© Peuples Noirs Peuples Africains no. 47 (1985) 38-112



Connaître la
GUINEE EQUATORIALE

(suite)

Max LINIGER-GOUMAZ

Après que les Cortes espagnols eurent adopté le texte de la Constitution – bien que quatre-vingts procureurs firent part de leurs inquiétudes devant le caractère trop centralisateur du texte et protestèrent contre le secret qui avait entouré les débats – celle-ci fut soumise en août 1968 au référendum populaire en Guinée espagnole et approuvée par les deux provinces (72 458 oui/ 40 197 non). Le texte évoque une République unitaire, indivisible, composée de deux provinces. On note beaucoup d'analogies avec le régime en vigueur en Espagne et avec ce qui existait durant l'Autonomie : le président nomme le vice-président et la moitié des ministres : il peut dissoudre le parlement (Asambléa de la República), suspendre durant quinze jours les droits fondamentaux des nationaux, etc. Alors que le parlement semble doté d'un large pouvoir de contrôle de l'exécutif, celui-ci (Consejzo de Ministros) est, comme en Espagne franquiste, présidé par le chef de l'Etat, ce qui ne manque pas d'en affaiblir le rôle. Pour les élections, les dissidents du Secretariado conjunto devinrent le Grupo Macias. Après les élections du 22 septembre, aucun candidat à la présidence [PAGE 39] n'obtint le quorum (Ondo Edu pour le MUNGE, Bosio Dioco pour l'Unión Bubi, Ndongo Miyone pour le MONALIGE, Macias Nguema pour la coalition des dissidents). Par des bulletins à l'emblème du coq, le Grupo Macias mena une campagne financée par Garcia Trevijano (591 000 pesetas de tracts et d'affiches – certaines sources disent 50 millions de pesetas), avec des slogans tous azimuts du type : « Macias tient toujours parole. » Le refus d'Ondo Edu d'une alliance avec Ndongo Miyone, et le désistement de ce dernier, favorisèrent Macias Nguema qui partit favori au second tour, le 29 septembre : il fut élu facilement par 68 310 voix contre 41 258 à Ondo Edu, encore que les intellectuels, principalement les enseignants, aient voté contre lui. Une mission d'observateurs des Nations Unies reconnut la régularité du scrutin. A noter qu'au Rio Muni, les districts fang d'Akuzrenam, Evinayong et Nsork, ainsi que la ville de Mongomo, donnèrent leur préférence à Ondo Edu. Le 12 octobre 1968, le poulain de Garcia Trevijano devint le premier président de la République de Guinée Equatoriale. Son neveu Teodoro Obiang Nguema est promu lieutenant, avec divers cousins et collègues de la volée 1963-1965 de Saragosse.

Au parlement, sur trente-cinq députés, neuf seulement appartenaient à la coalition de dissidents membres du Grupa Macias. Par contre, au Conseil des ministres, sept faisaient partie de l'équipe des dissidents, en particulier le cousin Masié Ntutumu, ministre de l'Intérieur (un des organisateurs de la terreur jusqu'à fin 1976). De la sorte, l'exécutif n'était en rien l'expression de la volonté populaire. L'Espagne franquiste venait d'enfanter un nouveau pouvoir totalitaire. Le seul personnage qui eut pu freiner le pouvoir népotique de la famille Macias Nguema était Mba Ada, président du Sénat (Consejo de la República); mais il appartenait lui aussi aux dissidents du Grupo Macias [Nguema]. Ultérieurement, les membres de la famille Macias Nguema, ainsi que leurs laquais, furent appelés nguemistes, par analogie avec franquiste. Depuis 1968, la Guinée Equatoriale est manipulée et saignée par ces nguemistes, la plupart originaires de la région de Mongomo. [PAGE 40]

CHAPITRE III

L'indépendance ratée

A. 1968-1969

Dès octobre 1968, le président du MUNGE et de l'ex-gouvernement autonome, Ondo Edu, craignant pour sa vie, se réfugia au Gabon. Avec des arguments fallacieux, Macias Nguema obtint son extradition, le plaça en résidence surveillée, puis, en avril 1969, sous l'accusation de complot, le fit exécuter sans jugement, avec nombre d'autres membres du MUNGE, dont plusieurs députés de l'Asamblea de la República. Le 27 décembre 1968, le procureur de la République, Martinez Zafo, avait pourtant alerté Masié Ntutumu, ministre de l'Intérieur, en raison des excès dont se rendaient coupables divers nguemistes : il lui fut répondu qu'il devait s'abstenir de s'immiscer dans les affaires politiques. C'est l'époque aussi où un groupe d'aventuriers espagnols, dont Novais, ex-correspondant du journal Le Monde à Madrid, proposa à Macias Nguema la création par une fictive société financière (Profinanco) d'une banque d'Etat avec des fonds privés inexistants.

Au Nigeria, la guerre du Biafra continuait à faire rage; les avions du C.I.C.R., basés à Santa Isabel depuis l'indépendance, effectuaient des vols de nuit quotidiens. Mais pour sauvegarder la neutralité de la Guinée Equatoriale – après des pressions du gouvernement de Lagos – et parce que des vols de nuit parallèles à ceux de la Croix [PAGE 41] Rouge étaient signalés depuis São Tome portugais, mais avec des chargements d'armes, Ndongo Miyone, ministre des Affaires étrangères, fit suspendre les vols du C.I.C.R. courant janvier 1969. Cette attitude, et le fait que Macias Nguema interdit les transferts de salaires des ouvriers biafrais (environ 70 000 travailleurs nigerians en Guinée Equatoriale), provoqua le mécontentement de cette colonie importante et incita beaucoup de manœuvres à rentrer au Biafra. Pour échapper à l'effervescence des Nigerians de Fernando Poo, Macias Nguema effectua alors une longue tournée au Rio Muni, durant laquelle il prononça une série de discours violemment anti-espagnols. Le 22 février 1969, à Niefang, le Conseil des ministres (essentiellement composé de dissidents des partis nationaux et de parents Esangui) créa la milice de la jeunesse, liée à l'armée. Les discours enflammés de Macias Nguema encouragèrent des adolescents à molester des Espagnols, l'un d'eux étant tué, d'autres rossés sur la voie publique. Avec la détérioration des relations hispano-guinéennes, le détachement de 260 hommes de la Garde civile espagnole encore sur place s'empara fin février des points stratégiques, en particulier des aéroports. Macias Nguema exigea leur retrait immédiat, déclara l'état d'urgence le 3 mars, et demanda à l'O.N.U. d'envoyer des casques bleus. Peu auparavant, pour une futile affaire de drapeau espagnol flottant sur le consulat d'Espagne, à Bata, il fit expulser l'ambassadeur Duran Loriga. Le 5 mars se produisit le prétendu coup d'Etat de Ndongo Miyone, à Bata encore. La version officielle veut que Ndongo, venu avec une petite troupe de Rio Benito, son fief, aurait arrêté une série de responsables politiques dans Bata. Monté à la résidence présidentielle, il aurait alors été surpris par Macias Nguema qui, après un corps-à-corps, l'aurait défenestré. Les jambes brisées, Ndongo Miyone aurait été achevé par des co-détenus en prison. Des témoignages concordant montrent Ndongo Miyone convoqué au palais, pour un Conseil des ministres, puis les jambes brisées par les tirs et les coups de crosse de la garde présidentielle; il aurait été achevé en prison par le commandant Tray, chef de l'état-major, prédécesseur d'Obiang Nguema. Certains affirment que Macias Nguema aurait été avisé des intentions de Ndongo Miyone [PAGE 42] par Carrero Blanco qui voulait jouer un tour à Castiella. Quoi qu'il en soit, la mort du chef du MONALIGE fut suivie peu après de l'assassinat d'Ondo Edu et de nombreux autres dans le cadre d'une purge qui élimina des chefs traditionnels, des cadres supérieurs, dont Ibongo Iyanga, représentant auprès des Nations Unies et le Dr Watson Bueco, ambassadeur au Cameroun qui, rappelé par Macias Nguema, mourut après une semaine passée dans un tonneau rempli d'eau. Ces événements incitèrent quelque 7 000 des 8 000 résidents espagnols à quitter précipitamment le pays grâce à trente-deux vols Iberia et quatre paquebots espagnols[1]. En représailles, Macias Nguema ferma les grandes entreprises espagnoles, telles Inasa, Gaesa, Alena (dont Carrero Blanco possédait plus de la moitié du capital social), qui étaient propriétaires d'importantes exploitations forestières, de plantations, d'élevages bovins, et dont l'une détenait le monopole des liaisons maritimes avec l'Espagne.

Aussitôt, les rouages administratifs et économiques se grippèrent. Milieu mars 1969, l'O.N.U. envoya un observateur civil. Mais ce n'est pas la centaine d'experts de l'O.N.U. et de l'O.U.A., débarquant peu à peu, qui suffit pour remettre le pays sur les rails. Afin de réamorcer les relations avec la madre patria, Macias Nguema fit du chantage grâce au projet Profinanco. En avril déjà, une mission espagnole arriva à Santa Isabel, et rapidement des accords de coopération économique, technique et de [PAGE 43] paiement furent signés, dont l'émission financée par l'Espagne d'une peseta équato-guinéenne et la création, avec l'assistance de l'ex-métropole et du F.M.I., d'une Banque centrale qui fut inaugurée au premier anniversaire de l'indépendance. Peu après, l'Espagne épongea le déficit de 426 millions de pesetas qu'avait provoqué une administration rapidement gonflée par la clientèle de Macias Nguema. Aux festivités du 12 octobre 1969, García Trevijano, durant son premier voyage en Guinée Equatoriale, est élevé au rang de chevalier de l'ordre de l'indépendance. C'est à cette époque, en particulier grâce à Mba Nsué, secrétaire du ministère de l'Industrie et des Mines (que García Trevijano avait entretenu à Madrid, en 1968, en tant que membre du Secretariado conjunto), que fut organisée l'Expedición científica nacional financée par l'avocat espagnol grâce aux bénéfices d'une affaire de vente de timbres-poste équato-guinéens. Ce fut l'occasion de faire l'inventaire des ressources minières du pays. Les résultats n'ont jamais été publiés. On n'en sait pas plus des recherches pétrolières effectuées dès avant l'indépendance par des groupes espagnols et américains. En 1969 encore, la Société française des Dragages et des Travaux publics décrocha une série de contrats pour des ouvrages de prestige, grâce à d'importants prêts publics du gouvernement Pompidou : palais présidentiel près de Bata (12 Mio $), jetée du port de Bata (28 Mio $), bâtiments de la Banque centrale à Bata et Santa Isabel (3 Mio $). Par l'entremise de García Trevijano, une Société forestière du Rio Muni put être constituée en garantie des prêts français. Elle fut dotée d'une concession de 150 000 ha, et autorisée à extraire 1 500 000 t d'okoumé en dix ans. Bien que française, la Forestal établit ses bureaux européens à Commugny (Suisse) sous la direction de l'homme d'affaires français J.-P. Nouveau, représenté à Bata par P. Schwartz. Fort habilement, Macias Nguema – qui avait travaillé brièvement comme commis de l'Instituto forestal de Rio Benito – s'était réservé dès octobre 1968 les affaires forestières. Fin 1969, grâce à la confiscation du patrimoine des coopératives agricoles, principalement de Fernando Poo, fut créé, à l'instigation de García Trevijano, et sous la présidence de Mba Ada, Infoge (Institut national de développement), organisme d'Etat chargé de [PAGE 44] monopoliser le commerce extérieur et de sortir le pays de la seule sphère économique espagnole. Mba Ada fut rapidement accusé de détournements, mais put s'enfuir au Gabon avec l'aide du ministre de la Santé Obiang Nzogo (en poste jusqu'au début 1979), et Infoge fut supprimé en 1972.

Grâce aux efforts financiers et techniques de l'Espagne, aux prêts français, aux experts et techniciens fournis par l'O.N.U. et par l'O.U.A., aux rentrées de la campagne cacaoyère 1968 et aux redevances pétrolières, l'an 1 fut relativement prospère, en dépit des purges et du départ des Espagnols. Mais déjà, une partie de l'intelligentsia avait fui le pays, tout comme avant l'indépendance on fuyait la police franquiste.

B. LE DEBUT DE LA FIN

L'engrenage de la terreur se durcit rapidement. En janvier 1970, le Conseil des ministres (non représentatif de l'opinion) supprima tous les partis politiques qui avaient milité pour l'indépendance, et créa le Partido Unico Nacional (P.U.N.), complété du mouvement paramilitaire de la « Jeunesse en marche avec Macias ». Le despote put alors calmer certaines de ses phobies majeures : peur des intellectuels (l'emploi du mot lui-même fut interdit), peur de la subversion, peur d'être empoisonné. Dès 1970, des relations sont nouées avec la Chine populaire et l'U.R.S.S.; la première fournit un contingent de quatre cents experts (médecins, ingénieurs, équipe pour la réalisation d'une route menant à Mongomo, etc.), la seconde des conseillers militaires, tout en se réservant, par un accord de pêche, les crustacés des eaux équato-guinéennes qu'elle envoyait régulièrement sur le marché soviétique, ainsi que la disposition du port de San Carlos comme base navale.

Dans l'espoir de protéger ses avoirs en Guinée Equatoriale, l'Espagne imposa début 1971 la censure sur les informations de plus en plus dramatiques provenant de l'ex-colonie. De retour d'un voyage à Brazzaville, Macias Nguema, sous prétexte d'avoir échappé à un nouveau [PAGE 45] complot, élague les milieux politiques Bubi de Fernando Poo. La Constitution est amendée en mai dans le sens d'une présidence qui cumule les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, ainsi que les anciennes prérogatives du Sénat. Un décret présidentiel fixa en octobre 1971 les sanctions pour les offenses contre Macias Nguema, son gouvernement et les atteintes à l'intégrité du territoire national. Courant 1972, l'évêque du Rio Muni, le Fang Nze Abuy, quitte le pays sur recommandation du Vatican, alors qu'arrive une équipe d'experts de l'UNESCO pour mettre sur pied un Institut pédagogique (Centro de Desarrollo de la Educación). En Espagne, d'anciens notables équato-guinéens – certains ayant fait auparavant allégeance à Macias Nguema, tels Nsué Ngomo, Mba Nsué, Beworo Obama, Obiang Biko – tentent d'organiser des mouvements prétendument de libération, qui ne représentent toutefois qu'eux-mêmes (Analige, Frelige); on les soupçonne aussi d'être à la solde d'Espagnols spoliés. Les mêmes milieux tenteront, en 1978, de créer diverses organisations toutes aussi peu représentatives (Onorge, Salvación), liées au néo-fascisme espagnol. En Guinée Equatoriale, dès avril 1972, tous les adultes, ainsi que les jeunes de plus de dix-sept ans, sont astreints plusieurs fois par semaine à des défilés et maniements d'armes, munis de fusils de bois vendus par le parti. Au congrès du P.U.N., le parti devient le P.U.N.T. par l'adjonction de « Travailleurs »; Macias Nguema est proclamé président à vie. En août, le Gabon étend ses eaux territoriales à 100 milles et occupe militairement les îles equato-guinéennes de Mbañe, Leval, Conga et Cocotiers; la presse évoquera l'« odeur de pétrole » de cette affaire. Pour éviter que Macias Nguema n'en appelle au Conseil de sécurité, l'O.U.A. mit sur pieds une commission de conciliation présidée par les présidents Mobutu et feu Ngouabi, qui gela simplement l'affaire. Asumu Oyono, ex-secrétaire de la présidence de la République, réfugié au Cameroun, fit savoir peu après que Macias Nguema aurait vendu ces îles – ainsi que la région de Kiosi, près d'Ebebeyin – au Gabon, attentant ainsi à l'intégrité du territoire national.

L'exode des Equato-Guinéens s'accrut au point qu'en 1973 déjà près du quart de la population vivait hors du [PAGE 46] pays. En juillet 1973, le représentant résident du Programme des Nations Unies pour le Développement (P.N.U.D.), le Haïtien Marceau Louis, est expulsé manu militari, avec sa famille et ses collaborateurs étrangers, par des hommes sous le commandement d'Obiang Nguema; un employé Bubi du P.N.U.D. est incarcéré durant des années dans la célèbre prison de Bata. Louis avait refusé – avec raison parce que jouissant du statut diplomatique – de céder au gouvernement des documents déposés à son bureau par un Mouvement de libération de Fernando Poo. Le 29 juillet, une nouvelle constitution est imposée à la suite d'un référendum populaire manipulé; elle accentue encore la marche vers le pouvoir absolu : l'autonomie provinciale est supprimée; le président est élu tous les cinq ans (art. 42), mais comme Macias Nguema est nommé « à vie » par l'art. 49, celui-ci abroge l'art. 42; tous les juges sont désignés par le président (art. 68).

Au congrès du P.U.N.T. d'août 1973, une série de résolutions firent du président l'« Infatigable et Unique Miracle de la Guinée Equatoriale » (no 9). Ce dernier slogan dut alors être proclamé par les prêtres de toute confession et le portrait de Macias Nguema affiché dans les églises, l'application de ces mesures étant contrôlée par la Juventud en marcha con Macias. Le congrès envisagea aussi une série de modifications de toponymes : Fernando Poo serait remplacé par Macias Nguema, Santa Isabel par Malabo, Rio Benito par Mbini, etc. Ces toponymes sont refusés par les Equato-Guinéens de l'extérieur, seuls en mesure de s'exprimer, et qui contestent en particulier la fantaisiste transformation d'Annobon en Pagalu (Papa coq, en créole d'Ambu), en souvenir du symbole électoral du Grupo Macias. La même année, l'île d'Annobon fut partiellement dépeuplée à la suite d'une épidémie de choléra, parce que les nguemistes interdirent d'y débarquer les vivres et médicaments offerts par les Nations Unies. Trois ans plus tard, les hommes survivants seront emmenés aux travaux forcés dans les cacaoyères de Fernando Poo. C'est en 1973 encore qu'une tentative de renversement de Macias Nguema fut conçue par le journaliste-romancier britannique Forsyth, avec des mercenaires européens et béninois; elle avorta aux Canaries. [PAGE 47]

Forsyth en a fait son best-seller, « Les chiens de guerre ». En octobre 1973 arriva un contingent de trois cents assistants techniques cubains, dont des enseignants. Malgré cet appoint, le Centro de Desarrollo de la Educación, créé par l'UNESCO, ne put fonctionner en raison des réticences du régime Macias Nguema, et en dépit des efforts d'Ochaga Ngomo, ministre de l'Enseignement populaire et Secrétaire permanent du P.U.N.T.

Début juin 1974, une mutinerie, doublée d'une tentative de coup d'Etat par les pensionnaires de la prison de Bata, échoua (cent dix-huit morts); fin juin, vingt-sept des quatre-vingt-dix accusés survivants furent condamnés à mort par un tribunal militaire présidé par le commandant Tray, et les peines exécutées avec l'assistance de conseillers militaires soviétiques. Faisaient partie de la cour militaire notamment José Moro Mba, chef de la Juventud en marcha con Macias pour le Rio Muni, juge informateur, et Moïses Iyanga qui, chargé de la défense des inculpés, demanda sans nuance l'application de la peine de mort. Parmi les fusillés, l'ex-ministre du Travail, le Bubi Boricho Toichoa et un écolier de seize ans, abattu au sol en raison des jambes brisées lors des interrogatoires. Après avoir fait vider les quartiers autour du palais de Santa Isabel, et dresser des murailles et des bastions électrifiés, Macias Nguema se réfugie de plus en plus hors de ce ghetto et se retire à Mongomo, également cernée d'installations militaires. Trois des épouses du dictateur vivent à Mongomo, ainsi que, dès juin 1978, le dernier missionnaire Clarétin espagnol dans le pays, le père L. Fuente, âgé de quatre-vingt-cinq ans, retenu en otage. En août 1974, l'expert en chef de l'UNESCO est déclaré persona non grata, huitième fonctionnaire de l'O.N.U. accusé de prétendue immixtion dans les affaires intérieures de l'Etat. En août encore fut fondée, en Europe, l'Alianza Nacional de Restauración Democrática (A.N.R.D.), par un large éventail politique de réfugiés. Cette alliance est dotée d'un périodique (La Voz del Pueblo), d'une agence de presse (A.P.P.G.E.L.), et s'est enrichie progressivement d'un mouvement de femmes (O.M.G.E), d'un mouvement de jeunesse (U.J.G.E.); c'est en son sein qu'a refait surface, en 1978, l'Unión General de Trabajadores de Guinea Ecuatorial (U.G.T.G.E.) qui vivait [PAGE 48] déjà dans la clandestinité ou en exil sous les Espagnols[2]. En Espagne naît à la même époque une Unión Revolucionaria de Guinea Ecuatorial (U.R.G.E.), qui ne déborde toutefois pas la Péninsule ibérique, alors que l'A.N.R.D. est représentée sur tous les continents. C'est en 1974 que l'Espagne retira à García Trevijano son passeport et que l'avocat commença à voyager avec un passeport diplomatique équato-guinéen.

