© Peuples Noirs Peuples Africains no. 48 (1985) 21-72



Connaître la
GUINEE EQUATORIALE

(suite et fin)

Max LINIGER-GOUMAZ

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CHAPITRE VI

Présent et avenir

LES NOUVELLES ALLIANCES

Depuis des années, la communauté internationale laisse pourrir la situation intérieure de la Guinée Equatoriale, sans s'émouvoir. Tant les Nations Unies, dont pourtant nombre d'experts ont été déclarés non grata par la famille des Nguema, tant l'Organisation de l'Unité Africaine, qui a vécu les mêmes problèmes, ont observé un silence « fraternel », sinon complice. Jamais une protestation ou un commentaire critique n'est paru dans la presse des pays voisins, dont les dirigeants ont gardé un mutisme qui, pour certains, n'était pas exempt de convoitise; à force de pourrir, la Guinée Equatoriale allait devenir un no mans land facile à occuper ou à absorber. En 1972, le Gabon n'a-t-il pas su profiter de la situation en occupant militairement plusieurs îles dans la zone du Muni ? Et ce sans réactions effectives des quelque 1500 hommes de l'armée dirigée par Obiang Nguema ? Grâce à l'effort de l'O.U.A. (alors présidée par le roi Hassan II du Maroc), on évita que Macias Nguema ne donne trop d'écho verbal à l'affaire. Seule réaction saine : le retrait des Nigerians, en 1976.

Du côté de l'ex-métropole, entre 1971 et 1976, une censure sur l'information provenant de l'ex-colonie permettait de rendre un fier service à la clique au pouvoir à Santa Isabel. Mais alors que progressivement les grandes [PAGE 22] sociétés espagnoles étaient contraintes de cesser leurs activités, la France et l'U.R.S.S. surent habilement profiter du silence fait autour des nguemistes. Paris, par des prêts garantis à l'aide des exportations de bois de la Forestal del Rio Muni, assurait de gros contrats à la Société des Dragages et des Travaux publics. Une telle aubaine pour l'industrie d'une France où, déjà, montait le chômage, méritait bien qu'on se taise sur la terreur qui frappe le peuple équato-guinéen. L'U.R.S.S., tout en ne se faisant pas d'illusions sur le socialisme verbal de l'oligarchie au pouvoir, pillait les fonds marins en échange de quelques conseillers militaires et utilisait San Carlos comme carrefour de l'approvisionnement du front angolais. Plus idéalistes, les Cubains, après trois ans de contrat avec la mafia nguemiste, imitèrent le Nigeria et retirèrent la plupart de leurs conseillers la même année; mais eux aussi gardèrent le silence sur l'oppression du peuple équato-guinéen. Quant à la Chine populaire, à peine ralentissait-elle quelque peu son assistance (il est vrai apparemment désintéressée). Au moment de la substitution de Macias Nguema par Obiang Nguema, les deux équipes médicales chinoises étaient toujours présentes, tout comme une petite équipe cubaine.

Enfin, côté Etats-Unis, ni les milieux presbytériens sachant leurs frères et sœurs menacés en Guinée Equatoriale, ni les autorités de Washington ont élevé la voix devant la dictature sanglante; le fait qu'entre 1976 et 1981 les U.S.A. n'aient pas eu de représentants diplomatiques sur place ne semble pas une raison suffisante pour expliquer le mutisme de la grande démocratie du Nord (si prompte à se mêler dans l'hémisphère américain des affaires intérieures des petits pays). Quant à la Communauté économique européenne, elle avait déjà – à l'instigation de la France – admis la Guinée Equatoriale des hommes de Mongomo dans l'Association de Lomé, en 1976.

La première dictature nguemiste s'était montrée incapable, onze ans durant, de faire connaître la Guinée Equatoriale à l'opinion mondiale – sinon par les protestations élevées par divers organismes de défense des droits de l'homme et certains groupes de réfugiés. Mais elle allait réussir à redonner de l'importance aux deux plate-formes de l'information que sont Madrid et Paris. Avec la seconde [PAGE 23] dictature nguemiste, les nouvelles sur la Guinée Equatoriale se multiplient. Peu après le simulacre de coup d'Etat, un représentant de la C.E.E., d'autres de l'O.N.U., se précipitent au secours d'une junte soudain orpheline, à la tête d'un pays exsangue, alors que déjà des avions espagnols déversent leur manne. Cette aide des premières semaines a vite tari; début 1980 déjà, marchés et échoppes étaient à nouveau vides. Ils le sont encore six ans plus tard. A peine trouve-t-on quelques marchandises dans le supermarché SOGUISA créé par des protégés de l'Unión del Centro Democrático espagnole.

Côté O.N.U., les budgets non dépensés par le P.N.U.D. (4 Mio de $) – et de même, côté F.E.D. – furent allègrement mis à disposition des neveux et cousins de Macias Nguema, en qui on voyait subitement des démocrates confirmés et des interlocuteurs compétents : Obiang Nguema ne venait-il pas de déclarer qu'il pratiquerait une politique d'investissements libérale avec possibilité de rapatriement illimité des bénéfices ? Pour protéger un gouvernement si bien intentionné, on s'empressa d'offrir des policiers espagnols et des soldats chérifiens; ce qui fit dire à Eya Nchama, secrétaire général de l'A.N.R.D., en séjour aux Etats-Unis : « Si Obiang Nguema jouissait de la confiance des Equato-Guinéens, il n'aurait pas besoin des Marocains » (trois cents fin 1976, plus de six cents en 1985).

En juillet 1980 et en octobre 1981, la junte a fait publier une vingtaine de pages multicolores et publicitaires au prix de 5 800 $ chacune, faisant l'éloge du régime nguemiste dans l'hebdomadaire Jeune Afrique. Ce procédé douteux a été reproché à Jeune Afrique par divers journaux et revues français.

La sollicitude de la présidence gabonaise pour son voisin du nord n'est pas passée inaperçue. C'est via le Gabon qu'ont été livrées les premières troupes marocaines, certains affirmant qu'il s'agit d'unités détachées de la garde prétorienne du président Bongo. La hâte de la France d'envoyer le ministre de la Coopération, M. Galley, dès octobre 1979, de même que la réception du vice-président Ela Nseng par le président Giscard d'Estaing à Paris, en décembre 1979, inquiétèrent l'Espagne. Aussi, celle-ci s'empressa-t-elle de mettre au point le « Plan de restauration [PAGE 24] économique » présenté sommairement à Obiang Nguema le 12 octobre. Fin 1979, l'accord hispano-équato-guinéen prévoyait 25 Mio de dollars de prêts, dont 10 Mio de dollars (vingt ans) pour l'infrastructure électrique, 7 Mio de dollars (cinq ans) pour le secteur exportation plus 15 Mio de dollars de dons. Face à ce branle-bas ibérique, les 2 Mio de francs promis par la France semblaient ne pas faire le poids.

Il est intéressant de voir quels sont les rôles prioritaires des aides espagnoles et françaises :

France : signé le 29 novembre 1980, l'accord de coopération technique, scientifique et culturelle porte sur la pêche, par la fourniture de filets et de hors-bords, celle de deux-trois enseignants ou assistants sociaux, la réfection du port de Santa Isabel, le développement de la recherche minière. Sur ce dernier point, on sait qu'outre la société pétrolière Elf-Aquitaine, qui a manifesté depuis plusieurs années son intérêt pour la Guinée Equatoriale, le semi-officiel Bureau de recherches géologiques et minières sera lui aussi à l'œuvre. Tant Elf-Aquitaine que le B.R.G.M. sont en activité dans les pays de la zone d'influence française environnante, comme y travaillent ou y séjournent la Société française des Dragages et Travaux publics, la Société des grands Travaux de l'Est (réfection du port de Santa Isabel) et la forestière Tardiba. Les visées de la France semblaient toutefois étouffée par les succès de la coopération espagnole, en particulier dans le domaine pétrolier, ce qui amena des réactions amères de la C.F.P.-Total et d'Elf-Aquitaine. Elles se sont rattrapées depuis.

Une certaine presse espagnole a laissé entendre que dans la petite guerre franco-hispanique pour l'obtention des faveurs équato-guinéennes, la France aurait offert à Obiang Nguema 50 Mio de dollars, que celui-ci aurait refusés. En avril 1981, pratiquement au moment du simulacre d'un complot anti-junte ngemiste, la France a désigné un nouvel ambassadeur en Guinée Equatoriale, M. Soubeste, que l'on a vu successivement dans des postes très politiques comme en R.C.A. (au moment du coup d'état de Bokassa), au Gabon (conseiller de la présidence), et à Ndjamena. M. Soubeste a été remplacé en mai 1982 par Pierre Cornée, précédemment conseiller culturel à [PAGE 25] l'ambassade de France en Espagne, avec lequel sera fait le gros du travail d'inclusion de la Guinée Equatoriale dans la zone franc, entre mai 1982 et fin 1985.

Espagne : outre l'apport initial de vivres, qui a cessé depuis lors, l'accord comporte la fourniture progressive de quelque cinq cents coopérants, dont vingt-deux enseignants laïques et quatre-vingts prêtres, d'experts économiques et financiers, de techniciens pour la remise en marche de la compagnie aérienne L.A.G.E., d'un entraîneur de football, etc. Les quatre axes majeurs du projet sont :

– la prospection pétrolière par une société mixte hispano-guinéenne : Empressa guineo-española de petroleos S.A. (G.E.P.S.A.), avec 50% à Hispanoil;

– la recherche minière par l'officiel Instituto geológico de Madrid, surtout pour l'uranium;

– la création de la Empresa mixta guineo-española de minas S.A. (G.E.M.S.A.), avec une participation de la société espagnole Adaro de 45%;

– la création d'une banque mixte entre Banquo exterior de España (nagère co-propriétaire des plus grands intérêts espagnols de Guinée Equatoriale, dont Alena) et le Banco nacional de Desarrollo y Depósito, chargé de la gestion des investissements étrangers et du commerce extérieur, dans le but essentiel de stimuler les exportations.

En raison de l'opposition des Cortès, l'Espagne a dû renoncer à envoyer 1 200 hommes de la Légion étrangère espagnole stationnée aux Canaries, dans l'intention « de garantir l'actuel processus politique, face à d'éventuels groupes déstabilisateurs » (!); des membres de la police espagnole, dotés de matériel et d'engins anti-émeutes, devaient suffire. Mais surtout, comme au temps de la colonie et de Carrero Blanco, ce n'est pas le ministère des Affaires étrangères qui a la haute main sur les relations avec la Guinée Equatoriale, mais directement le cabinet du chef du gouvernement. Les tiraillements entre présidence du gouvernement, ministère des Affaires étrangères et ministère de l'Economie et des Finances, comme sous Franco, ont amené début 1981 le retour des dossiers [PAGE 26] de Guinée Equatoriale au ministère des Affaires étrangères. Quoi qu'il en soit, l'Espagne comptait alors près de quatre cents coopérants, dont cent militaires et policiers, cent-dix enseignants (quatre-vingt-dix % de prêtres), soixante-dix médecins et assistants médicaux, le reste formé de conseillers dans divers ministères et à la présidence. Il faut y ajouter l'entraîneur de l'équipe nationale de football. Les coopérants espagnols sont la plupart logés dans des pavillons préfabriqués construits par Dragages, après avoir habité sur le paquebot Ciudad de Pamplona, qui est resté dix mois dans la rade de Santa Isabel, en 1980.

La coopération espagnole a offert également du matériel militaire, ainsi qu'une presse usagée destinée à Ebano mais tombée rapidement en panne, comme ce fut le cas du vieux cargo Romeu offert à la Guinée Equatoriale en 1972, rebaptisé Enrique Nvo – du nom du héros de l'indépendance – et qui fut simplement retourné à l'Espagne vu sa vétusté. Enfin, l'Espagne formait en 1981 quinze Equato-Guinéens dans son Academia de los Grupos especiales de Operación, à Guadalajarra; les hommes issus de cette école sont destinés surtout à la garde de corps et à l'anti-terrorisme. Cette petite troupe laissait présager une nouvelle orientation de l'assistance espagnole : en septembre 1981, malgré une censure partielle sur la presse espagnole par la junte nguemiste, les deux pays ont signé un accord d'assistance militaire (3 000 Mio de pesetas) par lequel l'Espagne promettait de former quatre compagnies de troupes de sécurité et de recycler tous les officiers et sous-officiers entraînés en U.R.S.S. et en Corée du Nord (ce qui visait aussi Mba Oñana); des officiers espagnols étaient censés encadrer ces unités destinées à épauler la dictature. Mais début 1982, Hassan II du Maroc, lors d'une rencontre avec Juan Carlos Ier d'Espagne, demanda à son homologue de retarder l'envoi des contingents équato-guinéens : privés de la garde marocaine, Obiang Nguema et ses complices de la junte pourraient être tentés de ne plus prendre le parti du Maroc dans les votes sur le Sahara occidental, tant à l'O.U.A. qu'à l'O.N.U. Le renforcement de l'intervention espagnole fut néanmoins concrétisé par des avions, des vedettes garde-côtes et des véhicules tout terrain. Aussi, au treizième anniversaire de l'indépendance (1981). Obiang Nguema insistait-il [PAGE 27] sur « l'heureuse coïncidence des fêtes nationales équato-guinéenne et espagnole », précisant que les finalités de la junte étaient : la liberté du peuple, le bien-être social et l'amélioration des conditions économiques.

L'effort du gouvernement espagnol, que la presse ibérique attribue à la protection de certains intérêts de l'U.C.D., a amené divers milieux politiques à interroger le gouvernement. Ainsi, le député d'extrême droite Fraga Iribarne, ex-ministre de Franco et représentant de celui-ci aux fêtes de l'Indépendance, à Santa Isabel en octobre 1968, a demandé notamment aux Cortès si les investissements de l'Espagne seront sauvegardés face aux prétentions d'autres pays et si le gouvernement espagnol va tolérer longtemps encore la spoliation de propriétés espagnoles en Guinée Equatoriale par d'autres Espagnols ? En fait cette intervention visait tant l'opportunisme que le style de la nouvelle « coopération » espagnole. Depuis le Nigeria voisin, le rôle de l'ex-métropole des Equato-Guinéens était interprété comme une tentative d'imiter la mainmise de la France sur ses ex-colonies.

