© Peuples Noirs Peuples Africains no. 45 (1985) 117-128



LIVRES LUS

*
*  *

Antoine Bangui-Rombaye : « Les ombres de Kôh »
Paris, Hatier, Collection Monde Noir Poche, 1983, 158 p.

Guy Ossito MIDIOHOUAN

Antoine Bangui-Rombaye avait déjà publié en 1980 Prisonnier de Tombalbaye, un livre remarquablement bien écrit, qui ouvrait la « Collection Monde Noir Poche » des Editions Hatier, et où il racontait de manière fort émouvante la longue captivité qu'il connut dans « les geôles de Tombalbaye » entre juillet 1972 et avril 1975.

Nombreux furent ceux qui virent en ce livre un « témoignage » précieux pour une meilleure connaissance de la psychologie du pouvoir et du fonctionnement de l'appareil répressif dans un pays africain qui est loin de constituer un cas particulier. On admira même le courage de l'ancien bras droit de Tombalbaye pour avoir dressé un acte d'accusation accablant contre la dictature, système politique dominant en Afrique depuis les indépendances, et montré sa foi en la démocratie représentative et pluraliste comme seule alternative susceptible de sauvegarder la dignité de l'homme et de permettre le progrès.

Toutefois, certains, comme l'historien Elikia M'Bokolo, exprimèrent des réserves : « L'auteur n'apparaît ici que dans le rôle, si l'on peut dire, de victime. Or on aimerait aussi le voir de l'autre côté de la barre, pendant les dix années (1962-1972) où il a été un très proche collaborateur [PAGE 118] de Tombalbaye et qui ont vu se mettre en place les pratiques qu'il dénonce ici. "Collaborateur de Tombalbaye" serait un témoignage aussi précieux que "Prisonnier de Tombalbaye". Espérons qu'Antoine Bangui osera un jour l'écrire »[1].

Les ombres de Kôh ne répond pas à cette attente : l'auteur n'y aborde pas la période pendant laquelle il aida à installer le pouvoir répressif qui, à la fin, manqua de l'écraser lui-même. Les années qu'il a choisi d'évoquer sont antérieures à 1960.

En juillet 1952, le jeune Bangui[2], étudiant en France depuis 1949, revient au pays natal pour passer ses vacances. Naturellement, c'est l'occasion d'une replongée dans l'atmosphère chaleureuse et bucolique de sa famille villageoise, une replongée dans la terre des ancêtres, dans la culture du peuple Gor avec lequel, malgré sa formation occidentale et son séjour en France, il renoue avec une promptitude mêlée d'émerveillement. Le jeune étudiant redécouvre les relations étroites qui unissent le monde terrestre, le village de Dédaye, au village de Kôh, « village invisible et voisin du nôtre (le "double de Dédaye" dit ailleurs l'auteur) où nos morts se retirent, où les activités quotidiennes se déroulent en tous points semblables à celles de la communauté des vivants ». « L'enfant du pays » raconte comment dès son plus jeune âge il a été initié à ces mystères. Et voici que d'autres souvenirs affluent à sa mémoire. Ainsi, progressivement, autour de quelques éléments marquants (personnages, événements situations, impressions) qui fournissent les titres des différents chapitres du livre (vingt au total) se déroule un tableau pathétique de la vie des paysans dans l'ancienne A.E.F. pendant l'« entre-guerres ». La lutte pour la survie, le travail, encore le travail, les contraintes de l'administration, les bouleversements introduits par la colonisation, une vie d'effort acharné mais où se profile sans cesse le spectre de la faim, la faim que la nature pourtant généreuse ne parvient pas à combler. [PAGE 119]

Si le Père Rombaye décide d'inscrire son fils à l'école et si le jeune Bangui choisit d'y rester malgré la faim, malgré les coups et autres brimades, malgré cette vieille boîte de conserve remplie d'excréments humains que l'on attache par une ficelle au cou de ceux qui, sans y prendre garde, ont « causé en sango », c'est que l'un et l'autre ont vite compris que c'est la voie de l'avenir, le seul moyen de rompre avec la faim, avec les brimades, avec la misère... Le monde change et c'est sagesse d'en tenir compte. Mais « n'oublions pas, écrit l'auteur, que l'humus de notre terre, accueillant des graines étrangères et les nourrissant de ses richesses profondes, ne peut que les transformer en plantes luxuriantes dans une symbiose secrète qui échappe aux contraintes et aux analyses dogmatiques. Alchimie des peuples et des cultures à laquelle nous n'échappons pas ».