Le 5 février 1975, pour une sordide affaire de portrait de Macias Nguema déchiré sur la façade de la maison du vice-président de la République et ministre du Commerce, le Bubi Bosio Dioco (ex-président de l'Unión Bubi) est « suicidé » par le régime. En Europe, au deuxième congrès de l'A.N.R.D. se font jour des antagonismes entre l'idéalisme démocratique des uns et les visées égoïstes des autres. En Guinée Equatoriale, l'expert en chef d'un projet routier P.N.U.D./B.I.R.D. est à son tour expulsé. Après la disparition d'Infoge, en 1972, García Trevijano obtint de Macias Nguema l'autorisation de créer Simed S.A., destinée à effectuer l'importation de produits de première nécessité. Simed S.A. commença à travailler effectivement en 1975, mais fut rapidement concurrencée par la société Adoual, appartenant à un Libanais des Canaries auquel était associé un neveu de Macias Nguema, l'apparenté Esangui Daniel Oyono Ayingono, notamment ministre du Commerce. C'est courant 1975 aussi qu'à l'instigation de la France la Communauté économique européenne envisagea l'association de la Guinée Equatoriale; ce fut chose faite le 13 mai 1976, en dépit des protestations de l'A.N.R.D., dès décembre 1975. Peu auparavant, des employés de l'ambassade du Nigeria furent molestés sur la voie publique, à Santa Isabel. Le 8 janvier 1976, des soldats de la Garde nationale, sous les ordres d'Obiang Nguema, attaquèrent des ressortissants nigérians réfugiés dans les jardins de leur consulat après que plusieurs [PAGE 49] aient été malmenés dans les cacaoyères; résultat : onze morts. Le gouvernement de Lagos organisa immédiatement une opération d'évacuation géante (se fondant sur la convention de travail conclue entre les deux pays) : du 11 au 13 janvier 1976, 9 500 personnes partirent par voie aérienne, 15 500 autres par mer, soit plus de la moitié de la colonie nigeriane d'alors. A Madrid, le 5 mars, des étudiants de diverses tendances occupent l'ambassade de Guinée Equatoriale en guise de protestation contre la dictature du régime nguemiste. Le 15 mars, celui-ci rompt les relations diplomatiques avec les Etats-Unis d'Amérique par une note grossière remise à l'ambassadeur à l'aéroport de Santa Isabel. La France est le seul pays occidental, depuis 1971, à avoir un ambassadeur résident, à côté de représentations de la République démocratique allemande, de la Corée du Nord, de la Chine populaire, de l'U.R.S.S. et des pays voisins. Un décret présidentiel de mars 1976 légalisa le projet formulé en 1972 déjà de travail forcé. Chaque district doit fournir 2 500 personnes, contingent que l'exode des Nigerians rend particulièrement nécessaire : cette mesure vida en particulier les écoles secondaires restantes et le Centro de Desarrollo de la Educación financé par la communauté internationale. En mars 1976 toujours, Cuba retira ses coopérants, les remplaçant il est vrai par une garde prétorienne de même nombre, affectée à la présidence et à la base militaire de San Carlos.

Au troisième congrès extraordinaire de l'A.N.R.D. (12-18 avril 1976), qui fut celui de la clarification idéologique, divers éléments accusés d'inefficacité ou d'être téléguidés par la Comunidad de Españoles con Interéses en Africa furent exclus : Mba Ada, Nsue Ngomo, Balboa Boneque, etc. Présentée comme une organisation politique de lutte du peuple pour l'anéantissement du régime dictatorial nguemiste, l'A.N.R.D. définit clairement ses objectifs : démocratisation réelle et rétablissement des droits et libertés fondamentaux, réconciliation nationale, suppression des oligarchies, promotion d'une éducation de masse, planification mixte de l'économie nationale. Peu après, l'A.N.R.D. – sous la conduite de son secrétaire général d'alors, le prof. C.M. Eya Nchama – publiait en Espagne un dossier García Trevijano, conseiller [PAGE 50] Plénipotentiaire de Macias Nguema, prouvant sa collusion avec les nguemistes; dès lors, l'avocat espagnol fut boycotté par le Parti socialiste ouvrier espagnol, au sein de la Coordinación democrática qui visait à préparer la succession non fasciste de Franco.

Au pays, la crise économique allait s'aggravant. Le revenu per capita, qui était estimé fin 1967 à 170 $ n'était plus que de 70 $ en 1975. Le départ de 25 000 Nigerians provoqua la paralysie totale des plantations.

Depuis l'indépendance, les achats de biens de consommation fongibles avaient fortement augmenté. En 1972, le cacao, le café et le bois représentaient 98,9 % des exportations. En 1973, pour équilibrer la balance commerciale déficitaire, le régime dut suspendre les importations pendant plusieurs mois; la situation se dégrada à tel point qu'il fallut l'intervention tardive de Simed S.A. pour l'importation de produits de première nécessité. La production de cacao tomba de 34 000 t en 1968-1969 à 8 000 t en 1976-1977, celle de café de 8 500 à moins de 5 000 t. Les magasins d'Etat ne vendirent plus que des produits chinois hétéroclites, et en 1978 ils durent fermer, de même que le marché central de la capitale, faute de marchandises.

Devant la gravité de la situation, le pouvoir nguemiste s'est spécialisé dans le rançonnement des étrangers : 57 600 $ pour une Allemande, 40 000 $ pour un professeur espagnol, 8 700 pour un vieux missionnaire Clarétin, 6 800 pour un Soviétique décédé, 5 000 pour un Français. Compte tenu du désastre économique, la centaine de magistrats et hauts fonctionnaires restés au pays s'est adressée au dictateur en décembre 1976 par une pétition demandant une modification de la politique économique. Arrêtés par Obiang Nguema en personne, en accord avec son oncle Macias Nguema, les pétitionnaires sont incarcérés à Bata. Nombre d'entre eux sont liquidés, dont Ochaga Ngomo (Ebebiyin) et les cadres supérieurs de son ministère de l'Education populaire; Oyono Alogo, secrétaire de la présidence et ex-ministre des Travaux publics; le vice-président Eyegue Ntutumu (apparenté Esangui) est déchu de sa fonction, mais a la vie sauve – momentanément – grâce à l'intervention de la française Société forestière du Rio Muni. Seuls restent alors aux postes clé des Esangui [PAGE 51] – notamment le cousin Bonifacio Nguema Esono, ministre des Affaires étrangères, nouveau vice-président de la République – et des inconditionnels de Macías Nguema.

C. RIEN NE VA PLUS

Depuis lors, l'histoire de la Guinée Equatoriale se résume en une course d'endurance entre le pouvoir népotique des Macias et des Nguema et la résistance à la dictature, regroupée largement au sein de l'A.N.R.D., tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays; course aussi entre l'Espagne et la France. Spectateurs plus ou moins actifs, les pays voisins, surtout ceux de l'U.D.E.A.C.; le Gabon en particulier qui – à en croire la presse espagnole – aurait recherché en 1977 l'appui diplomatique de l'Espagne pour occuper le sud de la Guinée Equatoriale, en échange de ses efforts pour la reconnaissance par l'O.U.A. de l'hispanité des Canaries (ce qui fut chose faite). Au Cameroun, certains réfugiés, tel Ekong Andeme, ex-ministre du régime nguemiste, cultivent des rêves d'annexion de leur pays au Cameroun. Au Nigeria, certains syndicats demandent l'occupation de Fernando Poo.

Pendant ce temps, le comité central de l'A.N.R.D. développe sa présence dans toutes les instances internationales, gouvernementales et autres. Le prof. Eya Nchama siège notamment à la Sous-Commission des Nations Unies contre les mesures discriminatoires et pour la protection des minorités. Donato Bidyogo, autre membre de l'A.N. R.D., publie en 1977 une Historia y Tragedia de Guinea Ecuatorial. Les rapports accablants de la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (Paris), de l'Anti-Slavery Society (Londres), du Fonds international d'échanges universitaires et de la Commission internationale des juristes (Genève) confirment le travail forcé, les meurtres politiques et la torture (une technique récente consistant à enfoncer une barre à mine dans le crâne des victimes). Le nombre de 125 000 réfugiés est atteint en 1979.

Dès 1978, le gouvernement de Guinée Equatoriale est totalement dominé par des parents de Macias Nguema : [PAGE 52] le chef de l'Etat coiffe le ministère des Armées, celui de la Sécurité nationale, les Affaires forestières; Nguema Esono (cousin) le ministère des Affaires étrangères et la vice-présidence; Oyono Ayingono (neveu) cumule le ministère des Finances (prédécesseur assassiné), celui de l'Industrie et du Commerce (prédécesseurs assassinés ou en exil), la direction de l'Information (prédécesseur assassiné), la direction générale de la Sûreté (le prédécesseur, son oncle Masie Ntutumu, en exil), le secrétariat d'Etat à la présidence (prédécesseur en exil), ainsi que les postes de chef du protocole et de commissaire des Entreprises d'Etat. De plus, Feliciano Oyono (cousin) est secrétaire permanent du P.U.N.T. (prédécesseur assassiné); Obiang Nguema (neveu) coiffe la Garde nationale (prédécesseur en résidence surveillée) et fonctionne comme gouverneur militaire de Fernando Poo; Salvador Ela Nseng (neveu) est gouverneur militaire du Rio Muni; le neveu Mba Oñana commande la 2e compagnie de la Garde nationale; le neveu Maye Ela commande la place militaire de Bata. Enfin, la Guinée Equatoriale est représentée aux Nations Unies par un autre parent du dictateur, Evuna Owono Asangono qui a tenté sans succès de faire exclure de la Commission des Nations Unies pour les Droits de l'Homme le prof. Eya Nchama; peu après, c'est l'ambassadeur Ekua Miko (il avait protesté à l'O.N.U. contre les atrocités françaises à Mayotte) qui, en mai 1979, à la Conférence de l'O.U.A. sur les réfugiés en Afrique (Arusha, Tanzanie), échoua dans la tentative d'exclure Eya Nchama, représentant de la Commission internationale des juristes. Peu après, le Mouvement panafricain de la jeunesse condamnait, à Alger, le « gouvernement fasciste » de Santa Isabel, qui constitue une « humiliation pour l'Afrique ».

D. LE SIMULACRE DE COUP D'ETAT

1. Le pouvoir s'englue

Depuis 1975 et la prise en main de la majorité des rouages civils et militaires du pays par les cousins et neveux [PAGE 53] de Macias Nguema, la situation intérieure s'est encore détériorée. Dès 1978, les assassinats ont toutefois ralenti, faute de compatriotes à liquider, toutes les élites restantes et des dizaines de milliers de paysans ayant fui à l'étranger. Sur la scène internationale, la position de la dictature nguemiste se détériorait au rythme de l'arrivée des réfugiés. En septembre 1977, Macias Nguema apprenait de la bouche de Hua-Goufeng même que l'assistance technique chinoise allait être progressivement réduite. En novembre, le président Bongo, dont le pays abrite 60 000 réfugiés équato-guinéens, relançait les visées gabonaises sur une partie du territoire du petit voisin du Nord, recherchant en cela le concours de l'Espagne. Cette prétention fut perçue par les Ibériques comme une manœuvre de la France de faire passer la Guinée Equatoriale dans sa zone d'influence, afin que s'estompe cette tache hispanique entre le Cameroun et le Gabon. Courant 1978 le pays se vida des derniers enseignants prêtés par l'UNESCO et par l'Espagne, suivis par les derniers missionnaires catholiques, relâchés contre rançon. Ces départs, ajoutés aux conséquences du travail forcé en vigueur depuis 1976, sonnèrent le glas de ce qui restait encore du système scolaire. La Guinée Equatoriale devint alors officiellement un Etat athée et le culte chrétien fut interdit. Après qu'en août la Sous-Commission des Nations Unies de lutte contre les mesures discriminatoires et de protection des minorités ait entendu le représentant de l'A.N.R.D., fin 1978 la Commission internationale des juristes accusa les nguemistes de graves atteintes aux droits de l'homme, alors que la Communauté économique européenne cessait ses relations avec Santa Isabel, pour les mêmes raisons.

Début 1979, la Confédération mondiale du travail (Bruxelles) protesta contre la complicité du gouvernement français avec le régime autocratique des Nguema. Et tandis que le chef du protocole, Augustin Nsé Nfumu, se réfugiait au Cameroun, à Genève la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies décidait d'organiser une enquête sur la situation en Guinée Equatoriale. Au pays-même, la situation se dégradait encore. C'est pourquoi, l'A.N.R.D. fut immédiatement suivie par les fonctionnaires de Santa Isabel manifestant en faveur du payement [PAGE 54] des salaires en retard, en juin. Pour la même raison, de jeunes officiers, parents de Macias Nguema, approchèrent le président, à Mongomo; il ordonna leur exécution.

2. Le simulacre de coup d'Etat

Depuis début 1979 se rejoignirent les intérêts de l'Espagne et des centurions nguemistes : l'une a peur de perdre définitivement les biens spoliés en 1969, les autres craignent qu'une chute de leur oncle ou cousin n'entraîne la leur, eux qui collaborent si intimement à la saignée du pays. Cette conjonction d'intérêts explique la destitution de Macias Nguema par un Conseil militaire, le 3 août 1979, dominé par les cousins Obiang Nguema, chef de l'armée de terre, gouverneur militaire de Fernando Poo, Maye Ela, chef de la marine et commandant de la place de Bata, Ela Nseng, gouverneur militaire du Rio Muni. L'oncle est arrêté une semaine plus tard, après quelques faibles affrontements entre loyalistes et rebelles et l'intervention d'une colonne mixte équato-guinéenne/gabonaise qui investit la région de Mongomo. Le 25 août 1979, un gouvernement militaire nguemiste se substitue au gouvernement nguemiste civil, avec en tête les trois principaux survivants du groupe de Saragosse, et sur le terrain des hommes comme le parent Mba Oñana ainsi que Moro Mba. Immédiatement, Obiang Nguema fait appel à l'assistance de l'Espagne, qui répond favorablement dans les vingt-quatre heures; le 30 août déjà accourt le nouvel ambassadeur d'Espagne.

On s'active alors à l'organisation du procès du « vieux », l'instruction étant confiée à un Esangui, avec des conseillers de la police espagnole pour la lutte anti-émeutes. Le chef d'accusation porte sur les crimes de génocide, paralysie de l'économie, détournement des fonds de l'Etat, etc. Pendant qu'Obiang Nguema proclame le respect des Chartes internationales, dont les Droits de l'Homme, quelques survivants sont libérés des geôles de Fernando Poo et du Río Muni, mais on y maintient certains membres falots du régime Macias Nguema et le parent ex-gouverneur civil du Rio Muni et ex-vice-président de la République, Eyegue Ntutumu, qu'on n'a pas pu liquider [PAGE 55] en 1976 et qui, pour en savoir trop sur le clan des Nguema, se révèle gênant.

Le procès est fixé au 24 septembre. Le 23 arrive à Santa Isabel un contingent de 180 soldats marocains, transfuges du Gabon, destinés à la protection du gouvernement militaire : A l'extérieur, l'oncle nguemiste Masié Ntutumu, ex-ministre de l'Intérieur et longtemps responsable de la répression – réfugié en Espagne depuis 1976 – applaudit avec divers comparses, dont Ekong Andeme, au renversement du prétendu gouvernement pro-communiste.

Dès le 10 août 1979, l'A.N.R.D. exprime ses doutes quant à la nature du changement intervenu en Guinée Equatoriale, et pose les conditions suivantes, reprises par le Front de Libération de Fernando Poo :

– libération de tous les prisonniers politiques;
– retour au pays de tous les exilés et réfugiés, quelles que soient leurs idées politiques;
– sauvegarde de l'indépendance nationale et de l'intégrité territoriale;
– fixation de la date de la fin du régime militaire;
– fixation du début du processus constituant;
– création des conditions objectives rendant possible ce processus : fin du travail forcé, abolition des procédés arbitraires, dissolution réelle et effective de tous les organes de répression, jugement de chacun des responsables des atrocités commises.

Le 14 août 1979, à Paris, le prof. Eya Nchama laissait entendre devant la presse qu'avec la junte emmenée par Obiang Nguema le régime Macias Nguema n'était pas véritablement tombé. Tout a confirmé cette analyse depuis lors.

Le procès de Macias Nguema, tenu dans la salle du cinéma Marfil de Santa Isabel, en présence d'un observateur de la Commission internationale des juristes, s'est déroulé entre le 24 et le 29 septembre. La Cour était présidée par le gouverneur militaire de Santa Isabel, successeur d'Obiang Nguema, le Bubi Oyo Riqueza; le procureur était le Fernandino J.L. Jones, alors que la défense était assumée par le nguemiste Elo Nve Mbengono. Macias Nguema se vit accusé de tous les crimes commis en onze ans par sa famille; sur des dizaines de milliers [PAGE 56] de morts, on ne retiendra finalement que cinq cents assassinats, Macias Nguema se défend habilement : il fait l'éloge mérité de son neveu Obiang Nguema chef de l'armée et responsable des prisons du pays, ajoutant : « J'étais le chef de l'Etat et non pas le directeur des prisons. » Les observateurs du procès ont signalé que chaque fois que le dictateur déchu voulait se référer à ce qui s'était passé dans le pays entre 1975 et 1979, la parole lui fut coupée. Cette tactique était destinée à taire les crimes des complices nguemistes : neveux, cousins, cadres de l'armée et du parti. Le procès, selon les observateurs, s'est déroulé de façon équitable, mais le représentant de la Commission internationale des juristes a pu relever néanmoins de nombreux vices de procédure. Le tribunal a suivi la loi militaire franquiste faute de juridiction équato-guinéenne adéquate. Avant même que Macias Nguema et cinq co-accusés ne soient fusillés par un peloton de soldats marocains, sans témoins, l'Association américaine Catholics for Christian Political Action devait, le 27 septembre 1979, attirer l'attention du gouvernement Carter sur l'évidence que l'éviction de Macias Nguema n'allait rien changer en Guinée Equatoriale.

3. Les promesses d'Obiang Nguema

Le nouveau maître du pays, Obiang Nguema, venait précisément de déclarer qu'en moins d'un an il transformerait la Guinée Equatoriale. Toutefois, sa junte fit savoir qu'elle ne tolérerait aucune activité politique dans le pays; le silence ainsi imposé aux civils – déjà muselés sous Macias Nguema, et donc la continuation de l'étouffement de la démocratie – retenait à l'étranger l'intelligentsia démocrate. Devant les appréhensions des réfugiés, Obiang Nguema, en se faisant proclamer le 12 octobre 1979 deuxième président Esangui du pays (avec derrière lui deux cousins vice- présidents), annonça un semblant d'amnistie qui ne trompait personne : sous le couvert du pardon pour ceux qui avaient réussi à fuir la terreur érigée en forme de gouvernement par lui et par sa famille, il cherchait à faire oublier ses propres crimes. Les craintes des réfugiés s'avérèrent fondées : le rapporteur spécial de la Commission des Droits de l'Homme [PAGE 57] des Nations Unies, qui séjourna en Guinée Equatoriale en novembre 1979, révéla que des réfugiés rentrés au pays avaient été incarcérés, notamment à Evinayong, en particulier ceux qui du Gabon, en 1976, avaient entrepris une action armée anti-nguemisme et qui étaient parvenus à démontrer la vulnérabilité de l'armée commandée par Obiang Nguema. Certains réfugiés ont été battus à leur retour, souvent sauvagement, nécessitant un temps d'hospitalisation. D'autres ont réussi à ouvrir des entreprises d'export-import, tels Mba Ada, Nsue, Ngomo, Masie Ntutumu, Ekong Andeme (les deux derniers, ex-ministres de Macias Nguema). Devant le peu d'empressement à accueillir les réfugiés, nombreux sont ceux qui reprirent le chemin de l'exil. Il s'y est ajouté des exilés supplémentaires qui avaient un temps appartenu au régime Obiang Nguema, comme S. Moto Nsa, secrétaire d'Etat à l'Information et au Tourisme, qui a demandé l'asile politique à l'Espagne en janvier 1982.