Des ombres planent depuis lors sur la coopération espagnole. En 1982 encore, une trentaine de professeurs espagnols, chassés par la terreur nguemiste à l'époque de Macias Nguema, réclamaient à leur gouvernement et à celui de Santa Isabel des indemnités pour pertes de salaires et de biens d'un montant de 27 millions de pesetas ($ 150 000). Et le contentieux entre la Comunidad de Españoles con interéses en Africa (C.E.I.A.) qui regroupe les entrepreneurs spoliés, en 1969 et après, n'était pas réglé non plus.

Compte tenu du fait que la part de l'aide espagnole censée rester en Guinée Equatoriale (un tiers) s'évapore régulièrement en raison de la corruption, Calvo Sotelo exigea, fin 1981, que le contrôle financier soit effectué à Madrid. Obiang Nguema fut invité à se rendre en Espagne en avril 1982, avec des propositions sérieuses d'une administration crédible, apte à digérer l'aide espagnole autrement qu'en des comptes personnels des cadres du régime. La presse espagnole a parlé à ce sujet d'« ultimatum ». Il va de soi que cette perspective a soulevé un tollé chez les hommes du clan de Mongomo, car cela leur coupait les vivres. Lors d'une mission en Espagne, en mars 1982. le vice-président Seriche Bioco a une nouvelle [PAGE 28] fois refusé que des hauts fonctionnaires espagnols soient placés dans les principales administrations équato-guinéennes afin d'empêcher l'évaporation de l'aide. A son départ de Madrid, Seriche Bioco a, de plus, fait scandale à l'aéroport de Barajas, par son refus de payer à Iberia le montant correspondant à ses excédents de bagages. En mai, au cours d'une visite de travail à Madrid, Obiang Nguema et les autorités espagnoles ont mis au point un nouveau statut des coopérants, faisant la distinction entre techniciens prêtés à l'administration équato-guinéenne (et dépendant donc d'elle) et experts relevant du gouvernement espagnol.

Côté O.N.U., l'assistance au régime militaire a été initialement assez limitée. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés et le P.A.M. avaient alloué en décembre 1979 un montant de 526 000 dollars pour faciliter le retour de la diaspora; simultanément, le gouvernement de la République Unie du Cameroun et l'Unicef lançaient une campagne dans ce sens. Début 1980, quelques centaines de réfugiés seraient rentrés, des agriculteurs surtout et quelques ex-membres du gouvernement Macias Nguema. L'U.N.H.C.R. affirmait vouloir aider 20 000 réfugiés, soit une modeste fraction des 125 000 personnes qui ont fui le pays. Mais les cadres exilés (enseignants, juristes, économistes, médecins, ingénieurs, etc.) refusèrent l'offre de l'O.N.U. d'aller se jeter dans la gueule du « tigre ». Le rapporteur spécial de la Commission des Droits de l'Homme avait d'ailleurs formulé des avertissements prudents; de même, le rapport de la Commission internationale des juristes et du F.I.E.U. sur le procès Macias Nguema définissait bien le problème : « Il est trop tôt de conclure que des faits positifs comme la convocation d'un Tribunal militaire spécial, et d'y référer Macias Nguema et quelques-uns de ses collaborateurs, marque un changement réel dans l'histoire du pays. Mais ce qui ne saurait être ignoré, c'est qu'un nombre important de réfugiés, qui ont échappé à l'oppression implantée par Macias [Nguema], refusent de rentrer en Guinée Equatoriale par peur que l'engagement du gouvernement du lieutenant-colonel [Obiang] Nguema Mbasogo, côté démocratie et Droits de l'Homme, soit moindre que ce que laisse penser le fait d'avoir organisé un procès public. De telles craintes ne peuvent être écartées si on se rappelle que le lieutenant-colonel [PAGE 29] Obiang [Nguema] fut ministre des Forces armées et gouverneur militaire de la province de Fernando Poo jusqu'au moment du coup d'Etat dirigé par lui. Seuls quelques-uns des responsables des défits commis durant l'ère Macias Nguema ont été condamnés. »

B. LA PRISE DE CONSCIENCE DE L'OPINION MONDIALE

Le remplacement du vieil Esangui Macias Nguema à la tête de l'Etat, le 3 août 1979, par le jeune Esangui Obiang Nguema, puis l'élimination physique du premier dictateur de Mongomo, a fait illusion un certain temps. La chute de Macias Nguema suivit de peu celle d'Idi Amin Dada (avril) et précéda celle de Bokasa (septembre) contribuant à faire croire que l'Afrique Equatoriale était en train de s'orienter de l'âge des tyrans militaires et civils vers celui de la démocratie et des droits de l'homme (après qu'hors d'Afrique venaient de tomber en 1979 aussi le Shah d'Iran (janvier) et Somoza (juin). Tout comme pour l'Ouganda et la République centrafricaine, troublés par la guerre civile et l'intervention néo-coloniale, les observateurs durent rapidement déchanter et constater qu'en Guinée Equatoriale également rien n'avait réellement changé. C'est ainsi que les très sérieux Journal de Genève et Gazette de Lausanne pouvaient titrer, milieu août 1979 déjà : « Les maîtres d'aujourd'hui sont les laquais d'hier », et que l'officieuse Agence télégraphique suisse parlait d'une simple « affaire de famille ». Le procès Macias Nguema n'avait eu pour but que de rassurer l'opinion nationale et internationale, en jetant quelques cadavres en pâture à la myriade de ceux qui ont souffert du régime népotique, et en faisant croire que la tête de Macias Nguema et celle de quelques sous-factotums, la plupart jeunes et non-Esangui, suffisaient à laver deux lustres d'atteintes à l'ensemble des droits et libertés.

Les témoignages du rapporteur de la C.I.J., le Dr Alejandro Artucio, et du rapporteur spécial de la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, le prof. Volio-Jimenez, concordent pour constater que les « nouvelles » [PAGE 30] autorités du pays – Obiang Nguema en tête – sont la charpente sur laquelle s'appuie la dictature nguemiste depuis ses débuts. Qu'à cela ne tienne ! C'est dans ce contexte néo-nguemiste et dans l'optique qu'avec l'aide de la communauté internationale la situation pourrait s'améliorer, que les organisations internationales officielles et privées ont, une nouvelle fois, commencé à se presser au portillon, à l'instar des délégations de l'Espagne et de la France peu auparavant.

L'O.N.U. nomma un représentant résident du P.N.U.D. – l'Allemand Gerd Merren (remplacé depuis lors par Arturo Hein-Cáceres) – après que durant six ans les relations avec la Guinée Equatoriale nguemiste eurent passé par une phase très difficile qui amena l'arrêt de tous les projets onusiens. Dès octobre 1979, l'O.N.U. envoya une mission pluridisciplinaire, chargée d'évaluer les besoins de ce pays exsangue. Afin de faciliter le redémarrage des divers secteurs de la vie équato-guinéenne, le P.N.U.D. décidait, fin février 1980, d'allouer à la seconde dictature un montant de près de 6 Mio de dollars pour le reste du cycle de programmation (soit jusqu'en 1981); le F.E.D. surenchérissait en jetant sur la table 9 Mio de dollars.

Les aides de la C.E.E., du P.A.M., de l'Espagne, le compte spécial ouvert par l'O.N.U., les fonds libérés par l'UNICEF sur sa réserve d'urgence ont contribué à faire accroire que la dictature Esangui numéro 2 était en mesure de remplir ses obligations et qu'elle respectait les droits de l'homme. Il est vrai qu'une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies, de décembre 1979 (34/123) semble prouver que l'on avait conscience d'une situation ambiguë, car tout en demandant aux Etats membres d'approvisionner le compte spécial, on recommande au secrétaire général de garder à l'examen la situation qui prévaut en Guinée Equatoriale. Lors des débats de la Commission des Droits de l'Homme sur la Guinée Equatoriale, en mars 1980, sur la base du document du rapporteur spécial, la nécessité d'aider la population équato-guinéenne – quel que soit le régime en place – est nettement apparue; mais parallèlement, les violations des droits de l'homme par la junte nguemiste ont été sérieusement fustigées.

En mars 1980 encore, l'UNICEF allouait une seconde [PAGE 31] tranche de sa réserve spéciale pour cas d'urgence, soit 175 000 dollars, destinée aux centres de santé pour enfants. Une partie de ces fonds devait aussi servir à aider les quelque 20 000 revenants escomptés. Le Haut-Commissariat pour les réfugiés et le P.A.M. décidèrent de consacrer à ces mêmes réfugiés 526 000 dollars afin de faciliter leur réinstallation, et ce pendant six mois. L'aide fut surtout distribuée sous forme de maïs, de farine de froment, de lait en poudre et d'huile; une véritable manne pour les ouvriers agricoles rentrés des pays voisins, que le Suisse Bigler fut chargé de répartir au nom du P.A.M.

En fait, l'encouragement au retour des réfugiés de la part des organisations internationales a négligé la question principale : quel est le degré de sincérité du gouvernement Esangui numéro 2 d'accorder vraiment l'amnistie à ceux qui ont sauvé leur vie grâce à l'exil ? Le refus de la majorité de la diaspora de rentrer, pour des raisons de sécurité – donc politiques – contraste avec l'enthousiasme de l'U.N.H.C.R. et du P.N.U.D. qui considèrent la situation comme étant redevenue normale. Bien qu'une des recommandations du rapporteur spécial a été de soumettre toute intervention des Nations Unies en Guinée Equatoriale au filtre de la Commission des Droits de l'Homme, devant l'Assemblée générale des Nations Unies on s'est laissé davantage impressionner par les propos du cousin d'Obiang Nguema, le commandant Maye Ela. Le 28 septembre 1979, le vice-président et ministre des Affaires étrangères affirma que le gouvernement de Guinée Equatoriale avait créé les conditions propres à une réconciliation nationale et que les circonstances qui ont obligé les réfugiés à quitter le pays avaient totalement disparu. Nous avons vu que ni l'opinion de l'observateur de la Commission internationale des juristes, ni les constatations de la Commission des Droits de l'Homme, n'allaient dans ce sens. C'est bien pourquoi l'envoyé de la seconde dictature nguemiste à ladite commission, en 1980, Owono Asangono, a tenté de contrer la mauvaise impression laissée par les témoins précités. Pour ce faire, il a avancé des arguments spécieux du type : il n'y a plus de travail forcé dans les plantations de Guinée Equatoriale car le gouvernement a augmenté les salaires et fixé des contrats de deux ans; il n'y a pas d'entrave à la liberté de presse, puisqu'aucune imprimerie ne fonctionne [PAGE 32] dans le pays (et de demander à la commission d'en fournir une).

L'africaniste français René Pélissier définissait bien la situation : « Le renversement et l'exécution (septembre 1979) du président qui fit de son pays pendant dix ans un micro-Cambodge de l'Afrique Equatoriale n'ont pas supprimé les radicelles de la dictature de Macias Nguema, puisque c'est la famille et le clan du bourreau qui se maintiennent au pouvoir à Santa Isabel (ex-Malabo [sic]). Ils ont permis, cependant, d'attirer pendant quelques jours l'attention de l'opinion internationale sur cette malheureuse et ultime parcelle tropicale de l'empire de Charles Quint. En fait, tout est vite retombé dans l'indifférence et le pays dans son mutisme traditionnel. Il est ainsi quelques Etats qu'une espèce de fatalité semble condamner au silence. »

C. FATALITÉ OU IMMIXTIONS ÉTRANGÈRES ?

Nous allons maintenant examiner si cette fatalité relève des caractères spécifiques de la Guinée Equatoriale ou si ce déterminisme pour le moins inquiétant n'a pas ses racines dans les immixtions d'intérêts étrangers.

Dès avril 1981, les désordres nés d'un nième soi-disant complot anti-nguemiste ont fait retomber la Guinée Equatoriale au niveau des pires moments du pouvoir mongomiste. Aussi, à l'instigation du Canada, l'ECOSOC prenait-il une de ces décisions qui font date : avant de discuter toute assistance nouvelle à la Guinée Equatoriale, la Commission des Droits de l'Homme devra se déterminer sur les projets; toutefois, cette recommandation n'a été respectée ni par l'Assemblée générale des Nations-Unies, ni par le P.N.U.D.

En novembre 1981, la commission de décolonisation des Nations Unies réaffirmait le droit du peuple sahraoui à l'indépendance. Sur cent trente-quatre pays votants, cinquante-quatre se sont abstenus (dont la R.F.A.), soixante-treize ont voté oui, sept ont voté non. La Guinée Equatoriale figure parmi ces sept opposants : Etats-Unis, Salvador, Sénégal, Maroc, Gabon, Zaïre et Guinée Equatoriale. Les présidents de ces trois derniers pays bénéficient [PAGE 33] du service de gardes marocains, et le Maroc des appuis financiers et militaires des U.S.A.

Dans la résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies en faveur de la Guinée Equatoriale (17 décembre 1981, A/36/737), on a beau chercher quelque allusion aux violations des droits de l'homme pourtant mises en évidence par la Commission des Droits de l'Homme. Même silence lors de la session préparatoire de l'ECOSOC en février 1982, où fut proposé de considérer la Guinée Equatoriale comme un des pays les moins avancés (P.M.A.). Confirmant l'incohérence de la machine onusienne, lors de sa trente-huitième session, en mai, la Commission des Droits de l'Homme a décidé de garder à l'examen les violations des droits et libertés fondamentales en Guinée Equatoriale, aucune amélioration n'ayant pu y être observée. Le rapport du secrétaire général des Nations Unies soulignait alors l'absence de collaboration de la junte avec les diverses institutions des Nations Unies, notamment au sujet du plan d'action pour le rétablissement des droits et libertés.

En avril 1982, la délégation équato-guinéenne à la Conférence des bailleurs de fonds, au siège européen des Nations Unies, à Genève, était composée aux deux tiers d'Esangui de la région de Mongomo. C'est en famille que les membres de la lignée des Macias et Obiang Nguema sont venus récolter 90 Mio de dollars.

