© Peuples Noirs Peuples Africains no. 43 (1985) 144-146



NOUS AVONS REÇU D'AMBROISE KOM
LA LETTRE SUIVANTE

      Chère Madame,

J'ai lu avec un intérêt certain votre « Qu'est-ce que la littérature ? » publié dans le no 37 de P.N.-P.A.

Le problème que vous soulevez mérite en effet d'être débattu. Bien que le Dictionnaire... que j'ai dirigé se soit contenté de traiter des œuvres d'imagination ou de fiction et ce qui semblait s'en approcher le plus, on peut, à bon droit, se demander si le cadre n'aurait pas pu être élargi. Mais alors, une question vient immédiatement à l'esprit : inclure les essais dans ce qu'il est convenu d'appeler littérature ne serait-il pas enlever à la plupart des textes d'idées leur dimension particulière, leur force et leur pertinence ? Traiter Main basse... de la même manière que les autres textes littéraires ne reviendrait-il pas à accréditer la thèse de ceux qui prétendent qu'un tel ouvrage est davantage le produit de l'imagination de son auteur, c'est-à-dire une œuvre de fiction, qu'un document fondé sur des faits vérifiables ?

A supposer que l'on considère Main basse.... Nations nègres... et autres écrits du genre comme de la littérature au sens où on l'entend généralement, ne faudrait-il pas aussi inclure les discours des hommes politiques africains, Lumumba et tous les autres s'entend ? Même si, bien souvent, ces discours relèvent de la pure fiction, avouons qu'il s'agit d'un genre dont on peut difficilement rendre compte sans entrer dans une interminable polémique.

Tout à fait d'accord avec vous pour mettre en relief la [PAGE 145] littérature d'idées qui fait partie intégrante de notre patrimoine. Mais plutôt que de traiter ces textes dans le même esprit que les œuvres du Dictionnaire des œuvres... négro-africaines.... on pourrait songer à élaborer une bibliographie systématique des essais produits par les Africains. Pareil ouvrage serait une pierre, précieuse il va sans dire, pour l'édifice de l'histoire des idées, des écrits et des civilisations africains.

J'espère que le débat que vous avez soulevé suscitera de nombreuses réactions et que les chercheurs en études africaines en prendront note.

Ambroise KOM 

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Cette réponse d'Ambroise Kom relance heureusement le débat. Il me semble que, plutôt que de reconnaître la bizarrerie de l'impasse que sa littérature fait sur les textes d'idées, bizarrerie partagée, je le répète, par l'ensemble de la critique africaniste actuelle, il se hasarde à défendre une position difficilement défendable. Etablir une équivalence entre littérature et « fiction » puis entre « fiction » et « mensonge » constitue deux glissements de sens bien hardis. Mais ne nous enlisons pas dans des considérations philosophiques bien tentantes et accrochons-nous à ce que peut avoir de positif la science des textes. Le dictionnaire Robert donne de la littérature la définition suivante : « Les œuvres écrites dans la mesure où elles portent la marque de préoccupations esthétiques. » Il n'est donc pas question de vrai ou de faux mais uniquement de beau ou de laid. C'est le seul débat possible et je demande à discuter sur pièces de l'appartenance de tel ou tel à la littérature. La belle parole est identifiable. Elle n'a même pas besoin de la critique pour s'imposer en fin de compte, elle s'impose tôt ou tard d'elle-même, faisant honte ou honneur à ceux qui l'on méconnue ou reconnue. C'est bien pourquoi il n'est absolument pas question, quand j'intègre les discours de Lumumba à une littérature africaine, d'y intégrer les discours de tous les hommes politiques africains. Au nom de quoi, je me demande bien, une pareille prétention! Comme s'il n'y avait pas un abîme entre une admirable rhétorique [PAGE 146] parée de la grâce du génie et tout le fatras des phraséologies politiciennes au verbe creux, mortes aussitôt que nées. Mais exclure Lumumba parce qu'on ne fait pas de place aux « autres », c'est vraiment faire de la politique et nier la littérature. Là encore, je demande qu'on discute sur pièces.

Pour clore cette réponse, et non le débat, je note une définition « littéraire » de la littérature. Celle du Robert était technique, mais ne « portait pas la marque de préoccupations esthétiques ». Charles du Bos, dans Qu'est-ce que la littérature, écrit : « La littérature est la vie prenant conscience d'elle-même lorsque, dans l'âme d'un homme de génie, elle rejoint sa plénitude d'expression. » On remarquera la supériorité de l'énoncé « littéraire » pour traiter de questions purement techniques. Que cette « vie prenant conscience d'elle-même » et que cette « plénitude d'expression » sont donc belles et, de plus, infiniment plus exactes encore que les « œuvres écrites aux préoccupations esthétiques ». Comme quoi on peut faire de la littérature avec tout, mais tout n'est évidemment pas de la littérature.

Odile TOBNER