Certes, le culte chrétien, naguère violé, a été rapidement rétabli. Certes, l'aide alimentaire et sanitaire apportée dans un premier temps par l'Espagne fit illusion : les marchés et les boutiques rouvrirent et on trouvait à nouveau les denrées essentielles. Quelques journalistes purent circuler à Santa Isabel, Bata, et sur la route de Mongomo (le reste du pays restant fermé). Mais la presse, la radio, la TV réinstallée en hâte par l'Espagne, sont soumises à la censure du Conseil militaire suprême; les chefs traditionnels sont imposés par le gouvernement militaire (il est vrai sur proposition de trois noms, par les villageois); quelques plantations continuent à fonctionner avec des ouvriers maintenus contre leur gré et à qui on avait promis qu'ils rentreraient chez eux après dix-huit mois de travail forcé sur Fernando Poo.

Les commissaires (ministres) de la Justice, de l'Education et de la Santé se plaignent du manque de cadres compétents, avouant implicitement que les réfugiés ne rentrent pas au pays. Devant les appréhensions de ces réfugiés, Obiang Nguema, Maye Ela et Ela Nseng allaient proclamant que les crimes du gouvernement de leur oncle étaient exécutés uniquement par la Jeunesse en marche avec Macias, placée directement sous les ordres de ce dernier, et que l'armée, dont ils assuraient le commandement, [PAGE 58] n'avait pas le moyen de faire cesser la terreur. Toujours est-il que la Juventud en marcha con Marcias a été simplement intégrée à l'armée nguemiste, sans châtiment d'aucune espèce; mieux : Moro Mba, un des grands responsables de la Juventud en marcha con Macias, a été propulsé commandant militaire de Bata, en remplacement de l'Esangui Mba Oñana, à qui on a confié le commandement pour toute la province continentale, avant de l'envoyer aux Nations Unies, début 1980. Six mois plus tard, Mba Oñana était rappelé pour avoir battu l'ambassadeur auprès des Nations Unies, Nvono Nka Manene. A peine de retour, Mba Oñana est promu lieutenant-colonel. A New York, Nvono Nka Manene est remplacé en décembre 1981 par Maye Ela. Rentré au pays, Nvono Nka est condamné lors d'un des procès bidon du régime, en mars 1982, à six mois d'emprisonnement par un tribunal qui condamne également Mba Ndongo, interlocuteur principal de la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, pour un prétendu trafic de hachisch.

Le constat de l'observateur de la Commission internationale des juristes au procès miroir-aux-alouettes de Macias Nguema s'avère irréfutable : les antécédents de ceux qui occupent aujourd'hui le pouvoir sont un motif de préoccupation. Un autre sujet d'appréhension chez les réfugiés – en fait, toute l'élite – réside dans la reprise de relations privilégiées de leur pays avec l'Espagne. Outre que c'est là un terrible constat d'échec – tant pour le pouvoir Esangui que pour l'ex-métropole – des dizaines de milliers de réfugiés formés dans les Ecoles techniques et les Universités de l'Est comme de l'Ouest ont appris ce qui s'est passé lors de la visite si curieusement précipitée du roi Juan Carlos d'Espagne, les 13-15 décembre 1979 : tout en qualifiant l'illustre visiteur de « notre Roi », Obiang Nguema a suggéré la prise en charge du déficit de la Guinée Equatoriale par l'Espagne durant cinq ans. Mais surtout, le nouveau dictateur a souligné qu'avant cinq ans on ne s'embarrassera pas d'un retour à la démocratie parlementaire. Le musellement de la population devait en effet permettre toutes les manœuvres des intérêts espagnols. Aussi Obiang Nguema fit-il allégeance au roi Juan Carlos Ier : « Le futur de la Guinée Equatoriale n'a pas de sens sans l'Espagne... » [PAGE 59]

« Nous demandons au roi et au peuple espagnol qu'ils fassent de la République de Guinée Equatoriale la tant espérée "Suisse de l'Afrique". » Compte tenu de l'incompétence politique et économique du gouvernement militaire – dont ce n'est tout simplement pas le rôle – l'avenir semblait vouloir se faire avec une armée de conseillers espagnols, sans le capital-intelligence des dizaines de milliers d'Equato-Guinéens de la diaspora. De la sorte, la Guinée Equatoriale devait continuer d'être le jouet de préoccupations étrangères, qui agissent par priorité dans le sens d'intérêts opposés à ceux de la jeune République. Six ans plus tard, le seul changement sera le remplacement de l'Espagne par la France.

Avec ce que le ministère français de la Coopération et de la Défense a qualifié de « révolte de palais », rien n'a en fait changé en Guinée Equatoriale. Au palais présidentiel de Santa Isabel, Obiang Nguema gouverne à l'ombre de ses gorilles marocains.

4. Nguemisme = Nguemisme

Lors des tractations entre le directeur de la commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, M. van Boven, et le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères A. Mba Ndongo, à New York, le 16 octobre 1979, avait été prévue une visite du rapporteur spécial dans la première quinzaine de novembre. La junte équato-guinéenne confirma le 23 octobre, sous la signature d'Obiang Nguema, qu'elle accueillera volontiers M. Fernando Volio-Jimenez, prof. de droit du Costa Rica, désigné par les Nations Unies, et qu'elle mettra à sa disposition l'ambassadeur au Gabon, M. Ekua Miko, ex-représentant de la Guinée Equatoriale auprès des Nations Unies, en tant qu'officier de liaison. Le rapporteur spécial, accompagné d'un secrétariat, débarqua à Santa Isabel le 1er novembre 1979; il y fut reçu par M. Moiche-Echek, fonctionnaire au ministère des Affaires étrangères, en lieu et place d'Ekua Miko. Le périple du rapporteur l'a conduit sur Fernando Poo de Santa Isabel à San Fernando, Sampaka, Rebola, Concepción et Batete; au Rio Muni, de Bata à Mongomo, Nkue, Añisok et Niefang. [PAGE 60]

Durant deux semaines de séjour difficiles, compte tenu de la maigre assistance gouvernementale (on lui a notamment refusé un sauf-conduit), Volio-Jimenez a eu l'occasion néanmoins de rencontrer des laïques et des prêtres, ainsi que quelques membres du Conseil militaire suprême. Mais la mission a été gravement paralysée par les pressions exercées afin que le rapporteur n'interroge que certaines personnes, tant à Fernando Poo qu'au Rio Muni. Comme officier de liaison, le nguemiste Moiche Echek n'a pas été en mesure de respecter la plupart des promesses faites au rapporteur, ni d'obtenir des réponses aux demandes écrites adressées à nombre de responsables du gouvernement militaire. Comme par hasard, le rapporteur a été empêché de visiter la prison de Playa Negra, à Santa Isabel. D'autre part, tant à la suite d'un accident de circulation, entre Bata et Niefang, que lors d'une visite à la frontière gabonaise, près de Mongomo, M. Volio-Jimenez a été vertement rabroué par des officiers, en particulier par deux Esangui, les cousins d'Obiang Nguema, Francisco Nkua Edu, commandant militaire de Mongomo – fief des nguemistes – et Mba Oñana alors gouverneur militaire du Rio Muni. Mba Oñana a affiché à l'égard de l'observateur de l'O.N.U. un mépris cavalier et vulgaire. Si M. Volio-Jimenez – qui représentait en quelque sorte la conscience internationale – a été brièvement reçu – bien que sans résultats concrets – par le vice-président Maye Ela et par quelques commissaires, la rencontre, promise dès New York, avec le président Obiang Nguema lui a été refusée. Aussi n'est-on pas étonné de lire dans son rapport publié en février 1980 : « Le rapporteur regrette d'avoir à informer la Commission que ( ... ) le gouvernement de la Guinée Equatoriale ne lui a pas apporté la coopération qu'il avait promise dans ses lettres. » Bien qu'enregistrant des améliorations par rapport à la période antérieure, le rapporteur donne des indications accablantes pour le régime Obiang Nguema quant à la liberté d'expression, celle du travail, le sort des femmes, etc. Tout comme l'avait fait en novembre 1979 le rapport de la Commission internationale des juristes et du Fonds international d'échanges universitaires avant lui, à propos du procès Macias Nguema, il émet de sérieux doutes sur la « pureté » des hommes en place, [PAGE 61] la plupart complices responsables du régime sanguinaire antérieur; et de conclure que « le gouvernement de la Guinée Equatoriale ne semble pas accorder l'attention voulue au problème de la promotion et de la défense des Droits de l'Homme ».

Le Conseil économique et social des Nations Unies jugea suffisamment grave la situation en Guinée Equatoriale pour demander que soit donné au rapport spécial du prof. Volio-Jimenez une large diffusion.

De janvier 1980 à décembre 1981, outre le président de la République, Esangui, le gouvernement militaire nguemiste compte sept autres Esangui et deux Bubi. Six ministres sont des sous-lieutenants de la féroce « Jeunesse en marche avec Macias ». Au remaniement ministériel du 8 décembre 1981 – en fait une simple permutation – le clan de Mongomo garde la haute main sur les postes ministériels importants; apparaissent toutefois des « nouveaux », tels André Nko Ivasa, en tant que ministre des Finances, qui a déjà servi sous Macias Nguema, et un réfugié converti, le sculpteur Leandro Mbomio Nsue, qui se voit brièvement revêtu de la fonction de ministre de l'Education. Pas étonnant qu'après sa visite en Guinée Equatoriale en décembre 1981, le président du gouvernement espagnol, Calvo-Sotelo, ait déclaré aux journalistes qu'il avait été fort emprunté en présentant ce « remaniement » à son cabinet. La domination des nguemistes est en effet écrasante; de plus, Mba Oñana, avec sa fonction d'inspecteur général des forces armées, devient en fait ministre de la Défense.

En juillet-août 1980, une mission pluri-agences des Nations Unies, conduite par le secrétaire général adjoint Gordon Gondrey, a visité Santa Isabel et Bata. En septembre, son rapport suggéra une aide « en cas de catastrophe » de plus de 59 Mio de dollars. Peu après, le rapporteur spécial des Nations Unies publiait un nouveau témoignage sur la Guinée Equatoriale, soulignant le risque pour ce pays de retomber dans tous les travers du népotisme antérieur. En dépit de cet avertissement, un rapport du F.M.I. envisageait l'attribution d'importants crédits à la Guinée équatoriale.

Signalons un des scandales majeurs de l'année 1981 : en mars et avril, quelque cent quatre-vingts fonctionnaires [PAGE 62] et officiers de marine sont arrêtés sous l'accusation de complot. Divers affrontements font une vingtaine de morts, dont quatre Marocains. Parmi les personnes incarcérées figurent quelques nguemistes comme l'Esangui Luis Oyono, emprisonnés pour la galerie, ainsi que les cadres du ministère des Affaires étrangères, interlocuteurs de la commission des Droits de l'Homme. Ce simulacre de complot semble avoir été monté par le colonel Mba Oñana, qui profita d'incriminer même son cousin vice-président de la République, Maye Ela, alors en visite en Amérique latine. L'affaire permit à Obiang Nguema de s'emparer de la société d'import-export Exigensa créée par Mba Ada, devenant – avec son fils de treize ans – actionnaire majoritaire. En juin, un procès mené par les principaux membres de la junte – tantôt ministres, tantôt juges – condamna à mort un soldat inconnu et les autres à diverses peines de prison. Les nguemistes furent relâchés en août. Pendant ces événements eut lieu en Espagne un autre scandale : l'importation de hachisch à laquelle était mêlée l'épouse de l'ambassadeur de Guinée Equatoriale.

Curieux pays que la Guinée Equatoriale, en décembre 1981. Dans une sorte de protectorat hispano-marocain travaillent quelque trois cents conseillers chinois et presque deux cents soviétiques, dont les neuf dixièmes avaient pourtant été priés de quitter le pays en avril, après qu'en mars 1980 déjà, le consul soviétique ait été expulsé pour avoir cherché à recueillir des informations sur la politique de sécurité. Mais l'ambassadeur Krossinov n'obtempéra pas. Mieux : l'accord d'assistance militaire à la Guinée Equatoriale a été maintenu, complété par une coopération sportive et des bourses pour journalistes en échange de l'ouverture d'un bureau de l'agence Tass à Santa Isabel. Comme pour contrarier l'U.R.S.S., arrivait en novembre 1981 l'ambassadeur résident des Etats-Unis, avec la promesse de stimuler les investissements américains.

Fin 1981, on annonçait la réouverture d'un petit-séminaire, à Niefang; dès 1982, le deuxième vice-président de la République, Seriche Bioco Dougan, apporta au pape Jean-Paul II une invitation à se rendre en Guinée Equatoriale nguemiste durant son second voyage en Afrique, en février 1982. Jean-Paul II qui, depuis le coup d'Etat [PAGE 63] militaire en Pologne (décembre 1981), s'est beaucoup exprimé sur le viol des libertés fondamentales dans son pays, allait-il dire leur fait aux nguemistes ?

Entre 1980 et 1982, la section Afrique du P.N.U.D. dirigée alors par Doo Kingue a préparé un ambitieux plan de relance de l'économie équato-guinéenne, sur la base d'observations confiées fort curieusement à deux bureaux d'étude espagnol et français (Intesa, Sedes). Tout à fait dans la ligne des illusions morbides de l'O.N.U., ces documents se taisent sur les échecs onusiens entre 1971 et 1978, avant le coup d'Etat militaire et la perpétuation du pouvoir sous les bottes de mêmes hors-la-loi, et prévoient 141 Mio de $ de projets, dont 90 Mio urgents. Lors de la conférence des bailleurs de fonds organisée par le P.N.U.D. à Genève, en avril 1982, à laquelle ont assisté une trentaine de pays et d'organismes (U.R.S.S. et Chine populaire étaient absentes), les 90 Mio de $ ont été souscrits sans aucune protestation contre le viol des droits de l'homme. Il est vrai que les perspectives pétrolières appâtent bien du monde et anesthésient bien des consciences. [PAGE 64]

CHAPITRE IV

Démographie, culture et affaires sociales
durant l'ère nguemiste

A. LE PEUPLEMENT – LES VILLES

Les données démographiques d'avant l'indépendance témoignent d'un véritable scandale statistique; il s'agissait en fait de simples évaluations, et les chiffres variaient fortement suivant les administrations. Une tentative de recensement entreprise par l'administration équato-guinéenne, le 31 décembre 1970, avec un personnel non-préparé à une telle tâche, a fourni un chiffre de 1,5 million d'habitants, et a dû être annulée par le gouvernement, le principal responsable de l'opération pour le Rio Muni étant même liquidé physiquement.

La population du pays se serait montée au 31 décembre 1965 à 254 000 habitants, dont 63 000 pour Fernando Poo et 191 000 pour le Rio Muni. Fin 1974, la Banque mondiale estimait la population totale à 301 000 habitants, mais il convient de soustraire de ce total quelque 125 000 exilés, réfugiés pour des raisons politiques dans les pays voisins et en Europe. Le taux d'accroissement qui était à l'indépendance de 3,4 pour mille à Fernando Poo et de 1,5 pour mille au Rio Muni, se montait en 1974 à 1,8 pour mille pour l'ensemble du pays, les exilés étant surtout des jeunes. La densité de 1974 aurait été de 10,7 h/km2, ou 136 par km2 de [PAGE 65] terre arable. En 1968, le taux de mortalité était de 7,8 pour mille, contre 27 pour millepour l'Afrique tropicale.

Selon Marchés tropicaux (juin 1985), le recensement de 1984 aurait donné une population « estimée » à 300 000 personnes. Voici encore une de ces imprécisions dignes de l'ère espagnole : ou bien, il y a eu recensement, donc comptage, ou bien on s'est contenté d'une estimation. Selon nous, milieu 1985 la population résidente s'élevait à 375 000 âmes. Elle reste éminemment rurale, au Rio Muni surtout, et fortement dispersée. Il convient d'ajouter à ces 375000 résidents les quelque 110 000 réfugiés à l'étranger.

Au moment de l'indépendance, le peuplement blanc présentait les caractéristiques suivantes : la population européenne était essentiellement urbaine. A Fernando Poo, on avait affaire au plus fort peuplement blanc d'Afrique centre-occidentale, soit un Blanc pour 4 km2 (Cameroun 0,2, Gabon 0,3 en 1969). Au Rio Muni, la population européenne, nettement moins nombreuse, se diluait au fur et à mesure de l'éloignement des côtes. Cette colonie blanche était surtout composée d'Espagnols et de Portugais, ainsi que de Levantins et d'Indo-Pakistanais, commerçants, planteurs, forestiers et fonctionnaires. Les salaires payés en Guinée espagnole étaient moins élevés que dans les autres territoires d'Afrique occidentale, mais fortement supérieurs à ceux de la péninsule ibérique. L'Espagne décourageait cependant l'immigration de manœuvres blancs.

1. Fernando Poo

La principale ville du pays, Santa Isabel, est située au nord de l'île de Fernando Poo; dans la plaine au pied du Pico de Basilé, sur les bords d'un cratère adventif immergé qui abrite le port. A l'extrémité nord-ouest de la baie se détache la Punta Fernanda où est érigée la statue de Beecroft. Santa Isabel abrite toutes les administrations nationales et celle de la province maritime.

Fondée en 1827, par l'Anglais Owen, sous le nom de Clarence City, la ville a servi d'abord comme base anti-esclavagiste britannique. C'est Lerena qui la baptisa Santa [PAGE 66] Isabel, en 1843, en l'honneur de la reine Isabel II d'Espagne. En 1960, avec sa jeune cité-banlieue de San Fernando, l'agglomération comptait 19 869 habitants, dont 16 997 Africains et 2 872 Blancs. En 1974, la population de la ville était estimée à environ 38 000; en 1985 à quelque 10 000.

On trouvait à Santa Isabel diverses usines : farine de poisson, conserverie de fruits de mer, distillerie (sucre de canne), tuileries, menuiserie métallique, imprimeries, la plupart paralysées depuis l'état d'exception de mars 1969. Le port de Santa Isabel a une capacité de 300 000 t/an, mais connaît un manque de hangars. Entre 1960 et 1967 fut construit un aéroport intercontinental; auparavant, pour arriver dans la capitale, il fallait faire le détour de Bata, au Rio Muni. Ville coquette, de type majorquin, Santa Isabel a beaucoup souffert du manque d'entretien depuis l'indépendance. Elle compte quatre hôtels, dont un de première classe construit après l'indépendance (longtemps occupé par les coopérants cubains), et quatre cinémas. C'est dans le cinéma Marfil (ivoire) qu'eut lieu fin septembre 1979 le procès intenté à Macias Nguema.

En 1973, ce dernier avait fait vider une partie de la ville, entourant son palais (celui des gouverneurs généraux espagnols) et tout le quartier de murailles électrifiées, le « ghetto présidentiel ». Même la cathédrale (qui date de 1916) était comprise dans cette zone interdite, ainsi que la prison de Playa Negra (dite localement Blabich, pidgin english pour Black Beach), lieu de torture et de liquidation géré par les troupes d'Obiang Nguema.