Durant l'été, certains médias espagnols signalèrent que l'aide espagnole servait uniquement à renforcer la dictature. Et alors qu'Obiang Nguema déjeunait le 24 septembre à l'Elysée – tout en se déplaçant avec « son » avion de l'armée de l'air espagnole – West Africa démontrait peu après, à Londres, qu'« Obiang Nguema joue Paris contre Madrid ». La presse espagnole attendra Noël – et l'admission de principe de son ex-colonie à l'U.D.E.A.C. – pour s'avouer que « la Guinée Equatoriale s'apprête à joindre l'Afrique francophone » (El País). Quelques éléments pourtant vinrent tempérer les illusions de la France : 1) Le voyage du vice-président du Nigeria, M. Ekwueme, à Santa Isabel, ainsi que l'inauguration du consulat nigerian de Bata, en octobre; 2) Les scandales qui continuent : dès janvier 1983, l'ambassadeur auprès de la France et de l'Italie, J. Esono Abaga Ada, est arrêté à Santa Isabel sous l'inculpation de détournements, après [PAGE 34] qu'il se soit occupé de l'achat d'un appartement pour Obiang Nguema dans la capitale française. Condamné à cinq ans de prison, Esono Abaga a rejoint à Playa negra les directeurs du Banco de Guinea Ecuatorial et du Banco de Desarrollo y de Crédito, respectivement Nkogo Eyi et Nkumu Ela, ainsi qu'une centaine de personnes incarcérées suite à un nouveau simulacre de coup d'Etat, en mars (ce genre d'événement étant devenu une tradition printanière nguemiste). A Paris, Mme Esono Abaga demandait l'asile politique courant 1983.

Ce nouveau durcissement du clan de Mongomo permit à P. Nsue Ela Eyang – connu pour le viol de la valise diplomatique espagnole, l'agression d'un journaliste espagnol, le braquage d'un policier à l'aéroport de Madrid, etc. – de se faire nommer directeur des affaires européennes et américaines au ministère des Affaires étrangères. La presse espagnole en fit alors le co-responsable, avec D. Oyono Ayingono, de la disparition de 7 Mio de dollars de dépôts de la République équato-guinéenne. Autres affaires : les 70 Mio de pesetas de crédits qui, selon le ministre espagnol des Affaires étrangères, F. Moran, ont été détournés au profit de dirigeants nguemistes, pendant que la presse (Interviú) signale qu'Obiang Nguema a déposé sa fortune en Suisse. Pendant que l'ex-ministre de l'Agriculture, l'ingénieur Buale Borico, déclarait à Madrid que « rien ne peut être fait pour le peuple équato-guinéen sous le présent régime », le responsable de la coopération espagnole avec Santa Isabel, R. Peidro Conde, démissionnait en guise de protestation contre la collusion de l'Espagne avec la dictature nguemiste. L'Association espagnole pour les droits de l'homme venait, en juillet 1983, de faire le bilan suivant : « On ne peut parler de droits de l'homme en Guinée Equatoriale; on y constate de visu qu'un clan, celui de Mongomo, utilise librement les armes à main. Ils les cachent dans leurs poches ou les accrochent à leur pantalon de façon ostentatoire, à des fins d'intimidation d'une population que ne protège que la loi de l'exil, le silence ou la mort. » L'éditorialiste de Tiempo, à Madrid, venait de tirer les conséquences de cet état de choses : « Le pays connaît la ruine économique et l'indigence structurelle. Il n'y a pas de pays, ni d'Etat, ni de gouvernement, ni d'institutions, ni d'économie. Voici le drame. » [PAGE 35]

Ni 1984, ni 1985 ont permis d'enregistrer des modifications de cet état de choses. Nous y reviendrons en évoquant les perspectives politiques.

D. LES PERSPECTIVES

1. Perspectives économiques

a. Convoitises, insécurité, résistances

Sept ans après l'éviction de Macias Nguema, les réalisations à mettre à l'actif du régime d'Obiang Nguema se comptent sur les doigts d'une main, malgré les promesses hâtives formulées au lendemain de la révolution de palais. A part la remise en train de 15 000 ha des 50 000 ha de plantations de cacaoyers et de caféiers de Fernando Poo, en partie avec de la main-d'œuvre « forcée », l'installation d'un groupe électrogène Diesel MAN (qui traînait depuis 1972 devant la centrale thermique de Santa Isabel) et le démarrage de l'usine italienne de déroulage de bois, à Bata, peu de choses concrètes sont à signaler; sinon que la société mixte hispano-équatoguinéenne Gepsa a découvert le premier gisement pétrolier commercialement valable, au nord de Fernando Poo, et qu'Elf-Aquitaine, avec Petrogab, s'agite autour de Corisco. Des géologues espagnols et français, liés à des organisme d'Etat de leurs pays ou à la C.E.E., la B.I.R.D. et au P.N.U.D., multiplient leurs contributions à ce nouvel Eldorado.

Pendant ce temps, la majorité des cadres nationaux continuent de vivre réfugiés à l'étranger; davantage même : le courant d'exil persiste. Pour le moment, aucun gouvernement africain n'a accepté d'envoyer des ouvriers agricoles en Guinée Equatoriale. En août 1981, Obiang Nguema et son cousin des Affaires étrangères, May Ela, avaient fait le voyage de Lagos dans l'espoir d'obtenir des ouvriers pour les plantations délaissées par les Nigerians en 1976. Pendant leur séjour, ils ont visité l'usine de montage Volkswagen. Mais le gouvernement du Nigeria exigea, avant d'entrer en matière, l'indemnisation des [PAGE 36] travailleurs malmenés par l'armée équato-guinéenne dirigée par Obiang Nguema durant l'ère de son oncle. Puis, apprenant qu'un fonctionnaire de l'ambassade nigériane à Santa Isabel venait d'être battu sur la voie publique par la police nguemiste, le dialogue fut purement et simplement interrompu. Obiang Nguema rentra bredouille. Le même scénario s'est répété en 1985. En début d'année, un Nigerian était assassiné à Santa Isabel par un officier de sécurité équato-guinéenne. Cet incident détériora davantage encore les relations déjà très tièdes entre les deux pays. Courant février, la presse du Nigeria annonçait que les autorités de Lagos avaient envoyé deux navires et cinq avions militaires pour rapatrier « cinq cents Nigerians » réduits à l'« esclavage » dans les plantations équato-guinéennes. Fin février, la presse modérait quelque peu ses propos et donnait quarante-huit travailleurs comme ayant été rapatriés. Mais l'exagération du début est en elle-même significative : on s'attend à tout de la part des nguemistes.

Le 4 mars 1985, selon l'Agence nigeriane de presse (N.A.N.), le gouvernement de Lagos a posé cinq conditions à une délégation de Santa Isabel en vue du retour à la « coopération entre les deux pays ». Le ministre des Affaires étrangères nguemiste, Onguene Nguema (de Mongomo), s'est entendu énumérer par le général Tunde Idiagbon, numéro 2 du régime militaire nigerian, les exigences suivantes :

– que cessent les « mauvais traitements et notamment la torture» dont sont victimes les Nigerians en Guinée Equatoriale;

– que les autorités de Santa Isabel cessent « tout encouragement aux contrebandiers ou aux immigrants illégitimes »;

– que l'ambassade du Nigeria à Santa Isabel soit informée de l'arrestation de ressortissants nigerians et que son personnel bénéficie de l'accès consulaire aux détenus.

Bien entendu, Onguene Nguema a démenti que des Nigerians étaient maltraités en Guinée Equatoriale. Toute. fois, s'il jugea les entretiens comme « excellents », il ne put qualifier le résultat obtenu que de « satisfaisant ». Nuance ! Mais Onguene Nguema aurait été bien emprunté [PAGE 37] s'il avait dû nier la mort d'un ressortissant espagnol, à l'aéroport de Santa Isabel, en raison du refus du ministre de l'Intérieur, Eyi Monsui Andeme (de Mongomo), d'autoriser l'envoi immédiat de cet Espagnol à l'hôpital de la capitale.

Compte tenu de la réticence étrangère et de la résistance intérieure, la Guinée Equatoriale continue à manquer de façon dramatique de la main-d'œuvre indispensable à ses plantations et exploitations forestières. Tout autant sont absents les cadres nationaux aptes à faire tourner les divers rouages commerciaux administratifs et sanitaires. La présence d'une cohorte de coopérants, d'abord espagnols, plus récemment français, et à nouveau onusiens sur financement de la Banque mondiale pourra, quelque temps encore, faire illusion; mais la disproportion entre le nombre d'experts étrangers et les professionnels équato-guinéens compétents restera telle que la situation de véritable recolonisation produira forcément des réactions de rejet. Pendant ce temps, on assiste, de l'aveu même du régime dictatorial, à une flambée des prix sur les marchés et dans les échoppes, d'une part parce que les populations rurales n'approvisionnent pas les centres urbains, d'autre part parce que les aides d'urgence ont tari. Les réticences des investisseurs devant un pouvoir non représentatif et qui reste taché de sang font le reste.

b. Les potentialités

La Guinée Equatoriale dispose pourtant de tous les atouts potentiels pour devenir une véritable « suisse » de l'Afrique centrale. Déjà au moment de l'indépendance, sa population bénéficiait d'un des revenus par tête d'habitant les plus élevés dans cette région d'Afrique. Il suffirait que la population équato-guinéenne encore sur place, que les réfugiés et les pays disposés à apporter leur aide désintéressée puissent placer leur confiance dans un gouvernement démocratiquement élu pour que la mise en valeur prenne son essor. Voici qui suppose évidemment – malgré les aides internationales nécessaires durant plusieurs années – une prise en main de leur destinée par les Equato-Guinéens eux-mêmes, ce qui n'est guère le cas avec le régime nguemiste. Aucun autre pays africain ne dispose pourtant, proportionnellement à son extension [PAGE 38] et à sa population totale, d'un nombre aussi élevé de cadres moyens et supérieurs; tous piétinent à l'étranger, alors que les aides bilatérales et les Nations unies fournissent des experts dont le pays n'aurait qu'exceptionnellement et ponctuellement besoin en situation normale.

Outre les ressources minérales potentielles (pétrole, thorium, rutile, or, etc.), les produits traditionnels (bois, cacao, café, noix de palme et pêche) pourraient faire la prospérité de la Guinée Equatoriale. Pour le bois, les réserves forestières sont approximativement de 1 300 00 hectares, soit plus du tiers du pays. Compte tenu du nombre élevé d'essences exploitées (25 m3 à l'hectare, contre 10 m3 au Gabon), le pays dispose d'un potentiel de plus de 20 Mio de m3 de bois, dont presque un quart d'okoumé. Ces données, évidemment approximatives, ne tiennent bien entendu pas compte des efforts de reforestation qui devront être entrepris pour régénérer le capital forestier négligé depuis l'indépendance. Même si le régime nguemiste perçoit des taxes de reforestation, les fonds ainsi recueillis sont utilisés à d'autres fins. Ainsi, un redémarrage de l'exploitation forestière devrait-il être accompagné, voire précédé, par l'organisation d'un Service forestier crédible, ainsi que d'un inventaire et d'une législation forestière prenant en compte les intérêts de la Guinée Equatoriale avant tout, et d'un programme de formation de spécialistes divers en vue d'une saine gestion de ce capital national renouvelable. Une vaste opération de plantage d'okoumé pourrait également produire d'intéressants résultats. L'expérience camerounaise a montré qu'avec une plantation de 3 000 ha d'okoumés on peut espérer en quinze ans 300 t annuelles à l'ha. Enfin, des projets de traitement des bois permettraient avec un minimum de main-d'œuvre supplémentaire de réserver à la Guinée Equatoriale de nombreuses valeurs ajoutées.

Pour le cacao, il devrait être possible – si le problème de la main-d'œuvre était résolu – de retrouver vers 1990 une production d'au moins 20 000 t/an. Entre 10 et 20 % des cacaoyers de Fernando Poo devront certainement être replantés, les arbres étant décrépis par l'âge ou l'insuffisance des traitements phytosanitaires. Afin de rendre moins onéreux l'approvisionnement en engrais, il a été suggéré d'en produire en partie sur place avec les cabosses de cacao récupérées et compostées : [PAGE 39]

La plupart des exploitations de caféiers devront probablement être replantées, en raison de l'abandon prolongé des arbustes. Mais il n'est pas déraisonnable d'estimer pour 1990 le retour à une production de quelque 5 000 t. Encore que le reconditionnement des plantations devrait permettre d'adopter des variétés reconnues par l'Organisation internationale du café.

Tant pour le cacao que pour le café, on pourra envisager, en particulier en vue de l'utilisation de la fraction de la production rejetée lors de la sélection à l'exportation, de faire appel à diverses techniques de la chirurgie pour leur mise en valeur. Ainsi, il est possible d'utiliser des fèves de cacao pour la production de margarine; le café peut servir à la fabrication de carton, d'huile comestible, de matières plastiques, d'engrais.

En ce qui concerne le palmier à huile, des 8 200 ha de plantations d'elaeis à la veille de l'indépendance, quelque 7 000 ha pourraient être assez rapidement reconditionnés, malgré l'abandon dont ils ont souffert depuis 1969 (manque d'engrais, arrêt des nettoyages, etc.). Simultanément, les industries d'extraction de l'huile doivent toutes être reconstituées, et les voies de transport, le réseau de commercialisation remis en ordre. Pour tous ces travaux et ré-équipements, il faut compter un budget d'environ 3,4 millions de dollars. De la sorte, on devrait pouvoir compter, dès 1990 sur une production de 3 000 t d'huile de palme et 1000 t de noix palmistes. Dans ce secteur, il devrait également être envisagé d'utiliser les sous-produits jusqu'à présent gaspillés; c'est ainsi que l'on pourrait transformer les coques en charbon actif (K20) de bonne qualité, les fibres en panneaux de menuiserie et en papier d'emballage (notamment des cartons pour l'exportation [PAGE 40] de fruits tropicaux), et les résidus de la neutralisation de l'huile pourraient servir à produire du savon destiné au marché local. Il faut aussi envisager la production de carotène, que ce soit durant le processus de saponification ou lors de l'alcoolyse de l'huile de palme. Cette provitamine A constituerait un complément appréciable tant au point de vue produit d'exportation que comme moyen, au plan local, d'amélioration de la production de viande et de produits laitiers.