Comme on a pu le constater, Les ombres de Kôh n'est pas d'une grande originalité thématique : la rencontre entre l'Afrique et l'Occident perçue sous l'angle culturaliste du conflit entre la tradition et le modernisme, voilà un sujet rebattu depuis nos premiers romanciers et que Camara Laye et Cheikh Hamidou Kane ont eu le mérite d'avoir traité de la manière la plus remarquable. D'ailleurs, pour le lecteur averti, l'influence de L'Enfant noir sur Antoine Bangui est évidente. Les ombres de Kôh, c'est un peu L'Enfant noir commençant par un retour. On pourrait déplorer les clichés qui y abondent. Pourtant on prend du plaisir à lire cette chronique animée d'une sensibilité frémissante qui donne à de longs passages l'allure d'une prose poétique

Accordons à l'auteur qui, après Prisonnier de Tombalbaye, a sans doute conçu le projet ambitieux de nous présenter la vie quotidienne au Tchad depuis la période coloniale, qu'il n'est plus loin de 1960. Il n'y a donc pas lieu de désespérer que dans un prochain livre il nous parle des dix années pendant lesquelles il a été collaborateur de Tombalbaye, ces années qui virent se nouer le drame qui déchire actuellement cette partie de notre terre africaine.

Guy Ossito MIDIOHOUAN

[PAGE 120]

*
*  *

« Lo »[3] ou l'offensive africaine contre la francophonie ?

Pierre MEDEHOUEGNON

« Il existe aussi, à notre avis, mais cela
ne reste à prouver que par les Africains
eux-mêmes, un avenir à créer dans des
œuvres en langues nationales »[4].


En écrivant ces mots, Lilyan Kesteloot ne croyait pas si bien dire. Deux jeunes Béninois, Roger Gbégnonvi et Jean-Norbert Vignondé, viennent de lui donner raison en publiant sous le titre de Lo[5] un recueil de proverbes : 138 pages comprenant pas moins de mille proverbes entièrement écrits et édités en Fon, l'une des principales langues parlées au Bénin.

Le titre du recueil, Lo, qui signifie « proverbes » en langue Fou, n'a certes rien de commun avec les titres accrocheurs auxquels nous ont habitués les éditeurs occidentaux. Mais l'œuvre ne s'adresse pas à un public européen : pas davantage à tous les Africains, mais seulement à cette partie de la population béninoise qui, depuis la nouvelle politique d'alphabétisation en langues nationales, sait lire et écrire le Fon.

Bel exemple d'originalité ! Tout aussi originale paraît encore la méthode suivie par les auteurs. Pour la première fois, nous avons un recueil unilingue présenté de façon méthodique, claire et efficace. L'ouvrage se compose de deux grandes parties correspondant chacune à un grand thème, le premier ayant trait à l'homme et à la vie humaine, le second au monde animal. Chaque partie ou grand thème comprenant à son tour un nombre important de thèmes constitutifs (respectivement vingt-cinq et vingt-huit thèmes constitutifs) classés par ordre alphabétique. [PAGE 121] Tout y passe : la famine, la guerre, l'argent, le mari, l'esclavage, l'homme blanc; puis le caméléon, le chien, le serpent, le coq, la tortue et le moustique, pour ne citer que quelques exemples. Enfin, à l'intérieur de chaque thème constitutif, les proverbes sont aussi classés en deux groupes, puis numérotés : d'abord les proverbes à deux volets comprenant un énoncé suivi d'une réplique et où l'on retrouve toutes les variantes de l'humour fon; ensuite, les proverbes à un seul volet ayant valeur de maxime. Un petit index thématique placé à la fin de chaque thème pour faciliter les renvois éventuels, confère au travail un supplément de dimension scientifique.