2. Bata

La capitale du territoire continental, Bata, au nord-ouest du Rio Muni, était au début du XXe siècle un petit poste militaire et commercial, et ne comptait en 1907 que 237 habitants, dont trente-sept Blancs (vingt et un Espagnols, neuf Français, quatre Allemands, trois Anglais). Les missionnaires français du Saint-Esprit séjournèrent à Bata de 1906 à 1919; ils y tenaient une école pour 180 garçons, et une église en bois. De nombreuses sociétés [PAGE 67] commerciales, principalement allemandes et britanniques – les Woermann, Kuderling, Randa, Steindt, J. Holt, Hatton & Cookson, etc. – se limitaient toutefois à une frange côtière ou n'avaient de contact avec l'intérieur que par leurs midmen (traiteurs) Ndowe ou Sierra-Leonais.

Après l'occupation du Rio Muni par la Garde coloniale, en 1926, la ville se développa et fut rapidement dotée d'une école urbaine élémentaire. En 1935, le gouverneur général Sanchez Guerra, ingénieur civil, y fit construire un wharf qui fonctionna jusqu'en 1973. Après la naissance du Frente popular, Bata connut en 1936 une brève période socialiste (des missionnaires furent emprisonnés) avant que des éléments franquistes n'écrasent les Républicains. En 1942, on dénombrait à Bata 477 Européens et, en 1960, sur 3 548 habitants, la ville comptait 2 122 Africains et 1 426 Blancs. En 1985, avec quelque 17 000 habitants, Bata est la première ville du pays.

Bata possède de nombreux petits bâtiments administratifs, une cathédrale, de beaux complexes scolaires, une centrale thermique, une caserne et une prison célèbre où ont été torturés et liquidés beaucoup d'hommes et de femmes, principalement par des gardiens agissant sous le commandement de Salvador Ela Nseng, longtemps gouverneur de la province, cousin du successeur de Macias Nguema, deuxième vice-président de la République après le coup d'Etat de 1979, et depuis 1980 ambassadeur à Pékin. Nous avons déjà mentionné que la prison de Bata avait été baptisée par le public : « Université » en raison de l'incarcération systématique des intellectuels, dont un grand nombre d'enseignants. C'est dans cette prison qu'eut lieu en juin 1974 la mutinerie antinguemiste évoquée par ailleurs.

La ville compte aussi quelques industries, dont une usine de ciment vibré, deux serrureries, une usine d'eau de Javel, des ateliers de mécanique, une usine de déroulage de bois, des menuiseries, un détachement de la Société française des Dragages, une équipe de la Société française Guillemand et, jusqu'en 1977, le siège principal de la française Société forestière du Rio Muni.

Jusque peu après l'indépendance résidaient à Bata des missionnaires itinérants de l'Eglise presbytérienne américaine.

Nous avons déjà évoqué par ailleurs l'affaire du drapeau [PAGE 68] espagnol sur le consulat d'Espagne, en février 1969, qui amena l'expulsion de l'ambassadeur d'Espagne et la prétendue tentative de coup d'Etat de Ndongo Miyone, le 5 mars de la même année, qui fut l'amorce de l'élimination systématique de la plupart des cadres non Esangui durant les dix ans suivants.

Depuis l'indépendance, Bata a connu quelques grandes constructions : Escuela de Maestria (Technicum), Hôtel Panafrica, Palais présidentiel d'Ekuko (réalisé par la Société française des Dragages pour 12 Mio de $), la jetée du nouveau port de Bata, à une dizaine de kilomètres au sud de la ville (également par Dragages, pour un montant de 28 Mio de $). Cette jetée, capable de recevoir quatre navires de 20 000 t à la fois a été construite dans une zone difficile en raison d'un courant du sud-ouest qui provoque une barre gênant l'accès à la côte. 400 000 t peuvent transiter annuellement par ce port qui, pour le moment, ne sert pratiquement à rien; mais il pourrait devenir un intéressant exutoire pour les productions du Cameroun méridional et du Woleu-Ntem gabonais. Une société italienne du groupe ENI a construit en 1978-1979 huit réservoirs d'hydrocarbures dans la région du port, avec des fonds de la C.E.E. Une autre société italienne a fourni deux groupes électrogènes pour la centrale thermique de Bata que les négligences de l'administration Macias Nguema avaient ruinée, malgré les efforts de techniciens chinois, français et onusiens.

3. Autres localités

Parmi les autres villes du pays, les plus importantes sont le port forestier de Rio Bonito, aux activités paralysées depuis 1969, et dont la population a fortement souffert de la dictature nguemiste; plus au sud, le port de Kogo a été un temps siège du sous-gouvernement du Rio Muni méridional; tourné surtout vers la pêche, Kogo a également vécu étouffé par la terreur. A l'intérieur du continent, il faut signaler les villes de Niefang et d'Evinayong et leurs districts, dont des centaines de ressortissants ont payé de leur vie la folie nguemiste ou ont fui [PAGE 69] à l'étranger, alors qu'avant l'indépendance on y trouvait de nombreux commerces et ateliers, ainsi que des écoles et centres agronomiques actifs. Les villes presque frontières de Mikomeseng et Ebebiyin, dotées avant l'indépendance d'importants centres hospitaliers, et situées au cœur des zones cacaoyères continentales, outre les pertes nombreuses en vies humaines se souviennent du flux des compatriotes fuyant vers le Cameroun ou le Gabon, en dépit des obstacles meurtriers dressés par les soldats commandés par Obiang Nguema et Mba Oñana. La ville de Mongomo, fief de Macias Nguema, outre l'asphaltage de ses accès et de ses rues, a été transformée en bunker, mais n'a pas résisté à la révolution de palais ourdie par les parents du président-dictateur, avec la complicité de troupes gabonaises. Ont aussi souffert terriblement les localités d'Añisok, Nkué et sa maison-mère des missionnaires les sœurs oblates, Kukumankok et sa tradition d'orpaillage.

Sur Fernando Poo, pratiquement toutes les localités comptent leur lot de victimes de la terreur mongomiste. Signalons particulièrement les villes de San Fernando, San Carlos et Concepción, que le P.U.N.T. voulut débaptiser en même temps que la capitale, et qui ont vu presque toutes leurs activités paralysées, en raison principalement de la stagnation de la production cacaoyère. San Carlos a été transformée durant plusieurs années en port de pêche soviétique, ce qui a servi à camoufler le rôle de station de transit de l'armement russe destiné à l'Angola et que du personnel cubain transférait sur des embarcations du M.P.L.A.

Après la prise de pouvoir par Obiang Nguema, l'ancienne organisation territoriale héritée de l'Espagne a été modifiée; la nouvelle est entrée en vigueur en mars 1980, touchant surtout le Rio Muni, où Mongomo a été maintenue chef-lieu d'un nouveau district : le Wele-Nzas, avec adjonction de ceux d'Acurenam et d'Añisoc. 80 % des dirigeants nguemistes sont issus du Wele-Nzas. [PAGE 70]

RELIGIONS ET COUTUMES

1. Missions

Les événements survenus peu après l'indépendance, début 1969, ont sonné le glas des Eglises chrétiennes, protestantes et catholiques. Après l'expulsion ou l'exil des deux évêques et de plusieurs pasteurs, un décret présidentiel de 1974 ordonna aux prêtres de lire à l'office le message suivant : « Jamais sans Macias [Nguema], toujours avec Macias. A bas le colonialisme et les ambitieux », en même temps qu'il imposait le portrait du dictateur dans tous les sanctuaires, en tant que « seul et infatigable miracle de la Guinée Equatoriale », sous l'affirmation : « Dieu créa la Guinée Equatoriale grâce à Macias [Nguema]. Sans Macias [Nguema], la Guinée Equatoriale n'existerait pas. » Fin 1974, on interdit les réunions et processions; la Jeunesse du parti était invitée à surveiller les activités « subversives » du clergé. En 1975, on fit fermer les écoles privées tenues par les prêtres et, en 1978, on déclara l'Etat laïque, fermant les églises et prohibant les prénoms chrétiens. Sur les dix-sept prêtres catholiques du diocèse de Bata, cinq étaient incarcérés début 1979, et plusieurs assassinés en prison. Peu après, il expulsait les derniers missionnaires espagnols, contre rançon. Après la chute du premier dictateur nguemiste, les églises furent réouvertes. Les missionnaires revinrent dans le cadre de la coopération espagnole; mais la liberté de culte est pratiquement la seule dont la violation ait cessé. Début mars 1981, l'expulsion d'un professeur espagnol de la fédération des enseignants religieux et l'arrestation d'un prêtre équato-guinéen continuait la vieille tradition nguemiste; on avait vainement espéré un changement après la visite du légat apostolique, en 1980, et le retour d'exil de l'évêque Nzé Abuy (cousin de Ndongo Miyone). [PAGE 71]

2. Cultes et associations autochtones

Voyons maintenant ce qu'il en est des cultes autochtones. Tout d'abord, il faut régler son compte à la thèse des Fang férocement anthropophages, répandue surtout par l'explorateur américain du Chaillu et les missionnaires catholiques. En 1926, Bravo Carbonell affirma qu'il s'agissait là d'une légende due au fait que les Fang arrachaient naguère le cœur et les organes génitaux de leurs valeureux ennemis vaincus, en mangeant parfois des bribes. En 1946, Trujeda Incera signala que les sorciers Fang célébraient fréquemment des réunions où l'anthropophagie jouait un rôle fondamental. Mais Ramos lzquierdo y Vivar, ex-sous-gouverneur du district de Bata et gouverneur général, réfuta catégoriquement de telles allégations, soulignant le caractère uniquement rituel de certaines pratiques. Toutefois, sachant que chez les Fang l'ablation du crâne du mort était pratique courante, le gouvernement nguemiste limita l'accès aux cimetières. Il est vrai que les cimetières sont pour la dictature du clan de Mongomo le lieu favori des assassinats nocturnes, devant des fosses communes.

Les sociétés de sorcellerie anthropophage (evu), dont les membres s'appellent nten, sont en voie d'extinction. L'anthropophagie – il faudrait dire « necrophagie » – n'est pas une fin en soi mais répond, comme au Cameroun et au Gabon voisins, à la conviction que l'on assimile les vertus de la chose ingérée; c'est là l'origine des interdits alimentaires. Les cérémonies anthropophages se faisaient avec des cadavres déterrés et n'avaient que valeur de symbole. Chaque membre de la société devait, à tour de rôle, apporter un cadavre; en cas de manque de morts naturels, on faisait alors appel aux poisons (strophantus notamment), la victime étant déterminée par le collège des membres de la secte. En cas de non-réussite, le membre responsable devait alors se sacrifier lui-même. On entre dans la secte après avoir absorbé de l'iboga. L'admission de tout nouveau membre nécessite la mort de quelqu'un. En 1946, dans la prison de Bata, sur soixante-treize détenus, dix-neuf s'y trouvaient pour délit d'« anthropophagie », et à Santa Isabel, onze sur quatre-vingt-deux. [PAGE 72]

Le mythe de l'anthropophagie du peuple Fang est une idée qui s'est développée à l'époque de la traite des Noirs. Le trafic d'esclaves se faisant par l'intermédiaire des midmen Ndowe, ceux-ci inventèrent une série de tabous pour développer leurs affaires en toute quiétude : afin d'éviter que les négriers européens n'entrent en contact avec les Fang de l'intérieur, on les intimidait avec la menace d'être mangés; pour éviter les contacts directs entre chefs Fang et Européens à la recherche de main-d'œuvre, on faisait savoir aux Fang que les Blancs sont cannibales, de sorte que les Fang confiaient leurs affaires aux Ndowe. Plus tard, lorsque les missionnaires rencontraient dans des maisons Fang des crânes d'ancêtres – que l'on invoquait en tant qu'intermédiaires avec Dieu – ils interprétaient ces reliques comme étant des reliefs de banquets anthropophages.

Les sacrifices humains du culte Bwiti – déjà abordé plus haut – ne présentent pas non plus un caractère d'anthropophagie. Ce culte, proche des Mau-Mau du Kenya, était initialement l'apanage des esclaves du Haut-Ogoowe. Société secrète mixte, le Bwiti veut donner à ses adeptes une connaissance du monde plus grande que celle des autres hommes. Le ciel du Bwiti, le nchombo, ressemble curieusement au ncom bot, ou nchombo qui, dans la mythologie Fang est le créateur, le dieu suprême, le « faiseur de tous ».

De nature syncrétique, le Bwiti s'est aussi enrichi d'éléments chrétiens. Ainsi est-il devenu une connaissance révélée. De la multitude des dieux originels subsiste un seul : Mwanga, qui avec de l'or et du cuivre a fait Mwangadiskaso, puis Nyobenayenga, puis les anges. Après que Mwangadiskaso eut trompé la confiance de Mwanga, celui-ci le nomma dieu de la terre. Mwanga modela alors avec de la boue un homme qu'il appela Mabia, et avec une de ses côtes il lui fit une compagne, Nbia (parfois on les appelle aussi Nvie et Mienva). Comme Adam et Eve, ils se laisseront tenter par le serpent. En fait, le Bwiti est le résultat de l'intrusion des Européens en Afrique et une réaction à la prétendue supériorité de l'homme blanc et de la chrétienté; il répond aux problèmes posés par l'altération des structures sociales et de ce que l'on taxe généralement de déculturation. L'initiation au Bwiti est [PAGE 73] longue et passe par un parrain. Des sacrifices humains rituels seraient pratiqués (parenté), mais pas d'anthropophagie; toutefois, certains auteurs affirment, comme Yglesias de la Riva – après de longues années passées au Rio Muni –, que le Bwiti ne donne Pas lieu à des homicides. Selon Balandier, le Bwiti charierait une xénophobie latente, d'où son interdiction, mesure maintenue après l'indépendance. Lors du procès du coup d'Etat anti-nguemiste de juin 1974, un des inculpés expliqua qu'il était en prison de Bata pour fait de Bwiti.

Signalons aussi l'association ou ordre justicier du Ngui (ou Ngil). Ses adhérents, recrutés d'autorité, participent à des cérémonies nocturnes de récompense ou de vengeance. Après avoir creusé une fosse en forme d'homme et y avoir déposé des fétiches pour invoquer les ancêtres, on célèbre des joutes sportives qui sont en fait un entraînement militaire. Il s'agit d'une sorte de police et de système judiciaire, composé d'initiés de rang inférieur, destiné à l'exécution des sentences rendues par les responsables de la société Fang. En fait, le Ngil constituait un pouvoir politico-militaire superclanique qui faisait la force des Fang; il a été brisé par les armes européennes. (Pour une approche détaillée de ces questions trop complexes pour être développées ici, le lecteur voudra bien se référer au remarquable ouvrage de V. Oyono Sa Abegue, cité en bibliographie.)

Enfin, le culte Fang dit Bieri met en relation les vivants et Dieu par la médiation des ancêtres. Jugeant sur la base du critère de bonté, les notables d'un clan décident à la mort d'une personnalité marquante si ses restes, en particulier son crâne, doivent être conservés. Si c'est le cas, une date est fixée pour prélever sur le cadavre les parties a embaumer. On procède alors à une sorte de canonisation. Des prières pourront être adressées à la relique que les ancêtres se chargeront de transmettre à Dieu. Les restes sont conservés dans un panier surmonté parfois de figures apotropaïques sculptées, dont le rôle est d'éloigner les esprits maléfiques. L'emplacement de la relique est confidentiel et ne saurait être connu des enfants et des femmes. Le culte Bwiti et les crânes-mânes sont issus du Bieri.

La religion des Bubi, monothéiste, a été laminée par le [PAGE 74] bulldozer du prosélytisme catholique. Dans cette religion, le morimo, créateur et maître de l'univers, était un être inaccessible (au nord de l'île appelé Rupé, au sud, Poto). Sous lui agissaient les esprits de la nature. Des abba (prêtres) rendaient un culte aux éléments. L'abba suprême, semi-reclus sur les hauteurs de Moka, y protégeait le feu sacré. De sa retraite, il consacrait la hiérarchie ecclésiastique inférieure. Le dernier haut-prêtre Bubi, Mote, est mort en 1909, et avec lui s'est également éteint le feu sacré.

C. L'ENSEIGNEMENT – LES SPORTS

1. Enseignement

L'enseignement secondaire s'effectue dans les deux lycées de Santa Isabel et de Bata, ce dernier avec une antenne à Ebebiyin pour les quatre premières années. Ces écoles sont liées à l'académie de Madrid, plus particulièrement à l'Instituto Raimiro de Maeztu, qui supervise chaque année les examens finals des deux écoles grâce à une commission d'équivalence. Par diverses conventions de coopération technique, l'Espagne a fourni à la Guinée équatoriale des équipes d'enseignants ainsi que des manuels (souvent inadaptés). Devant les excès du régime Macias Nguema, les professeurs espagnols ont quitté le pays au printemps 1978, après que l'un d'eux ait été emprisonné, puis relâché contre rançon. Ils revinrent dès 1980.

Le ministère de l'Education, baptisé en 1973 ministère de l'Enseignement populaire, Art et Culture traditionnels, comprenait une vingtaine de cadres supérieurs, dont une délégation à Bata. Une bonne partie de ces cadres a été liquidée par le régime nguemiste, en 1974 et en 1976 surtout. Après avoir prêté au pays des professeurs du secondaire et des experts en formation des maîtres, l'UNESCO a vu expulser son conseiller principal en 1974, puis a pris elle-même la décision d'arrêter sa collaboration en 1977. Les trente enseignants fournis par Cuba entre 1973 et [PAGE 75] début 1976 ont été retirés après la paralysie du ministère, suite à une série d'assassinats. Depuis 1969, quelque soixante-quinze enseignants et fonctionnaires de l'enseignement ont été liquidés. L'emploi du mot intellectuel était interdit par le régime. Avec la mise en pratique du travail forcé dans les cacaoyères de Fernando Poo, dès 1976-1977, les lycées et écoles normales ont été vidés de leurs derniers étudiants et l'ensemble du système scolaire mis en veilleuse. Sur la base des calculs de l'UNESCO, la Guinée Equatoriale comptait pourtant, en 1980, quelque 55 000 écoliers potentiels entre seize et dix-sept ans. Au Moment de la révolution de palais d'août 1979, le système éducationnel était paralysé depuis trois ans. Grâce à la coopération espagnole, quelques écoles purent être réouvertes dès 1980. Mais fin février 1981 déjà, on signalait des grèves d'étudiants à Bata, l'expulsion d'un enseignant espagnol, l'arrestation d'un prêtre enseignant équato-guinéen.

Sur 400 coopérants espagnols en Guinée Equatoriale en 1984, on comptait quelque 120 enseignants, la plupart prêtres catholiques. Les lycées de Santa Isabel, Bata et Ebebiyin ont recommencé à fonctionner partiellement, ainsi que certaines écoles primaires. Mais le manque de cadres qualifiés, de bâtiments et de matériels scolaires restent des freins sérieux pour la reprise d'activités cohérentes. Après deux ans de gestion du ministère de l'Education par le sous-lieutenant Mañe Abeso, celui-ci a été envoyé comme secrétaire d'ambassade au Cameroun suite au « remaniement » ministériel du 8 décembre 1981. Il a été remplacé par le sculpteur Leandro Mbomio Nsue, un des rares réfugiés rentrés au pays après le coup d'Obiang Nguema à avoir obtenu un poste d'une certaine importance; il figurait sur la liste des réfugiés hispanophiles que l'Espagne a recommandés à la junte. A ses côtés, on trouve alors Ochaga Nve Bengobesama, Esangui, de Nsangayong (village de Macias Nguema et d'Obiang Nguema), secrétaire général du Pandeca, ce groupuscule d'intellectuels dans lequel l'Espagne semble avoir puisé les interlocuteurs les plus compréhensifs. La plupart des postes à responsabilité reviennent aux sbires du régime nguemiste, telle la direction du lycée de Bata, confiée à Secundino Nvono Akele Avomo. On se rappellera que Nvono [PAGE 76] est le traître qui a vendu les mutins de la prison de Bata, en été 1974. Dès 1981, Nvono se verra, de plus, confier le poste de délégué de l'enseignement primaire et moyen pour toute la province du Rio Muni. Quant à l'Esangui Ochaga Nve, il est promu d'abord directeur du lycée de Santa Isabel avant de se voir propulser, fin 1982, ministre des Transports, Communications et Tourisme, ainsi que porte-parole du régime parmi nombre d'autres promotions Esangui.

