près la complexité d'un festival africain de cinéma, dont il faudrait, nous en sommes persuadé, un volume entier pour épuiser l'intérêt. On peut d'ailleurs regretter que, concernant une cinématographie jeune comme celle des cinémas d'Afrique noire, voire du monde arabe, un tel effort ne soit jamais entrepris, étant également certain que, à l'instar de Cannes ou de Venise, Carthage ou Ouagadougou procèdent du show et de la fête, et que le palmarès proclamé, festivaliers et responsables pensent à l'avenir plus qu'au présent ou au passé récent !

A Ouagadougou, disons-le d'emblée, le show et la fête étaient dépassés par le politique : incontestablement le Conseil National de la Révolution a tenu à ce que ce FESPACO se démarque des précédents, comme lui-même proclame sa différence par rapport aux gouvernements qui se sont succédés dans l'ex-Haute-Volta depuis son accession à l'indépendance[**]. Cette différence, le lecteur [PAGE 98] s'en rendra compte, était effectivement remarquable : jamais il n'y eut tant de cinéastes rassemblés à Ouagadougou, tant de critiques, tant d'écrivains, tant de spécialistes, jamais il n'y eut tant de colloques, de rencontres, de sommets, dans un laps de temps aussi court, jamais la population burkinabé n'a su, avec une aussi grande clarté, la nature du combat des cinéastes négro-africains, puisque le festival avait pour thème Cinéma et libération des peuples et rejoignait par là une préoccupation fondamentale du nouveau régime.

Un problème qui nous paraît inhérent au genre de la chronique est celui du point de vue, si elle ne veut pas se disperser, comme il serait tentant de le faire, dans une manifestation d'une telle importance, dans l'anecdotique et le subjectif. Nous avions adopté le « point de vue de la libération » pour notre chronique des J.C.C., ignorant alors que la libération deviendrait le thème du FESPACO, nous pouvions le reprendre ici, puisqu'aussi bien il s'agissait de rendre compte de nouveaux films, mais nous avons préféré nous laisser conduire par cette impression de différence, qui pouvait effectivement servir de fil conducteur méthodique.

Le lecteur lira comment nous avons été amené à ce nouveau point de vue, dicté par un sentiment très fort pour nous qui participons au FESPACO depuis 1979. Dès le départ nous avons tenté de situer politiquement ce sentiment, avant de nous rendre compte qu'il nous permettrait de « circuler » à travers les films à découvrir[***]. Ici il peut paraître excessif de passer d'une impression à une méthode, il semble en effet beaucoup plus logique de partir d'une notion comme celle de liberté, mais la liberté n'est-elle pas d'abord une idée que [PAGE 99] l'on croit partagée par tout le monde ? Sommes-nous, avec la liberté, si loin d'un sentiment ? Et n'est-il pas dès lors possible, tout simplement, de partir d'un autre sentiment ? D'un autre côté, ce n'est peut-être qu'une somme de différences qui permette de distinguer un objet d'un autre, et d'aboutir ainsi à l'objectivité...