Mais pourquoi, peut-on se demander, pourquoi cette initiative sans promesse de rentabilité commerciale, émanant par ailleurs de deux jeunes professeurs qui, jusqu'à présent continuent d'enseigner doctement la langue de Voltaire et de Flaubert ? Parce que, simplement, ils ont pris conscience du fait : écrire en français ou en anglais, sous prétexte de maîtriser ces langues au point de leur faire exprimer l'originalité africaine, c'est tout au plus faire de la traduction et faire connaître les valeurs africaines aux autres. Ce n'est pas par ce moyen qu'on se rapprochera davantage des peuples africains. Du reste, à ce sujet, les objectifs des auteurs de Lo sont clairs. Il s'agit d'abord pour eux de marquer une rupture décisive avec la francophonie et, à travers elle, avec l'hégémonisme hexagonal en matière de culture et de littérature. Si en 1984 les Africains francophones ne chantent plus leurs « ancêtres les Gaulois », ils ne continuent pas moins d'enrichir la langue de l'ancien colonisateur et d'étendre ses ramifications culturelles par le biais d'une littérature qui, partout où elle passe, a besoin d'être qualifiée « de langue française » pour se faire identifier. Il s'agit aussi et surtout de régler une fois pour toutes la question des littératures nationales en langues africaines en passant de la théorie à la concrétisation. Depuis plus d'une décennie, en effet, l'on n'a pas cessé d'écrire et de discourir sur la nécessité de la réhabilitation des langues africaines. Les plus belles théories ont été élaborées et poussées à la limite de l'imaginaire sur les liens entre ces langues et [PAGE 122] l'existence de véritables littératures nationales en Afrique. Mais jusqu'ici, bien peu d'intellectuels africains de « l'aire francophone » se sont essayés de produire des œuvres littéraires entièrement écrites dans les langues de leur peuple.

En choisissant de publier exclusivement dans une langue béninoise leur première œuvre commune, Roger Gbégnonvi et Jean-Norbert Vignondé viennent de s'inscrire au rang des pionniers qui se sont engagés dans la voie, bien encore étroite, de l'expression des cultures africaines au moyen d'instruments linguistiques propres à l'Afrique. Leur effort coïncide avec l'amorce, dans la plupart des pays africains, d'une politique de réenracinement culturel dont l'un des principaux axes est l'alphabétisation des populations rurales dans leurs langues maternelles. Au Bénin, il existe, non pas seulement un public de lecteurs fon, mais plusieurs publics de langues nationales, prématurément sevrés des charmes de « la chose écrite » par l'absence d'imprimés dans ces langues sur le marché du livre. Lo fait partie d'un projet militant de création qui ambitionne de résoudre dans le contexte béninois, le crucial problème de la post-alphabétisation en fournissant aux nouveaux « lettrés » des langues nationales un corpus d'imprimés soigneusement préparés à leur intention. Malgré ce qu'on en dit, ce projet semble sous-tendu par le même élan qui, à l'échelle continentale, incita un jour de l'an 1934 les auteurs de L'Etudiant noir à porter un coup d'arrêt à la politique assimilationniste du colonisateur et à redéfinir leur relation au monde. De la Négritude aux littératures nationales, la distance est celle d'un trait d'union. Entre les deux, le lien reste toujours la renaissance culturelle du monde noir.

Pierre MEDEHOUEGNON

[PAGE 123]

*
*  *

Sylvain Bemba : « Léopolis »
Paris, Hatier, Collection Monde Noir Poche, 1984, 128 p.