A noter en 1981 la réouverture de l'école d'administration Martin Luther King, à Santa Isabel, qui forme des administrateurs adjoints. La même année, la coopération espagnole met en place la petite école hôtelière Miramar, ainsi que des cours accélérés pour adultes (plombiers, électriciens, dactylos). Une centaine de travailleurs ont été diplômés courant 1981 dans ces cours qui reprennent partiellement l'effort avorté de l'O.I.T. en 1972-1973. En 1982, la coopération espagnole envisagea d'établir à Santa Isabel une succursale de l'Université nationale d'éducation à distance (Madrid). Grâce à l'aide espagnole, 1983 a vu l'inauguration dans la banlieue de Santa Isabel d'une école de formation professionnelle de 4 100 m2.

Au remaniement ministériel d'octobre 1982, Leandro Mbomio est muté au poste inférieur de secrétaire d'Etat à la Culture, pendant que la fonction de ministre de l'Education échoit à un parent direct d'Obiang Nguema, l'ex-secrétaire du ministère des Affaires étrangères, Felipe Ondo Obiang Alogo. A partir de 1982, le P.A.M. distribue de la farine de blé argentine, via le Servicio escolar de alimentación y nutrición; parallèlement, l'Espagne faisait don de 6 Mio de pesetas de manuels scolaires. Mais la désorganisation administrative de l'éducation, doublée du découragement des coopérants espagnols a rendu nécessaire la mise sur pied d'un projet de la Banque mondiale, basé sur un crédit de 6 Mio de dollars; il a produit en 1984, via l'UNESCO, des propositions pour la reconstruction et le développement de l'éducation. Le but avoué de la B.I.R.D. est de « créer une situation qui se prête mieux aux investissements » que celle née des deux dictatures nguemistes successives. Mais Amnesty International n'a-t-elle pas révélé qu'en mars 1984 un professeur du lycée Rey Malabo, Buenaventura Mosui Asumu, était incarcéré [PAGE 77] en raison du contenu de ses cours, trop animés de liberté académique ?

2. Sports

Quant aux sports, le pays a hérité à l'indépendance une quarantaine de terrains de football. La coopération technique chinoise a surtout formé des pongistes. Les milieux sportifs ont, comme tous les autres, été frappés par la démence du pouvoir nguemiste : au comité central du P.U.N.T., c'est le cousin d'Obiang Nguema et directeur de l'école normale d'instituteurs, Ndongo Asangono, qui représentait les milieux sportifs et la jeunesse. Fin 1976, le ministre de la Jeunesse et des Sports, M. Nsi Mba Fumu, est assassiné comme celui de l'Education et nombre d'autres magistrats et hauts fonctionnaires. Depuis lors, les activités sportives sont pratiquement paralysées. Signalons toutefois que l'église de Niefang servait alors de salle d'entraînement à la boxe.

Après la prise de pouvoir des militaires nguemistes, la coopération espagnole contribua à relancer le championnat de football, fournissant un entraîneur pour l'équipe nationale, en la personne du joueur professionnel Sanchis. En été 1980, la Guinée Equatoriale a été admise comme membre de la F.I.F.A. et du Comité olympique international.

En 1981, malgré le relâchement de la coopération avec le monde communiste, les nguemistes signent un accord de coopération sportive avec l'Union soviétique. Au remaniement ministériel de fin 1982, l'ancien maître de gymnastique du lycée Carlos Lwanga, de Bata, Francisco Pascual Obama Eyegue est propulsé secrétaire d'Etat aux Sports, tandis qu'au ministère de l'Education la direction générale de l'Education physique et des Sports est confiée à ce pilier du régime népotique qu'est Ndongo Asangono.

En 1984, la Guinée Equatoriale a pris part pour la première fois aux Jeux olympiques d'été (Los Angeles). Mais on se plaint au siège du Comité international olympique, à Lausanne, des contacts difficiles avec le régime nguemiste. [PAGE 78]

D. LA SANTE

Il faut évoquer ici le problème de la sicklémie. Cette hémoglobinopathie, avec globules rouges en forme de faucille, est une maladie spécifique de la race nègre. Une étude d'un spécialiste de l'O.M.S. et de la Croix-Rouge, faite en 1969, a montré que la maladie touche quelque 20 % des enfants, soit une proportion assez semblable à celle du Nigeria voisin (18-32 %).

Après les événements de mars 1969, une équipe médicale de l'organisation de l'Unité Africaine a été envoyée d'urgence pour remplacer les Espagnols partis en débandade. Puis le pays recevra des experts de l'O.M.S. et une équipe médicale de Chine populaire. Les médecins de l'O.U.A. et de l'O.N.U. ont été soit expulsés, soit se sont retirés de leur propre gré devant les vexations des cadres nguemistes. De 1973 à 1976, une équipe médicale cubaine a travaillé tant à Santa Isabel qu'à Bata. En 1973, il y avait dans le pays trente-deux médecins, dont vingt-huit étrangers, quatre exerçant à titre privé. Outre une cinquantaine d'infirmiers formés en Espagne, on comptait 477 infirmiers auxiliaires (dont 154 formés en catastrophe en 1971). Il y avait alors soixante-six boursiers aux études à l'étranger, dont quarante médecins, dans des pays aussi divers que l'Union soviétique, l'Espagne, la Guinée Conakry, la Colombie, la Bulgarie, les Etats-Unis, la France, l'Egypte et la Hongrie. La plupart sont restés comme réfugiés à l'étranger après leur formation. En 1973, lors d'une épidémie de choléra à Annobon, le gouvernement nguemiste refusa l'assistance de l'O.M.S. et laissa mourir une bonne partie de la population. Divers cadres de la Santé ont payé de leur vie la terreur du clan de Mongomo : Dr Nguema Obono, Dr Watson Bueco, ambassadeur au Cameroun, Dr Kombe Madye, directeur de la Santé, etc. Même le mongomiste R. Obiang Nzogo, licencié en médecine, a décidé, en 1979, de prendre le chemin de l'exil après avoir été ministre de la Santé et ministre des Mines et Industrie. Un autre ministre de la Santé, Ekong Andeme, ex-dirigeant l'I.P.G.E., s'est réfugié au Cameroun en 1973. Il revint au pays peu après l'amnistie proclamée [PAGE 79] en octobre 1979 par Obiang Nguema. Mal lui en prit, car il fut arrêté en avril 1981 avec nombre d'autres compatriotes, suite à un prétendu complot, selon un scénario habituel déjà sous Macias Nguema.

Après le renversement de Macias Nguema, une aide sanitaire d'urgence de l'Espagne, de l'O.M.S., de l'UNICEF, du P.A.M., de la C.E.E., a permis un léger redémarrage des activités, sans que les hôpitaux, complètement pillés, aient pu être sérieusement réaménagés. Il est de notoriété publique, par ailleurs, qu'une part importante de médicaments et de matériels offerts par l'Espagne, la C.E.E., le Maroc et les Etats-Unis ont été revendus au Gabon. Début 1981, on dénombrait dans le pays – outre les coopérants espagnols – neuf médecins chinois (notamment au bloc opératoire de Bata), deux médecins et deux infirmières cubains, un médecin et une infirmière français, une doctoresse néerlandaise.

Selon les Nations Unies, le personnel hospitalier de Guinée Equatoriale a dramatiquement diminué depuis l'époque de la provincialisation :

.         1960                1980       
Habitants par médecin                  5 810                58 000       
Habitants par médecin                      610                     840       

Le 21 mars 1981, l'ex-épouse de Macias Nguema, Frieda Krohnert, est nommée directrice technique de la Santé pour la région insulaire, sous les ordres du nouveau commissaire militaire à la Santé, le nguemiste de longue date Cristino Seriche Bioco Dougan. Au « remaniement » ministériel de décembre 1981, Seriche Bioco Dougan a été désigné deuxième vice-président de la République. C'est lui qui, fin 1981, a invité le pape Jean-Paul II en visite officielle. Le Saint-Père a pu, lors de son bref séjour de février 1982, constater l'état de malnutrition qui sévit dans le pays – et qu'attestent divers rapports de la F.A.O. En août 1982, la revue française Marchés tropicaux affirmait : « la grande majorité de la population est sous-alimentée ». Parallèlement, la revue espagnole Medicina y Sociedad faisait état de la forte recrudescence du paludisme;le Comité catholique français contre la faim et [PAGE 80] pour le développement a aussitôt entrepris une action de distribution de Nivaquine.

De 1983 on retiendra l'exil volontaire du ministre de la Santé qui venait de succéder à Seriche Bioco Dougan, l'ex-ministre de l'Agriculture Emilio Buale Borico. Ce dernier confirma à Madrid les fuites de médicaments au Gabon et la disparition de vingt et une ambulances.

Alors qu'au printemps 1984 une épidémie de choléra éclatait à Fernando Poo, faisant treize morts, la Suisse, en coordination avec la coopération espagnole, achevait la reconstruction du dispensaire de Nsork ainsi que la vaccination de base par le Corps suisse de secours en cas de catastrophe. De son côté, l'Espagne, à la Conférence générale de l'O.M.S., déclarait dépenser 600 Mio de pesetas pour l'action sanitaire en Guinée Equatoriale (douze médecins et quarante assistants médicaux) dans les localités d'Akonibe, Concepción (Riaba), Ebebiyin, Kogo, Micomeseng, Mongomo, Niefang, Nsork, San Carlos (Luba). Mais la presse continue à souligner le nombre élevé d'enfants sous-alimentés, démontrant que l'assistance technique à un pays violé par une dictature ne peut porter de fruits. En été 1985, une revue française rappelait une nouvelle fois « le pitoyable état sanitaire de la population » (Actuel-Développement).

E. LES MEDIAS

1. Imprimerie et imprimés

Après la première imprimerie de la mission méthodiste, en 1875, et celle du gouverneur général Rodriguez de Vera, en 1899, c'est le Fernandino M.C. Jones qui en installa une en 1900, suivie en 1901 par celle des Clarétins de Banapa. Au moment de l'indépendance, le pays comptait sept imprimeries; pratiquement toutes étaient à l'abandon en 1973. Cette année-là, la Chine populaire en installa deux nouvelles, à Santa Isabel et à Bata, mais qui ne fonctionnèrent guère, vu le manque de personnel qualifié équato-guinéen. [PAGE 81]

Le premier journal du pays, l'Eco de Fernando Poo, parut en 1900. Jusqu'en 1968, la colonie possédait régulièrement un quotidien, malgré de nombreux changements inhérents aux bouleversements politiques de la métropole. Tous étaient publiés à Santa Isabel. Parallèlement paraissait la revue mensuelle La Guinea española – sauf quelques interruptions dues à des tentatives de censure de certains gouverneurs généraux anti-cléricaux – ainsi que des revues comme Bantu et Poto-Poto. Après l'indépendance, et compte tenu de la censure, ont paru sporadiquement des feuilles intitulées Libertad, Diario de Guinea, Unidad, etc. Nous avons déjà mentionné l'interdiction d'entrée de journaux étrangers – parallèlement à l'interdiction des journalistes. Ce n'est qu'après la destitution de Macias Nguema, que des journalistes ont été autorisés à retourner en Guinée Equatoriale, encore qu'ils n'y jouissent toujours que d'une liberté de déplacement limitée.

La presse des divers mouvements de libération de la Guinée Equatoriale ne comprenait qu'un périodique sérieux et régulier : La Voz del Pueblo, publié par l'A.N.R.D.

Jusqu'en octobre 1976, ce périodique permettait de compenser le mutisme de la presse espagnole, en raison de la censure sur les nouvelles provenant de l'ex-colonie.

Le seul journaliste diplômé que possédait le pays à l'indépendance, S. Ibongo lyanga, devenu alors représentant de la Guinée Equatoriale aux Nations Unies, a été assassiné en 1969. Un autre journaliste, D. Ndongo Bidiyogo, réfugié en Espagne, a publié en 1977 le premier ouvrage d'histoire de la Guinée Equatoriale de la plume d'un national : Historia y Tragedia de Guinea Ecuatorial.

Privée de tout organe de presse au moment du coup d'Etat d'Obiang Nguema, en 1979, la Guinée Equatoriale a reçu, en mars 1980, du matériel et du personnel espagnols pour relancer Ebano, une des revues publiées sur place avant l'indépendance. Mais la parution est irrégulière, car le matériel tombe fréquemment en panne : il s'agit, en fait, d'une presse ancienne provenant de l'imprimerie de l'ex-movimiento franquiste.

En août 1981, sous prétexte de calomnies contre Obiang Nguema, l'ensemble des journaux espagnols ont été interdits. Ultérieurement appliquée seulement à trois d'entre [PAGE 82] eux (Cambio 16, Diario 16, Interviú), cette mesure a été levée le 12 octobre 1981, suite à des négociations de l'ambassadeur d'Espagne. A noter que fin 1981, le commissaire d'Etat à l'Information et au Tourisme était Mensui Andeme, ex-directeur de la Sûreté.

Début 1982, le périodique Ebano était dirigé par deux hommes de Mongomo, Antonio Nandongo Nguema et Obiang Mba Toribobio, tandis que Moto Nsa, secrétaire d'Etat à l'Information s'enfuyait du pays pour se réfugier en Espagne.

2. Radio et télévision

Côté radio, le pays était doté d'une station à Fernando Poo, Radio Santa Isabel, avec un émetteur de 5 KW depuis 1956, d'une autre à Bata, Radio Ecuatorial, avec un émetteur de 10 KW, qui diffusaient respectivement sur 41 et 38 m. Il existait en outre quelques petits émetteurs privés. En 1946, la Compañia de Radiodifusion Intercontinental envisageala construction, à Fernando Poo, d'une station appelée Radio Atlántica, avec un émetteur de 200 KW à Musola. Malgré la pose d'une première pierre, il n'y eut jamais de suite. Depuis l'indépendance, les deux émetteurs officiels se sont spécialisés dans le culte de la personnalité des dictateurs successifs. Grâce à la coopération des Chinois, de nouvelles installations ont été mises en place en 1981, diffusant quatorze heures de programmes en espagnol et cinq heures en langues vernaculaires.

Au Pico de Basilé, l'Espagne a construit en 1967-1968 un émetteur de télévision de 300 W, diffusant les émissions du studio de Santa Isabel. Il était prévu de construire des relais au Rio Muni, projet ruiné par les désordres post-indépendance. Cette télévision, mise en place hâtivement, était surtout destinée à faciliter les élections précédant l'indépendance. Un personnel formé de manière accélérée en Espagne fut alors mis en place sous les ordres d'un parent de Macias Nguema. Dès le départ des Espagnols, en mars 1969, les installations cessèrent de fonctionner; elles ne furent remises en état qu'après le coup d'Etat des militaires, grâce à l'assistance espagnole. La TV équato-guinéenne était à nouveau dirigée par Abaga [PAGE 83] Ondo Maye, époux d'une cousine d'Obiang Nguema. Dans le cadre de l'élimination progressive des hommes les plus intelligents de son entourage, Obiang Nguema a provoqué le départ d'Agaba Ondo, en avril 1981. Mais en décembre 1981 celui-ci réapparut dans l'établissement nguemiste, en tant que conseiller présidentiel en matière d'information. La télévision équato-guinéenne, en couleurs, ne desservait en 1982 que quelque deux cents récepteurs, la plupart appartenant à des coopérants espagnols et aux membres du C.M.S. Chaque soir, le bulletin d'information diffuse alors par priorité des nouvelles de la famille royale espagnole.

En 1982, une équipe de la télévision espagnole qui tournait en Guinée Equatoriale a connu de multiples difficultés occasionnées par les autorités; des films furent confisqués et des journalistes retenus. Au retour à Madrid, l'équipe de la télévision espagnole a été accueillie en triomphe. Fin 1984, la Guinée Equatoriale comptait 1 500 récepteurs TV[3]. En avril 1985, le rédacteur en chef de la télévision, A. Nzé Mekui, et le directeur de la radio, N. Nkil, tous deux Fang, ont été arrêtés et incarcérés. On leur reproche – sous couvert d'une prétendue distribution de tracts d'un mouvement indépendantiste Bubi – d'avoir persisté à diffuser des informations sur les droits de l'homme, malgré plusieurs avertissements d'Obiang Nguema.

En ce qui concerne les cinémas, la Guinée Equatoriale en possédait dix en 1968, avec 3 000 places. Le premier avait été ouvert par le Fernandino M. Balboa en 1904. Diverses salles de cinéma servent régulièrement aux procès organisés par les nguemistes, tel l'Okangon de Bata et le Marfil de Santa Isabel.

3. Autres

Au plan des télécommunications, les liaisons téléphoniques avec l'Espagne ont été rapidement rétablies après le coup d'Etat d'août 1979. Mais la Guinée Equatoriale [PAGE 84] souffre encore de l'absence de réseau télex. C'est ce qui a amené la délégation gabonaise à la commission mixte, en juillet 1980, à proposer l'ouverture de quatre cents lignes entre la Guinée Equatoriale et le Gabon.

La société italienne S.T.S., du groupe I.R.I.-S.T.E.T., a décroché peu après le coup d'Etat de 1979 un contrat pour la construction d'une station de télécommunications par satellite; elle doit permettre de diminuer l'isolement du pays. Nous avons déjà vu, par ailleurs, que le ministre des Communications, Tourisme et Transports n'est autre, depuis 1982, qu'Ochaga Nve Bengobesama, originaire évidemment de Mongomo (Nzangayong).

Il faut, enfin, dire un mot des services postaux. Avant que n'apparaisse le premier timbre-poste guinéen, en 1868, le courrier circulait gratuitement dans la colonie. Les émissions se multiplièrent avec les progrès de l'exploitation économique de la colonie, mais par des timbres différents pour Fernando Poo et les îles du littoral du Rio Muni, et Annobon. En 1903, il n'y avait pas encore de bureau de poste dans la colonie, ni un seul employé postal. En 1968, le pays comptait dix-huit bureaux postaux (un pour 16 000 habitants), soit un nombre très insuffisant. Si les bâtiments sont convenables, la préparation du personnel laisse beaucoup à désirer. Les services postaux se sont vu imposer de sévères règles de censure, le contrôle étant effectué principalement par l'armée. De nombreux personnels postaux ont été liquidés depuis l'indépendance.

Les émissions de timbres-poste de Guinée Equatoriale ne sont pas reconnues par l'Union postale universelle et constituent une véritable tromperie. Grâce, semble-t-il, à Garcia Trevijano, divers spéculateurs philatélistes se sont vu affermer la publication et la vente à l'étranger des timbres équato-guinéens. La plupart de ces timbres ont été imprimés en Suisse. L'écoulement d'une partie d'entre eux s'est fait notamment en France, comme prime dans des boîtes de fromage La Vache qui rit; il s'agit d'une série commémorant la Coupe du monde de football de 1974.

[PAGE 85]

CHAPITRE V

L'économie nguemiste

Compte tenu de statistiques espagnoles parfois peu crédibles et en raison du néant statistique de l'administration nguemiste (on cherche en vain des données sur la Guinée Equatoriale dans les annuaires sérieux), le présent chapitre souffre forcément de lacunes que l'on ne constate pas dans les monographies d'autres pays africains. Les données statistiques manipulées, surtout depuis le renversement d'alliances qui a fait de la dictature nguemiste l'alliée de l'Occident, ces statistiques-là sont foison.

A. RESSOURCES AGRICOLES – ELEVAGE

1. Les produits

En 1968, la Guinée Equatoriale fournissait 3,8 % de la production mondiale de cacao, dont 90 % pour Fernando Poo, dans une cinquantaine de plantations modernes et quelques coopératives villageoises, Fernando Poo comptait 50 000 ha de cacaoyères, le Rio Muni 10 000 ha. Le cacao représentait alors 75 % du produit intérieur brut de Fernando Poo. C'est la Ambas Bay Trading qui commercialisait le gros de la production guinéenne. Alors qu'on s'attendait à 40 000 t de production pour 1969-1970, celle-ci ne fut que de 28 000 t; en 1975-1976, le pays [PAGE 86] ne produisait plus que 8 000 t, la plupart des plantations étant à l'abandon, surtout après le retrait des ouvriers nigerians. Pour relancer la production, on confia d'abord des plantations à des fonctionnaires, mais ceux-ci se montrèrent incapables de les entretenir. Aussi eut-on recours alors au travail forcé, chaque district devant fournir 2 500 personnes. Ces forçats continuaient à s'activer encore dans les plantations bien après le coup d'Etat d'Obiang Nguema. Le cousin Maye Ela a avoué au rapporteur spécial de la Commission des Droits de l'Homme que 6 000 personnes ont été soumises aux travaux forcés (soit environ 5 % de la main d'œuvre active totale).