P. H.
Strasbourg, août 1985


Samedi 23 février 1985

Il faudrait reprendre la liste des invités, des manifestations et des projections : d'évidence le FESPACO 85 n'est pas un FESPACO comme les autres. Le Troisième Congrès de la FEPACI, un colloque sur la littérature et le cinéma, après la réunion-bilan du C.I.D.C./CIPRO-FILMS, et puis la rencontre des ministres chargés du cinéma[1], tout cela fait beaucoup sur trois semaines, qui sans doute feront date dans l'histoire du cinéma négro-africain. Et puis nous sommes dans un pays neuf, la Haute-Volta est devenue le Burkina-Faso, il est certain que le changement de nom doit désigner un changement de réalité. Il est certain aussi, de l'avis général, qu'il n'est pas possible de rendre compte, objectivement, de ce FESPACO 85, se déroulant sur des fronts et dans des temps plus incernables que jamais par un seul individu... J'entends par fronts surtout les diverses manifestations orales, et par temps le temps des colloques, du Congrès, des rencontres, des manifestations pour la presse, des projections, etc., temps qui se suivent, se superposent, s'excluent... Avec cette exclusion « dans le temps » j'ai [PAGE 100] très fortement le sentiment qu'une autre exclusion est en jeu, un sentiment que je ressens avec une particulière vivacité, peut-être déjà avec une certaine amertume : l'exclusion de n'être pas dans cette manifestation de cinéma négro-africain un cinéaste négro-africain. C'est peut-être une grande vanité de ma part, bien en contradiction avec cette humilité qui consiste d'abord à regarder ce qui se passe, à essayer de comprendre, à voir des rapports entre le passé et le présent. Comme telle l'humilité exclut le sentiment d'exclusion, puisque par définition je ne prétends m'inclure en rien, m'inclure moi en tant qu'éventuel acteur, étant d'autre part évident qu'en tant que subjectivité faite d'une certaine histoire je suis automatiquement inclus dans n'importe quelle attitude que je puisse adopter. Alors pourquoi ce sentiment d'exclusion ? Malgré les mille et une marques d'amitié et de « reconnaissance » qui m'ont accueilli dès la descente de l'avion vendredi soir, dès le voyage lui-même, à côté de Driss Chouika, le responsable des cinés-clubs marocains, de la délégation algérienne ou de Ferchiou[2], montés à Paris... ? Je vois surtout deux raisons à cette exclusion : le Congrès de la FEPACI et... la Haute-Volta devenue le Burkina-Faso. Le Congrès – qui en principe devait s'achever aujourd'hui et qui va chercher ses conclusions demain et peut-être encore bien plus tard –, je le savais, est essentiellement et exclusivement une « affaire interne », et je n'ai pas pensé une seconde y avoir un quelconque droit de participation, ni même d'observation, mais je ne m'attendais pas, à ce point, qu'il constitue un monde à part, que dans ce monde à part les cinéastes deviennent des êtres à part et que ce phénomène dégage cette sorte de « rayonnement d'exclusion » auquel je suis si sensible. Maintenant, étant entendu que c'est une première impression, peut-être passagère, je puis encore m'interroger sur le pourquoi de ce « monde à part » et de ce rayonnement a contrario... Je crois que la raison principale réside dans le fait qu'il s'agit d'un monde malade, d'un corps-de-cinéaste « miné de l'intérieur », et que cela ne peut [PAGE 101] ainsi que dégager un mouvement d'« antipathie », parce que, en d'autres termes, il n'est lui-même pas constitué de « sympathie ». Les querelles de pouvoirs et d'intérêts, dont on peut se faire une idée par « ricochet », sont particulièrement violentes, virulentes et hystériques[3], au point que justement les heures et les jours de discussions paraissent moins résoudre les problèmes (à l'opposé de la fameuse palabre africaine, mais il est vrai qu'une palabre peut durer des années) que les compliquer en accroissant les contradictions... Comment, dans une telle situation, pourrait-il ne pas y avoir un immense fossé entre ce monde et le mien, peut-être celui de tout non-cinéaste africain ? L'autre raison, la Haute-Volta changée en Burkina-Faso, m'est apparue avec une grande évidence lors du cérémonial de l'ouverture du FESPACO à la Maison du Peuple. Le lieu est celui des précédentes sessions, le rituel est lui aussi proche des rituels précédents, le protocole est moins strict dans l'ordre d'arrivée des personnalités, le nombre des personnalités officielles moins important, mais un protocole calqué sur les précédents : arrivée des participants, discours, musiques et danses, présentations des personnalités marquantes. Par rapport au rituel je me suis donc retrouvé en pays connu, et en ce sens en familiarité avec l'événement. Mais, sous la forme du rituel, il y a des slogans différents, un langage, un ton, une inspiration qui est différente des autres ouvertures et c'est ici que commence cette nouvelle exclusion, de par la nature de cette différence. Je le savais : Sankara est l'homme neuf, Lamizana, Saye Zerbo, Jean-Baptiste Ouedraogo sont du passé, les « tribunaux populaires » se sont prononcés sur eux, on peut repartir – ou partir. Je savais cela et naturellement j'attendais de percevoir cette nouveauté dans ce qui devait nécessairement être différent dans le rituel, et c'est dans l'absence profonde, catégorique, radicale de cette nouveauté-ci, celle qui désignerait cet homme nouveau, que je situe ce second motif d'exclusion, comme une sorte de terrible déception personnelle. Par rapport à « l'inspiration » – l'idéologie ? – des rituels [PAGE 102] précédents; il y a certes nouveauté, mais par rapport à ce que l'on sait, par ailleurs, des divers rituels qui ont marqué certaines « expériences » de renouveau négro-africain, il y a répétition « pure et dure ». Et ce « par ailleurs » je le situe en particulier dans la Guinée de Sékou Touré, au Ghana de Nkrumah, au Mali de Modibo ou au Zaïre de Mobutu. Il est d'ailleurs évident que les références peuvent, selon les expériences de chacun, se multiplier, entre Cuba et l'Ethiopie, peut-être la Corée du Nord et le Cambodge... Pour mon voisin Tewfik Saleh[4] cela lui rappelle Nasser, « mais ça va beaucoup plus loin, ça n'a jamais été aussi excessif ». Du côté de cet excessif je mets la banderole tendue en face de moi, qui me paraît a priori ahurissante : « La FEPACI, s'unir ou mourir », mais elle n'est que normale puisque la mort est l'une des composantes essentielles de tous les slogans burkinabé, qui sont en général des binômes dont l'un des termes est le « mourir », des variations sur le thème fondamental du « vaincre ou mourir ». Tous les discours introductifs, adressés aux « camarades » s'achèvent tous par « la patrie ou la mort nous vaincrons », qui est la devise du Comité National de la Révolution, mis en place par la « Révolution d'Août »[5]. Et dans la suite de ce binôme tragique l'on retrouve tous les « à bas le colonialisme », « à bas l'impérialisme » « l'art au peuple », « le cinéma au peuple », scandés depuis le refus de Sékou Touré à de Gaulle, par la même jeunesse aux mêmes accents, avec le développement magistral que, dans la foulée de l'« authenticité », Mobutu avait découvert dans l'« animation »[6], dont je décèle [PAGE 103] en cette ouverture, les prémices encore un peu engourdies. Comment donc, dès lors, ne pas se sentir exclu d'une fête que j'imaginais être celle d'une naissance réelle et qui n'est, historiquement, qu'une reproduction de naissances qui, comme telles, se sont avérées partout être des avortements, et dont ailleurs, actuellement, on sait reconnaître avec force le caractère plus ou moins monstrueux... ? Je ne sais bien sûr pas jusqu'à quel point je puis avoir objectivement raison, j'exprime peut-être simplement un doute, peut-être l'avenir du Burkina-Faso est-il radicalement autre et effectivement neuf, comment ne pas le souhaiter ? Mais en même temps les décisions, juridiques, économiques, financières, du C.N.R. paraissent tellement inattendues que je vois mal comment le pays s'en sortira avec un enrichissement réel, et comment, en s'appauvrissant davantage, il pourrait encore se reprendre... Le cas du Zaïre était ontologiquement différent, et sa richesse profonde ne pourra qu'avoir raison de ses « erreurs » ou de ses décisions « malheureuses » historiquement localisables... Je crois qu'il est à présent temps de revenir au cinéma et je me demande s'il ne va pas m'être utile de garder cette impression d'exclusion et de la tenir comme le fil conducteur, le thème, de ma présente chronique. Pour devenir un thème l'impression doit s'objectiver et il me semble qu'à l'« impression d'exclusion » je peux substituer le « thème de la différence », étant évident que s'il y a exclusion il y a différence, que la différence est une « qualité fondamentale » de l'exclusion, et même si tout ce qui est différent n'est pas forcément exclu, ce qui est exclu est forcément différent... le ne tiens pas particulièrement à ces subtilités logiques, je dois surtout expliciter le sens que je voudrais donner, ici, à la différence, pour que ce concept puisse effectivement me servir de fil conducteur. Une nouvelle évidence est que l'idée de différence vaut par l'idée de comparaison : la différence [PAGE 104] surgit lorsque l'on compare deux ou plusieurs éléments et que l'on découvre qu'ils ne sont pas pareils. Si donc je veux me servir du concept de différence comme d'une sorte de critère de jugement, je dois à chaque fois dire par rapport à quoi je parle de différence, et il y a des chances pour que cela change selon les objets que je me propose d'analyser. Je ne puis donc, ici, aller plus loin dans la spécification de ce qu'est ou que sera la différence, elle va dépendre des termes que je vais mettre en rapport dans tel ou tel cas, pour tel ou tel film. Mais ce que je puis encore dire ici c'est le pourquoi de cette recherche, en cherchant d'autres raisons que celles, assez psychologiques, qui m'ont amené au choix de ce critère par le sentiment d'exclusion. Ce « pourquoi la différence ? » me paraît de fait une question relativement naturelle, s'agissant du cinéma négro-africain, dans la mesure où elle détermine assez bien la situation, l'existence et comme la nature de ce cinéma... Le cinéma négro-africain est en effet différent des autres cinémas pour de multiples raisons, et d'abord parce que c'est un cinéma d'Afrique, et ensuite parce qu'il est réalisé dans des conditions qui, dans l'ensemble, ne sont pas comparables aux conditions réunies en général ailleurs : l'argent n'est pas le même, il ne se trouve pas de la même manière, la réalisation n'est pas la même, le produit fini a de grandes chances d'être différent, et sa vente, sa circulation seront marquées par les différences qui précédent et par la différence que constitue le marché cinématographique africain par rapport aux autres marchés[7]. Cet ensemble de raisons fait que l'on peut bien effectivement choisir la notion de différence comme critère d'analyse, étant entendu qu'au niveau de cette chronique il n'est sans doute pas possible de traiter de la différence à tous les niveaux évoqués et que je vais devoir me borner au film en tant que film, à chercher par exemple en quoi consiste sa différence par rapport au [PAGE 105] « cinéma en général », aux cinémas non africains, ou à d'autres films africains, étant entendu que cette démarche est d'une logique très subjective, opérant sur des choix, des comparaisons, qui peuvent être contredits... Mais qui parlerait encore s'il ne disait que ce qui ne peut être contredit ? Qui oserait ainsi dire que seules ses idées sont vérités ? Le sage peut-être, mais à condition de choisir le silence. Aucun rafraîchissement n'est prévu après l'ouverture, la « traditionnelle » réception au mess des officiers aura sans doute lieu un autre jour, peut-être en présence du président Sankara, qui me semble aujourd'hui étrangement absent – il paraissait autrefois si intéressé par le cinéma que j'aurais parié sa présence, avant d'apprendre qu'il fut également absent à l'ouverture du Congrès de la FEPACI, ainsi qu'à celles des autres manifestations cinématographiques qui se déroulent à Ouagadougou pratiquement depuis le début du mois. Je me retrouve à dîner d'un sandwich au cinéma Burkina, qui a naturellement remplacé le Ciné-Volta, et je revois le déjà fameux Rue Cases-Nègres. Ce qui me paraît remarquable c'est la différence qu'entretient ce film antillais, martiniquais pour être précis – pourquoi tous les films antillais sont-ils désignés dans les programmes du FESPACO comme haïtiens ? Je comprends mal cette « faute », peut-être voudrait-on que les Antilles soient toutes des Etats indépendants ? – avec le cinéma négro-africain en général... L'histoire déjà, le monde de l'enfance, est quasi absente de la cinématographie négro-africaine et les exceptions qui y existent – Tiyabu-Biru, Le Fils de qui, Ndiangane par exemple, sont moins des films sur l'enfance que des films sur les questions qui concernent un problème de l'enfance : la circoncision, la légitimité, l'école coranique. Rue Cases-Nègres c'est l'enfance avec ses jeux, ses tours, ses rêves, et c'est le lent passage de l'enfance au monde des adultes – un film d'apprentissage comme il existe des romans d'apprentissage, Dickens, Gorki... Pour cette raison le film d'Euzhan Palcy me paraît davantage procéder d'un cinéma non africain que du cinéma négro-africain, dans la mesure où une telle « situation » de l'enfance n'y existe pas – ou peut-être, mais c'est significatif, pas encore – et où situé ainsi dans le cinéma non africain, on trouve également dans ce film une [PAGE 106] « facture », un « ton », une « innocence » inconnus en Afrique noire, qui cherche en général, par le cinéma, à s'engager dans la dénonciation de tel ou tel travers de la société. Il y a chez Palcy une démarche qui procède de la nostalgie et du coucher de soleil plus que de la revendication. Je dois également dire que le public, largement burkinabé, a réagi avec une grande « justesse » à la projection, et la chaleur des applaudissements a bien souligné son contentement. Ce film d'ouverture du FESPACO est suivi du court métrage de Jean-Claude Tchuilen, Cri pluriel, dont le principe est simple : des poèmes de Paul Dakeyo, des photos d'actualité – en particulier d'Afrique du Sud –, le visage de Paul Dakeyo, souvent en contre-plongée. C'est un essai de film de poésie, jouant de ces différents éléments comme de leitmotive, c'est un exemple unique dans le cinéma négro-africain et par là-même différent de sa production de courts métrages, dénotant peut-être une tendance vers un autre cinéma de courts métrages que celui des fictions à sujet court, mais dont la marginalité, ici, me paraît bien plus riche que celle que j'ai pu déceler dans Suicides, aux précédentes J.C.C. Je me retrouve à la terrasse du Ouagavillois avec Gardies et Alain d'Aix[8], nous parlons des grâces d'Euzhan Palcy, je rentre ensuite au Ran dans la voiture d'un agent de la sécurité, car les taxis sont rares en cette nuit où l'on a pourtant, exceptionnellement, levé le couvre-feu.