Pendant que nous évoquons diverses productions potentielles, faisons place ici à un certain nombre d'arbres fruitiers et autres, abondants dans le pays, qui seraient susceptibles d'une exploitation économique, soit pour la pharmacopée, soit pour divers usages industriels :

Pharmacopée :

Spatodea campanulata (Ebongebonge) : infusion d'écorce pour lavement de plaies, contre les douleurs d'estomac et d'intestins;
Cournmelina africana (efofe) : infusion de feuilles = apéritif, pâte contre la gonnococcie;
Mucuna flagelipes (esak kondo-chan, en fang; nokoakana, en bubi) : contre la dilatation de la pupille;
Strophantus gratus : liane dont les graines fournissent des hétérosides cardiotoniques ou apparentés à la cortisone; la strophantine est identique à la digitaline;
Caloncaba Welwischii Gilg. (Miamongoma) : bixacée dont le fruit fournit une huile contre la lèpre (expérimentée à la léproserie de Mikomeseng);
Cola Balayi (Abel) : esterciliacée, fournissant le cola;
Eugenia Caryophyllata Thumb : clou de girofle.

Utilisation industrielle :

Irvinga Gabonensis (Auclok) : chocolat indigène, riche en graisses;
Pogo Oleosa (Afon) : rizotoracée dont les amandes fournissent 70 % d'une huile très limpide;
Penschlera Macrophylla (Ebein) : dont le fruit donne un corps gras fusible à haute température, très valable pour l'industrie de la stéarine, etc. [PAGE 41]

Une production dont la Guinée Equatoriale n'a su qu'occasionnellement tirer un profit réel est celle de la banane. La reprise de cette production permettrait de rompre quelque peu la monoculture cacaoyère de bien des zones de Fernando Poo; ou pourrait envisager, soit de transformer les déchets toujours abondants au moment de l'exportation, soit de consacrer directement des plantations à la confection de flocons (ou de farine) de bananes, par simple déshydratation. Ces flocons constituent un aliment précieux pour le bétail bovin. Dans un pays où la faim de protéine animale est grande (hormis l'approvisionnement par la pêche), il y a là une possibilité appréciable de production de viande et de produits laitiers.

Ceci nous amène précisément à découvrir les possibilités en matière d'élevage. Pour un approvisionnement normal de viande bovine, la Guinée Equatoriale a besoin d'un troupeau que l'on peut évaluer à 20 000 têtes au moins, nécessitant environ 30 000 hectares de pâturages. Cela montre qu'outre les quelque 12 000 hectares disponibles vers 1969 pour le seul élevage, principalement sur Fernando Poo dans la zone de Moka surtout, il conviendrait de développer les pâturages au Rio Muni, dans la région des Monts Alen, Chocolate, Chime, etc., ainsi qu'en règle générale sur le plateau. Une part de la viande pourrait être produite en stabulation avec notamment les flocons de banane enrichis de carotène. Cet effort permettrait d'éviter les importations de bétail camerounais, nigérien ou tchadien. Simultanément, le parc avicole de Basilé, celui de Moka, coopératif lui, doivent être remis en état, et plusieurs parcs semblables créés au Rio Muni. Dans le même temps, les diverses fermes expérimentales datant des Espagnols sont appelées à reprendre leur travail de sélection d'espèces adaptées aux conditions naturelles locales. Dès 1981, la F.A.O., grâce à un financement des U.S.A., a commencé à relancer le parc avicole de Basilé.

Le sabotage de l'économie par les nguemistes a porté un rude coup à la pêche. En 1979, seule l'U.R.S.S. profitait des richesses des eaux territoriales équato-guinéennes. Compte tenu du fait que la population consommait, à l'indépendance, trois fois plus de poisson que la moyenne de la région, il est urgent de relancer la pêche. Les assistances espagnole et française offertes en automne [PAGE 42] 1979 au pouvoir militaire ne s'y sont pas trompées. Les grandes sociétés de pêche espagnoles (Coimpex, Afripesca) espéraient, avec une participation équitable de la Guinée Equatoriale, pouvoir relancer la production au point que le pays puisse fournir quelque 2 000 t de produits de la mer vers 1990, dont au moins un quart de crustacés. La mise en conserves et l'exportation d'une part de cette production semble devoir constituer un objectif hautement prioritaire. L'importation de poisson congelé et séché devrait pouvoir cesser, mais cela exigera des installations de traitement adéquates, ainsi que la reconstitution de la chaîne du froid permettant une large distribution de poisson à travers tout le pays. La reprise de la fabrication de farine de poisson est également à conseiller; elle permettrait de faciliter la production locale de viande. Il est toutefois à craindre qu'aussi longtemps que durera une quelconque dictature, la richesse que constituent les produits de la pêche, comme la plupart des autres ressources du pays, ne bénéficieront qu'aux étrangers, Français, Espagnols, Allemands, Néerlandais, Italiens en tête, sans oublier les voisins de l'U.D.E.A.C., la Suisse et les Etats-Unis.

Au plan de l'industrie, le premier souci semble devoir être la remise en état des diverses installations de transformation des produits agricoles, du bois et des produits de la pêche. Il s'agit principalement d'une installation de fabrication de beurre de cacao, d'huileries et de savonneries, d'une usine de tapioca, de fécule et d'amidon extraits du manioc, d'ateliers de maroquinerie et de fabrication de chaussures, de centrales de produits laitiers. Côté métallurgie, le reconditionnement de la cinquantaine d'ateliers de mécanique existant en 1969 est indispensable, en même temps que celui des serrureries, des ateliers d'outillage, de fabrication de charpentes métalliques. On doit ajouter les imprimeries, les ateliers d'extraction de fibres d'abaca, de fabrication d'eau de Javel, de distillation de sucre de canne, etc. Nous avons mentionné déjà la transformation locale des abondants bois du pays. La production de pâte de papier semble elle aussi pouvoir être envisagée. Quant aux industries de la construction, essentiellement en mains étrangères (françaises, italiennes, espagnoles), elles devraient être placées sous une surveillance plus ferme des autorités équato-guinéennes [PAGE 43] que par le passé, notamment pour un meilleur contrôle de la qualité des matériaux.

c. Les hypothèques

Toutes ces perspectives économiques sont évidemment hypothéquées par divers facteurs :

– superficie limitée (petit marché intérieur);
– rapide dégradation des sols;
– faiblesse du peuplement (surtout avec l'exil d'un quart de la population);
– absence des libertés fondamentales;
– hésitations des investisseurs étrangers et corruption généralisée;
– résistance populaire à la dictature se traduisant par un refus de travailler.

Etant donné qu'un système scolaire ruiné par les nguemistes a privé une large cohorte de jeunes Equato-Guinéens d'une formation professionnelle, dans tous les domaines, il faudra, hormis les cadres exilés, faire appel à une main-d'œuvre étrangère, qui coûte cher et pèse lourdement sur la balance des paiements. Parallèlement à l'appel à cette main-d'œuvre étrangère, il s'agira de mettre l'accent sur un système scolaire apte à former les professionnels de tous les niveaux, tant pour l'agriculture que pour les industries, le commerce et l'administration, sans parler des services de la santé, de l'enseignement, etc. Il conviendrait aussi de mettre enfin en place un Office de commercialisation des diverses productions équato-guinéennes, afin d'ouvrir des marchés et à réserver l'essentiel des revenus à la Guinée Equatoriale plutôt qu'à des intérêts étrangers. Dans cet esprit, si tant est que la Guinée Equatoriale devra durant un certain temps encore faire appel à des experts du dehors, il ne fait pas de doute que les techniciens et cadres fournis par les sources multilatérales seront davantage capables de définir les intérêts de la Guinée Equatoriale que tous les conseillers bilatéraux; encore qu'un ferme contrôle gouvernemental est le meilleur guide pour fixer les limites de l'intervention des conseillers, quels qu'ils soient. [PAGE 44]

Toutes les entreprises des prochaines années semblent devoir tenir compte des postulats suivants :

– limiter les besoins en main-d'œuvre;
– diversifier la production;
– développer les cultures éminemment équatoriales, faibles consommatrices de main-d'œuvre;
– intensifier la production agricole grâce aux engrais, si possible produits localement;
– transformer sur place (pour autant que cela ne représente pas une ponction trop forte de main-d'œuvre).

Quant aux productions minérales, la Guinée Equatoriale a intérêt à s'assurer davantage qu'une participation de 50 % dans les diverses sociétés mixtes créées avec l'Espagne, l'Italie ou la France; cette remarque vaut autant pour les secteurs agricole, bancaire, industriel que pétrolier.

Pour le moment, la Guinée Equatoriale n'intéresse certains milieux qu'en raison de son potentiel en hydrocarbures. La junte a refusé de reconnaître la validité d'accords précipitamment arrachés à Obiang Nguema par le Gabon. C'est pourquoi la Guinée Equatoriale a d'abord donné le feu vert à la Gepsa pour des forages dans une concession de 1 000 km2 au nord de Fernando Poo. L'avenir pétrolier du pays lui a valu des prêts de l'O.P.E.P., ainsi que des promesses de l'Argentine des généraux en matière pétrolière. Il ne fait pas de doute que le subit intérêt des membres de L'U.D.E.A.C. pour la Guinée Equatoriale n'est pas étranger à l'avenir pétrolier du pays. Le prêt de 4,7 Mio de dollars de la Banque arabe de développement pour l'Afrique, destiné à la réfection de l'aéroport de Bata, va certainement dans le même sens. Et c'est via le canal, largement ouvert par Elf-Aquitaine, Total et Petrogab que la France a su capturer la Guinée Equatoriale nguemiste dans le filet de la zone franc.

En février 1985, le Christian Science Monitor de Boston laissait entendre que la découverte de pétrole pourrait ouvrir de nouveaux horizons à bien des pays africains, « à condition toutefois que les gains de cette industrie ne soient pas abusivement détournés mais utilisés à bon escient ». Nous avons vu, plus haut, que la Guinée Equatoriale ne retirera pas grand bénéfice de son pétrole. [PAGE 45]

Le voyage du président Ahidjo (Cameroun) en Guinée Equatoriale, fin 1981, outre la conclusion de quelques petits accords de coopération en matière agricole et forestière, a permis à l'ex-chef d'Etat voisin d'inciter la junte nguemiste à réaliser l'unité nationale par le dialogue et la réconciliation, signe évident que cette unité et cette réconciliation n'ont pas encore réussi (aussi peu d'ailleurs qu'au Cameroun lui-même). Parmi les conseils d'Ahidjo figure celui de stimuler dans la population la mystique de l'effort et du travail. La résistance populaire à la dictature des hommes de Mongomo ne permet toutefois que peu d'espoir, et Obiang Nguema a beau critiquer le manque d'intégration massive du peuple dans la reconstruction nationale. En affirmant que « tous les citoyens ont le devoir et l'obligation de contribuer au maximum au développement socio-économique du pays », le dictateur a oublié que le droit d'association, ainsi que la plupart des autres libertés, sont toujours violés.

En juin 1984, la Banque mondiale a décidé d'allouer à la Guinée Equatoriale nguemiste 5,7 Mio de D.T.S. (environ 6 Mio de dollars) de prêts « afin de créer une situation qui se prête mieux aux investissements à la fois publics et privés ». Ce constat de la banqueroute du régime des hommes de Mongomo, la B.I.R.D. l'a formulé après cinq ans de performances d'Obiang Nguema et de son « coup de la liberté »; après seize ans de dictature et d'engagements inutiles (mieux, de gaspillages) onusiens et bilatéraux. L'humus dans lequel on prétend vouloir planter les graines du développement n'ayant pas changé, il n'y a rien à attendre de profitable pour la Guinée Equatoriale, ni pour la communauté internationale. En fait, ces millions de dollars supplémentaires ne vont, comme par le passé, servir qu'à payer des salaires à des spécialistes étrangers; la Banque mondiale annonce que ceux-ci devront résider longtemps dans le pays et s'occuper d'économie globale ainsi que des secteurs agricole, forestier, minier et de l'éducation. C'est la reprise des illusions du P.N.U.D. des années 1971 à 1977; mais cette fois-ci, on fait supporter les frais à la Guinée Equatoriale elle-même, à sa population épuisée, car il s'agit de prêts et non plus de dons à fonds perdu comme naguère. [PAGE 46]

2. Perspectives politiques

Pour un pays de quelque 350 000 résidents, avec une superficie de 28 051 km2, dont plus de trois quarts exploitables (forêts, cultures, élevage, sans revenir sur les possibilités qu'offre la mer et le sous-sol), les perspectives économiques sont généreuses et permettent tous les optimismes. Au plan politique, les réalités immédiates sont toutes autres.

a. Adieu l'Espagne

Après près de onze ans d'une dictature civile et depuis lors d'une dictature militaro-civile, la domination de l'oligarchie des Nguema de Mongomo et de quelques apparentés et complices ne s'est pas relâchée. Aujourd'hui, les militaires, bien que revêtus de costumes civils, exercent le pouvoir : Macias Nguema, simultanément président et chef des Forces armées, agissait par décrets ; depuis 1975, le lieutenant-colonel Obiang Nguema (armée de terre), Maye Ela (marine), Ela Nseng et Mba Oñana, ainsi que Moro Mba, commandent les forces de répression que sont l'armée et la milice des jeunesses. Il n'y a pas de doute : ce sont bien des militaires qui terrorisaient le pays. En 1973, le P.U.N.T. promut Macias Nguema au grade de « général en chef des forces armées », sans que celui-ci n'ait jamais fréquenté une Académie militaire; en 1974, c'est Moro Mba qui conduit l'instruction du procès des survivants du coup anti-nguemiste de Bata; en 1975, c'est Obiang Nguema qui est promu lieutenant-colonel et chef de l'armée de terre, par éviction du lieutenant-colonel Tray et d'autres officiers qui avaient pour seul défaut de n'être pas de Mongomo. En 1975-1976, ce sont les excès de la Garde nationale d'Obiang Nguema qui provoquent le retrait des Nigerians. C'est encore Obiang Nguema qui arrête, en décembre 1976, les derniers cadres civils valables du pays, dont plusieurs sont exécutés sous ses ordres, en particulier les ministres de l'Education et de la Jeunesse et Sports, sonnant le glas de toute formation scolaire et ruinant la régénération des élites liquidées. Seule autorité civile ayant du pouvoir au plan des affaires intérieures : Oyono Ayingono, [PAGE 47] cousin d'Obiang Nguema. Parallèlement à la montée en grade d'Obiang Nguema Oyono Ayingono détient depuis 1975 la moitié des postes ministériels : Finances, Commerce, Information et Tourisme, Marine marchande (inexistante), Entreprises d'Etat; de plus, il est directeur général de la Sûreté, tandis qu'Obiang Nguema dirige les prisons approvisionnées par le premier. Affaires étrangères et télévision étaient en mains Esangui sous Macias Nguema; elles le sont toujours sous Obiang Nguema. On n'exagère pas en affirmant qu'un régime militaire, dominé par la famille Nguema, a pris le relais d'un régime mixte composé souvent des mêmes, le népotisme et la violation des droits de l'homme étant leur commun dénominateur.