En 1979, la production de cacao atteignait à peine les 4 000 t. Peu de propriétaires espagnols faisant confiance à la junte nguemiste, on ne pouvait pas s'attendre à des miracles, en dépit de la création, à Santa Isabel, d'un Institut de développement et de promotion de l'agriculture. En 1982, seuls 15 000 ha étaient encore aptes à produire, et par manque d'entretien la qualité baissait sensiblement. Moins d'un dixième des propriétaires de cacaoyères étaient revenus en Guinée Equatoriale en 1984. En 1983, le Suisse du Valais, Jean-Bernard Wetzel, flanqué du titre de conseiller écologique d'Obiang Nguema, semble avoir acheté 17 000 ha de cacaoyères pour un montant de 5 Mio de francs suisses (soit la fortune de sa famille). Compte tenu du manque de travailleurs compétents, c'est là un sérieux coup de poker.

Selon la presse espagnole, des mesures ont été prises par le pouvoir nguemiste, dès 1983 précisément, pour réintroduire le travail obligatoire dans les cacaoyères de Fernando Poo. Le nouveau personnel se compose de prisonniers politiques, ce qui permet au régime de Mongomo, de prétendre que ses prisons sont vides de ce type de victimes. Au vu de cette situation, en 1985, le gros des propriétaires n'était toujours pas rentré. Des prêts de l'O.P.E.P., de 1,5 Mio de dollars, dès 1984, et de 2,8 Mio de dollars de la B.A.D.E.A., dès 1985, doivent servir à la réhabilitation de certaines plantations, En 1984, 6 727 t seulement ont été exportées.

Le café a lui aussi souffert des désordres d'après l'indépendance, au point qu'en 1975-1976 la production n'était plus que de 3 000 t et en 1978 de 1500 t, dont un [PAGE 87] tiers pour Fernando Poo. Depuis 1981, la production de café est insignifiante (environ 400 t). L'attribution par l'organisation internationale du café, début 1985, d'un quart du nouveau contingent de 61 Mio de sacs à l'Afrique au sud du Sahara devrait permettre à la Guinée Equatoriale d'espérer un accroissement des rentrées de devises; mais en 1984, le pays ne parvenait à exporter que 127 t (contre 8 500 t en 1965-1968).

Comme de nombreuses plantations de cacao et de café appartiennent à des fonctionnaires, elles sont appelées plantations d'Etat; tout ouvrier qui proteste contre les conditions de travail (soixante heures hebdomadaires au moins) qui y règnent est considéré comme un opposant au régime.

Les exportations de cacao et de café sont entre les mains, côté espagnol, des maisons Mora et Mayo; côté français, plus récemment, de la Société Planteurs S.A. et de ses filiales Sogec et Sodis-Guinea.

Les plantations de palmiers à huile, prospères avant l'indépendance, sont toutes victimes du marasme nguemiste. Des huit fabriques de produits à lessive et quatre savonneries utilisant l'huile de palme, pratiquement toutes ont cessé leurs activités après 1969. Les exportations qui, en 1968, portaient sur 3 686 t d'huile de palme et 1 365 t de noix palmistes, ont pratiquement cessé. Des études du P.N.U.D. et de l'O.N.U.D.I. ont recommandé la remise en état de 7 000 ha de plantations, dès que possible. Mais les huileries étant hors d'usage, et plusieurs plantations par trop vieilles, l'opération suppose d'importants investissements. En 1985 encore ne subsiste que la production villageoise.

En 1982, selon la revue française Marchés tropicaux, une surprenante reprise de la production de tabac serait à signaler, dont on aurait exporté l'équivalent de 316 Mio de pesetas.

Au même titre que le parc avicole à Basilé, avec plus de 5 000 poules à l'indépendance, l'élevage bovin périclita après 1969; en 1979, il ne restait pratiquement plus de bétail dans le pays. A Bata, un œuf coûtait alors près d'un dollar.

Avec la junte nguemiste, l'agriculture ne connut pas [PAGE 88] la croissance que l'on pouvait escompter. Il faut en voir la cause dans la résistance populaire à la dictature depuis 1968, et aussi dans les réticences des investisseurs espagnols. L'aide internationale porte, pour le F.E.D., sur l'assistance au petit paysannat, pour les Etats-Unis sur la remise en marche des coopératives pillées par les nguemistes. Ceux-ci ont entrepris, au printemps 1980, un recensement de la main-d'œuvre rurale; peu après, les paysans ont été dotés d'un livret, sorte de passeport intérieur, limitant les déplacements à l'échelle locale, tout comme durant la colonie espagnole, et comme sous le régime d'apartheid d'Afrique du Sud.

Dès septembre 1979, Oyo Riqueza, propulsé deuxième vice-président de la République début 1980, assumait également la présidence de la Chambre de commerce, d'agriculture et de sylviculture de Fernando Poo. Mais au « remaniement » ministériel de décembre 1981, Oyo Riqueza perdit sa vice-présidence, conservant cependant le dicastère de l'agriculture. Le ministère de l'Agriculture a toutefois été confié en 1981 au civil Buale Borico. Mais selon le gouvernement Obiang Nguema lui-même – et en raison de la résistance populaire à la dictature – 5 000 ha sur 40 000 ha de cacaoyères étaient réellement exploités en 1982. Au point que, dans son allocution du 1er janvier, Obiang Nguema dut avouer que seulement 7 000 t de cacao avaient pu être produites. C'est ce qui l'incita à déclarer 1982 : « Année du travail »...

Le Bubi Buale Borico (diplômé de l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich, Suisse) était muté à la Santé fin 1982 déjà; en août 1983, il se réfugia en Espagne pour y dénoncer les actes de vandalisme du pouvoir népotique nguemiste, ajoutant que rien de bien ne pourra être entrepris pour le peuple équato-guinéen aussi longtemps que durera la dictature.

Malgré ce type d'avertissement et les rapports des experts de la F.A.O. durant les années antérieures, le Fonds international pour le développement agricole a accordé en 1985 à la Guinée Equatoriale – pays essentiellement agricole – un prêt de 2,4 Mio de dollars dans l'espoir de participer à la reconstruction du pays. [PAGE 89]

2. La sylviculture

En 1968, les recettes budgétaires d'origine forestière (redevances domaniales, impôts fonciers, droits de mouillage des bateaux, douane) s'élevaient à 816 000 $ US, ce qui ne contribuait toutefois que pour 4,6 % aux dépenses de l'Etat. Au moment de l'indépendance, le matériel des entreprises forestières (tracteurs, trains et wagons, scieries, etc.) valait quelque 10 Mio de dollars. Plus de la moitié de l'économie forestière était contrôlée par Carrero Blanco. Chaque année, 60 000 t au moins devaient revenir au marché espagnol. La distribution du bois se faisait alors entre fabricants espagnols suivant des quotas par ports : Valencia 44 %, Barcelone 17,5 %, Pasajes 11,5 %, Bilbao 13,5 %, Santander 11 %, Ferrol 2,5 %. Selon la F.A.O., fin décembre 1968, le secteur forestier absorbait plus de la moitié du personnel nigerian, les Equato-Guinéens dominant dans les scieries.

Après les troubles du printemps 1969, seul huit des cent trente-cinq Européens employés dans les exploitations forestières restèrent sur place. Parmi les entreprises fermées par les nguemistes figuraient la plupart des sociétés forestières. On bloqua également leurs comptes bancaires, suite au refus de ces sociétés de payer les taxes de reforestation (rétroactivement jusqu'en 1964). Après paiement de ces taxes en retard, l'exploitation put reprendre, mais timidement seulement, faute de personnel. Aussi, l'accord d'achat par l'Espagne d'un volume annuel de 215 000 t de bois, signé en mai 1969, ne put-il pas être honoré. A l'indépendance, Macias Nguema déchargea le ministère de l'Agriculture, en mains de Grange Molay, des compétences forestières et en fit sa chasse gardée; il décapita le service forestier de Rio Benito et mit à sa tête un parent Esangui, ancien commis comme lui de l'Instituto forestal, Maximiliano Micha Nguema, qui se contentait d'expédier les affaires courantes, s'occupant davantage comme chef de la Sûreté du Rio Muni. Tant les projets de reforestation que la revitalisation des scieries furent oubliés.

En 1970, les réserves forestières exploitables couvraient 1 300 000 ha. En 1972, la plus grande société forestière à n'avoir jamais travaillé dans le pays entra en activité; [PAGE 90] la Société forestière du Rio Muni (française) était devenue titulaire d'une concession de 150 000 ha de forêt vierge, pour dix ans, dans les régions accidentées du sud-est de la province continentale. Les installations centrales furent implantées à Asog-Abia, près de Kukumankok. En dix ans, la Forestal del Rio Muni comptait extraire 1,5 million de tonnes d'okoumé et autres essences, dont divers acajous.

Nous avons déjà vu comment est née la Forestal, à la suite des tractations de l'avocat espagnol Garcia Trevijano. Après avoir évacué annuellement 150 000 tonnes de bois, cette société a été vendue en 1977 à une autre maison française, Tardiba. Cette dernière ne put toutefois continuer l'exploitation en raison des pressions du gouvernement nguemiste, portant sur un déplacement de la concession plus au centre du Rio Muni. On espérait de la sorte freiner les innombrables fuites d'Equato-Guinéens à travers les territoires loués à la société.

Après la prise de pouvoir d'Obiang Nguema, les affaires forestières sont revenues au ministère de l'Agriculture. Suite à la visite officielle du président Ahidjo, du Cameroun, en novembre 1981, un accord de coopération en matière forestière a été conclu entre les deux pays.

Grâce à 10 Mio de dollars de crédits italiens a été construite, à Bata, et inaugurée en août 1982, une usine de séchage et de déroulage de bois d'une capacité de 20 000 m3/an, pour une zone d'exploitation de 50 000 ha.

En 1983, les exportations totales de bois se sont montées à quelque 70 000 t, soit à peine plus du cinquième de celles de 1967 (337 000 t). Ici, comme dans d'autres domaines, le pouvoir nguemiste est synonyme d'échec. Cela n'empêche pas des intérêts étrangers, comme le groupe Onassis – à l'occasion d'un voyage du couple Roussel-Onassis en Guinée Equatoriale, à Pâques 1985 – de déclarer leur intérêt pour des investissements dans le bois équato-guinéen. Milieu 1985, le groupe Roussel s'est fait attribuer 250 000 ha de concession, en échange de la construction d'une route entre Kogo et Evinayong. Cette concession dépasse le total des huit autres déjà allouées. Trois scieries étaient en activité en 1985. [PAGE 91]

3. La pêche

Au moment de l'indépendance, il y avait dans le pays quelque 5 000 personnes vivant principalement de la pêche.

Sur les côtes du Rio Muni et de Fernando Poo, la pêche artisanale se faisait jusqu'en 1972 par des bateaux de 15 à 55 t, avec dix à vingt hommes. Il s'agissait d'une pêche à quelque vingt-cinq mètres de fond : thons, pagres, requins, poissons-scie, soles, crevettes et langoustes. Avant l'indépendance fonctionnait à Santa Isabel une conserverie de fruits de mer, avec installation de mise en boîtes, qui écoulait une production mensuelle de 50 t. Outre du poisson frais, la colonie produisait aussi de la farine de poisson, toujours à Santa Isabel.

La consommation de poisson en Guinée Equatoriale était forte déjà avant l'indépendance : 4,6 kg per capita en 1967, soit trois fois plus que la moyenne de la région. La production s'élevait alors à 1 152 t, pour atteindre en 1968 1 769 t, dont 66 seulement pour le Rio Muni. Les 425 t de crevettes pêchées en 1968 peuvent être estimées à une valeur de 1,2 million de $ US. Mais le pays importait également d'importantes quantités de poisson séché, congelé ou salé : en 1970, cela représenta 18 % des importations totales, contre 6 % en 1966. C'est qu'entre temps le gouvernement nguemiste avait paralysé la pêche artisanale en interdisant l'emploi des pirogues. Déjà avant l'indépendance, les trois quarts de l'approvisionnement en poisson étaient assurés par des entreprises industrielles, disposant d'entrepôts frigorifiques (Coimpex, Afripesca), cette seconde, agence de la Sociedad española Frigopesquera. Afripesca a produit, en 1966, plus de 1 000 t. Cette année-là, les produits de la pêche représentaient presque 1 % de la valeur des exportations du pays (en 1970, 0,3 % seulement). Après l'indépendance, la dégradation politique et économique du pays a beaucoup gêné le commerce de poisson, de par les nombreuses ruptures de la chaîne du froid à cause du manque d'entretien des centrales électriques. Peu après le coup d'Etat d'août 1979, [PAGE 92] la société Afripesca s'est appliquée à remettre en état ses installations de Santa Isabel.

L'exportation des produits de la pêche s'avère très rentable. C'est ce qu'a compris l'Union soviétique qui, en 1971, grâce à un accord avec les nguemistes, commença la pêche dans les eaux territoriales équato-guinéennes. Des bateaux de faible tonnage, mais munis de radars et d'équipements de congélation, livraient du poisson tout venant à la Guinée Equatoriale pendant que crevettes et langoustes congelées étaient expédiées en U.R.S.S. Entre 1971 et 1979, ces prises ont représenté plusieurs millions de dollars. Dans le même temps, le port de San Carlos, soi-disant de pêche, servait de base navale soviétique.

Après la révolution de palais d'Obiang Nguema, diverses assistances se sont manifestées pour réactiver la pêche en Guinée Equatoriale. La France a offert – en partie avec des fonds du F.E.D. – de remettre en état le port de Santa Isabel, de fournir des hors-bords et des filets; le F.E.D. entend consacrer 850 000 ECU au rééquipement de la pêche artisanale. Le 28 janvier 1980 a pris fin l'accord de pêche signé avec l'Union soviétique; San Carlos est évacué, mais l'accord militaire entre les deux pays reste en vigueur. L'U.R.S.S. devait conclure en juillet 1981 un accord de pêche avec la Guinée Conakry. Fin 1981, la Guinée Equatoriale établit avec le Nigeria voisin un accord de pêche qui accorde la réciprocité dans les eaux territoriales des deux pays. La junte nguemiste a également accordé des facilités aux pêcheurs espagnols pour l'exploitation des eaux équato-guinéennes. Mais pendant qu'Afripesca et la société Ebana construisent de nouveaux entrepôts frigorifiques (pour le stockage de poissons importés d'Espagne !), Obiang Nguema se plaint du fait que les bateaux de pêche espagnols promis en 1979 pour remplacer les soviétiques ne sont toujours pas sur place.

Alors que de source française on apprenait que la pêche en Guinée Equatoiriale était quasiment arrêtée, la presse espagnole insistait sur les conditions de travail « infrahumaines » sur certains bateaux espagnols pêchant dans l'ex-colonie.

En août 1982, suite à l'interdiction faite aux thoniers français d'accéder aux eaux territoriales, des conversations [PAGE 93] ont été engagées par C.E.E. interposée. Après un voyage d'Obiang Nguema en France, un accord de pêche dans les eaux équato-guinéennes fut publié par le Journal officiel des Communautés européennes, en septembre 1983. Depuis juillet 1984, la C.E.E. verse à la Guinée Equatoriale une redevance de 20 ECU par tonne de tonidés pêchés; 40 000 ECU ont dû être versés d'avance par les armateurs. En échange de l'autorisation pour les pêcheurs européens – notamment français – de pouvoir travailler dans les eaux territoriales équato-guinéennes, la C.E.E. a fait promesse d'une aide annuelle de 180 000 ECU. Au cas où les prises dépasseraient 4 000 t, ce montant serait augmenté.

Diverses études des Nations Unies conseillent à la Guinée Equatoriale de considérer le développement de la pêche comme un objectif hautement prioritaire. Les prévisions pour 1990 donnent un total de 8 000 t de poisson, dont 2 000 t en eau douce. Ces quantités suffiraient à couvrir la demande intérieure.

B. RESSOURCES MINERALES ET SOURCES D'ENERGIE

1. Métaux

L'indépendance obtenue, c'est entre 1969 et 1971 que se sont déroulés les premiers travaux importants en vue de la détermination des ressources de la Guinée Equatoriale. Une Expedición cientifica nacional dirigée par l'Espagnol Montoya, fut financée par le notaire Gracía Trevijano. Plus de 7 000 échantillons minéraux ont été analysés, des cartes et des plans dressés, mais les résultats sont restés secrets. Cette expédition, d'un coût d'environ 200 000 dollars, a incité le gouvernement nguemiste à commander des installations de traitement de minerais, qui sont toutefois restées en vrac dans la banlieue de Bata, et qui s'avéraient inutilisables en 1976.

En 1969, l'American Steel Company s'était elle aussi [PAGE 94] proposée pour explorer le Rio Muni, mais se heurta au refus du gouvernement en raison de l'insuffisance des redevances offertes et des projets d'investissement jugés trop faibles. Le gouvernement n'apprécia pas non plus l'exigence de monopole des recherches pour tous les métaux. La levée aéro-géophysique réalisée en juillet 1970 par la Hunting Geology and Geophysics Ltd, pour le compte de la compagnie pétrolière Chevron, présenta des signes intéressants : à 45 km au nord et à 30 km au sud de Bata ont été mis en évidence des champs magnétiques qui semblent attester des concentrations de fer. On connaît des gisements de fer dans la chaîne des Mamelles, non loin de Kribi (Cameroun) à la frontière de la Guinée Equatoriale : 120 millions de tonnes à 35-70 % de teneur. D'importants gisements se trouvent également au Gabon tout proche. Le Français Bonyson, agronome, avait signalé des concentrations de fer au Rio Muni. Il s'agit généralement de quartzites ferrugineux.

Des traces de divers autres métaux ont été signalées, en particulier de cuivre, dans les roches basiques entre Evinayong et Asok, et dans les schistes du sud-ouest du Rio Muni; les réserves de thorium seraient importantes, mais la littérature n'en dit guère plus; près du Cap San Juan, on signale du lignite. Une mission interdisciplinaire des Nations Unies (P.N.U.D.) a recommandé en 1973-1974 – outre la reprise des levées à l'infra-rouge – d'axer la recherche surtout sur l'or, le rutile et le zircon.

En 1970, 2 166 kg d'or alluvial ont été produits au Rio Muni par des moyens artisanaux surtout, rachetés par la Banque centrale à 60 pesetas le gramme pur, soit une valeur annuelle de 130 Mio de pesetas.

Le rutile (orthobioxyde de titane), le plus souvent associé à la biotite muscovite, se trouve dans certaines vallées du Rio Muni, et plus particulièrement dans la zone du Rio Utonde, sur le trajet de l'ancien chemin de fer forestier d'Alena. Il s'agit d'un minerai alluvial et éluvial, qui s'étend jusqu'à la route Bata-Niefang. A Machinda, à 27 km de Bata, en direction du Monte Bata, on a récolté à la surface du sol des pépites jusqu'à 250 gr. Dans le sud-est du Cameroun, on considère comme économiquement rentable une teneur de 1 kg par m3.

Après la prise de pouvoir par Obiang Nguema et ses [PAGE 95] subordonnés, le renouveau d'intérêt pour la Guinée Equatoriale, en particulier en Espagne et en France, vise principalement les richesses minérales. Rapidement, l'Espagne (plus particulièrement le groupe I.N.I.) conclut avec la junte une convention pour la création d'une société mixte, l'Entreprise nationale de recherches minières S.A. (Adaro), avec 45 % du capital à l'Espagne et 55 % à la Guinée Equatoriale. Adaro est habilitée à effectuer des recherches, en particulier sous-marines, à l'exclusion des hydrocarbures et des minerais radio-actifs. Une autre société mixte, Gemsa, a été placée en 1980 sous l'autorité d'un des membres du C.M.S., le lieutenant Policarpio Mensuy Mba, alors ministre (commissaire) de la Justice. Quant à la France, c'est surtout le Bureau de recherches géologiques et minières (B.R.G.M.) qui s'intéresse au sous-sol équato-guinéen. En 1981, il disposait de 2 Mio de francs français pour un inventaire général et l'établissement d'une carte des prospections minières. Adaro et le B.R.G.M. semblent avoir acheté son rapport géologique de 1969 à García Trevijano.