Dimanche 24 février 1985

Je prends mon petit déjeuner avec Atyât El Abnoudi, [PAGE 107] cinéaste égyptienne primée au dernier concours de courts métrages de l'A.C.C.T. pour son documentaire sur la soif dans ce village du sud égyptien où les paysannes creusent des trous dans le sable des plages pour trouver un peu d'eau douce... Atyât est ici en particulier comme lauréate de ce prix et comme congressiste active de la FEPACI. Elle me raconte son itinéraire de « cinéaste différente » : chacun de ses films est un court métrage documentaire considéré par l'Etat égyptien comme subversif et par elle comme simplement un témoignage de la vie du peuple, et chacun d'eux est le résultat d'un entêtement quasi maniaque à trouver les fonds, entre telle œuvre de charité et telle commande d'un organisme international ou telle économie personnelle. Cette juriste devenue cinéaste par passion pour son pays a de plus l'insigne honneur d'avoir récolté une trentaine de prix à l'étranger pour des films qui n'ont jamais été montrés à la télévision égyptienne... Des cars de militaires nous conduisent vers la lointaine banlieue, dans la « forêt classée du barrage » – un sous-bois de poussière rouge et d'ombre chaude –, pour un déjeuner-spectacle animé par l'Ensemble Koko de Bobo-Dioulasso. La nourriture mêle plats burkinabé et salades « françaises », livrés directement par les bons soins de l'hôtel de l'Indépendance, supervisé par Sofitel. L'après-midi j'assiste à une conférence de presse où l'on rappelle les critères de sélection des films : chaque pays choisit lui-même les deux longs métrages et les deux courts métrages qu'il veut mettre en compétition. Les responsables évoquent également les problèmes de l'arrivée des copies – elles ne sont pas encore toutes présentes à Ouaga... – et de la retransmission-radio des futures conférences de presse des cinéastes. Je vois quatre films au Burkina, qui vont me faire voyager entre Madagascar, le Faso, le Zaïre et le Ghana. De Madagascar Benoît Ramampy, quasiment absent depuis une douzaine d'années, m'a surpris avec Dahalo, Dahalo, « il était une fois dans le moyen-ouest », film des hauts-plateaux, de troupeaux, de lances, de fusils, de gendarmes et de voleurs, une sorte de western sans rapport avec Le Retour d'un aventurier ou d'autres films de voleurs qui ont pu être faits en Afrique, film de grands espaces, de visages impassibles, de longues marches, de [PAGE 108] grande musique. Le ressort dramatique – le soi-disant juste n'est autre que l'assassin qu'il recherche pour le sauver du lynchage – est sans doute apparenté au western américain, mais la dramatisation est totalement différente, et différente également de celle de L'Accident, relativement conventionnelle, et paraît bien ouvrir à un traitement profondément original d'un « temps malgache » que les retours en arrière viennent encore ralentir... Ce ralentissement, qui marque justement la différence profonde avec le western « normal », est également la qualité du moyen métrage de Kwami, N'Gambo, qui traite de l'ignorance des jeunes filles et des dangers de l'avortement, un film de commande de l'Institut International des Naissances Désirables. Ce film fonctionne aussi autour d'une série de retours en arrière, mais à la placidité du jeu des « acteurs, malgaches, il oppose une théâtralité qu'on jugera sans doute souvent ridicule; la différence est d'ailleurs tout aussi forte sur le plan de l'image, quasi parfaite chez Ramampy, souvent surexposée chez Kwami. Mais encore une fois ce film à thèse, par la manière dont il dissout plus ou moins volontairement le sujet – la partie « idylle » est comme une sorte de « ciné-clip » qui met à merveille en relief les qualités de la musique zaïroise – est différent de tout ce que l'on pourrait imaginer, et le ne suis pas loin de penser qu'une analyse de cette différence – ou, selon le point de vue, des immenses maladresses du film – nous dise plus de la situation du cinéaste et du cinéma zaïrois qu'une œuvre « achevée » selon les critères courants du court métrage didactique. Le didactisme est également le « ressort » du court métrage burkinabé de Drissa Touré, Nasa-Bule, « le nouveau puits », dont la construction est dialectique : l'ancien contre le nouveau, les méfaits de l'ancien – les enfants malades de l'eau insalubre –, les bienfaits du nouveau – le robinet collectif. Mes voisins Burkinabè ne comprennent pas un mot, puisque l'on parle une langue « de l'ouest », peu connue à Ouaga, le réalisateur nous aide en proposant, en off, trois ou quatre « tirades » sur les bienfaits du développement et la non-contradiction entre le respect du passé et l'usage des techniques modernes. La volonté didactique me paraît ici relativement proche de celle que l'on a pu voir dans [PAGE 109] les classiques films de santé et d'hygiène et rentrer ainsi dans un moule particulièrement conventionnel, qui amène à regretter le manque de différence, mais c'est moins « alarmant » que la différence décelable dans Whose Fault, l'un des premiers films signés par un cinéaste burundais. C'est un film d'école, et d'école ghanéenne de cinéma – il existe au Ghana une sorte d'I.N.A. local –, du noir et blanc, dialogué en anglais, une histoire de couple, de jalousie, qui paraît interminable et va s'achever sur un mariage et sur une balle tirée sur la mariée. Je pense qu'aucun spectateur n'a bien saisi le sens, c'est du cinéma-salon, cinéma-coin de rue, ciné-paroles, les acteurs sont placés au hasard des possibilités, et de manière à éviter les tracas du montage... Film différent, certes, mais ici la différence ne me paraît désigner que maladresse et ignorance. En particulier Bernard Menyo paraît ignorer qu'il existe une histoire du cinéma africain et qu'au regard de celle ci on ne vient plus au FESPACO avec une rédaction d'écolier.

Lundi 25 février 1985

A tout prendre ce FESPACO est bien en lui-même un festival différent de tous ceux que j'ai connus jusqu'à présent... Malgré les problèmes particuliers aux programmations et à la ville, il était possible, par le passé, de participer à peu près entièrement à l'ensemble des manifestations. Aujourd'hui, à moins d'avoir le don d'ubiquité, c'est impossible. Il y a des films en même temps que des conférences de presse, des réunions en même temps que des films, et ce Congrès de la FEPACI, qui est en partie ouvert aux observateurs – cela avait été admis par vote à une voix près, celle, paraît-il de Lionel[9], « pour que notre congrès soit internationalement crédible » –, qui n'est toujours pas achevé (il devait l'être vendredi dernier) et qui empêche naturellement les cinéastes de voir des films ou des cinéastes – comme Moustapha [PAGE 110] Alassane, président du jury officiel – de participer au Congrès... Il y a des défilés de mode, des excursions, des réceptions, etc. Le résultat, selon le tempérament, peut d'ailleurs moins être la dispersion que... l'exclusion, et c'est ainsi qu'en ce lundi je ne vois qu'un seul film, Mémoire d'un jour, étant entendu que après les J.C.C., et pour le cinéma qui m'intéresse, je n'ai pas énormément de nouveautés à traquer[10]. Quart aux trente-deux films que le ministère français des Relations extérieures a fait parvenir à Ouaga, et qui pouvaient constituer une intéressante rétrospective, voire combler des lacunes, il semble qu'on n'en ait pas encore retrouvé la trace ! Je suis avec Tewfik Saleh dans la salle du Riale pour cette nouvelle Memoria – histoire d'un autre massacre, ainsi que le titre incitait à le penser –, nous n'avons aucune peine à trouver une place, je crois d'ailleurs que les cinémas du centre-ville sont moins fréquentés en cette session qu'aux précédentes, je pensais que c'était à cause du « complexe du couvre-feu », des barrages qui empêchent la circulation, et des militaires en armes, qui inspectent les sacs à l'entrée des salles, il semble plutôt que ce soit à cause des nombreux points de projections décentrés, mais je me demande où, et avec quels films, car à ma connaissance il n'y a qu'une nouvelle salle, le Kadiogo, qui d'après le programme remplace le Gounghin. Avec Mémoire d'un jour je retrouve le sentiment qu'en Angola, et en général dans le cinéma lusophone, on soit vraiment à la recherche d'un cinéma différent, en particulier différent des autres cinémas négro-africains. Cela commence avec une longue séquence pré-générique qui, sur un montage de photos et de gravures des temps de l'exploitation coloniale, raconte en une sorte de poème épique, la nuit angolaise, scandée par l'image et le son d'une armée en marche, filmée au niveau des pieds et des jambes. Et ce poème me renvoie à d'autres films angolais ou mozambicains – Sur le chemin des étoiles [PAGE 111] ou Estas Sao as Armes – qui reposent également, systématiquement, sur le montage et le récit lyrico-historique. Et puis nous entrons dans le film qui va raconter une arrestation d'Agostinho Neto et un massacre de populations excédées par les exactions exploiteuses, construit entre le passé et le présent, le récit, le témoignage et l'action. Des hommes, des vieux, racontent, leurs récits s'entrecroisent, se complètent, et l'action s'amplifie, se noue, jusqu'au massacre final. Tout ceci sur terre sèche et brûlée, sur nuit de cases d'angoisse, coups de chicotes, coups de gueules, concertations d'officiers portugais, rafles, etc. Des séquences hallucinantes, d'excellents effets de cette parole de vieux sur le rythme des marches de paysans perdus dans la poussière. Orlando Fortunato me paraît avoir réuni tous les éléments du chef-d'œuvre, mais là où cette œuvre-ci diffère du chef-d'œuvre, c'est dans le fait que ces éléments, au contraire du poème lyrico-historique introductif, s'essoufflent par une sorte d'accumulation, se déséquilibrent par une sorte de charge trop répétitive... Je ne vois guère ailleurs, en Afrique, une telle démarche, reposant de manière structurelle sur la mémoire populaire – celle qui est également en œuvre dans Nélisita, mais sur un mode mythique, émanant d'une seule source, et non pas, comme ici, sur le mode historique –, laissant en somme la « mise en histoire » du film au peuple; cela me rappelle davantage Rocha et surtout Guerra, peut-être le monde lusophone a-t-il une démarche différente du monde francophone, par-delà la multiplicité des ethnies... Le portugais est peut-être une langue à mémoire collective, fonctionnant par la mémoire, nourrie par elle, plus que le français, peut-être davantage élitiste, plus passionné de lois que de coutumes... A ce sujet il me semble que les cinéastes angolais ou mozambicains aient moins de souci à user du portugais que les Sénégalais où les Maliens du français. Au bar du Burkina je rencontre N'Gakane, qui m'apprend que les cinéastes de la FEPACI vont participer à la Bataille du Rail[11]. [PAGE 112]

