Cher Alex, bonjour !

Prière de suspendre toute correspondance en ma direction jusqu'à nouvel ordre.

J'ai au des ennuis énormes avec le dernier numéro de la revue que tu m'as adressé. Il a été saisi par les P.T.T. et mon sous-couvert et moi avons subi un interrogatoire serré. C'est la grande menace.

La conséquence la plus grave sans doute maintenant c'est que mon logeur, un jeune de trente-trois ans qui m'a beaucoup aidé jusqu'ici, me demande de partir de chez lui au plus tôt parce que, dit-il, il ne veut aucun ennui avec la police. A nouveau donc, je dois trouver un abri. C'est l'exil intérieur.

Il me reste des ressources morales et physiques et je compte me battre.

Mes salutations à toute ta famille.

8-4-1985   

Comme dit la propagande de Biya : « Venez d'abord sur place voir avant de juger ! »

Décidément, au Cameroun, plus ça change, plus c'est la même chose. Avec le grand Rénovateur, tout comme à l'époque d'El Hadj, la censure des publications et la traque des intellectuels, son corollaire, sévissent imperturbablement.

Pauvre petit Biya!

Et dire que ton confesseur t'avait assuré qu'il te suffirait de débagouler quelque péroraison bien ronflante à Bamenda ! Pour obtenir l'absolution, peut-être. Quant à tromper l'opinion africaine et à passer pour un grand démocrate, c'est une autre paire de manches, mon coco.

L'enfer est pavé de bonnes intentions, comme disent tes amis le dimanche, à la messe.

De quelle prescience les leaders progressistes camerounais ne firent-ils pas preuve en dénonçant pendant les années cinquante le danger Aujoulat.

Ce qu'il faudrait dénoncer aujourd'hui au Cameroun, c'est le danger Biya. Cet homme est dangereux, on ne le dira jamais assez. Il peut susciter une guerre civile, à force d'inconscience et de provocation. précisément comme feu son maître et protecteur Aujoulat de sinistre mémoire.

Mongo BETI