Fin avril 1982, après dix-huit mois de travaux, Adaro a achevé l'établissement d'une carte géophysique et le relevé de 8 500 échantillons. Selon son président, Gamez Angulo, Adaro a investi en Guinée Equatoriale 340 Mio de pesetas; la nouvelle phase d'évaluation de factibilité coûtera environ 500 Mio de pesetas. Compte tenu des relations tendues entre l'Espagne et la Guinée Equatoriale nguemiste, le gouvernement espagnol a gelé les résultats du rapport minéralogique d'Adaro en juin 1983.

2. Pétrole

Les relevés aéro-géophysiques demandés par Chevron, en juillet 1970, ont mis en évidence les zones proches du Rio Campo et celle de Bata. Chevron obtint, peu après l'indépendance, des concessions pour 2 330 km. Quant à Spangol et Cepsa, elles ont cédé à Continental Oil le 50 % de leurs concessions obtenues en 1960. Toutes les concessions sur les côtes du Rio Muni furent alors reprises par l'Etat équato-guinéen.

En 1958, l'Espagne avait signé pour ses Territoires du Golfe de Guinée la convention internationale sur la plate-forme [PAGE 96] continentale fixant à -200 m les zones hors mers territoriales, qui s'applique également aux îles. L'occupation par le Gabon de plusieurs îles équato-guinéennes au large de l'estuaire du Muni cachait, derrière une extension des eaux territoriales, des visées sur des potentialités pétrolières.

Les redevances provenant de la prospection pétrolière ont valu à la Guinée Equatoriale environ 15 Mio de dollars entre 1960 et 1970. Après l'indépendance, elles ont contribué au surplus budgétaire de 1969 (avec 1,2 Mio de $), et dès 1970 à la réduction du déficit (2,8 Mio de $). Les recherches n'ont pas donné lieu à des publications de résultats durant la première dictature nguemiste; mais peu après le début de la seconde, on apprenait par des voies espagnoles la présence quasi certaine de pétrole. Le concours de l'Espagne au renversement de Macias Nguema et le soutien au gouvernement militaire semblent largement motivés par des considérations pétrolières.

Deux mois avant la révolution de palais, l'Italie achevait, sur fonds du F.E.D., la construction de huit réservoirs d'hydrocarbures, près du nouveau port de Bata : 13 000 m3 dressés par Citaco, relevant du groupe I.R.I.F insider. Dès novembre 1979, puis à nouveau en février 1980, Obiang Nguema fait le voyage à Libreville. Il semble qu'il ait été amené à y signer des documents conférant au Gabon des facilités d'extraction de pétrole en Guinée Equatoriale. De retour au pays, le chef de la junte se mit à contester les prétentions de Petrogab et il fallut, fin 1980, un nouveau voyage du roi d'Espagne Juan Carlos Ier pour réconcilier Gabon et Guinée Equatoriale. En janvier 1980 était créée la société Empresa general guineo-española de Petróleo S. A. (Gepsa), avec un capital à 50 % équato-guinéen et à 50 % à Hispanoil. Lors de son voyage en France, en octobre 1980, Obiang Nguema a visité les installations de Lacq et une raffinerie du C.F.P. à Marseille. Dès novembre, le Maroc offrait l'assistance d'un expert en hydrocarbures. En avril 1981, Maye Ela signait à Buenos Aires un accord de coopération pétrolière avec la dictature argentine.

La première manche de la « gueguerre » franco-espagnole pour l'obtention de concessions en Guinée Equatoriale s'est soldée par une victoire espagnole, le 3 avril 1981. Gepsa a obtenu l'autorisation d'exploiter quatre [PAGE 97] zones mesurant 1 973 km2, sur la plate-forme continentale au nord de Fernando Poo (zones 9 et 10 anciennement attribuées à Spanish Gulf Oil et au Banco de Bilbao). Gepsa pense investir 24,3 Mio de $, financés par Hispanoil, qui a déjà versé six millions. Le total de ces investissements, qui correspond à environ 2 500 Mio de pesetas, devait être libéré dans le trienium 1982-1984. Les forages de la Gepsa ont démarré début 1982. Quant à la française Elf-Aquitaine, qui travaille depuis longtemps au Gabon, au Cameroun et au Nigeria voisins, elle a effectué quelques sondages préliminaires au Rio Muni.

Avec une plate-forme de forage américaine (20 Mio pes./jour), Gepsa a révélé les premiers indices sérieux au nord de Fernando Poo, en 1981. Mais courant 1982, la presse espagnole annonçait alternativement l'excellence ou la médiocrité du pétrole équato-guinéen. Au nord-ouest de Fernando Poo, le pétrole serait du même type que celui de Libye, de qualité légère (39 A.P.I.). Avec l'assistance de la B.I.R.D., une loi pétrolière a été établie par des consultants de la société Proconsultant S.A. (Genève). Dans les milieux diplomatiques américains, cette loi est considérée comme ayant été élaborée sous la pression de la famine. L'Etat équato-guinéen ne se réserve que 10 % de la production des puits du pays. Fin 1982, Maye Ela, ministre des Affaires étrangères et directeur de Gepsa, est envoyé à New York comme représentant de la Guinée Equatoriale. Son salaire et celui des employés de la société émargeaient alors au Trésor public.

Au printemps 1983, des sondages effectués par Elf-Aquitaine/Petrogab à Corisco ont irrité Hispanoil et suscité des protestations du gouvernement espagnol auprès de l'ambassadeur de France à Madrid. Mais un consortium dont Elf-Aquitaine/Petrogab est chef de file opérateur (avec Agip, Ultramar et Murphy) concluait en décembre un contrat de prospection offshore avec deux forages au sud-ouest du Rio Muni, dans une zone de 3 000 km2.

Courant 1984, avec du personnel venant du Gabon, la localité équato-guinéenne d'Akalayong, sur le Muni, a été pratiquement occupée. Obiang Nguema ayant protesté vivement, cette quasi-annexion qui en rappelle d'antérieures semble avoir cessé, mais elle est très significative de l'état d'esprit du Gabon et des intérêts français.

Depuis 1983, Maye Ela, toujours à New York, n'est [PAGE 98] plus président de Gepsa, mais continue à toucher un salaire de Hispanoil. Courant 1984, alors que la B.I.R.D. lançait un appel d'offres pour la construction d'un ministère des Mines et Hydrocarbures (400 000 $), à Santa Isabel, Hispanoil et Gepsa annonçaient, elles, la découverte d'un gisement de gaz et de condensés de pétrole à 36 km au nord-est de la capitale. L'entrée de la Guinée Equatoriale dans le club des pays producteurs de pétrole a incité l'O.P.E.P. à lui prêter en 1984 1,5 Mio de $ pour la réhabilitation des plantations de cacaoyers. Après un délai de grâce de cinq ans, ce prêt devra être remboursé en 2001.

La société mixte qui explore la zone équato-guinéenne du Muni est fondée sur un contrat pour le moins curieux : la répartition des bénéfices se fera pour 50 % à Elf-Aquitaine, 30 % au Gabon et 30 % à la Guinée Equatoriale... Comme par ailleurs la compagnie française Total s'est réservée la distribution d'essence dans l'ensemble de la Guinée Equatoriale, se substituant à la Empresa Nacional Petrolífera, on peut conclure que la « gueguerre » franco-espagnole mentionnée plus haut se solde par la victoire de l'hexagone.

Début 1985, 8 333 km2 étaient attribués à des sociétés pétrolières pour des recherches sur terre ferme (2 160 km2) et sous-marines (6 173 km2). Les compagnies concernées sont :

Elf-Aquitaine (2 232 km2) avec Agip, Murphy Equatorial Guinea, Murphy Oil, Odeco Offshore,
Getty Oil (1 968 km2) avec Rimrock Offshore,
Hispanoil (1 973 km2) avec Gepsa,
Total (2 160 km2) avec Getty Oil, Pecten.

Plus de la moitié de la surface concédée revient ainsi à des sociétés pétrolières françaises.

Depuis 1985, le secteur maritime et parapétrolier compte un opérateur français supplémentaire : Peschaud Guinée Equatoriale, filiale du groupe Peschaud & Cie International. Tous ces intérêts français et autres sont-ils assurés de retirer des bénéfices de la Guinée Equatoriale ? Rien n'est moins certain, à en juger des 1,5 milliard de francs CFA (8,5 Mio $) que la société Total-Afrique ne parvenait pas à se faire rembourser par la Guinée Equatoriale [PAGE 99] après livraison de divers matériels et produits en 1984. Il a fallu le voyage à Santa Isabel du directeur général de Total Afrique, J. Goubeau, en juillet 1985, pour que la dictature s'engage à rembourser une dette de 1,7 Mds de CFA.

3. Electricité

En 1972-1973, de nouvelles génératrices allemandes ont été installées dans la centrale thermique de Bata, mais en raison du manque de personnel qualifié, l'ensemble a cessé de fonctionner dès 1978, malgré les efforts de techniciens français et chinois.

En 1979 a débuté la construction, à 15 km de Bata, d'une centrale hydro-électrique sur la chute de Bikomo, par les soins de la coopération chinoise (32 MW). Elle a été achevée en 1983.

Le manque d'entretien de la centrale thermique de Santa Isabel l'a condamnée à l'arrêt, dès 1978, à l'instar de celle de Bata. Seul fonctionne encore le transformateur alimenté par le courant provenant de Musola.

Peu après le renversement de Macias Nguema, le F.E.D. a proposé un programme d'urgence en vue de la restauration du réseau électrique de Santa Isabel. Ce travail a été confié à une société française, mais en 1984 encore, Santa Isabel n'était toujours pas éclairée. La France étudie un projet pour l'utilisation de l'énergie du Rio Ilady et de sa chute de 300 mètres, au risque de ruiner un des plus beaux sites naturels du pays. Une centrale est aussi en construction à Concepción, par les soins du F.E.D.

La consommation d'énergie, en Guinée Equatoriale, est une des plus faibles d'Afrique et reflète l'état de délabrement dans lequel les dictateurs nguemistes ont précipité le pays. La consommation actuelle, par habitant, peut être évaluée à environ 100 kg d'équiv. charbon. [PAGE 100]

C. INFRASTRUCTURES ET INDUSTRIES

1. Transports

Outre les grands axes espagnols, le long de la frontière du Cameroun et du Gabon, il faut signaler quelques axes transversaux. Celui de Nkue à Mongomo (225 km) a été construit et goudronné entre 1972 et 1974 par du personnel de Chine populaire. Le sud de la province est encore mal desservi. Sont asphaltées, les routes Bata-Niefang et Bata-Rio Benito qui se continue par une piste jusqu'à Kogo. Avant que la route Bata-Rio Benito ne soit tracée, on circulait en voiture directement sur la plage de sable à marée basse. En raison de la dégradation du réseau routier, le gouvernement nguemiste a sollicité un prêt à long terme de la Banque mondiale, pour la formation de personnel chargé de l'entretien des routes. Un projet A.I.D./P.N.U.D. de 2 millions de dollars, avec quatre experts internationaux, démarra en 1973, mais échoua en raison de l'incurie nguemiste et du manque d'homologues et de personnel. L'expert en chef du projet, un Colombien, fut même expulsé en 1975, pour « immixtion dans les affaires intérieures du pays ».

Côté aviation, l'accord d'assistance technique hispano-guinéen de juillet 1971 permit d'organiser la compagnie d'aviation nationale L.A.G.E. (Lineas Aéreas de Guinea Ecuatorial), l'Espagne fournissant des avions DC3, des pilotes, des techniciens et des bourses de formation professionnelle. La liaison Madrid-Santa Isabel est desservie une fois par semaine par Iberia, grâce à des subventions du gouvernement espagnol, tout comme la liaison maritime Espagne-Guinée Equatoriale de la compagnie maritime Transmediterránea. Entre 1975 et 1979, Aeroflot utilisait également l'aéroport de Santa Isabel comme escale entre Moscou et l'Angola. Un Tupolev soviétique s'étant écrasé sur le Massif du Sud, les corps des victimes n'ont pu être rapatriés qu'après versement d'une rançon.

Fin 1980, la Guinée Equatoriale disposait de trois avions civils : un Antonov, ex-avion présidentiel, toujours piloté par des Soviétiques, et affecté à la liaison Santa Isabel-Bata, voire Libreville. On remarquera que le président Obiang Nguema refuse de se déplacer dans cet avion [PAGE 101] et préfère emprunter un DC8 des Forces aériennes espagnoles, piloté par des Espagnols, avec lequel il a déjà accompli une cinquantaine de voyages; deux Aviocar espagnols complètent la flotte actuelle du pays.

Les réparations indispensables de la piste de Bata sont financées par un prêt de la Banque Africaine de Développement.

Depuis juillet 1985, Bata et Santa Isabel sont reliés à la France par la compagnie maritime Delmas-Vieljeux.

2. Télécommunications

En 1968, c'est l'administration équato-guinéenne qui a repris l'ensemble des installations de la société espagnole Torres Quevado S.A., avec toutefois encore bon nombre de cadres espagnols. Le départ de ceux-ci, en mars 1969, paralysa l'ensemble du réseau. En 1969, avec l'Espagne, et dès 1970 avec la Chine populaire, des accords de coopération technique permirent de remettre de l'ordre dans le réseau, grâce aussi à quelques techniciens fournis dans le cadre de l'aide de l'O.U.A. (TV et radio), et des recommandations formulées par une équipe de consultants des Nations Unies (U.I.T.). Fin 1969, par un accord d'assistance technique aux télécommunications, l'Espagne accepta de fournir du personnel pour l'entretien du réseau téléphonique. Nombre de ces techniciens ont été expulsés après quelques mois de présence dans le pays, pour des raisons futiles.

En 1970, neuf villes disposaient de centraux téléphoniques, tous encore à commutation manuelle. Les liaisons interurbaines et internationales sont radio-électriques, à l'exception de deux lignes aériennes à Fernando Poo, sur les côtes ouest et est, et la ligne Bata-Niefang, au Rio Muni. A Bata, un transmetteur-récepteur télégraphique mettait successivement en communication les différentes stations à raison d'une demi-heure matin et soir. En 1972, on dénombrait cent-quinze nationaux employés aux télécommunications, dont trente-quatre dans la branche technique, avec sept techniciens de niveau moyen.

Le Cameroun a financé la liaison radio-électrique Santa-Isabel - Yaoundé. La Chine populaire, sur la base d'un accord de coopération de 12,5 Mio de dollars, a facilité [PAGE 102] notamment l'installation dans les douze districts du Rio Muni, et dans les îles, d'un matériel radio-électrique de haute fréquence ainsi qu'une liaison semblable entre Santa Isabel et Bata. Les centrales de ces deux villes ont été inaugurées par Mme Lio Shusen, vice-ministre chinois des Postes, milieu 1980. Les grandes sociétés françaises qui collaboraient avec le régime nguemiste, entre 1970 et 1979, possédaient leurs propres postes de radio ou de télex pour communiquer avec leurs répondants à l'étranger (Cameroun ou Gabon). En dépit des efforts chinois et espagnols, le réseau des télécommunications est dans un état déplorable. Les correspondants éventuels de la presse internationale devaient, en 1983 encore, se rendre régulièrement à Douala (Cameroun) par avion pour transmettre leurs papiers.

Durant les premières années de l'indépendance, une dizaine de boursiers radio-techniciens ont reçu une formation en Espagne, dont deux ont ensuite été perfectionnés au Venezuela grâce aux Nations Unies. La majorité d'entre eux est restée à l'étranger.

3. Industries

Compte tenu du manque chronique de main-d'œuvre, les industries susceptibles de se développer en Guinée Equatoriale doivent être faibles utilisatrices de main-d'œuvre : pâte à papier, alcool, farine ou flocons de bananes, pêcheries, huileries et savonneries et, bien entendu, le déroulage de bois tendres. En août 1980, un seul projet industriel avait été discuté : il s'agit d'une fabrique d'aliments pour bébés, à Bata (100 Mo de pesetas, financée par Dietéticos Ultra (Espagne), 50 %, Afriexport 25 %, privés 25 %. Mais en 1985 encore, la Guinée Equatoriale fait figure de no man's land industriel, à l'exception de l'usine italo-guinéenne de déroulage de bois, à Bata.

Quant au secteur des constructions, outre quelques maisons espagnoles et italiennes encore sur place, il a vu, en 1985, la création d'une entreprise « nationale » des travaux publics, par une Alliance de la construction française qui regroupe – pour la circonstance – des sociétés bien représentées au Cameroun et au Gabon : Pougerolles, Erpo, Satom, S.A.E. [PAGE 103]

D. COMMERCE

Le volume des exportations et importations allait connaître une notable diminution entre 1968 et 1970, passant de 500 000 t à 237 000 t seulement, l'élément exportation subissant la plus forte baisse; en 1970, la valeur du commerce extérieur représentait encore environ 75 $/an per capita. La supériorité des exportations – du moins avant que le pouvoir Esangui ne ruine le pays – attestait que le pays est apte à vivre de ses propres ressources.

L'indépendance de 1968 n'a rien changé à la prépondérance de l'Espagne dans le commerce équato-guinéen : en 1962, l'Espagne absorbait 98 % de la valeur des exportations et fournissait 68 % des importations; en 1970, elle absorbait encore 91 % de la valeur des exportations et 80 % des importations. Le Royaume-Uni s'adjugeait les deux tiers du solde. De 1966 à 1970, l'importation de biens de consommation fongibles (aliments et tabac, produits minéraux, habillement) a fortement augmenté en valeur (+ 50 %), celle des matériaux de construction, des moyens de locomotion et des divers a nettement baissé (- 50 %).

Selon le décret-loi no 1 de 1969, toutes les importations étaient sujettes à licences délivrées par la direction générale du commerce extérieur, au ministère du Commerce, et avec l'approbation de la Banque centrale. Les Chambres d'Agriculture avaient alors le monopole pour le cacao, le café et le bois. Jusqu'en 1971, les marchandises espagnoles entraient librement en Guinée Equatoriale; depuis, elles sont soumises aux mêmes taxes que toutes les autres. A partir de 1973, les marchandises provenant de Chine populaire bénéficiaient à leur tour de l'exonération totale; il en est résulté une importante réduction des recettes de l'Etat. En 1974, le pays a enregistré un excédent de la balance des paiements du fait que les importations ont été suspendues, à l'exception des produits pétroliers. Mais sur l'ensemble du quinquennat 1970-1974, la balance des paiements affichait un déficit important, imputable tant aux transferts qu'au service de la dette. La banqueroute du pays explique pourquoi le commerce hispano-équato-guinéen n'a plus atteint vers 1978 que 500 000 $ pour les fournitures de l'ex-métropole et moins [PAGE 104] de 100 000 $ pour les livraisons par la Guinée Equatoriale. On assiste progressivement au déclin de la prépondérance espagnole dans le commerce extérieur de la Guinée Equatoriale.

Depuis l'indépendance, divers intérêts privés ont tenté de monopoliser le commerce d'importation, tels Infoge et Simed S.A., créées par le conseiller juridique et économique de Macias Nguema, García Trevijano, puis Adoual, avec la participation d'Oyono Ayingono qui était au civil l'équivalent de son cousin militaire Obiang Nguema. Oyono Ayingono était aussi commissaire des magasins d'Etat, qui ne vendaient pratiquement que de la marchandise chinoise. En 1978, même ces magasins-là durent fermer, tout comme le marché central de Santa Isabel.