Mardi 26 février 1985

Le Burkina passe une série de courts métrages burkinabè à 9 heures, je me retrouve dans une salle pleine d'écoliers – pourquoi les élèves ne participeraient-ils pas, eux aussi, au FESPACO, et dans la meilleure salle du pays ? La discipline est exemplaire et j'ai la chance d'être à côté d'un instituteur qui va me servir fidèlement de traducteur. Je suis productif présente un centre ouagalais pour handicapés physiques – en général des polios –, les réinsérant dans la vie active par la poterie, et entre déjà dans ce qui me paraît être une « ligne » du court métrage burkinabé : le didactique au service du développement et ici, disons, de la dignité de l'individu diminué – étonnantes images de ces groupes de polios qui descendent de leurs voiturettes et, assis par terre, chargent le four en formant une chaîne... L'on présente en français la structure de ce centre, son fondateur, ses activités, l'ensemble est très clairement mis en images. De cette ligne ne diffère guère L'eau, fruit du travail, mais qui a l'envergure d'un barrage construit par une population de volontaires, et qui exclut radicalement le commentaire explicatif en français. Quoi qu'il en soit le barrage est là et l'on nous a montré qu'il est bien le résultat de l'effort collectif. Images propres, son net, voix descriptive off ou voix explicative de l'instructeur. Les deux courts métrages d'Idrissa Ouedraogo diffèrent totalement de cette « veine didactique populaire », non qu'ils concernent moins le peuple, mais parce que le peuple, ou ses représentants, y est traité autrement. Issa le tisserand est un individu – non des handicapés ou des villageois, mais Issa – si typé, si personnalisé que, le public des écoliers ne s'y trompe pas, il touche à l'héroïsme, et il est en effet applaudi à plus d'une reprise. Issa, dans sa concession du bord d'Ouaga, fait bravement son travail, c'est un [PAGE 113] artisan qui sait fabriquer son outil, travailler sa matière première, et la travailler, là, dans cette concession soigneusement entretenue par une épouse attentive et simple... Ce qui va tout gâter c'est la fripe, la grande ennemie, qui se transforme en « soutien » pour l'épouse et que les clients préfèrent aux tissus patiemment fabriqués par Issa... Qu'à cela ne tienne, il vendra son âne, s'achètera un ballot de fripe, des lunettes de soleil pour paraître moins paysan, et vendra au plus offrant, le béret sur l'œil et la cigarette aux lèvres, ces kilos de frusques ramassés aux quatre coins de la planète développée... Tout ceci passe par un regard, il y a en tout trois ou quatre phrases qui n'ont nul besoin d'être traduites, et l'air de n'y pas toucher davantage, avec moins de musique que de sons d'ambiance, c'est le temps et la civilisation qui passent, qui sont passés, toute cette religion du métier à tisser qu'Ampâté Bâ nous a révélée[12]. Cet hyper-individualisme qui devient porteur de culture globalement « dépassée », nous le retrouvons dans l'autre court métrage d'Idrissa Ouedraogo, avec cette différence qu'ici l'individu – deux paysans fabricant des écuelles dans des troncs d'arbres desséchés – reste encore à l'intérieur de son monde et que ses gestes, patiemment suivis par la caméra d'Idrissa, qui apparaît ici merveilleusement ethnographique, n'appelle pas, ou pas encore, à leur disparition... Par ailleurs mon regard sur l'écuelle africaine ne sera plus la même parce que dorénavant je sais d'où elle vient. Je participe à un grand repas autour des secrétaires généraux de l'A.C.C.T. et du FESPACO et du ministre burkinabé de la Culture, qui a été pendant sept ans à l'école de journalisme de Strasbourg et qui adore la choucroute ! J'apprends également que Tewfik veut faire un film sur Jésus, l'homme de l'amour, le prophète de l'amour, que la « gens militaria » a dû neutraliser. Il n'est pas simple de se remettre de ce grand repas, je finis tout de même par me retrouver au Burkina pour M'sieur Fané, un [PAGE 114] court métrage du Malien Abdoulaye Ascofare. Je connaissais les pages d'un Toussaint-Louverture, voici un élément de plus à verser à ces « films différents » de l'école soviétique de cinéma, « différents » parce que, en général, ils se « classent » par une technicité poussée – comparons le fantastique décor, à la fois grand hôtel, hall d'aéroport et palais de congrès, à la rue et aux intérieurs tristes de l'école ghanéenne... – et comme par un « décrochage » dû en général au jeu des acteurs, doublés et poussés jusqu'à la plus extrême lourdeur, d'autant plus remarquable ici que le son est pratiquement inaudible. M'sieur Fané est un petit employé de bureau convoqué par son directeur, on le cherche partout, il est en train d'étancher sa soif; au directeur qui veut sa démission, il explique que non seulement, vu sa misère et sa bonne volonté, il ne va pas démissionner, mais que de plus, malgré son ivresse et son absentéisme quasi permanents, parce que la vie est trop dure, il mérite une augmentation ! La situation ne manque pas de comique, la caméra bouge, le décor paraît futuriste tant il est moderne, Fané, avec son chapeau, ses lunettes, son incroyable maigreur, fait de grands gestes, mais tout cela se passe comme à côté du film. Je vois ensuite Le Refus de l'Algérien Mohamed Bouamari, que j'avais rencontré aux J.C.C. et qui en ce temps-là m'avait étonné par sa verve fantastique, et démontré combien le cinéaste algérien est à la fois d'une profonde culture française et d'une profonde culture algérienne et arabe[13]. .. J'ai abordé naturellement Le Refus avec ce souvenir et j'entre dans le film avec immédiatement la certitude de la présence de cette double culture, assumée, vécue, à la différence de ce qui se passe en général dans ces « films de culture et d'identité ». Une bande de loubards, sympathiques, pas casseurs pour deux sous, joueurs, branchés sur la moto et le spectacle, avec de plus une bonne jonction avec la jeunesse « locale » – Avignon ? Toulouse ? –, on est parti pour un film plein de jeune sève ardente, le jeu est sans doute outré, un peu trop de cabotinage, mais c'est différent, c'est attachant. Et puis c'est l'enlisement, l'ancien vient brouiller le [PAGE 115] nouveau, « je ne suis pas le fils d'un harki et pourtant quelque chose ne va pas dans la famille, mon père se drogue de médicaments, ma mère ne dit rien »... Et la parole va monter, avec le récit, avec le F.L.N., les combats de la guerre, de la résistance, tout s'explique, c'est atroce, et cela se résout dans cette forme contemporaine du rejet, de la différence : le racisme. Le racisme va tuer cet ancien héros, qui n'a de place nulle part. La question de cette jeunesse algérienne de France rentre ainsi dans la question de la guerre et de la mort, la différence, en somme, de ce film algérien récent avec un film de la première génération est brouillée, et les outrances de jeu ou de situation dévorent cette sève montante jusqu'à réduire ce Refus à un amer constat d'exclusion. Je quitte le Burkina le cœur gros pour le Riale d'un film égyptien, La Honte, d'Aly Abdel Khalek, déterminé encore par le désir de la différence : la grande industrie du cinéma égyptien. Mais quelle histoire ! Un honorable bourgeois meurt en laissant une succession « délicate », personne n'en savait rien, ni surtout le fils qui va devenir médecin, ni celui qui est déjà avocat, ni la mère vénérable, tous ignoraient que la fortune du père provenait du trafic de hachisch. Et tout ce monde ayant besoin d'argent, il faudrait bien continuer ce trafic, mais parce qu'il faut sauver la morale, cela ira jusqu'à la destruction totale de la famille, par assassinat, par suicide... Je n'ai pas tout vu, je ne suis resté qu'une heure dans la contemplation de ce ciné-théâtre, dramatiquement ponctué par des jingles musicaux, une heure de dialogues, d'affrontements convenus, d'effets attendus. Le sujet paraît plus audacieux que les sujets des films égyptiens courants, Tewfik, que je retrouve à la terrasse du Ran, m'apprend qu'il n'en est rien, « chez moi il y a maintenant un "genre hachisch", plus de dix films par an », et le cinéma marche ainsi, sur fond de scandale récupéré.

Mercredi 27 février 1985

Je prends le petit déjeuner avec Pascal Leclerc et Tahar[14], qui nous raconte la fin de la nuit de la FEPACI. [PAGE 116] Les cinéastes n'ont pas cessé de travailler dix à douze heures par jour, et sans doute encore quelques heures par nuit, depuis plus d'une semaine, il semble qu'ils en aient terminé à 4 heures de ce matin, dans la grande salle de la C.E.A.O., se dispersant ensuite à 5 heures, c'est-à-dire à la fin du couvre-feu, maintenu en définitive entre 2 et 5 heures, vers l'Indépendance et leurs hôtels respectifs. On attend les détails, l'important est qu'on ait décidé que le siège actif, le secrétariat général et la trésorerie, soit installé à Ouaga – lors de l'ouverture le ministre n'avait-il pas annoncé que le Burkina-Faso donnerait de sa terre pour une cité de cinéastes ? et le Faso n'a-t-il pas l'habitude de tenir ses promesses ? – et que les responsables de ces postes soient des Burkinabè : Gaston Kaboré comme secrétaire général, Rasmané Ouédraogo comme son adjoint et Sanou Kalifa Emmanuel comme trésorier. Le vote n'a pas été facile, Sembène était candidat, Dikonge-Pipa a failli l'emporter, sur les vingt-sept ou vingt-huit pays représentés Sembène a recueilli trois voix, la Guinée, le Sénégal et le Bénin ! « Etre toujours à côté de Tierno Sow, délirant à qui mieux mieux lui fait un tort énorme », m'avait dit un critique algérien, l'étonnant dans cette affaire est que Sembène ait brigué un tel poste, lui qui, je crois, n'a jamais désiré ce genre de responsabilités – le Sembène d'aujourd'hui serait-il différent de celui d'hier ? Le fait de n'avoir plus réalisé de film depuis bientôt dix ans l'aurait-il changé ? Je me demande si tous les problèmes du cinéma négro-africain ne sont pas restés, depuis les premiers films, les mêmes, et si, par rapport à cette situation, seuls quelques hommes, comme Sembène justement, ont fait quelques pas en avant, sans qu'autour d'eux la situation d'ensemble n'évolue. Ceci ne pouvait les conduire qu'à un abandon ou à un engagement plus déterminant. C'est cette seconde voie que Sembène a dû vouloir choisir, le fait que ses collègues cinéastes ne lui en aient pas donné la possibilité va peut-être l'amener à l'abandon, qui signifierait [PAGE 117] dans son cas, peut-être, l'écriture... c'est donc avec des hommes jeunes et des objectifs régénérés que la FEPACI va reprendre ses activités – nous sommes quelques-uns à être persuadés, mais il ne faudrait pas s'abandonner au pessimisme, que la FEPACI ne pourra fondamentalement rien pour l'avenir du cinéma africain, puisque le problème est d'abord économique et que s'atteler à quoi que ce soit d'autre que l'économique ne peut être qu'un leurre. L'avenir est plus que jamais le C.I.D.C./CIPROFILMS, et la manière dont il va se relever de ses échecs. Nous déjeunons au Mess des Officiers, puis je passe à l'Indépendance discuter avec Fulchignoni[15], comme nous tous complètement déboussolé par le maelstrom de ce FESPACO, d'autant plus qu'il recherche des films sur la possession et voudrait que l'Afrique s'intéressât à l'Afrique... Sur ce plan une chance se présente, ce soir, avec le premier film tanzanien de mémoire de FESPACO, Le mariage de Mariamu « ArusiyaMariamu », une co-production avec les Etats-Unis, de Ron Mulvihill. Des films négro-africains visionnés jusqu'à présent, celui-ci diffère d'abord parce qu'il parle swahili et qu'ensuite il traite de la maladie mentale – pour parler « objectivement » – sujet présent ailleurs dans le cinéma africain, mais remarquablement absent en cette saison. Quelques plans très forts rappellent Kodou, la situation dramatique initiale n'étant plus le tatouage, mais le mariage et, plus initialement encore, la mort du père. Ces trente-six minutes réfléchissent sur la maladie et la guérison, elles ne laissent, au contraire de Kodou, aucun doute sur la guérison, à partir du moment où Mariamu « a retrouvé ses traditions ». Construite sur des flash-backs, cette fantastique médecine du bonheur – le « féticheur » est sans doute un vrai et diffère fortement des images qu'en donne Sidiki Bakaba dans Le Médecin de Gafire – me donne la preuve d'une profonde communauté culturelle négro-africaine, mes voisins burkinabé avouant qu'ils se reconnaissent bien dans ce qui est pourtant un pur produit de « l'aire bantoue »... De cette [PAGE 118] même aire, mais à l'opposé, ou presque, des traditions, je vois Histoire d'une vie du Béninois Séverin Akando. Nous sommes à l'opposé parce que c'est un film de réflexion – politique ? – sur Patrice Lumumba, mais surtout parce que c'est encore un exercice d'école soviétique du cinéma... Coffi, cinéaste-héraut d'Akando, cherche à faire un film sur Lumumba, pour cela il rassemble photos d'archives, stock-shots et même, je crois, des séquences d'un film de fiction soviétique où le leader congolais est interprété par un acteur camerounais, pour parvenir à « l'agonie » de la mort de Lumumba, ce dernier plan impossible du grand disparu, qui va amener Coffi à quitter ses professeurs pour retrouver, en Afrique – mais non au Zaïre ! – les traces de la fin de son héros. Et c'est ici que nous retrouvons dans une certaine mesure « le même », car la « recherche rationnelle » va elle aussi se réconcilier avec les traditions : Lumumba n'est pas mort, puisqu'il y a là un enfant qui porte son nom... De cette école négro-africaine de Moscou, cette histoire est sans doute la plus ambitieuse et la plus achevée, mais ici encore quelle pesanteur, quel académisme ! Et tous ces films de jeunes auteurs d'origine francophone nous viennent avec des doublages si « raides » qu'on finit par se reposer la question des langues et des sous-titres – après tout, ces profs doivent très bien parler le russe ! Les Déracinés, le dernier film que je vois en ce mercredi, un long métrage algérien vieux d'une douzaine d'année, avait bien résolu la question : les Français parlent français et sont sous-titrés en arabe, les Algériens parlent arabe et sont sous-titrés en français. Sommes-nous loin du Bouamari ? L'époque diffère, ici c'est l'autre bout de la chaîne du refus, au début du siècle ou après la Grande Guerre, lorsque les petits colons français s'arrangent avec les caïds pour devenir de grands propriétaires, et que les paysans volés finissent, au moins déjà pour l'un d'entre eux, par se révolter : le film se termine sur un premier coup de feu. Les couleurs, l'immense paysage rocailleux, la ferme, le champ de blé, la petite ville, les petites gens, les petits métiers, et ces colons qui rêvent de grande vie, et ce colonel en retraite qui vient se refaire une jeunesse en faisant fouiller les entrailles de la terre... Lamine Merbah ne se mêle guère de subtilités [PAGE 119] psychologiques, seul lui importe de marquer la différence : le fellah dans son immense simplicité d'un côté, le colon dans son immense ambition de l'autre, entre les deux le caïd sans scrupules, le traître, le collaborateur. Ce cinéma, cette thématique se justifie certainement « historiquement », mais, comme pour Chant d'automne, c'est un peu dommage pour l'Histoire, qui mérite certainement d'être traitée avec plus d'égard, de part et d'autre. Je me retrouve au Ran avec Taïeb Louhichi et Azzedine Mabrouki[16], nous laissons tomber minuit sur des jus d'ananas en parlant des miroirs du soleil et de ces guerres qui ne se gagnent jamais tout à fait.