Le second ambassadeur espagnol de l'ère post-Macias Nguema, J.L. Graullera Mico, précisait avec à-propos, fin 1981, que « le passage de Macias à Obiang [Nguema] ne suppose pas la disparition du macisme [nguemisme] ». C'est ce que montrait à la même époque le quotidien catalan La Vanguardia : « Les hommes du C.M.S. sont les centurions de la terreur qui n'ont pris le pouvoir que pour toucher leur solde. »

Tout comme à l'intérieur du pays, à l'extérieur le pouvoir continue d'être celui des nguemistes qui ont placé leurs hommes dans toutes les missions diplomatiques. Quant à Oyono Ayingono, il réside à Madrid (auprès de Garcia Trevijano), où les réfugiés le considèrent comme l'informateur privilégié des militaires qui entourent Obiang Nguema. Partiellement à l'extérieur, presque totalement à l'intérieur, le pouvoir est détenu par des militaires (camouflés en cols blancs, principalement Esangui). Et c'est ainsi, en négligeant la cinquantaine de clans du pays, que l'on voudrait réaliser la nouvelle Guinée Equatoriale, démocratique et indépendante. En 1985, les derniers espoirs suscités par le renversement de Macias Nguema se sont évaporés. Le sommet du régime se rétrécit avec un colonel Obiang Nguema – poltron et influençable – de plus en plus isolé, « assisté » du lieutenant-colonel Mba Oñana qui semble autant inquiéter les observateurs qu'Obiang Nguema lui-même.

Du fait qu'il n'est pas du rôle des militaires de diriger les affaires civiles, et compte tenu de l'incapacité de ces [PAGE 48] hommes d'assurer une autorité qui ne s'appuie pas sur la terreur, on comprend mieux pourquoi le régime néo-nguemiste a fait appel à des policiers espagnols, puis à des soldats de l'armée marocaine. Mieux : les neveux et cousins de Macias Nguema n'ont osé entreprendre la destitution du général en chef Macias Nguema qu'avec l'accord de l'ex-métropole, la madre patria. Macias Nguema n'a chuté que grâce aux arrières assurés par Madrid et des garanties de la France, via le Gabon. L'Espagne, qui faisait sa crise de culpabilité face aux résultats médiocres de ses décolonisations, entendait favorablement les appels angoissés des militaires équato-guinéens. Fin 1980, le directeur technique de la presse, radio et télévision, Moto Nsa, placé sous les ordres d'Obiang Nguema, déclarait, rentrant de Madrid : « Le gouvernement espagnol a montré et exprimé avec grande fréquence sa bonne volonté maternelle de coopérer étroitement à la grande tâche de reconstruction de notre patrie dévastée. » Peu auparavant, le ministre espagnol des Affaires étrangères, Oreja Aguirre, déclara devant une commission du Sénat, que la coopération avec la Guinée Equatoriale est « un engagement moral et une obligation historique ». On croirait entendre Lord Lugard. Depuis lors, même Moto Nsa a choisi la liberté en se réfugiant en Espagne.

En 1979, l'ambassadeur d'Espagne, Graullera Mico, avait prédit aux représentants de la presse espagnole qu'en cinq ans la Guinée Equatoriale atteindrait la prospérité, soulignant toutefois qu'il ne fallait pas aller trop vite en besogne; simultanément, la junte faisait savoir que durant cinq ans au moins elle souhaitait ne pas laisser aux civils le droit d'exercer leurs prérogatives politiques. De la sorte, alors que l'Espagne retrouvait chez elle la voie de la démocratie, elle soutenait dans son ex-colonie un régime copié sur le pouvoir franquiste. A coups de milliards de pesetas, le gouvernement espagnol cherchait à renforcer sa position dans l'ex-colonie. Mais des 15 000 Mio de pesetas consacrées par l'Espagne à la Guinée Equatoriale, une partie s'est évaporée en raison de la corruption généralisée, l'autre ayant servi à payer les coopérants espagnols (dont nombre de chômeurs ainsi dépannés). Lors de sa brève visite officielle, Calvo Sotelo devait constater à Santa Isabel que [PAGE 49]

– rien ne fonctionne;
– les nguemistes refusent tout contrôle de l'exécution des projets financés par Madrid;
– les coopérants espagnols – ceux des organisations internationales aussi – sont découragés.

Le refus de la junte de truffer l'administration de hauts fonctionnaires espagnols opérationnels devait gravement hypothéquer l'avenir. A plus forte raison, quand on rappelle qu'en été 1982 la valise diplomatique espagnole a été violée à Santa Isabel par un responsable de la garde présidentielle; que suite à diverses plaintes de commerçants espagnols, les fonds du Banco central équato-guinéen ont été gelés en Espagne; qu'un navire frigorifique espagnol était retenu au port de Bata, en représailles; que le gouverneur de Bata (ex-chauffeur de Macias Nguema) a fait mitrailler un avion espagnol reliant le Rio Muni à la capitale, pour la seule raison qu'il n'avait pas attendu ce personnage plus d'une heure, etc. C'est pourquoi, les accords finalement signés en mai 1982 firent figure de cosmétique sur un corps en décomposition et ne visaient qu'à prolonger quelques juteuses affaires de privilégiés de l'U.C.D. espagnole.

Depuis 1968, les relations entre nguemistes et ex-métropole ont donc connu de fréquents hauts et bas. Après le coup d'Obiang Nguema, on pouvait penser qu'il s'agissait de la continuation des douches écossaises antérieures; cela devait s'avérer plus grave et plus définitif; un véritable divorce. En avril 1980, Obiang Nguema répondait à la visite du roi Juan Carlos de décembre 1979. Arrivé par l'habituel DC 8 de l'armée espagnole, le dictateur eut des entretiens avec le roi, le gouvernement espagnol, des membres de l'opposition espagnole, des cadres de l'armée. Parallèlement, il rencontrait des délégations de la conférence du Pacte andin, réunie à Madrid. A aucun moment, hormis des informations du carnet mondain, la presse n'a été en mesure de signaler des décisions tangibles. Certains observateurs en ont déduit un nouveau refroidissement avec l'Espagne, opinion que venait renforcer l'absence du roi Juan Carlos et du chef du gouvernement, Ph. Suarez, au départ d'Obiang Nguema. Ce dernier se rend alors au Maroc, où il confirma – en compensation partielle de l'aide militaire fournie par [PAGE 50] Hassan II – que son gouvernement reconnaissait l'appartenance marocaine de l'ex-Sahara espagnol. De Rabat, Obiang Nguema s'en fut en France. Comme seul hispanophone, on le voit alors participer à la Conférence franco-africaine à Nice, aux côtés de V. Giscard d'Estaing.

C'est ici que la balance se mit à pencher et que l'Espagne commença à perdre ses illusions. Les silences de la presse française d'alors avaient leur pesant d'éloquence. 15 000 Mio de pesetas venaient de s'évaporer. Curieusement, c'est au moment de cette prise de conscience qu'à Madrid est fondée, début 1985, une Association pour le Progrès de la Guinée Equatoriale. Soucieuse de maintenir des liens d'hispanité et souhaitant l'instauration dans l'ex-colonie d'un système démocratique, cette association groupe des politiciens espagnols, dont le sénateur J. Ruperez (président) et quelques réfugiés, parmi lesquels l'ex-secrétaire d'Etat à l'Information d'Obiang Nguema, S. Moto Nsa (secrétaire).

Milieu 1985, l'Espagne ne comptait plus que 240 coopérants en Guinée Equatoriale, démoralisés et sans objectif précis. Et les relations diplomatiques étaient au plus bas : après la mort d'un ressortissant espagnol sur le tarmac de l'aéroport de Santa Isabel, l'ambassadeur d'Espagne a retiré les coopérants médicaux espagnols. La réaction équato-guinéenne ne se fit pas attendre : alors que l'ambassadeur était reçu dans un ministère, les forces équato-guinéennes se sont appropriés l'immeuble locatif Las Palmeras, propriété d'intérêts espagnols. Réaction de l'ambassadeur : la construction de 218 logis destinés au gouvernement est paralysée.

b. Voici la francophonie

Face à ces péripéties, la France s'affirme prudemment. Présente en Guinée Equatoriale dès avant l'indépendance, elle continue à faire en sorte que la petite enclave hispanophone au cœur d'une de ses zones d'influence y bascule. Durant toute l'ère Macias Nguema, le gouvernement français a fermé les yeux sur les crimes du régime népotique et sur les prébendes que lui versaient les sociétés françaises pour décrocher des marchés. En octobre 1979 déjà, le ministre français de la Coopération et de la Défense, M. Galley, se précipitait à Santa Isabel; en novembre-décembre [PAGE 51] 1979, le président Giscard d'Estaing accueillait à l'Elysée le vice-président d'alors, S. Ela Nseng, également ministre de l'Économie et des Finances. L'accord de coopération modeste signé alors (2,2 Mio de dollars) visait à concrétiser la poursuite de la présence française, notamment dans le domaine pétrolier et minier, sans oublier les travaux publics, la pêche et les centres culturels français.

En évoquant la France, nous avons fait allusion au Gabon et au Cameroun, sans omettre le Maroc. Dès le renversement de Macias Nguema, une délégation dirigée par Ela Nseng se rendit à Libreville, suivie de peu par Obiang Nguema lui-même. Aussitôt, arrivait à Santa Isabel le premier contingent de soldats marocains. Le président Bongo devait alors souligner les relations amicales avec le « nouveau » pouvoir équato-guinéen. Courant novembre 1979, Obiang Nguema partait une seconde fois à Libreville. C'est alors qu'il signa, maladroitement, divers documents ouvrant au Gabon des droits en Guinée Equatoriale, notamment au plan pétrolier. Et le 25 février 1980, accompagné du nouveau deuxième vice-président, Oyo Riqueza, et d'une délégation de quarante-cinq personnes, Obiang Nguema revint à Libreville en visite officielle. Un mois auparavant, accompagné d'une délégation tout aussi nombreuse, dont Ela Nseng et Mba Oñana, Obiang Nguema effectua une visite officielle chez l'autre voisin membre de la zone franc, le Cameroun. Il fut décidé alors de revitaliser la coopération entre les deux pays. On se rappellera que dès avant l'indépendance de la Guinée Equatoriale, le Cameroun avait essayé, notamment auprès de certains réfugiés politiques, de s'assurer une influence sur le jeune voisin; certains anciens membres d'I.P.G.E. (tel Ekong Andeme) continuent encore de caresser l'idée d'une fédération avec le Cameroun. Côté gabonais, on se bat pour obtenir un maximum de droits en Guinée Equatoriale, principalement dans le domaine minier. Milieu 1981 encore, une mission est dépêchée à Santa Isabel, mais étant donné que les ministères y étaient peuplés de petits conseillers espagnols, elle rentra bredouille à Libreville. Rien de positif ne ressortira non plus de la mission effectuée en mars 1982 à Libreville par le ministre de l'Industrie, des Mines et de l'Energie, le capitaine Mensuy Mba. Il devenait donc urgent [PAGE 52] et indispensable pour la France et ses vassaux du Golfe de Guinée de jouer toutes les cartes afin d'évincer l'obstacle espagnol et de concrétiser enfin les prétentions sur la Guinée Equatoriale affichées par Paris au XIXe siècle. Ce sera pratiquement chose faite en 1985, après l'empiétement gabonais sur une partie du sud-ouest du Rio Muni (Akalayong), en complicité avec Elf-Aquitaine, dans le cadre de la course aux hydrocarbures.

Milieux officiels et milieux d'affaires français s'appliquent à pratiquer la désinformation. Deux exemples :

a) Comme mentionné plus haut, alors que le Maroc plaidait la modération à l'égard de la dictature nguemiste et tentait d'obliger au silence le prof. Eya Nchama à la Commission des Droits de l'Homme, le représentant de la France, L. Joinet, prenait la défense du leader équato-guinéen et soulignait qu'il était de l'obligation de chacun de mettre en question son propre gouvernement si nécessaire.

b) La revue Marchés tropicaux écrivait, en août 1982, que « les sociétés étrangères [donc aussi les françaises] refusent encore souvent de franchir le pas, de peur que leur investissement et leur personnel soient privés de toute protection juridique ». Dans le même temps, des organismes français non-gouvernementaux s'activent : le G.A.R.D. cherche à mettre au point un programme d'information médicale en milieu rural; le Comité catholique contre la faim et pour le développement distribue matériel pédagogique et médicaments anti-paludiques; Médecins sans frontières installe une petite équipe au Rio Muni.

c) Durant l'été 1984, Marchés tropicaux multiplie les articles sur les aspects positifs de la coopération franco-équato-guinéenne, sur l'adhésion de l'ex-colonie espagnole à la B.E.A.C. et à l'U.D.E.A.C. Les intérêts français montrent le bout du nez avec l'allusion aux indices de pétrole. Tout l'automne 1984, c'est le silence; puis en fin d'année, trois articles successifs sur une Guinée Equatoriale qui a la chance d'être accueillie dans la zone franc. Mais au cours de cette campagne d'information, aucune allusion à la dictature et aux violations des droits de l'homme. Le choix monétaire du clan de Mongomo est considéré comme une option responsable. [PAGE 53]

d) Après avoir accordé en 1980 l'hospitalité de ses pages polychromes à une glorification du « coup de la liberté » d'Obiang Nguema, Jeune Afrique a publié quelques articles allusifs sur la « gueguerre » franco-hispanique en Guinée Equatoriale. Début 1985, sous le titre apparemment critique : « La zone franc n'est pas la panacée », la revue laisse entendre que de nombreux responsables équato-guinéens « sont les principaux bénéficiaires de la spéculation sur la monnaie, de la corruption, de la contrebande ». Mais l'hebdomadaire fait une distinction manichéenne entre les méchants du régime, appelés « aile dure », et un Obiang Nguema tout bon, tout gentil. Un moyen comme un autre pour éluder la constatation-clé : un dictateur supplémentaire a été introduit dans la zone d'influence française d'Afrique centrale. Et en mai 1985, Marchés tropicaux, tout en précisant que la Guinée Equatoriale est pour les milieux d'affaires un pays à gros risques, continue à se taire sur ce que sont Obiang Nguema et la dictature qu'il contribue à gérer depuis l'indépendance.