Guy Ossito MIDIOHOUAN

Miss Nora Norton, un Noire-Américaine, débarque à Wallabia pour un séjour d'études et d'information, dans le cadre de la préparation d'une thèse sur Fabrice M'Pfum, un « leader maudit », dont le pouvoir en place à Wallabi (capitale du Wallabia) s'est efforcé de faire disparaître jusqu'au nom ainsi que celui de la ville (Léopolis) à laquelle il avait attaché son souvenir. « Ville entièrement rasée aujourd'hui, précise le texte, et remplacée par une autre capitale surgie littéralement du néant, Wallabi. » L'intérêt de la jeune Américaine pour ce pays africain, apprenons-nous, a pour origine « la campagne de presse qui avait entouré la destinée politique, brève mais intense, de Fabrice M'Pfum » qui représente à ses yeux « le prototype même du héros tragique des temps modernes ».

Elle rencontre un jeune professeur d'Université wallabian, Mujima, avec qui elle part dans ce que le texte nous présente comme un autre monde (un lac à traverser, une nature sauvage, menaçante, impénétrable, peuplée de fantômes, et que fuient tous les Wallabians ... ), à la redécouverte de Léopolis, résolue à entrer en conversation avec les esprits qui hantent les lieux pour se renseigner sur tout ce qu'elle veut savoir, à « vérifier sur le terrain ce qui existe déjà dans (sa) tête ». « Si cette ville n'existe plus, déclare-t-elle, je la réinventerai (...). Je la rebâtirai s'il le faut dans ma mémoire, je la garnirai de monuments imposants dont les volutes seront, connue de juste, égyptiennes; je mettrai sur la place centrale un énorme lion de granit, un lion rugissant. J'aime beaucoup cette légende qui nous a été chantée l'autre jour par un aveugle jouant de cet instrument que vous appelez sanza. On n'a détruit, dit-il, qu'une apparence de cité, la vraie ville continue d'exister avec tous ses morts, Fabrice en tête. »

La randonnée en forêt prend une tournure inattendue. [PAGE 124] L'Américaine et son compagnon wallabian, partis pour la journée, ne retrouvent pas le chemin du retour et sont contraints de passer plusieurs nuits dans ce monde étrange et fascinant. Nuits pendant lesquelles les Léopolitains de toutes conditions se bousculent « à la porte des rêves de Miss Nora » pour la conduire dans le Léopolis colonial, et lui retracer l'itinéraire politique de Fabrice M'Pfum depuis le premier meeting, où d'emblée, il électrisa la foule jusqu'à la victoire de son parti aux élections générales ayant précédé l'accession du Wallabia à l'indépendance. Tel est, brièvement résumé, le contenu de « la légende de Léopolis », la première partie (en cinq chapitres, pp. 3-45) de ce quatrième roman de Sylvain Bemba[6].

La deuxième partie, intitulée « Le roman de Fabrice M'Pfum. », plus longue (pp. 47-117, dix chapitres), a trait à la vie de Fabrice M'Pfum au cours des mois pendant lesquels il dirigea le nouvel Etat indépendant. Sa réprobation par l'Occident dont les menées impérialistes devaient entraîner son isolement progressif à l'extérieur comme à l'intérieur de son pays, son voyage aux Etats-Unis, son combat désespéré contre les forces réactionnaires coalisées et, enfin, sa confrontation brutale avec la mort dans des circonstances mal élucidées nous sont présentés en détail de plusieurs points de vue grâce à la diversité des instances narratives.

Ici le lecteur s'interroge : sommes-nous toujours dans le monde des rêves ? Quelle est la part de l'histoire (à laquelle l'auteur se réfère souvent de façon précise en évoquant des faits établis et reconnaissables) et quelle est la part de l'imagination ?...