Avec l'aide de conseillers espagnols, et sous le paternel contrôle de l'ambassadeur espagnol Graullera, les jeunes nguemistes ont répandu à partir de juin 1980 l'idée qu'il faudra cinq ans pour récupérer le terrain perdu. Fin juin 1980, Obiang Nguema lance un « Programme de réactivation économique et financier »; en novembre, Maye Ela avance l'idée d'une affiliation à l'U.D.E.A.C. Tous deux, à Madrid et à Paris, font savoir que le développement économique doit primer l'instauration de la démocratie : développement d'abord, libertés ensuite. Deux réunions des Commissions mixtes équato-guinéo-camerounaise et gabonaise, en 1980 et 1981, visent à évaluer les possibilités d'échanges régionaux. Celle avec le Gabon a surtout révélé la tension surgie entre les deux pays depuis 1972 au sujet des zones pétrolières du Rio Muni. Quant à la France, elle voyait venir son heure. En 1985, de nombreuses maisons françaises sont implantées en Guinée Equatoriale; ainsi la Somdiaa, filiale des Grands Moulins de Paris, qui a créé, en association avec Planteurs Services S.A., deux sociétés mixtes d'approvisionnement et de distribution de produits alimentaires.

Au plan intérieur, la résistance passive de la population a obligé le président Obiang Nguema à reconnaître, début 1981, l'échec du programme de réactivation, constat qu'il a dû répéter en avril après le prétendu complot qui amena l'arrestation, notamment, d'un large volet d'hommes d'affaires. Pourtant, un rapport du F.M.I., du mois précédent, venait de conclure qu'« à en juger de la politique économique suivie jusqu'à maintenant, le futur [PAGE 105] de l'économie de Guinée Equatoriale est brillant ». La dévaluation de l'ekwele, en juin 1980, le savoir-faire des conseillers espagnols, de nouvelles sociétés espagnoles, comme Suguisa dont fait partie l'ex-vice-président du gouvernement espagnol, F.A. Martorell, étaient toutefois incapables d'éviter une catastrophe.

Alors que le pays souffre d'un grave trafic de devises et d'un terrible marché noir, des facilités d'importation et d'exportation ont été aménagées par la commission mixte équato-guinéo-gabonaise. Cet accord porte aussi sur les paiements, censés se faire exclusivement en monnaies librement convertibles. Avec l'entrée de la Guinée Equatoriale dans la zone franc, en janvier 1985, cette clause trouva une nouvelle application. Dans la liste des produits que le Gabon a proposés à la Guinée Equatoriale figurent quelques rubriques surprenantes, dont l'okoumé et autres bois. La Guinée Equatoriale nguemiste, elle, n'a jusqu'à présent rien proposé.

Pour un pays principalement exportateur de produits non-transformés, agricoles ou miniers, la dégringolade du niveau de vie s'explique à travers la balance commerciale. En 1981, la Guinée Equatoriale a importé pour 58 Mio de $ de marchandises, contre 26 Mio de $ seulement d'exportations, soit un déficit de 32 Mio de pour cette seule année. Avec une dette extérieure de 150 Mio de $ (1983) et un service annuel de la dette de 17 Mio de $ (1984), la Guinée Equatoriale nguemiste se situe parmi les pays les plus mal lotis de la planète : environ 420 $ de dette extérieure par habitant (Pologne : 660 $).

Sous les deux dictatures du clan de Mongomo, civile et militaire, le P.N.B. s'est dégradé d'environ 6 % l'an; depuis la prise de pouvoir d'Obiang Nguema, la banqueroute s'est encore accélérée :

[PAGE 106]

E. MONNAIE ET TRESORERIE

1. L'ère des bikwele

Nous avons vu par ailleurs les manœuvres d'un groupe d'aventuriers espagnols de création d'une Banque centrale à fonds privés, et comment Macias Nguema a utilisé cette affaire pour amener l'Espagne à couvrir le déficit budgétaire équato-guinéen de 1969. Après la réconciliation avec l'Espagne, une fois l'état d'urgence de mars 1969 levé, l'Espagne aida la Guinée Equatoriale à mettre en place une banque commerciale, le Banco Nacional de Depésito y Desarrollo (B.N.D.D.), ainsi que la Banque centrale, en octobre de la même année. Le Fonds monétaire international participa à l'opération. Les banques commerciales espagnoles, compte tenu de la rapide dégradation de la situation économique et politique du pays, se retirèrent en 1972. La B.N.D.D. a été chargée par les nguemistes de la gestion d'une partie des cacaoyères abandonnées en 1969, mais ce fut là un échec en raison du manque de moyens humains, matériels, et de savoir-faire. Après avoir offert en 1968 les 31 millions de dollars que représentait la nouvelle monnaie équato-guinéenne, l'Espagne, en plus des 426 millions de pesetas donnés en 1969, en versa 350 Mio autres ($ 5 Mio) pour stimuler les transports et les travaux publics, en 1971. L'an d'après, la Guinée Equatoriale souscrivit près la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (B.I.R.D.) un capital de 6,4 Mio de dollars, puis elle fut admise à l'A.I.D.

En fait, il n'existait alors pas de véritable institution capable de contrôler les dépenses. Des experts fournis par les Nations Unies et le F.M.I. ont assisté le gouvernement, tant auprès de la Banque centrale qu'au niveau du fisc. En 1971, le déficit du Trésor guinéen était de 12,5 millions de dollars. Dans le budget 1972, la Présidence, les Affaires étrangères, la Défense et l'Intérieur absorbaient 56 % des fonds, les ministères techniques se voyant allouer 44 %, avec 16,4 à la Santé et 10,5 % à l'Education. Le système fiscal presque exclusivement basé sur les impôts directs frappait surtout le capital mobilier et les bénéfices exportés (20 et 35 %). [PAGE 107]

Depuis 1970, les investissements publics ont porté essentiellement sur les travaux somptuaires, comme le palais présidentiel d'Ekuko, près de Bata, deux bâtiments luxueux pour la Banque centrale et le port de Bata, tous construits par la Société française des Dragages. Les autres constructions portaient sur des hôtels de luxe ( ?), des hôpitaux, quelques écoles. Les investissements privés visant surtout la recherche pétrolière. Hormis la construction, le désinvestissement s'est accru dans tous les secteurs. Aussi, les accords commerciaux, même avec l'Espagne et l'U.R.S.S., sont-ils libellés en dollars.

En 1975, la Guinée Equatoriale a rejoint la Banque africaine de développement. Alors que la Communauté économique européenne refusait de financer la relance des cacaoyères en raison des violations des droits de l'homme par la dictature nguemiste, la B.A.D. offrit 8,9 millions de dollars en 1978. A la même époque, le Fonds arabe d'aide à l'Afrique prêta de son côté 500 000 $ US. C'est le cousin d'Obiang Nguema, Oyono Ayingono, qui fut responsable de ces tractations, le directeur de la Banque centrale, Buendy Ndongo (licencié en sciences économiques de l'Université de Fribourg, Suisse), ayant été liquidé physiquement en juillet 1976, avec d'autres cadres, six mois avant l'affaire des hauts fonctionnaires.

Après le coup d'Etat de 1979, une équipe de conseillers espagnols et du F.M.I. a assisté les militaires nguemistes. C'est ainsi qu'a pu être réalisé en 1980 un budget digne de ce nom – le premier depuis bien des années : pour 2 025 Mio de bikwele de dépenses (dont deux tiers de salaires de fonctionnaires), on prévoyait 1 651 Mio de recettes (taxes d'import/export). Toujours avec le concours de l'Espagne est créée en mars 1980 une banque commerciale, la Guinextbank, société mixte, avec la participation du Banco exterior de España. De son côté, l'O.P.E.P. prête à son futur membre 1 Mio de dollars pour le redressement de la balance commerciale.

Nombre de problèmes subsistent toutefois : on se souvient qu'en janvier 1980, Obiang Nguema a lui-même remplacé son cousin vice-président de la République et ministre de l'Economie et des Finances, en l'envoyant comme ambassadeur à Beijing. Comme du temps de Macias Nguema, l'économie et les finances se concentraient nouvellement en mains présidentielles. Mais sont également [PAGE 108] du ressort présidentiel certaines spéculations et affaires qui, de l'avis d'Obiang Nguema lui-même, nuisent gravement à l'économie du pays. Le fait de confier en décembre 1981 les Finances à Nko Ibasa Ronde, déjà ministre des Finances sous Macias Nguema – presque simultanément à l'éloignement des cousins Maye Ela et Ela Nseng – n'a fait qu'accroître la mainmise d'Obiang Nguema sur l'appareil de l'Etat. Ceci était censé faciliter la reprise des relations normales avec l'Espagne; on prévoyait alors qu'en 1982 l'ekweIe serait rattaché à la peseta espagnole. Mais la France et la seconde dictature nguemiste allaient en décider autrement.

Fin 1981, la situation financière du pays était jugée catastrophique par les spécialistes. C'est pourquoi, les conditions de la loi pétrolière équato-guinéenne – élaborée sous le patronage de la B.I.R.D. – sont si généreuses avec les sociétés exploitantes : une aumône de 10 % suffira à la Guinée Equatoriale.

Bien qu'Obiang Nguema eut remplacé l'ekwele hérité de Macias Nguema par un nouveau à sa propre effigie, la monnaie équato-guinéenne ne cessa pas de se dégrader. En 1983, alors que théoriquement deux bikwele valaient une peseta espagnole, le taux du marché noir s'élevait à 11/1. La dette globale du pays se montait alors à 150 Mio de dollars. Les affaires financières de la Guinée Equatoriale se compliquaient encore du fait des nombreuses escroqueries dont étaient victimes des hommes d'affaires espagnols de la part des nguemistes, de sorte que les fonds de la Banque centrale équato-guinéenne, déposés en Espagne, ont été gelés à diverses reprises sur ordre des Ibériques.

Face au dollar, l'ekwele d'Obiang Nguema s'est effondré au rythme suivant :

soit une dépréciation moyenne de 25 %. [PAGE 109]

Milieu 1985, la dette extérieure de la Guinée Equatoriale s'élevait à 150 Mio de dollars; elle se ventile de la manière suivante :

2. L'ère du franc CFA

C'est dans ce contexte désespéré que dès 1981 s'amorce le captage de la Guinée Equatoriale par la zone franc; c'était là la seule planche de salut d'un dictateur totalement isolé; cela devait permettre également à la France d'inclure dans sa zone d'influence un territoire qu'elle a convoité durant tout le XIXe siècle. Les nguemistes assistent au dix-septième sommet de l'U.D.E.A.C., à Libreville, puis en 1982 au dix-huitième sommet, à Yaoundé. A cette occasion, le principe de l'adhésion de la Guinée Equatoriale est adopté par les cinq membres de l'U.D.E.A.C. De nombreux voyages d'Obiang Nguema en France, diverses missions françaises à Santa Isabel (notamment à travers la B.E.A.C.) vont conduire à la ratification, en août et novembre 1984, des documents d'adhésion de la Guinée Equatoriale à la Banque des Etats de l'Afrique centrale. Le 2 janvier 1985, la Guinée Equatoriale entre dans la zone franc et se convertit au franc CFA. La charge politique de ce virage explique les nombreuses protestations de la presse espagnole. Première conséquence économique : un marché noir effréné non plus sur la monnaie, mais sur les marchandises et les denrées alimentaires. Et pendant que les observateurs constatent début 1985, malgré le franc CFA, la Guinée Equatoriale continue à souffrir du marché noir, ils se demandent comment le pays va payer au F.M.I. une contribution de 800 Mio de francs CFA. Une solution partielle a été apportée par le F.M.I. et le Club de Paris : le 10 juillet 1985, le F.M.I. accordait un crédit de 9,2 Mio de D.T.S. (la moitié de [PAGE 110] la quote part du pays), l'élément décisif étant la dévaluation de l'ekwele de 82 % au moment du passage au franc CFA; le 22 juillet, le Club de Paris (France, Italie, Espagne) consent le rééchelonnement de 246 Mio de FF de dettes par un délai de grâce de cinq ans suivi du remboursement des arriérés en dix ans. Le ministre des Finances, l'Esangui Guillermo Nguema Ela était accompagné du directeur de la B.E.A.C. à Santa Isabel, Ondo Mane Ondo, et d'un représentant de Price Waterhouse & Partners.

Depuis janvier 1985, c'est la B.E.A.C. (par des experts français principalement) qui gère le compte de l'Etat équato-guinéen.

F. MAIN-D'ŒUVRE

La fermeture par Macias Nguema de la plupart des sociétés espagnoles, en mars 1969, toutes plus ou moins directement du domaine agricole et forestier, mit sur la paille nombre d'autochtones et d'immigrés. Le marasme économique qui s'en suivit décida le P.U.N., en juin 1972, de voter « dans le cadre de la nation la loi instaurant le travail obligatoire... afin que tous les militants occupent librement différents emplois ». Les résolutions du Congrès du P.U.N.T. de 1973 décident du recrutement de 60 000 nationaux de tous les districts, pour travailler dans l'agriculture, les exploitations forestières, sur les routes. Ce projet fut confirmé par le Congrès extraordinaire d'août 1974, deux mois à peine après que le ministre du Travail, le Bubi Boricho Toichoa, incarcéré depuis 1973, ait été fusillé avec vingt-six autres patriotes anti-nguemistes.

Début 1976 a lieu l'opération d'évacuation de 250 000 Nigerians molestés par les nguemistes. Face à cette hémorragie de main-d'œuvre, un décret présidentiel légalisa en mars les projets du P.U.N. La garde nationale d'Obiang Nguema se chargea de réunir les forçats de quinze ans et plus demandés à chaque district. C'est ainsi que le Centro de Desarrollo de la Educación de Bata fut délesté de ses derniers étudiants. L'île Annobon se trouva vidée des hommes valides échappés à l'épidémie de choléra de 1973. Dans ses plantations de Mongomo, Macias Nguema utilisait alors des jeunes filles amenées de force. [PAGE 111]

Après avoir reconnu début 1982 l'échec de son appel au travail du 3 août 1981, Obiang Nguema proclamait l'« année du travail ». Cette situation avait valu à Oyo Riqueza, ministre du Travail, la perte du titre de deuxième vice-président de la République dès décembre 1981.

Compte tenu du fait qu'il n'existe pas de syndicat en Guinée Equatoriale, en raison de la violation de la liberté d'association, entre autres, la junte a envoyé à la Conférence syndicale de l'Union syndicale africaine de Mogadiscio, en octobre 1981, deux fonctionnaires du ministère du Travail, dont un parent d'Obiang Nguema. Or, cet aréopage de travailleurs africains a, dans la Résolution 5, invité « le gouvernement de la Guinée Equatoriale à prendre les mesures nécessaires afin de restaurer le fonctionnement normal des syndicats dans ce pays en conformité avec les dispositions des Conventions 87-98 de l'O.I.T. ». La junte n'en fit rien; aussi, l'Union générale des travailleurs de Guinée Equatoriale survit toujours à l'étranger, et ce depuis l'autonomie, grâce à l'A.N.R.D.

La résistance populaire a forcé Obiang Nguema à reconnaître que 70 % de la population se « complaisait » dans l'inactivité. Les démarches entreprises par la junte auprès des gouvernements du Rwanda, du Burundi, de Haute-Volta et du Nigeria pour l'obtention de manœuvres agricoles n'avaient pas encore abouti en 1985 en raison de la méfiance qu'inspirent les héritiers de Macias Nguema. Le salaire moyen se montait alors à 8 500 bik./mois, alors qu'une bière coûtait 400 bik.

Après avoir lancé en juillet 1982, dans le périodique occasionnel Ebano, un nouvel appel au travail, Obiang Nguema – à l'occasion du quatorzième anniversaire de l'indépendance – déclarait à Cameroon Tribune : « Il n'existe pas encore de véritable intérêt chez les Equato-Guinéens pour assimiler le travail en vue de garantir la production. » Aussi, dès 1983, le travail obligatoire, notamment dans les plantations de cacaoyers, a-t-il été réinstauré, principalement par transfert de prisonniers politiques. Le salaire mensuel de 8 500 bik. contraste en 1984 avec l'indemnité journalière fixée par l'O.N.U. pour son personnel international (en sus du salaire) : 14 050 bik. par jour. Milieu 1985, un menu au restaurant Beyrouth, à Santa Isabel, coûtait 5 000 francs CFA, soit le salaire d'un planton. Un œuf coûtait 125 francs CFA, soit plus [PAGE 112] du double du prix pratiqué à Yaoundé (Cameroun). Une grille de salaires, annoncée pour janvier 1986, montre un éventail de salaires entre 50 000 francs CFA, pour un ministre et 5 000 francs CFA pour un planton.

Le nouveau ministre du Travail, Bolekia Ejapa, a participé en juin 1984 et 1985 à la Conférence internationale du Travail, à Genève, assisté notamment de J. Ndong Andeme comme prétendu représentant des travailleurs. Or, Bolekia Ejapa et J. Ndong Andeme ne sont rien moins que deux des instruments de répression du pouvoir nguemiste : le premier, ex-commissaire principal de police de Santa Isabel; le second, membre du tribunal convoqué lorsqu'il s'agit de condamner les opposants à la dictature (tel Mba Ndong en 1982), alors que son frère, Constantino Ndong Andeme, fait office d'avocat de la défense. Par Bolekia Ejapa on a pu apprendre, d'une part, que le 22 mai 1985 la Guinée Equatoriale avait payé ses arriérés de cotisation à l'O.I.T.; d'autre part, que la dictature avait ratifié les conventions sur la durée du travail (No 1), soit huit heures quotidiennes et quarante-huit heures hebdomadaires; sur le repos hebdomadaire dans l'industrie (No 14); sur la durée de travail dans le commerce et les bureaux (No 31); sur l'égalité de rémunération entre hommes et femmes (No 100); sur la protection de la maternité (No 103); sur l'âge minimum d'admission à l'emploi (No 138). Lors de son discours de juin 1985, Bolekia Ejapa a déclaré : « Notre pays plaide pour la justice internationale », omettant de se déclarer aussi pour la justice à l'échelle nationale.

Début 1985, le ministre des Affaires étrangères s'est vu refuser à nouveau par le Nigeria la fourniture de main-d'œuvre, peu après que dans une nouvelle opération aéronavale le gouvernement de Lagos ait rapatrié des compatriotes suite à l'assassinat d'un d'entre eux à Santa Isabel.

Autant que le manque de manœuvres, celui de cadres, notamment équato-guinéens, se fait dramatiquement sentir. De plus, l'U.D.E.A.C. sollicite du personnel équato-guinéen qualifié. Le gouvernement nguemiste s'est finalement résolu à placarder dans ses ambassades des annonces sollicitant des Equato-Guinéens qualifiés pour occuper des postes dans divers pays de l'U.D.E.A.C., au cas où ils ne voudraient pas rentrer au pays.

(à suivre)

Max LINIGER-GOUMAZ


[1] En fait, le problème du départ des 7 000 Espagnols résulte du conflit entre Carrera Blanco et García Trevijano. Tous les Espagnols, civils et militaires, résidant en Guinée Equatoriale, étaient des pro-Carrero Blanco, et García Trevijano, qui venait de remporter les élections, n'avait pas d'appuis dans le pays. Afin de boycotter García Trevijano, Carrero Blanco décréta le départ des Espagnols, avec la promesse de leur garantir en Espagne le même salaire que celui touché en Guinée Equatoriale. Cette promesse ne fut pas tenue et conduisit à la création d'une Comunidad de Españoles con Interéses en Africa (C.E.I.A.). Celle-ci n'obtint aucun dédommagement. Certains groupuscules d'Equato-Guinéens néo-fascistes ont des contacts avec cette C.E.I.A. en vue de la récupération d'intérêts spoliés en Guinée Equatoriale. Peu après la révolution de palais d'août 1979, le gouvernement espagnol et la junte militaire de Santa Isabel ont laissé entendre que les victimes du régime de terreur de Macias Nguema seront indemnisées. Cette promesse ne fut pas tenue.

[2] C'est grâce à l'U.T.G.E. que l'A.N.R.D., profitant de la dégradation de la situation intérieure, a pu organiser, à Santa Isabel, fin mai 1979, des manifestations de mécontentement de fonctionnaires contre l'administration Macias Nguema, à l'exemple de l'U.T.G.B. de 1966, elle aussi clandestine, qui put, sous la conduite d'Eñeso Neñe, soulever les fonctionnaires contre l'administration espagnole.

[3] Notons, pour la petite histoire, que le supermarché Soguisa, à Santa Isabel, est doté d'un circuit intérieur de télévision pour traquer les chapardeurs.