Mais cela bouge chez les voisins de la Guinée Equatoriale. En juin 1985 on apprenait :

– que « le président du Gabon n'a plus confiance dans le régime de Téodoro Obiang Nguema et serait tenté de le reléguer aux oubliettes de l'histoire » (Afrique-Asie);

– que le président Bongo a reçu en février 1985 l'ancien ministre de l'Intérieur d'Obiang Nguema F. Mba Nchama, ultérieurement ambassadeur à Addis-Abeba, mais destitué en 1983 pour une affaire de mœurs et qui vit réfugié dans un pays voisin. Après sa réception au Gabon, Mba Nchama a été envoyé à Rabat pour des entretiens avec le roi Hassan II, dont dépendent les six cents gardes prétoriens qui protègent Obiang Nguema.

Bien que l'on interprète les manœuvres gabonaises comme une volonté de freiner la dictature voisine, l'opération a surtout des connotations pétrolières.

c. Autres illusions

Les illusions semées par le soi-disant « coup de la liberté » expliquent pourquoi toutes sortes d'organismes privés n'ont pas fait cas de la terreur nguemiste (même [PAGE 54] si leurs membres subissent parfois dans certains pays les pires injustices) : ainsi, l'organisation de la foi Bahai'e, à travers Sorbea qui a placé un muséologue et un médecin iranien (affecté à Annobon); ainsi Caritas qui, avec de gros moyens, appuie le clergé catholique, principalement espagnol, nouvellement à pied d'œuvre (mais Caritas a connu un cuisant échec avec la distribution de rations alimentaires aux réfugiés à cause de désaccords avec la junte nguemiste, au même titre que le Haut-Commissariat pour les réfugiés); ainsi, des missions protestantes, qui soutiennent une doctoresse néerlandaise en poste à Ebebiyin, à la frontière du Cameroun.

d. Prendre le nguemisme pour ce qu'il est

Les sourires aux nguemistes se retrouvent tant à l'Ouest qu'à l'Est : la présence régulière de bâtiments de guerre des Etats-Unis dans le port de Santa Isabel et les déclarations d'amitié entre la grande démocratie du Nord et la petite dictature du Sud vont de pair avec les amabilités échangées à Beijing lors de la visite officielle d'Obiang Nguema, en août 1984. Les nguemistes sont aussi gratifiés, depuis 1979, de visiteurs de haut rang : le roi Juan Carlos le d'Espagne, son premier ministre Calvo Sotelo, l'ex-président Ahidjo du Cameroun, le légat apostolique. Le président Mitterrand, qui avait annoncé une courte visite, en juin 1983, s'est défilé au dernier moment. Comme la presse française, a-t-il préféré la discrétion dans cette phase de capture ? En février 1982, le pape Jean-Paul II, lors de son périple africain s'est, lui, arrêté à Santa Isabel et à Bata. Mais contrairement à ses déclarations dans les autres pays (Nigeria, Bénin, Gabon), il n'a pas évoqué les droits de l'homme et s'est gardé d'en parler au dictateur et à ses complices. Sa visite était purement pastorale.

Tous ceux qui veulent du bien à la Guinée Equatoriale auraient intérêt à se remémorer la déclaration du principal dirigeant politique de l'opposition équato-guinéenne en exil, C.M. Eya Nchama, faite au Canada : « Sans les civils, Obiang Nguema n'est qu'un autre Macias Nguema. » C'est là une évidence que l'on souhaiterait faire admettre non seulement aux nguemistes, mais aussi aux amis bien intentionnés. « Sans les civils », certes, mais lesquels ? Dans les premiers mois de la deuxième dictature [PAGE 55] nguemiste, un petit nombre de réfugiés, commerçants ou visant des postes gouvernementaux, ont répondu aux larmes de crocodile d'Obiang Nguema. Mais de qui s'agissait-il en fait : de quelques membres, épars, de groupuscules tels Onorge, Analige, Molifuge, Fam ou Pandeca. Certains de ces réfugiés ont effectivement obtenu des postes dans l'administration des militaires mongomistes. Nous avons vu la flambée politique du sculpteur L. Mbomio (F.A.M.), vite retombé de ministre à secrétaire d'Etat; nous avons aussi assisté à l'irrésistible ascension de l'Esangui Ochaga Nve Bengobesama, cousin d'Obiang Nguema, directeur de lycée, secrétaire du ministère de l'Education, puis rapidement ministre des Transports, Commerce et Tourisme, et en tant que ressortissant de Nsangayong, porte-parole des hors-la-loi toujours au pouvoir. Un destin qui ne surprend pas lorsqu'on rappelle que le petit mouvement élitiste du Pandeca a toujours été peu représentatif des masses équato-guinéennes, affirmant même par son postulat principal qu'il faut gouverner sans tenir compte des compatriotes paysans. Dans un pays à 80 % agricole, c'est exactement ce que le clan de Mongomo fait depuis 1969.

Pour s'imposer à la nation équato-guinéenne, les nguemistes flattent la population : « Nous, Equato-Guinéens de l'intérieur, nous sommes les seuls vrais résistants; à nous donc de gouverner. » Mais à y regarder de près, on constate que la population n'est pas aussi monolithiquement groupée derrière les militaires nguemistes « sauveurs de la patrie ». En fait, l'édifice équato-guinéen se partage en trois niveaux :

– au sommet, les militaires – aujourd'hui déguisés en civils – dont les ex-jeunesses en marche avec Macias et leurs chefs, la plupart au gouvernement et dans l'administration, qui abusent de leur pouvoir sur une population impuissante;

– les cadres instruits, en particulier quelques réfugiés rentrés après 1979, chargés de faire tourner les ministères, mais suspectés par les militaires et leurs complices, comme du temps de Macias Nguema, et dont les recommandations ne trouvent que rarement le chemin d'une décision. Sauf s'ils sont de la famille d'Obiang Nguema comme Ochaga Nve Bengobesama; [PAGE 56]

– la population qui survit misérablement, dans les villages et quartiers, craignant de se mettre à dos les militaires et les civils qui en dépendent, et qui réalise que tout est comme avant.

Dans ce contexte œuvrent des experts et des hommes d'affaires étrangers censés relancer une économie et des finances faméliques. Tout ce petit monde est sous la « protection », d'une part, de l'armée de 1 700 hommes qui – depuis 1969 – a montré son aptitude à terroriser la population et, d'autre part, du contingent des forces expéditionnaires marocaines qui a transformé la Guinée Equatoriale en un protectorat chérifien.

S'ajoutent à ce monde répressif les gaffes diplomatiques et économiques du « neveu et fils spirituel de l'ancien dictateur » :

1. En mai 1980 déjà, le quotidien algérien El Moudjahid et l'agence de presse mauritanienne demandaient : « Comment Obiang Nguema peut-il continuer à présider aux destinées de son pays ? » Par ses déclarations déplacées sur la question sahraouie, le dictateur a en effet violé une série de principes majeurs de l'O.U.A., à savoir ceux de l'intangibilité des frontières héritées à l'indépendance et la non-immixtion dans les affaires des autres Etats.

2. Le fait d'avoir attendu avril 1980 pour abroger la constitution nguemiste de 1973, qui fit de Macias Nguema le « grand maître » du pays, a jeté une sérieuse ombre sur les « nouveaux » dirigeants. Il s'en est ajouté une plus sombre encore, qui est leur refus d'envisager un processus de retour à la démocratie, et notamment de convocation d'une Assemblée constituante groupant tous les milieux équato-guinéens. La constitution de caractère dictatorial d'août 1982 – en dépit de la mise en place d'une Chambre du peuple, mais émanant des nguemistes au pouvoir – est aussi peu démocratique que celles du Chili et de la Turquie des généraux.

3. Victime du principe de Peter, Obiang Nguema a confirmé avoir atteint son niveau d'incompétence : en avril 1982, il a affirmé aux journalistes réunis aux Nations Unies, à Genève, que la nouvelle Constitution sera démocratique. Or, il s'est fait plébisciter par un article [PAGE 57] additionnel que le peuple fut contraint de voter en même temps que la Constitution. Interrogé sur le nombre d'habitants du pays, Obiang Nguema affirma que la Guinée Equatoriale compte entre 200 000 et 400 000 habitants.... alors que par ailleurs il est fort précis en prétendant que 100 000 réfugiés politiques auraient regagné le pays. Interrogé en octobre 1982 sur le ravitaillement du pays, il déclarait : « S'agissant du pain, on pourrait dire qu'il existe une autosuffisance [évidemment, puisqu'il est fourni par les aides extérieures]... Mais en ce qui concerne les produits nationaux, c'est une situation lamentable », reconnaissant que le pays ne survit que grâce aux dons. Face à un peuple qui, comme sous son oncle, fait la grève sur le tas, il affirme qu'« il n'existe pas encore un véritable intérêt chez l'Equato-Guinéen pour assimiler le travail ».

Durant l'année 1984 – et les exultations françaises autour de la capture de la Guinée Equatoriale dans la toile d'araignée du franc – divers périodiques ont donné des reflets plus conformes à la réalité nguemiste. A Londres, le Sunday Times qualifiait la Guinée Equatoriale comme « le plus méchant lieu de la terre », Afrique-Asie, à Paris, signalait le constat évident : « Oncle et neveu, même terreur. » Même l'Agence France-Presse a dû, en décembre, transmettre la nouvelle d'une tentative d'enlèvement opérée sur une Equato-Guinéenne par le personnel de l'ambassade nguemiste à Libreville (un procédé utilisé couramment depuis les débuts par le clan de Mongomo).

Durant tout le printemps 1985, de multiples cadres et hauts fonctionnaires ont été destitués et parfois incarcérés, notamment des ministères de la Santé, des Finances, et de l'Information (radio, télévision). En France, Marchés tropicaux attribuait ce « nettoyage » à l'élimination d'éléments pervertis, coupables de corruption, afin d'accréditer davantage encore l'image d'un Obiang Nguema pur et honnête, mais mal entouré. En fait, il s'agit là de la vague classique d'arrestations, le plus souvent sous l'argument de tentative de subversion, qui se produit en Guinée Equatoriale chaque année, à la même époque; depuis mars 1969, le régime affiche ainsi régulièrement le même traumatisme.

Et comme pour mieux confirmer cet état de choses, la [PAGE 58] Chambre du peuple, véritable organe d'enregistrement, a voté une invite au gouvernement de création d'un parti unique, à l'instar du P.U.N.T. de triste mémoire.

e. Le chaperon Occident

Face au triomphe français, l'Espagne continue à se conduire parfaitement. Il est certes inconfortable d'encaisser la faillite d'une assistance à l'ex-colonie d'un montant de 15 milliards de pesetas. Mais marquer son mécontentement en bloquant la construction des 228 appartements (137 à Santa Isabel, 91 à Bata) destinés aux fonctionnaires de la B.E.A.C. et de l'U.D.E.A.C. est un comportement aussi poltron que celui qui a conduit Madrid à céder devant les pressions marocaines suite à la marche verte au Sahara occidental. Toutefois, la peninsula tentait de faire amende honorable, fin 1985, avec un budget d'aide de 1 500 Mio de pesetas.

Quant à Obiang Nguema et sa bande, ils se sont jetés dans les bras d'une France à l'affût parce que c'était leur seule issue. Le durcissement espagnol sur l'administration de l'aide, ainsi que la reprise des critiques du régime à l'échelle de la presse internationale et des Nations Unies, les a obligés à faire allégeance à un autre suzerain. Il en va de même du point de vue des facilités exagérées accordées aux sociétés pétrolières. L'Occident qui a pris le relais de l'Union soviétique dans le patronage de la petite République équatoriale devrait se rendre compte qu'on ne peut pas faire confiance aux nguemistes. A moins que la France, les U.S.A., la C.E.E., la Suisse aient comme arrière-pensée qu'Obiang Nguema et son entourage vont bientôt tomber d'eux-mêmes.

Toutes les puissances occidentales qui portent aujourd'hui le régime dictatorial d'Obiang Nguema à bout de bras font pourtant partie (Suisse exceptée) des Nations Unies, et donc notamment du Conseil économique et social (ECOSOC). Or, celui-ci, dans sa séance du 24 mai 1984, a voté une résolution très claire sur ce qu'il faut penser du clan de Mongomo :

« ...
Considérant que la situation des droits de l'homme en Guinée Equatoriale n'a pas sensiblement changé depuis les événements du 3 août 1979; [PAGE 59]
Notant que les recommandations contenues dans sa résolution 1983/35 n'ont pu être appliquées dans leur totalité, 1. Demande instamment [!] au gouvernement de la Guinée Equatoriale de collaborer avec le secrétaire général en vue d'assurer le plein respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans le pays... »

Derrière un langage diplomatique classique, ne sent-on pas l'exaspération des membres de l'O.N.U. devant l'impertinence nguemiste ?

Fin mai 1984, Obiang Nguema dit son intérêt pour un nouveau séjour dans son pays de l'expert de la Commission des Droits de l'Homme, le prof. Volio-Jimenez. Aussi, le secrétaire général des Nations Unies fit-il remettre au, ministre des Affaires étrangères équato-guinéen une note prenant acte des dispositions d'Obiang Nguema et demandant d'officialiser l'invitation. En dépit de plusieurs démarches onusiennes, il fallut trois mois pour obtenir une réponse d'ailleurs assortie de protestations sur la résolution précitée de l'ECOSOC. L'expert put enfin se rendre sur place, accompagné de deux fonctionnaires de la Commission, entre les 13 et 20 novembre 1984.