Jeudi 28 février 1985

Je voudrais faire mille et une choses, et en particulier participer aux travaux du colloque sur le cinéma et la littérature. Je vais à l'Indépendance et y suis comme « happé » par les conférences de presse – Tchuilen, Kwami –, par Fulchi, Kitia Touré[17], un étudiant de l'INAFEC, un journaliste de la radio du Faso, et finalement je ne vais nulle part, pas même à la projection de Bush Mama[18] à 11 heures. Jusque vers 15 heures je suis avec la troupe des festivaliers qui s'en va déjeuner à l'OK-Inn, à une dizaine de kilomètres de Ouaga, des paillotes, de la poussière, un bon buffet « authentique », des difficultés pour trouver une place assise. Sur ce plan, pour la poussière et le plaisir des rencontres, les journées ne diffèrent guère, mais c'est une impression sans doute liée à un certain phénomène de vieillissement ( !) et au caractère trop répétitif des « événements ». [PAGE 120] Dans cette répétition il faut inscrire la classique réception à la Présidence, le dîner offert cette année par le capitaine Sankara, avec sans doute des différences protocolaires : un capitaine en simple boubou blanc rayé de bleu, mêlé à ses hôtes sans être constamment sous le feu des flashes ou des projecteurs, un buffet meilleur que par le passé, comme si les « blocages » devant les plats de cuisine africaine étaient enfin levés. Je me rappelle ma rencontre avec Jean-Baptiste Ouedraogo, il y a des faits historiques qu'on ne reproduit pas, je reste assis à une table sur un casier de bière et rêve à mes quatre présidents de mes quatre FESPACO... Avec Alain d'Aix nous allons de l'Indépendance en Burkina, un peu sonnés par les derniers slogans anti-impérialistes scandés dans le car qui nous a ramenés de la Présidence à l'hôtel, la nuit poussiéreuse d'Ouaga nous protégeant sûrement de la subversion. Nous sommes largement en avance pour La Charpente marine, court métrage guadeloupéen de Jacques Ferlay, film-souvenir, film-artisanat, un vieux raconte comment on fabriquait la charpente d'un petit voilier, en même temps, avec ses bruits et ses couleurs, un jeune refait, sous nos yeux, cette fascinante charpente marine, au temps des bateaux à moteur, en plastique non pourrissable... Un ton différent des documentaires visionnés ici, ce n'est ni du cinéma au service du développement, ni de la fiction au service du cinéma, ou de l'école, mais du docu-œil-docu-oreille qui transmet encore un peu de la joie des îles. Ce n'est pas la joie, mais encore une forme de plaisir-cinéma que N'Goan M'Bala joue dans son long métrage Ablakon, un film attendu dans ce festival, un film attendu de l'auteur d'Amanie et du Chapeau. La différence est ici d'abord le passage au long métrage, et l'on remarque combien le différent est traqué par le même : Ablakon, qui désigne l'un des personnages du film, est de fait un ensemble, plus ou moins mixte, plus ou moins linéaire, de trois histoires, de trois contextes : celui d'un couple bourgeois hyper-sophistiqués – celui de Notre fille est un couple de prolos à côté ! –, les boys en livrées clownesques, étiquetés, le « boy-W.C.-stagiaire », le « boy-chauffeur-première-classe », etc.; celui d'un groupe de gosses abandonnés, musiciens, rusés, sympathiques petits voleurs, le cas échéant [PAGE 121] moralisateurs, sachant se liguer contre les parents indignes, campant dans un cimetière de voitures; celui enfin d'Ablakon, digne successeur d'Amanié, joué par le même acteur, le vantard profiteur sans scrupules, volant l'innocence paysanne et la fraîcheur sentimentale, jusqu'à ce que justice soit faite. Un film comique qui se donne comme une description des travers de la vie contemporaine, la misère des uns, l'aliénation des autres, l'ignorance des derniers, qui ne craint ni de tuer – la naïve paysanne happée par le mirage de la vie –, ni de scandaliser – ces gosses travestis faisant le trottoir, cet enfant infirme vedette de soirée dansante, cette police au service de la bourgeoisie... N'Goan a certainement donné une suite à ses premiers films et le public ne le boude pas, c'est peut-être seulement un peu lourd, un peu lent, un parallélisme plus systématique aurait peut-être « innervé » davantage le récit... Je rentre au Ran en parlant ainsi du comique avec Abdellatif Lahlou, « ça n'a peut-être pas le même rythme ici qu'ailleurs », je pense au koteba[19], aux sketches des télévisions noires, ce n'est pas vrai, on peut avoir, en ces latitudes sahéliennes, des rires explosifs à des vitesses fantastiques.