La troisième partie du roman, intitulée « M'Pfum ? ni Dieu, ni diable » (pp. 119-128), n'est en fait qu'un épilogue, puisqu'elle se réduit à un chapitre d'une dizaine de pages. Nous retrouvons les deux explorateurs égarés en forêt que la deuxième partie nous a fait totalement oublier. Miss Nora et Mujima perçoivent des signes annonçant la fin heureuse de leur expédition, et s'interrogent sur la foi à accorder aux révélations auxquelles ils ont [PAGE 125] eu accès au cours de leur aventure, mais sont apparemment comblés. Ils sont retrouvés à la faveur d'une opération de ratissage de grande envergure menée par l'armée nationale et regagnent Wallabi avec « l'auréole de ceux qui reviennent d'un univers inhabituel ». Miss Nora, beaucoup plus audacieuse que Mujima en raison de sa qualité d'étrangère, évoque librement sur les ondes de la radio wallabiane la mémoire de l'homme de Léopolis : « Dix ans après sa disparition, dit-elle notamment, même les plus frustes de ses partisans n'ont pas osé en faire un dieu, en quoi ils ont raison, tandis que ses ennemis en ont fait une incarnation du diable, en quoi ils avouent leur imbécillité : Fabrice M'Pfum est celui par qui votre pays a reçu un supplément d'humanité sans lequel toute nation est condamnée à dériver. Comme un navire à quai, chaque pays a besoin d'un héros tel que Fabrice que l'on jette sous les eaux à la manière d'une ancre pour stabiliser le bâtiment. »

Les autorités wallabianes se montrent tout à fait curieusement sensibles à la nécessité de réhabiliter Fabrice M'Pfum et la télévision décide de tirer un feuilleton de l'odyssée de Miss Norton et de Mujima qui passionne beaucoup de monde... L'Américaine emporte dans son pays une image nouvelle de Fabrice M'Pfum, et du Wallabia elle garde le souvenir d'une terre qu'elle a aimée et à laquelle elle reste attachée.

Ainsi le destin tragique de Patrice Lumumba (les allusions sont évidentes) prend sous la plume de Sylvain Bemba – qui, sans doute, pense que « les héros sont faits pour qu'on les réinvente, chaque fois d'une manière différente » – la dimension d'un mythe d'une revivifiante fulgurance, à la faveur d'une écriture éclatée aux procédés variés où l'histoire s'allie à la fable et le rêve féconde la réalité. Léopolis est un roman d'une grande richesse symbolique et d'une grande portée idéologique, qui se présente comme une critique des rapports traditionnels existant entre l'Afrique et l'Occident mais aussi comme la postulation d'un monde meilleur fondé sur l'amour et la solidarité entre les hommes.

Guy Ossito MIDIOHOUAN

[PAGE 126]

*
*  *

Sur le huitième Concours radiophonique
de la meilleure nouvelle de langue française[7]

Guy Ossito MIDIOHOUAN

Les douze nouvelles primées dans le cadre du 8e Concours radiophonique de la meilleure nouvelle de langue française ont été publiées en décembre 1984 par les Editions Hatier, dans la « Collection Monde Noir Poche», sous le titre suggestif de celle ayant obtenu le Grand Prix, Un voyage comme tant d'autres du Zaïrois Maliza Mwina Kintende.

Rappelons qu'en 1984 le même éditeur nous avait « donné » La descente aux enfers de Noël Netonon Ndjekery et onze autres nouvelles primées dans le cadre du 7e Concours. Auparavant, c'est-à-dire pour les six premiers concours, c'étaient les organisateurs eux-mêmes (R.F.I.-A.C.C.T.) qui se chargeaient de l'édition des texte retenus, sous le titre Dix Nouvelles de..., chaque livraison portant le numéro du concours correspondant. Le recours à Hatier, et plus précisément à la « Collection Monde Noir Poche », semble répondre au souci de mettre à la disposition d'un public plus large des livres au prix plus abordable.

Revenons à notre objet, à Un voyage comme tant d'autres. Où donc nous conduit ce voyage ? Au pays de la tristesse, répondrai-je, car l'impression que laisse au lecteur chacune de ces douze nouvelles, c'est bien la tristesse. Une tristesse accablante qui découle des rigueurs de la vie dans les pays d'Afrique et de l'Océan Indien où, pour paraphraser le poète, le soleil grille toutes les choses, grille le cerveau et grille jusqu'aux roses. [PAGE 127]