Durant les trois premiers jours, le prof. Volio-Jimenez a eu l'occasion de rencontrer divers ministres et magistrats. Après un entretien avec Mañe Abeso, ministre des Affaires étrangères, il fut présenté au ministre de la Coopération, Nguema Onguene. Lors de cet entretien, de nombreuses questions de M. Volio-Jimenez furent simplement éludées. Avec le ministre chargé des Affaires de la présidence, l'échange se fit plus tendu. Ndong Ela Mengue accusa en effet l'O.N.U. d'être responsable du retard de la mise en place d'une législation nationale, en raison du non-envoi d'experts. Puis il prétendit, face aux critiques de l'expert à propos de la Constitution, qu'une brochure explicative avait été distribuée à la population. Mais le rapport de M. Volio-Jimenez signale que : « L'expert a demandé à recevoir une de ces brochures, et le ministre s'est engagé à lui en faire parvenir un exemplaire, ce qu'il n'a pas fait pendant toute la durée de la mission de l'expert, en dépit des rappels formulés par celui-ci. » Il en alla de même pour divers textes de loi et décrets demandés par l'expert – « A la fin de son séjour, ces textes ne [PAGE 60] lui avaient pas encore été remis. » Quelle meilleure démonstration de l'incompétence et de la non-crédibilité des nguemistes. Le même ministre à la présidence demanda que l'UNESCO fournisse une imprimerie pour que le seul journal du pays, Ebano, puisse reparaître (les installations fournies par l'Espagne et par la Chine populaire étant hors d'usage).

Auprès du président de la Cour Suprême, King Tomas, l'expert a recueilli une des déclarations les plus significatives de sa mission. En termes à peine voilés, King Tomas (avocat, ex-député aux Cortès espagnols, membre du MONALIGE participant à la conférence constitutionnelle de 1967-1968, ex-président de l'Asambléa de la República, défenseur au procès Macias Nguema) lançait la bouée de sauvetage suivante : l'O.N.U. est la « planche de salut du pouvoir juridique »; en d'autres termes : sans l'aide internationale, jamais une justice digne de ce nom ne pourra régner en Guinée Equatoriale. Volio-Jimenez fit une réponse on ne peut plus claire : « Il faudrait réformer la Constitution pour donner au pouvoir judiciaire compétence pour statuer sur les cas d'inconstitutionnalité... » Le caractère hors-la-loi du régime est ainsi une nouvelle fois souligné. L'expert précise par ailleurs que concernant la protection de l'individu (habeas corpus et amparo), il n'existe toujours pas de loi et qu'aucune est en préparation. Même situation pour la Fiscalía general de la República, institution chargée de veiller à la stricte application de la loi fondamentale ainsi que des lois et autres textes législatifs.

Le lendemain, Volio-Jimenez, reçu par Obiang Nguema, s'entendit dire que le Conseil d'Etat, autre organe fondamental prévu par la Constitution, n'avait pas encore été créé. Puis à la question sur l'auto-désignation d'Obiang Nguema par un article additionnel de la Constitution, le dictateur détourna la question et insista sur la discipline et la reconstruction.

L'expert des Nations Unies fut empêché d'accomplir sa mission au Rio Muni – et notamment de se rendre à Evinayong – faute d'avion et à cause de routes annoncées comme impraticables. Il se contenta donc d'un circuit d'un jour sur Fernando Poo et fut reçu notamment à Concepción (Riaba) par des autorités quasiment toutes [PAGE 61] Fang et anciens du régime nguemiste. A l'hôpital, il put toutefois constater une légère amélioration des conditions sanitaires.

Pour le 19 novembre 1984, on avait annoncé à Volio-Jimenez des entretiens avec les ministres de la Justice, de la Coopération et du Plan. Finalement, le matin précédant son départ, on vint lui annoncer que c'était jour férié et que les ministres séjournaient hors de la capitale...

Au matin du 20 novembre, jour du départ du trio onusien, on convoqua l'expert à 8 h 30 pour une entrevue avec les ministres des Affaires étrangères, de la Justice, du Plan et de la Coopération. Ce dernier, Nguema Onguene, répondant aux commentaires de Volio-Jimenez sur la Constitution, dit qu'Obiang Nguema ne jugeait pas opportun de réformer la Loi fondamentale, celle-ci ne pouvant être amendée que dans des circonstances exceptionnelles, et que ces circonstances n'existaient pas. Les amendements proposés par l'expert ne constituent donc pas une priorité pour le gouvernement; mais Obiang Onguene n'exclut pas certaines réformes dans l'avenir. Dans son rapport de janvier 1985, Volio-Jimenez dit simplement : « Pour l'expert, il était très clair que ses observations et recommandations n'avaient pas été acceptées par le gouvernement. » Obiang Onguene s'en prit une nouvelle fois à l'ECOSOC et à la Commission des Droits de l'Homme, celle-ci « essayant de politiser les choses, en se fondant sur les rapports privés, comme si elle essayait de lutter contre le gouvernement ». Quel aveu ! Bel éloge de l'action onusienne conforme à la Charte et à la Déclaration universelle des Droits de l'Homme !

Le ministre Nguema Ela, chargé du Plan, montra clairement que le régime préfère parler économie plutôt que justice : « Lui, personnellement, souhaitait que le plan de démocratisation du pays soit davantage Orienté Vers le développement économique que vers l'établissement de lois relatives aux droits de l'homme fondamentaux. » Mieux vaut un plan de développement, ajoutait-il. Quant à Ndong Ela Mengue, ministre à la Présidence, il reprit ses récriminations à l'endroit de l'Unesco qui ne fournit pas d'imprimerie.

Pour clore cet entretien éclair, le ministre de la Justice, [PAGE 62] Ndong Micita, crut intelligent d'affirmer « que le peuple était allergique aux partis politiques en raison de la mauvaise expérience qu'il avait faite dans le passé. » Faut-il rappeler que tous les partis sont interdits par les nguemistes depuis 1969, et qu'une génération entière n'a connu rien d'autre que le P.U.N.T., le parti unique nguemiste ?

M. Volio-Jimenez, dans son rapport soumis à la Commission des Droits de l'Homme en février-mars 1985, fait remarquer que « la justice ne devrait pas être administrée au nom du chef de l'Etat mais au nom du peuple ». C'est confirmer le caractère dictatorial du régime. Par ailleurs, il montre clairement que les nguemistes refusent les réformes dans le sens d'une certaine transparence et que de nombreux problèmes restent dans l'ombre :

– pas de réponse sur la garantie du droit d'association;
– pas de loi sur la liberté d'expression et de pensée;
– pas de contrôle des finances publiques, sinon par l'exécutif lui-même;
– pas de neutralité de l'exécutif face aux autres pouvoirs.

Au risque de se répéter encore, le rapport de l'expert des Nations Unies établit une nouvelle fois que rien n'a changé dans la Guinée Equatoriale nguemiste; que rien n'y changera tant qu'on n'aura pas éliminé la dictature.

Et comme les années antérieures, afin de tromper l'opinion internationale tout en ne modifiant rien à son régime, Obiang Nguema adressait en avril 1985 une note verbale aux Nations Unies pour l'obtention de consultants aptes à faciliter l'établissement des Code civil, Code pénal, Code du commerce, etc. La demande est en elle-même un aveu du néant juridique dans lequel baigne la Guinée Equatoriale nguemiste.

Les constatations du rapporteur de la Commission des Droits de l'Homme ont été corroborées le 22 février 1985 par l'Internationale démocrate-chrétienne – qui regroupe pratiquement tous les partis démo-chrétiens du globe. Dans une communication écrite à la Commission précitée (Doc. E/CN. 4/1985/36), cette organisation non-gouvernementale fait une série de constats qu'il convient ici de reprendre : « Après le coup d'Etat du 3 août 1979, qui avait fait naître des espoirs quant à la démocratisation [PAGE 63] du pays, la situation a effectivement empiré car le nouveau régime a adopté les mesures suivantes :

Institutionnalisation des "Jeunesses en marche" à travers la création d'un nouveau corps paramilitaire : la Sûreté. Celle-ci, comme avant le coup d'Etat, reste un instrument servant à semer la terreur dans les villes et les villages;

Etablissement d'une Chambre des représentants composée de membres choisis arbitrairement par le président de la République;

Proclamation d'une Charte de privilèges,– et non d'une Constitution – qui, outre ses innombrables défauts formels, donne pratiquement les pleins pouvoirs au chef de l'Etat. »

Puis l'Internationale démocrate-chrétienne énumère les violations des droits de l'homme dont sont coupables les nguemistes :

– détentions arbitraires;
– tortures physique et psychologique; disparitions mystérieuses;
– interdiction du droit d'association;
– inexistence de la liberté d'expression;
– libertés religieuse et de culte très limitées et conditionnées par le gouvernement;
– viol du droit à la santé par l'encouragement à la consommation de drogue et de boissons alcooliques.

Et d'émettre le souhait que se réunisse enfin une Convention politique comprenant gouvernement et opposition, observateurs des O.N.U., O.U.A., Commission européenne et organismes humanitaires internationaux. La Convention établirait « un programme de normalisation démocratique » comportant notamment l'amnistie générale pour les prisonniers politiques, la garantie de l'impunité pour les réfugiés, l'élaboration d'une loi sur la liberté d'association et la formation de partis politiques, la constitution d'un gouvernement provisoire avec une ample base politique, la création d'une Assemblée constituante chargée d'élaborer une Constitution et d'organiser des élections libres et démocratiques.

L'Internationale démocrate-chrétienne et d'autres organisations non-gouvernementales ont été soutenues par [PAGE 64] les gouvernements membres de la Commission des Droits de l'Homme (devant laquelle la Guinée Equatoriale n'a pas daigné envoyer un représentant), au point qu'en été 1985, le Conseil économique et social des Nations Unies a dû voter la résolution suivante :

« 1. Le Conseil économique et social demande au gouvernement de Guinée Equatoriale d'appliquer le plan d'action dans sa totalité en tenant compte... des nouvelles propositions de l'expert, et avant tout de celles qui concernent les amendements à apporter à la loi fondamentale de ce pays.

2. Prie en outre le gouvernement... de s'efforcer de faciliter le rapatriement de tous les réfugiés et exilés, et d'adopter des mesures permettant la pleine participation de tous les citoyens guinéens aux affaires politiques, économiques et culturelles du pays...

3. Prie instamment le gouvernement... d'adhérer au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Protocole facultatif s'y rapportant, entre autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales.

4. Prie le secrétaire général d'entamer des discussions avec le gouvernement... afin de mettre en œuvre les recommandations de l'expert dans le domaine de l'assistance à fournir à ce pays, pour que le plan d'action puisse être exécuté dans sa totalité et que les droits de l'homme et les libertés fondamentales soient pleinement et rigoureusement respectés... »

Et finalement, le vœu est émis que la question des droits de l'homme en Guinée Equatoriale soit maintenue à l'étude de la session 1986 de la Commission des Droits de l'Homme.

f. Pas de changement sans changer les hommes

Année après année, le même scénario se répète. Le régime nguemiste :

– pratique la violence (qui conduit notamment le gouvernement [PAGE 65] du Nigeria à évacuer ses ressortissants par des opérations militaires);

– opprime tous ceux qui cherchent à jouer le jeu de la démocratie (d'où l'arrestation en avril 1985 du directeur de la radio nationale et du rédacteur en chef de la télévision) ;

– trompe et pratique le double langage (déclarant à Interviú/Madrid en mai 1985, que « l'Espagne a l'obligation de nous sortir de la misère », Obiang Nguema dit à Actuel-Développement/ Paris qu'il aspire surtout à l'aide de la France);

– asseoit la dictature (à Actuel-Développement, Obiang Nguema affirme que « les prises de décisions fondamentales de la nation se prennent au suffrage universel » alors que, dans le même temps, la création d'un nouveau parti unique est envisagée, à l'instar de l'instrument d'oppression que fut le P.U.N.T.;

– nargue les Nations Unies et la communauté internationale, etc., etc.

De sorte qu'il n'y a d'issue pour la Guinée Equatoriale que dans un changement total des hommes qui monopolisent le pouvoir depuis 1968. La visite officielle d'Obiang Nguema en France, en juin 1985, et les visites du nguemiste Mba Nchama au Gabon et au Maroc, en mars et avril 1985, ne modifient pas cette évidence; ni le remplacement de l'ambassadeur de France, Pierre Lomée, par Marcel Causse, transfuge de Djibouti, en novembre 1985. [PAGE 66]

Conclusion

Depuis le début du XXe siècle, la Guinée Equatoriale a connu pratiquement sans solution de continuité quatre régimes dictatoriaux : celui de Primo de Rivera (1923-1930) puis, à partir de 1936, le franquisme, le nguemisme de Macias Nguema et, issu de ce dernier, le néo-nguemisme d'Obiang Nguema. Après la discrimination raciale par la madre patria espagnole, le pays est passé, à l'indépendance, sous le joug d'un mégalomane (pourtant élu démocratiquement) et de sa famille. Onze ans plus tard, les privilégiés ngemistes ont une nouvelle fois usurpé le pouvoir; en 1985, ils proclament toujours leur dédain de la démocratie. On ne saurait mieux rater une indépendance !

La critique formulée à l'égard de bien des pays africains de la soi-disant incapacité de leurs peuples de se gouverner eux-mêmes est un sophisme souvent colporté. Presque partout, les difficultés des jeunes Etats, grands et petits, sont le produit de manipulations auxquelles les ex-métropoles ne sont pas étrangères : la compétition Carrero-Blanco - Castiella - García Trevijano a, vers 1967-1969, encouragé les oppositions ethniques et politiques entre Equato-Guinéens. Ultérieurement, la censure imposée aux médias espagnols a permis à la tyrannie nguemiste de prospérer impunément, profitant simultanément du laxisme de l'O.N.U. et de l'O.U.A., des desseins géopolitiques de la France, de l'U.R.S.S. et de l'attentisme des voisins.