Vendredi 1er mars 1985

En définitive je passe de bonnes nuits dans ce bungalow du Réseau-Abidjan-Niger (Ran) à 12 000 F CFA par jour, et les petits déjeuners, sous l'auvent porté par des colonnes doriques à côté de la piscine, sont agréables, à mesure qu'émergent les membres du Jury officiel et ceux de l'A.C.C.T.[20]. .. Pour nous c'est l'effervescence [PAGE 122] car l'élection doit être faite ce soir, malgré les difficultés de la programmation : depuis mercredi elle se fait au coup par coup, pour être vraiment au courant et organiser sa journée il faut être à l'Indépendance avec le peloton des cinéastes et des critiques, on ne se rend donc pas compte qu'in extremis des lacunes des uns et des autres. De ce point de vue le jury de l'A.C.C.T., limité à juger des œuvres de pays membres de l'Agence et d'auteurs débutants « à encourager », est nettement plus « tranquille » que le Jury officiel, obligé de voir tous les films en compétition, et « coincé » par le fait que la compétition, elle aussi, a subi des « innovations » en cours de semaine – ainsi Ablakon a remplacé Comédie exotique... Je tiens à ce que mes collègues voient le travail d'Idrissa Ouedraogo, et vers 11 heures nous sommes installés dans une salle du C.I.D.C./CIPROFILMS – je me rappelle une conférence de presse pleine de chaleur et d'ardeur verbale dans cette même salle il y a quelques années, lorsque Tahar a dû s'en retirer pour ne pas gêner avec la fumée de son Handelsgold... – Tewfik, Tahar, Timité et moi, grâce à la diligence de Martine Ilboudo, responsable du Marché du Film. Je revois des images de Dahalo qui, dès le départ, déçoivent mes collègues, et tout ce qui m'a fasciné dans le film, la lenteur, la placidité du jeu, l'immense paysage des plateaux du Moyen-Ouest, le « clin d'œil lointain » au western, n'impressionne pas du tout dans cette longue salle à manger désaffectée, où les baffles du projecteur résonnent comme dans une cave d'Auberge de Jeunesse... Je vais dans les bureaux du Carrefour pour essayer d'avoir des anciens numéros pendant qu'on projette Issa le tisserand et Les Ecuelles, la personne responsable des ventes est absente, il est midi, l'on travaille aujourd'hui, FESPACO oblige, jusqu'à 14 heures, mais le marché est à côté : un responsable des ventes a le droit de sortir pour ses achats ! De retour au C.I.D.C. je m'aperçois bien que l'« effet-Ouedraogo » est réussi, Issa a séduit, les derniers plans ont ravi Tewfik, « tout est dit, c'est très très bon ». Je vois Doba, un autre court métrage burkinabé, signéEmmanuel Sanou, il débute avec un discours de Mokhtar M'bow sur les œuvres d'art négro-africaines et leur circulation scandaleuse dans les musées européens, l'étudiant [PAGE 123] Doba finit par vouloir récupérer, dans une galerie de musée, son « héritage perdu »... Le principe est celui de la vie parisienne montée avec des photos-leitmotive de scènes de la vie traditionnelle et des flashes de musique authentique, jusqu'à l'arrêt sur l'image du voleur, ainsi paralysé pour l'éternité... J'ai le sentiment d'être renvoyé aux débuts du court métrage africain, les statues, même volées, ne meurent pas, c'est la répétition du même, avec une technique sans doute plus poussée, les couleurs, mais la recherche iconique, la différence novatrice sont ailleurs. On me conduit à l'Indépendance où Vieyra m'attend pour faire, rituellement, le point. C'est notre sixième « grand entretien », l'occasion, avec le Troisième Congrès de la FEPACI, est trop belle, il est également temps de reprendre l'évolution du cinéma sénégalais, la situation et le fonctionnement de la Société Nouvelle de Promotion Cinématographique, les « manœuvres » de Johnson Traoré et de Moussa Bathily, tous deux absents en ce FESPACO-Congrès, le premier parce qu'il a volé la FEPACI, le second parce qu'il est en tournage, après avoir d'une certaine manière volé Johnson[21]. .. Nous consacrons une heure au congrès qui a abouti à la création d'un Bureau « fixé » à Ouaga, à la reprise de la division de l'O.U.A. de l'Afrique en cinq régions pour rendre la FEPACI plus opérationnelle, etc. Nous évoquons bien sûr le « mystère Sembène », le fait qu'il ait voulu le poste de secrétaire général, après avoir brigué celui de président, et qu'il n'ait eu que trois voix sur vingt-cinq ou vingt-six, « j'essayerai d'en discuter avec lui à Dakar, pour le moment je ne comprend pas ». Nous évoquons également la situation du Samory, ce film différent, ces milliards de francs CFA en jeu, Sembène, pour la première fois de sa vie, travaillant quotidiennement avec un Français, Bernard Taisant[22]. .. Le monde de l'Indépendance est petit, à la fin [PAGE 124] de notre entretien je vois Sembène, « pour ce Français je donnerai des milliers de Sénégalais », le professionnalisme avant le « racialisme », un Français conseiller de Samory, c'est la réunion des contraires, l'évolution dialectique ! J'ai encore le temps de manger un bifteck-frites, Bouamari n'est sûrement plus à jeun et Nabyl en est au café. Je me suis tracé un programme assez dense pour l'après-midi au Burkina, il s'ouvre avec Cinéma de Carthage, la « suite-Boughedir », vingt-six minutes-SATPEC, la réponse ou le projet de réponse à Caméra d'Afrique, les J.C.C. répondant au FESPACO, avec cette différence que Caméra d'Afrique était comme une histoire du cinéma négro-africain, avec ses grands auteurs et une esquisse d'évolution, tandis que Cinéma de Carthage est un ensemble de plans-entretiens, ouverts et fermés par l'ouverture des J.C.C. 1982 et la belle voix de Myriam Makeba, les affiches qu'on colle et puis qu'on cache, une sorte de J.C.C.-clip avec des amorces de réflexion et un album de famille. Je retrouve ensuite L'Ane qui brait, les différences de montage avec la copie visionnée à Tunis sont minimes, le film reste un brouillon de chef-d'œuvre, Fez, les plaintes de l'âne, de la femme et du résistant, les différences entre la mémoire et la réalité, la réalité et le rêve, et puis cette différence majeure entre la force d'inspiration de Nabyl et ses possibilités de réalisation... Où trouvera-t-il un jour les moyens utiles à son génie ? Je mange un sandwich avec Gardies dans le hall-bar du Burkina, sans nous être particulièrement dispersés ce festival nous trouve peu enthousiastes, peut-être ne sommes-nous pas exactement au diapason de la révolution du Faso ? Les militaires armés qui contrôlent toutes les entrées du cinéma sont pourtant polis et doux, nous ne connaissons plus les grandes presses du passé, même pas pour la découverte du « grand film » ghanéen, totalement inédit en terre francophone, His Majestys Sargeant de Ato Yarney, scope-couleurs, différences notoires avec les autres films du FESPACO, l'armée anglaise quelque part dans les Philippines, le Noir, le Blanc et les Jaunes, une sorte de caverne en stuc où ont lieu les grands [PAGE 125] débats et les entrées-sorties vers des combats où l'ennemi tombe comme des mouches, jusqu'à la folie de l'Anglais blessé et le salut du colonisé en uniforme, le chasse-mouches au poing et l'œil hypnotiseur... Entre les débats-dialogues – sans doute le film est-il l'adaptation d'une pièce de théâtre – montent le passé colonial, l'honneur de l'Anglais, la peine du « païen », les fastes de l'Empire et les misères des indigènes... Du scope-couleurs, mais sans relief, une langue ânonnée plus que parlée, je comprends mal cette différence entre la plastique de l'image, le jeu et le drame, mais c'est sans doute que le cinéma n'a pas grand-chose à voir avec la technique... Les Baliseurs du désert arrive là pour le prouver, non qu'il soit d'une technique imparfaite et d'un récit parfait, Les Baliseurs, en tant que « copie », est exactement le contraire du « brouillon » de L'Ame, l'image comme rapport de couleurs et de masses est d'un grand équilibre, le rythme est celui des jours et des soirs d'une ville du désert à l'architecture admirable, rythme de rencontres et de conversations d'une mystérieuse densité, impossible de comprendre le secret de ce monde de sable, de pierres et d'étoiles de miroirs brisés... De ce point de vue également la différence avec le film ghanéen, et avec tous les autres films du FESPACO, est à peu près aussi importante qu'entre une page Du discours d'orientation politique, imprimée en République populaire démocratique de Corée, et le manuscrit enluminé d'un soufi éperdu d'absolu, il est plus que minuit quand je retrouve mes compagnons au Ran, l'affaire se joue entre Ablakon, N'Gambo et Issa le tisserand, un quart d'heure après Idrissa Ouedraogo est notre lauréat, j'en suis heureux pour lui, il aura assez de sous pour achever son Troisième Cycle dans la classe de Monsieur Rouch.