Une tristesse omniprésente, qui a pour fondement le mépris de l'homme, dans un monde où l'individu semble condamné à mener une lutte désespérée pour sauvegarder sa dignité. On le sait, la ruine de l'homme c'est quand vivre se résume à tenter de sauver la vie. Et c'est ce que nous révèlent ces douze nouvelles où l'humiliation (Un voyage comme tant d'autres), la misère (L'irrésistible Dekha danse de Marie-Léontine Tsibinda du Congo, Samedi soir de Liliane Berthelot de l'Ile Maurice, Le paysan de Goneyo Rapago de Centrafrique), la corruption qui confine à la pourriture (Le serment d'Hippocrate de Sony Lab'ou Tansi du Congo), l'injustice (Sortir pour recommencer de Hafedh Djedidi de Tunisie), la dictature (La fille du Ciné-Bar d'Etienne Goyémidé de Centrafrique) et son corollaire la prison (La carte du parti de Noël Netonon Ndjekery du Tchad), les traditions et autres pratiques aussi obscures qu'aberrantes (La fuite du Dzangoa de Patrick Iharilanto Andriamangatiana de Madagascar, Nocturnales d'Etoa Ntolo du Cameroun) et, enfin, la mort (Sur mon lit de mort de Nabil Haidar du Sénégal, Post-Scriptum de Marie-Danielle Rason de Madagascar) se conjuguent de différentes manières[8] pour dénoter une vision tragique de l'existence.

Pessimisme ? Que non ! Réalisme et vérité, plutôt. Car ces jeunes écrivains ne font que traduire fidèlement leur univers dans des textes intenses et, souvent, une écriture d'une puissante originalité (voir par exemple Patrick Iharilanto Andriamangatiana et Sony Lab'ou Tansi d'ailleurs déjà connu pour son talent).

Un art dont le sens profond semble résider dans la conjuration des démons qui nous rendent la vie invivable.

On ne peut nier que le Concours de la meilleure nouvelle de langue française, tout comme le Concours théâtral interafricain, permet de découvrir de jeunes talents et de mettre à la disposition du public des textes remarquables. Il n'empêche que ces compétitions, sous leur forme actuelle, ont quelque chose d'agaçant pour bon [PAGE 128] nombre d'Africains qui y voient à juste titre l'expression de notre incapacité à prendre en main nos propres affaires et à nous débarrasser de la tutelle étrangère, fût-elle cachée sous le paravent de la « coopération » radiophonique. Chaque année, à l'occasion de ces concours, beaucoup s'interrogent : est-il vrai que seule la langue française nous rassemble et que nous serons toujours dirigés de Paris ? Tout Africain francophone est invité à répondre à cette question, et à en tirer toutes les conséquences...

Guy Ossito MIDIOHOUAN


[1] Cf. Notre Librairie, no 60, juin-août 1981, pp. 24-25.

[2] A l'origine, Bangui était le surnom du jeune garçon, un surnom que son premier directeur d'école transforma en un durable patronyme (voir p. 133)

[3] Roger Gbégnonvi et Jean-Norbert Vignondé, Lo, Paris, Binndi e Jannde, décembre 1983, 138 p.

[4] Lilyan Kesteloot, Anthologie négro-africaine, Verviers, Les Nouvelles Editions Marabout, 1981, p. 426.

[5] Le recueil coûte 15 FF, soit 750 CFA

[6] Outre plusieurs pièces de théâtre, Sylvain Bemba est l'auteur de trois autres romans : Rêves portatifs, Dakar, N.E.A., 1979; Le soleil est parti à M'Pemba, Paris, Présence Africaine, 1982; Le dernier des cargonautes, Paris, L'Harmattan, 1984.

[7] Concours créé et organisé depuis 1972 par Radio-France Internationale et l'Agence de Coopération Culturelle et Technique « en union » avec vingt et une radiodiffusions nationales d'Afrique et de l'Océan Indien

[8] Dans notre énumération, nous avons cité à titre d'illustration pour chaque thème la (ou les) nouvelle(s) la (les) plus significalive(s). Il convient de noter que ces textes traitent rarement d'un thème unique. On trouve souvent dans la même nouvelle plusieurs thèmes d'ailleurs naturellement liés les uns aux autres.