Avec ses nombreuses potentialités et son passé de colonie prospère, la Guinée Equatoriale est en 1985 une nation exsangue : plusieurs dizaines de milliers de victimes de l'oppression sanglante des Obiang et Nguema, 110 000 exilés toujours à l'étranger, incurie administrative et scolaire, [PAGE 67] arrêt des activités économiques productives. La dernière des dictatures, celle de la poignée de militaires sur lesquels s'appuyait Macias Nguema, n'a eu d'autres recours, entre 1979 et 1985, que d'en appeler de nouveau à l'Espagne d'abord, puis à la France, aux U.S.A. et au Maroc pour recevoir des gardes du corps, des conseillers économiques, pédagogiques, des prêts et des capitaux. En fait, pour obtenir une nouvelle caution : celle de l'Occident capitaliste, après celle de l'Union soviétique. Alors, en avril 1982 – résultat de l'incohérence du système de l'O.N.U. – la Conférence des bailleurs de fonds a promis à la junte nguemiste une aide de 90 Mio de dollars.

Mais comment faire fonctionner un pays à qui manque la quasi totalité de l'intelligentsia ainsi que des dizaines de milliers d'ouvriers agricoles, et dont une partie du territoire national continue d'être agressée et occupée par l'armée gabonaise pendant que la dictature est maintenue en place grâce à l'armée marocaine ?

Compte tenu des propos lénifiants du pape Jean-Paul II lors de sa visite en Guinée Equatoriale en 1982, il vaut mieux, pour un pays aussi catholique, se référer aux déclarations du souverain pontife faites lors du premier voyage africain, en 1980. Fort curieusement, alors que Jean-Paul II effectuait un périple dans cinq pays africains, Obiang Nguema était au Maroc, en France, en R.F.A. et à Madrid, en quête de protecteurs. Or, ceux-ci ne parlent tous que pétrole, thon, okoumé, énergie et denrées « coloniales », plutôt que bien-être du peuple équato-guinéen. N'est-ce pas là un enseignement ? Au Kenya – traitant des relations extérieures des pays africains – le pape a souligné que « l'indépendance politique et la souveraineté nationale ont pour corollaire nécessaire l'indépendance économique et la liberté idéologique. La situation de certains pays peut être profondément conditionnée par d'autres puissances. Or, les interférences d'ordre idéologique dans le domaine de la dignité humaine peuvent provoquer des efforts encore plus nuisibles que toute autre forme d'assujetissement ». Mais ce ne sont pas là les seules évidences proclamées par l'illustre pèlerin. Au plan de la politique intérieure, il a déclaré : « L'Etat doit rejeter tout ce qui n'est pas digne de la liberté et des droits humains de son peuple, bannir l'abus d'autorité, la corruption, l'exploitation des faibles, la mise à l'écart du [PAGE 68] peuple de la vie politique, la tyrannie, le recours à la violence et au terrorisme. »

La Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, l'Internationale démocrate-chrétienne, les deux mouvements de réfugiés crédibles que sont l'A.N.R.D. et le FRELIGE sont plus clairs dans leurs affirmations et considèrent le retour à la seule liberté confessionnelle comme insuffisant. En septembre 1981, devant la Conférence des Nations Unies sur les pays les moins avancés (P.M.A.), le prof. Eya Nchama, tout en qualifiant d'injuste l'ordre économique international actuel, invitait les pays nantis à cesser de financer les dictatures par des aides inconsidérées. Avec la Guinée Equatoriale, les Nations Unies ont pour la première fois appliqué la résolution 1503 (XLVIII) du Conseil économique et social, de publicité au sujet d'une situation de violation des droits de l'homme. Quant à la Commission des Droits de l'Homme, elle a, par consensus, adopté des résolutions sur la Guinée Equatoriale dans le cadre du titre : « Violations flagrantes et massives des droits de l'homme », exprimant le regret de la Commission face au manque de collaboration des nguemistes. Dans son rapport à la Commission, de janvier 1985, l'expert Volio-Jimenez montre, en termes à peine diplomatiques, que restent massives et flagrantes les violations des libertés fondamentales. C'est ce que confirmait le 9 septembre 1985 encore la revue Afrique-Asie, soulignant que « la machine de répression instaurée au temps du "Tigre" [Macias Nguema] n'a pas été totalement démantelée ». Dans le seul pays du continent africain à ne pas être partie aux Conventions de Genève et à ne pas posséder une Société nationale de la Croix Rouge, le Corps suisse d'aide en cas de catastrophe a été remplacé dès 1985 par la Croix Rouge suisse pour lutter contre une situation sanitaire qualifiée par Actualité-Développement, en août 1985, de « pitoyable ». C'est dans ce contexte digne des pires moments de l'ère Macias Nguema que la Chambre des représentants du peuple a voté la réinstauration du Parti unique, dans la ligne du P.U.N.T. de sinistre mémoire, cinq députés opposants – on les appelle Mikok – étant arrêtés et enfermés dans la prison de Playa Negra. Quoi d'étonnant à cela avec les éternels mêmes complices d'un même pouvoir : outre l'Esangui Obiang Nguema, on peut rappeler [PAGE 69] l'Esangui Nguema Esono, ex-vice-président de la République et ministre des Affaires étrangères, aujourd'hui secrétaire général du ministère de l'Education; l'Esangui Owono Asangono, ex-ambassadeur à Madrid puis rappelé suite à une affaire de drogue et désigné secrétaire général du ministère des Relations extérieures et de la Coopération; Ondo Maña, ex-directeur du Banco central, aujourd'hui directeur de la B.E.A.C. à Santa Isabel; Nko Ivasa, ex-ministre des Finances de Macias Nguema, aujourd'hui conseiller d'Obiang Nguema en matière financière et économique; etc., etc.

Plutôt que de trop compter sur de soi-disantes aides extérieures et la fraternelle protection offerte par certains, la Guinée Equatoriale aurait intérêt à s'appuyer surtout sur ses propres forces; là seul réside le secret d'une véritable indépendance, comme le pape Jean-Paul II a tenu à le répéter au moment de quitter le sol africain, à Abidjan, en 1980 : « L'Afrique détient les clés de son avenir. Je souhaite qu'elle découvre un modèle qui réponde aux vrais besoins des Africains. » Rendant au Saint-Père sa visite de février 1982, Obiang Nguema s'est entendu dire au Vatican, en septembre, que la Guinée Equatoriale « se caractérise dans le contexte africain comme une nation à grande majorité catholique, ce qui exige une exemplarité majeure face aux autres nations, tant en ce qui concerne la vie privée de chaque chrétien, famille ou groupe, que dans la vie publique ».

Or, quelles que soient les responsabilités des divers complices du régime nguemiste, nombre d'entre eux sont marqués et destinés à céder leur place, tôt ou tard, à des hommes réellement neufs. Mais ceux-ci ne pourront émarger que si une vie politique normale est rétablie. C'est précisément ce que les nguemistes tentent d'empêcher. Bien évidemment, la mise en place de partis politiques jouissant de la pleine liberté d'expression, l'engagement d'un processus constitutionnel, obligera les uns et les autres à se découvrir et à se situer dans l'éventail politique du côté qui leur correspond; des élections comme celle de 1968, placées sous le contrôle des Nations Unies, fourniront alors un gouvernement conforme aux aspirations de toutes les populations du pays. Le paternalisme espagnol et français, les visées impérialistes caressées par bien des amis, ne sont que la conséquence de la faiblesse [PAGE 70] des Equato-Guinéens eux-mêmes. Certes, longtemps encore le peuple de Guinée Equatoriale ne sera pas en mesure de remplir tous ses objectifs à lui seul. Mais il importe que l'on ne fasse appel à la collaboration de l'étranger que pour autant que l'on tienne les rênes et qu'on refuse de s'asservir. Ce sont les Equato-Guinéens eux-mêmes qui doivent dicter le sens et le calendrier de leur développement, et non quelque ambassadeur d'Espagne ou de France. La coopération espagnole est la bienvenue si elle sait s'intégrer dans les projets équato-guinéens (que seuls les civils sauront formuler). L'actuelle démission des milieux espagnols, et les ronds de jambe français, tout comme l'empressement hypocrite et peu désintéressé de la section Afrique du P.N.U.D. et de la B.I.R.D. viennent précisément du fait que la dictature nguemiste est incapable de mettre en place un véritable projet national auquel les aides extérieures devront se plier. « Il faut admettre sans réserves que la nouvelle classe sera nationaliste – ou alors la Guinée Equatoriale n'atteindra pas son identité nationale – et que dans sa composition les exilés joueront le rôle essentiel », écrivait en 1980, dans Una política para España, F. Moran, ministre espagnol des Affaires étrangères (1982-1985). Le tout est dans la difficulté de passer des paroles aux actes.

A l'occasion de l'Assemblée générale des Nations Unies, fin 1985, le rapport du secrétaire général (Doc A/40/430) fait l'aveu du désordre et de l'absence de coordination de l'aide internationale. D'une part on affirme, a) que le gouvernement ne sait pas formuler une stratégie du développement; d'autre part, b) on avoue qu'« il est clair qu'il n'y a pas eu d'efforts de coordination de la part de la communauté des donateurs et que nombre de projets entrepris ne correspondent pas à l'ordre de priorité établi par le gouvernement ». Bien entendu, la mission onusienne s'est dite impressionnée par la « détermination sincère » du gouvernement nguemiste. Mais ce qui frappe, c'est le mutisme onusien, en particulier lorsqu'il s'agit de main-d'œuvre. En effet, le rapport du secrétaire général dit qu'au cours de la période 1968-1979, « il y a eu un vaste exode d'autochtones et d'expatriés qui s'est traduit par la perte de main-d'œuvre, pourtant déjà fort peu nombreuse, qui était qualifiée dans le domaine de la gestion des entreprises et des activités professionnelles, techniques [PAGE 71] et administratives ( ... ). Du fait de nombreuses violations des droits de l'homme, et notamment de la persécution et de l'exécution arbitraire de milliers d'autochtones, environ un tiers de la population a quitté le pays ». Notons qu'à l'époque, les rapports de l'O.N.U. faisaient complaisamment silence, alors que l'on était au courant. Puis le rapport du secrétaire général d'ajouter qu'avec le gouvernement Obiang Nguema « d'importants progrès ont été réalisés dans de nombreux domaines, notamment en ce qui concerne le respect des droits politiques et des droits de l'homme fondamentaux. Un processus de démocratisation a été mis en route ». Parmi les difficultés rencontrées par le gouvernement figure « la pénurie aiguë de personnel qualifié que le pays connaît jusqu'à ce jour » ( ... ), pénurie qui s'avère être un important obstacle à l'exécution efficace des projets de développement. A court terme, une assistance technique extérieure continue à être nécessaire, et la communauté internationale est instamment priée de bien vouloir répondre à ce besoin ». Et bien entendu, on fait silence sur la persistance du maintien d'un quart de la population en exil à cause de la continuation du pouvoir nguemiste.

La nation équato-guinéenne est trop petite pour se permettre longtemps encore de vivre éclatée. Le prix la survie de la Guinée Equatoriale en tant que pays est celui de l'oubli des divisions du passé et des tentatives d'asservissement du présent. Seul sera viable un régime qui exprime la volonté du plus grand nombre, dans le respect des minorités, Esangui compris. Les portes du pays doivent s'ouvrir à la foule des réfugiés réticents. Les masses paysannes et urbaines doivent être remises au travail volontaire; l'armée doit pouvoir reprendre sa tâche première de protection de l'intégrité territoriale; les urnes, enfin, doivent sonner le glas de la dictature et d'une Chambre du peuple vrai théâtre de marionnettes, sur la base d'une Constitution démocratique. Cela suppose que cessent les dissensions entre mouvements d'exilés et à l'intérieur de certains, comme c'est le cas à l'A.N.R.D. en 1985.

La Commission des Droits de l'Homme a clairement montré, en mars 1985, que la Guinée Equatoriale ne peut se développer sans un retour à la démocratie, c'est-à-dire sans l'élimination de la dictature nguemiste. Mais pour [PAGE 72] cela il faudrait que les gouvernements membres de la Commission, tels les Etats-Unis, la France, l'Espagne, ainsi que les Nations Unies elles-mêmes, et en particulier le secrétaire général, cessent de se faire complices du clan de Mongomo. Protéger les droits de l'homme relève de la volonté politique des Etats. C'est ce qu'a démontré devant la Commission le prof. Eya Nchama, de l'A.N.R.D. : « Protéger les dictateurs, c'est aller contre les peuples qui souffrent de ces dictatures. Par contre, lier l'assistance économique, militaire et politique à l'observance correcte des droits de l'homme, c'est contribuer à la paix mondiale, à la solidarité internationale et au vrai dialogue Nord-Sud. Il est curieux de devoir constater que plus un pays de l'hémisphère sud viole les droits de l'homme, plus il reçoit d'aide de l'extérieur. Quand le Fonds monétaire international dicte des normes de conduite à nombre de gouvernements, personne ne parle d'ingérence; mais quand on veut évoquer le lien entre l'assistance technique à des pays et le respect des droits de l'homme, tout le monde se précipite avec le mot ingérence dans les affaires internes des Etats »[1].

On aurait tort d'oublier que l'élimination de la dictature en Guinée Equatoriale dépend de la plus ou moins bonne volonté des démocraties du Nord.

Max LINIGER-GOUMAZ


[1] « Les aides que les nations du monde occidental apportent à des dictatures « ne font pas que soulager un peu ( ... ) : elles assurent également la consolidation d'un pouvoir trop souvent nuisible au pays en cause. Consolidation directe dans la mesure où, de notoriété publique, une partie de l'aide est toujours détournée au profit de l'armée ou d'une minorité de profiteurs; consolidation indirecte puisque tout début de solution à la crise sera crédité au gouvernement.

Sorti renforcé de l'aventure, et comme cautionné par la communauté internationale, un tel gouvernement continuera à mener résolument la même politique désastreuse qu'auparavant, pour le plus grand malheur d'un peuple qui n'en finit pas de crever de faim, loin des palais de la junte au pouvoir. Et à la crise suivante, inévitablement, les pays riches viendront à nouveau replâtrer un pouvoir chancelant.

C'est un cercle vicieux qu'avec notre bon cœur et notre compassion, nous contribuons à perpétuer ( ... ). Il n'y a évidemment pas de solution toute faite. Tout au plus pourrait-on attendre de la communauté internationale et des pays donateurs une certaine pression sur les gouvernements concernés pressions pour tenter d'infléchir une politique aberrante ».