Samedi 2 mars 1985

U.T.A. nous ramènera lundi mais c'est bien le dernier jour du festival, avec le rituel du Palmarès, du bal et de ses adieux – certains sont déjà partis, d'autres partent aujourd'hui et demain. La Clôture est fixée à 10 heures à la Maison du Peuple, dont le parvis me [PAGE 126] semble particulièrement désert, il n'y a même pas les cavaliers de l'Ouverture et pourtant l'on sait que Thomas Sankara sera de la fête. Le Ran est situé à côté de la Maison, je peux m'y rendre à pied et n'ai pas à traverser la ville ou à descendre la longue avenue de la Liberté, ce qui m'empêche de mesurer le « trafic » de ce samedi matin, mais j'apprends que les barrages sont nombreux et que les invités sont « filtrés » bien avant leur arrivée dans l'enceinte de la Maison du Peuple. D'où sans doute cette impression de calme et d'ordre, différente du jour d'ouverture et surtout des précédents FESPACO, impression que je peux généraliser à l'ensemble de la manifestation. Les cinq mille places sont loin d'être très occupées, les slogans anti-impérialistes sont scandés avec moins de force, les Colombes de la Révolution et la troupe Koko de Madou Koné de la province du Houet agrémentent seules la théorie des prix – une douzaine pour le Jury officiel, une quinzaine pour sept ou huit autres jurys –, le président Sankara en tenue de campagne et à ses côtés le ministre de l'Information sont dans une loge presque déserte, la fanfare dans des uniformes rouges et verts et la nuée des photographes sont plutôt discrètes. Je suis assis à cinq mètres du président, il regarde tranquillement la salle, bavarde de temps en temps avec son ministre, sourit, applaudit... « Le pouvoir cherche à démystifier le pouvoir », j'ai entendu cela le soir de la réception à la Présidence, et c'est vrai que ce pouvoir-ci ne paye pas de mine. Les prix annoncés par les présidents des jurys sont remis par des personnalités appelées par Gaston Kaboré : des ministres burkinabé, des hauts-fonctionnaires internationaux, l'ambassadeur d'Algérie qui est le Doyen du Corps diplomatique. Il est vrai que ces autorités sont simples, aucun ministre ne paraît avoir dépassé la trentaine, toute leur personne exprime la modestie : par leurs habits ou leurs attitudes on les confond avec n'importe quel homme ou n'importe quelle femme de la rue. C'est une remise de prix, mais tout semble en place pour balayer la grandiloquence et l'excès, le président remet l'Etalon du Yennenga à Brahim Tsaki, lui serre la main, cela ne dure que quelques secondes. La voix de Madou Koné est prodigieuse, bien au-delà de la portée des micros, il est également un excellent [PAGE 127] balafoniste, c'est à lui qu'appartient vraiment cette clôture. Il est un peu plus de midi, je n'ai aucun mal à me frayer un chemin entre les R5 noires des ministres et les mini-bus, je vais déjeuner au Ran avec Tewfik, je déguste des cuisses de grenouilles à la provençale, Tewfik estime que la tradition n'est pas respectée parce que ces cuisses sont trop poêlées avant de mijoter dans la sauce, je suis étonné, je sais pourtant que les meilleurs cinéastes sont tous de bons cuisiniers ! Et Tewfik évoque un petit restaurant du Quartier latin où les cuisses de grenouilles sont à nulles autres pareilles... Il évoque ses années à Paris, années de cinémathèque et de vache enragée, dans le sillage, parfois, des riches dandys égyptiens – « on parle de Hemingway ou de Miller, mais on n'imagine pas les frasques des Alexandrins ! », et puis il parle de l'Egypte, du grand mélodrame, du cinéma de l'Etat nassérien, de l'affaire du Révolté, de son départ pour la Syrie puis pour l'Irak, de son enseignement dans les écoles de cinéma, du Caire à Bagdad, des richesses du Golfe et des feuilletons arabes tournés à Londres ou au Luxembourg. Tewfik raconte avec le sourire, je suis heureux d'avoir « fait » ce FESPACO à côté de lui, nous faisons le projet de nous retrouver au Centre culturel français du Caire, « tu m'apporteras de ces petits cigares, je les trouve fameux ! ». Mustapha Alassane nous invite à visionner Kokoa sur la vidéo de l'hôtel, c'est un court métrage d'animation, quatre ou cinq combats de luttes traditionnelles, mais les lutteurs sont des lézards et des oiseaux, les spectateurs des grenouilles et l'arbitre un scorpion; ce match fabuleux est appuyé d'un commentaire en haoussa, la caméra est souvent fixe, Mustapha s'est amusé à faire quelques dizaines de milliers de prises, il reste l'artisan le plus inventif et le plus jeune du cinéma négro-africain[23]. Il est bien dommage que cette recherche d'un cinéma d'animation reste solitaire, car c'est apparemment avec une bonne humeur constante que Moustapha vit sa différence... J'offre une Flag à Louis Thiombiano, plusieurs fois secrétaire général du FESPACO, journaliste de métier, [PAGE 128] il est en train, lui, de payer sa différence du prix de l'amertume et de la déception : il fait partie de ces fonctionnaires suspendus par le C.N.R., « suspendus » mais non « dégagés », la différence est de taille, car le dégagé perçoit le salaire qui lui est dû avant de perdre définitivement travail et salaire, le suspendu ne perçoit plus aucun salaire dû mais continue de travailler... Tahar console Louis, « j'ai été six mois en prison et, je n'ai pas travaillé pendant treize mois, ça passera, crois-moi, c'est certain », Louis doute, il n'est pas payé pour croire. Le dîner A.C.C.T. va rassembler une trentaine de gens de cinéma autour des salades, du couscous et de deux moutons à l'os, je suis assis à côté de Ben Ammeur[24], producteur des Baliseurs, nous nous rendons compte que nous préparions l'I.D.H.E.C. la même année, il y avait là Corneau, Marmin, Cassagnac, « je me demande parfois si je n'ai pas perdu mon temps à apprendre le cinéma »... Dans cette grande salle verte de l'Indépendance où Sankara vient de tenir une conférence de presse, les convives se sont naturellement assis selon leurs affinités autour des tables disposées en carré et discutent par sous-groupes plus ou moins fermés, Tahar veut les ouvrir en demandant à Nabyl d'improviser un discours, puis à d'autres, puis aux lauréats des quatre concours de l'A.C.C.T., Sembène reste étrangement silencieux et se retire entre deux discours sous je ne sais quel prétexte, Tahar prend alors la parole pour évoquer la manière dont les cinéastes doivent procéder s'ils veulent bénéficier des aides de l'A.C.C.T., sa voix est un peu lasse, il n'est pas vraiment convaincu de l'attention de ses invités, Lionel rentre dans un grand discours, une histoire de change, d'argent non convertible et d'aide technique de la part des pays anglophones, mais l'Agence est fondée sur la francophonie, il va falloir prendre le temps de l'expliquer à Lionel, Tahar remercie ses invités en proposant au Sud-Africain de le retrouver à la terrasse au bord de la piscine, « c'est un sujet particulier, visiblement ça n'intéresse pas tout le monde, allez au bal, le couvre-feu [PAGE 129] est levé ! ». C'est vrai, c'était la nouvelle chaleureusement applaudie ce matin dans la Maison du Peuple, pas de couvre-feu jusqu'au lendemain matin, la « population est invitée à se défouler en cette fin de FESPACO ». Le bal a lieu au mess des officiers, je suis avec les deux Lahlou, Nabyl et Abdellatif[25], il est 23 heures, il n'y a plus moyen de trouver une place assise, Rochereau et Mbilia Bel ne sont pas encore là, ils chanteront demain après-midi au Stade du 4 Août, un orchestre local les remplace, je vois des « sapeurs »[26] en train de smurfer, les mannequins d'Awa-la-styliste boivent des cocas assises sur des casiers de bière, nous allons tout de même trouver le temps long et je me retrouve au Ran bien avant l'aube, complètement à jeun, en train de lire les dernières planches des Junglemen, avec la confession d'El Muerto et les larmes de sa sœur Alberta[27].

Pierre HAFFNER

LISTE DES FILMS CITES

Rue Cases-Nègres, lm, de Euzhan Palcy, Martinique, 1983.
Tiyabu Biru, lm, de Moussa Bathily, Sénégal, 1978.
Le Fils de qui ?, cm, de Maguette Diop, Sénégal, 1981.
N'Diangane, lm, de Johnson Traoré, Sénégal, 1975.
Cri pluriel, cm, de Jean-Claude Tchuilen, Cameroun, 1984. [PAGE 130]
Suicides, lm, de Jean-Claude Tchuilen, Cameroun, 1982.
Dahalo, Dahwo, lm, de Benoît Ramampy, Madagascar, 1984.
Le Retour d'un aventurier, mm, de Moustapha Alassane, Niger, 1966.
L'Accident, cm, de Benoît Ramampy, Madagascar, 1972.
N'Gambo, mm, de Kwami Mambu Zinga, Zaire, 1984.
Nasa-Bule, cm, de Drissa Touré, Burkina-Faso, 1984.
Whose Fault, lm, de Bernard Menyo, Burundi, 1984.
Mémoire d'un jour, lm, de Orlando Fortunato, Angola, 1984.
Sur le chemin des étoiles, cm, de Antonio Olé, Angola, 1980.
Estas Sao as Armes, lm, de Murillo Salles, Mozambique, 1978.
Nélisita, lm, de Ruy Duarte, Angola, 1983.
Je suis productif, cm, de Idrissa Touré, Burkina-Faso, 1984.
L'Eau, fruit du travail, cm, de Méda Bennile Stanislas, Burkina, Faso, 1984.
Issa le tisserand, cm, de Idrissa Ouedraogo, Burkina-Faso, 1984.
Les Ecuelles, cm, de Idrissa Ouedraogo, Burkina-Faso, 1984.
M'sieur Fané, cm, de Abdoulaye Ascofare, Mali, 1984.
Quelques pages de la vie de Toussaint-Louverture, cm, de Kanta Daouda, Guinée, 1983.
Le Refus, lm, de Mohamed Bouamari, Algérie, 1984.
La Honte, lm, de Aly Abdel Khalek, Egypte, 1984.
Le Mariage de Mariamu, mm, de Ron Mulvihill et Nanga ma Ngoge, Tanzanie, 1984.
Kodou, lm, de Babacar Samb-Makharam, Sénégal, 1971.
Le Médecin de Gafire, lm, de Moustapha Diop, Niger-Mali, 1983.
Histoire d'une vie, cm, de Séverin Akando, Bénin, 1984.
Les Déracinés, lm, de Lamine Merbah, Algérie, 1976.
Chant d'automne, lm, de Merziana Yala, Algérie, 1984.
Bush Mama, lm, de Haïlé Gérima, Ethiopie, 1975.
Charpente marine, cm, de Jacques Ferlay, Guadeloupe, 1984.
Ablakon, lm, de Gnoan M'Bala, Côte-d'Ivoire, 1984.
Amanie, cm, de Gnoan MBala, Côte-d'Ivoire, 1972.
Le Chapeau, cm, de Gnoan M'Bala, Côte-d'Ivoire, 1976.
Notre Fille, lm, de Daniel Kamwa, Cameroun, 1980.
Comédie exotique, lm, de Kitia Touré, Côte-d'Ivoire, 1984.
Doba, cm, de Emmanuel Sanon, Burkina-Faso, 1984.
Cinéma de Carthage, cm, de Férid Boughedir, Tunisie, 1984.
Caméra d'Afrique, lm, de Férid Boughedir, Tunisie, 1982.
L'Ame qui brait, lm, de Nabyl Lahlou, Maroc, 1984.
His Majesty's Sargeant, lm, de Ato Yarney, Ghana, 1984.
Les Baliseurs du désert, lm, de Nacer Khémir, Tunisie, 1984.
Les Révoltés, lm, de Tewfik Saleh, Egypte, 1966.
Kokoa, cm, de Moustapha Alassane, Niger, 1985. [PAGE 131]

PALMARES DU JURY OFFICIEL

Grand prix (Etalon de Yennenga) : Histoire d'une rencontre, lm, de Brahim Tsaki, Algérie.
Meilleur court métrage : Le Mariage de Mariamu.
Prix du 70 Art : Nélisita.
Prix Oumarou Ganda : Jours de tourmentes, lm, de Paul Zoumbara, Burkina-Faso.
Prix du public : Rue Cases-Nègres.
Prix de la ville de Ouagadougou : Histoire d'une vie.
Prix du meilleur scénario : N'Gambo.
Manivelle d'or : Cinéma de Carthage.
Perche d'or : Les Baliseurs du désert.
Caméra d'or : Solidarity in Struggle, Ghana.
Meilleure image : Les Baliseurs du désert.
Meilleure interprétation masculine : Ablakon.
Meilleure interprétation féminine : Money Power, lm, de Ola Balogun, Nigeria, 1983.
Meilleure musique : Les Coopérants, lm, de Arthur Sibita, Camemoun, 1983.

AUTRES PRIX

A.C.C.T. : Issa le tisserand.
C.E.E. : Halte au désert, cm, de Amadou Thior, Sénégal, 1984, et L'Artisan et son pays, cm, de Sanou Kollo, Burkina-Faso, 1984.
O.U.A. : Le Mariage de Mariamu.
Institut Culturel Africain : Issa le tisserand.
Conseil International du Cinéma et de la Télévision : Nélisita et Issa le tisserand.
Organisation Catholique Internationale du Cinéma : Jours de tourmentes et Le Mariage de Mariamu.
Prix des journalistes et des critiques : Kukurantumi, lm, de King Ampaw, Ghana, 1984, Le Mariage de Mariamu et Issa le tisserand.


[*] Cf. P.N.-P.A., nos 44 et 45.

[**] « L'adhésion enthousiaste des larges masses populaires à la Révolution d'Août est la traduction concrète de l'espoir immense que le peuple voltaïque fonde sur l'avènement du C.N.R. pour qu'enfin puisse être réalisée la satisfaction de leurs aspirations profondes à la démocratie, à la liberté et à l'indépendance, au progrès véritable, à la restauration de la dignité et de la grandeur de notre patrie, que vingt- trois années de régime néo-colonial ont singulièrement bafouée », in Discours d'orientation politique, p. 6, cf. note 5.

[***] La programmation, et la compétition, du FESPACO, reprend de nombreux films des J.C.C., le lecteur trouvera donc dans le palmarès du FESPACO des films présentés dans notre précédente chronique.

[1] Cf. Carrefour africain, hebdomadaire national d'information du Burkina-Faso, no 871, 22 février 1985 : « Précédant le IIIe Congrès de la Fédération Panafricaine des Cinéastes et l'ouverture de la neuvième session du FESPACO, le conseil d'administration du Consortium Inter-africain de Distribution Cinématographique (C.I.D.C.) et du Centre Interafricain de Production de Films (CIPROFILMS) et la conférence des ministres chargés du cinéma, tenus respectivement du 7 au 12 et du 12 au 14 février à Ouagadougou, ont abouti à d'importantes résolutions appelées à marquer l'avenir du cinéma africain. »

[2] Rachid Ferchiou, cinéaste tunisien, auteur en particulier des longs métrages Yusra (1972) et Les Enfants de l'ennui (1975), directeur des dixièmes Journées Cinématographiques de Carthage.

[3] Ces qualificatifs concernant l'« ambiance verbale » du congrès de la FEPACI revenaient souvent dans les conversations des acteurs ou des témoins de ce congrès.

[4] Tewfik Saleh, cinéaste égyptien, dont l'œuvre est particulièrement engagée et critique. Cf. en particulier le dossier réuni par Tahar Cheriaa à propos du film Les Dupes, A.C.C.T., Paris 1985.

[5] Afin de mieux connaître le sens de cette révolution les festivaliers accrédités trouvèrent à leur arrivée un dossier contenant le Discours d'orientation politique, « prononcé par la radio-télévision nationale du capitaine Thomas Sankara le 2 octobre 1983 » édité par le ministère de l'Information, ainsi que le Programme populaire de développement du Conseil National de la Révolution An II (octobre 1984-décembre 1985), édité par l'Imprimerie Nationale.

[6] L'« authenticité » est l'idéologie en vigueur au Zaïre, sa base est le livre de Mabika Kalanda, La Remise en question, base de la décolonisation mentale, Editions Remarques Africaines, Bruxelles, 1966. L'« animation » est définie comme « l'expression corporelle de l'âme d'un peuple » dans Cinq cents visages du Zaïre, livre édité par le Bureau du président de la République du Zaïre, Kinshasa, 1975; ce sont des chants et des danses pour la plupart dédiés au président Mobutu et à son parti.

[7] Il n'est pas inutile d'insister ici sur cette différence : la situation du cinéma en Afrique noire n'est pas comparable à celle des cinémas des pays développés, ce que l'on acceptera sans doute comme une évidence, ni non plus à celle des autres cinémas duTiers-Monde, ce qui est tout de même plus inattendu. Cf.notre chapitre, « Le Tiers-Monde », in Le Cinéma, Editions Bordas, Paris, 1983.

[8] André Gardies, spécialiste de narratologie filmique, a consacré une grande partie de ses études à l'œuvre d'Alain Robbe-Grillet et s'est intéressé au cinéma africain, cf. en particulier, Description et analyse filmique du film Touki-Bouki, Editions Université de Côte-d'Ivoire, Abidjan, 1982. Alain d'Aix, journaliste, cinéaste et enseignant canadien, militant, auteur en particulier, concernant l'Afrique, d'un documentaire sur Mongo, Beti, Contre-censure, d'une enquête sur les prisons de Sékou Touré, La Danse avec l'aveugle, d'un portrait du cinéaste René Vautier, Le dur désir de dire, et d'une recherche sur le mercenariat, Mercenaires en quête d'auteurs. Pour la diffusion de ces films, cf. InformAction, 1151, rue Alexandre-Sève, Montréal (Québec, Canada).

[9] Lionel N'Gakane, cinéaste et écrivain sud-africain, dirige actuellement, à Londres, un office de distribution de films la Divemay Films Ltd.

[10] Ainsi, pour avoir une idée relativement – on ne peut voir toutes les productions de tous les pays dans les festivals ! – complète de la production négro-africaine 1983-1985, le lecteur voudra bien considérer comme un ensemble la présente chronique et celle que nous lui proposions sur les Journées cinématographiques de Carthage, Les Cinémas de libération à Tunis.

[11] Les cinéastes diffusèrent cette motion : « Nous, cinéastes africains, réunis à l'occasion du troisième Congrès de la FEPACI et du neuvième FESPACO, décidons à l'unanimité de participer à la Bataille du Rail et ce le jeudi 28 février 1985. Par cet acte, nous voulons exprimer notre solidarité avec le Peuple burkinabé dans sa lutte pour le développement. » Cette « bataille » est un projet lancé par le gouvernement le 1er février, demandant aux « militants » de participer à la construction de la ligne de chemin de fer Ouagadougou-Tambao.

[12] Cf. l'émission de Pierre Dumayet, D'homme à homme : Hampâté Bâ (TFI, 21 mars 1984), composée sur l'essai L'Empire peul du Macina, Nouvelles Editions Africaines, Abidjan, 1984.Dans cette émission, Hampâté Bâ décrit la symbolique du métier à tisser, véritable philosophie de la vie humaine.

[13] Mohamed Bouamari est en particulier l'auteur des lm Le Charbonnier (1972), L'Héritage (1974) et Premier pas (1980).

[14] Pascal Leclerc est l'actuel responsable du Bureau du Cinéma du ministère français des Relations extérieures. Le lecteur de nos Cinémas de libération à Tunis s'est familiarisé avec Tahar Cheriaa, responsable du cinéma à l'Agence de Coopération Culturelle et Technique (13, quai André-Citroën, 75015 Paris).

[15] Enrico Fulchignoni est professeur à l'Université de Paris-Nanterre et président du Conseil International du Cinéma et de la Télévision, créé sous les auspices de l'UNESCO.

[16] Taïeb Louhichi, cinéaste tunisien, auteur notamment du lm L'Ombre de la terre (1982) et d'un scénario sur la guerre au Liban, Les Miroirs du soleil. Azzedine Mabrouki, critique de cinéma algérien.

[17] Kitia Touré, cinéaste ivoirien, auteur du lm Comédie exotique (1984), cf. Cinémas de libération à Tunis.

[18] Film du cinéaste éthiopien Haïlé Gérima, travaillant aux Etats-Unis, auteur du fameux La Moisson des trois mille ans (1974), porte-parole des cinéastes négro-américains, qui ont tenu dans ce FESPACO un sommet avec les cinéastes négro-africains.

[19] Forme dramatique traditionnelle des bambara. cf. mon étude dans Essai sur les fondements du cinéma africain, Nouvelles Editions Africaines, Abidjan, 1978.

[20] Le Jury officiel, présidé par le cinéaste nigérien Moustapha Alassane, était composé de Kwaw Ansah (Ghana), Jean-Pierre Garcia (France), Boudgema Kares (Algérie), Catherine N'Diaye (Sénégal), Osange Silou(Guadeloupe), Orlando dos Santos (Angola), Biny Traoré et Kabore Ogers (Burkina-Faso), Pearl Boser (U.S.A); le Jury de l'A.C.C.T., présidé par Tahar Cheriaa, était composé de Tewfik Saleh (Egypte), Atiât El-Abnoudy (Egypte) Moustapha Diop (Niger), Timité Bassori (Côte-d'Ivoire), Pierre Haffner (France).

[21] L'Etat sénégalais a doté la Société Nouvelle de Production Cinématographique d'un capital de 250 millions de F CFA et nommé Johnson Traoré directeur. Le film de Moussa Bathily, intitulé Petits Blancs au manioc et à La sauce gombo, serait une des premières co-productions de cette société.

[22] Bernard Taisant, cinéaste français, membre de l'assistance technique, avait été le directeur de production du film de Paulin Vieyra En résidence surveillée (1981), cf. notre entretien, in « Le Cinéma, l'Argent, les Lois », Le Mois en Afrique, no 203-204, Paris, décembre 1983.

[23] Les principaux films d'animation de Moustapha Alassane sont Le Piroguier (1962), La mort de Gandji (1966), Bon voyage Sim (1966) et Samba-le-Grand (1978).

[24] Abdellatif Ben Ammeur, cinéaste tunisien, auteur en particulier des lm Une si simple histoire (1969), Sejnane (1974) et Aziza (1980).

[25] Latif Lahlou, cinéaste marocain, essentiellement auteur de courts métrages et de film publicitaires, lauréat du concours de scénarii de l'A.C.C.T. en 1984 pour La Compromission.

[26] Les « sapeurs », jeunes gens en quête d'élégance vestimentaire, sont déjà étudiés dans l'essai de Justin-Daniel Gandoulou, Entre Paris et Bacongo, édité par le Centre Georges-Pompidou, Paris, 1984. Ce texte comprend une importante introduction de Jean Rouch.

[27] Bande dessinée cosignée par Hugo Pratt, Paolo Ungaro et Dino Battaglia, Editions Glénat, Paris, 1979.