© Peuples Noirs Peuples Africains no. 43 (1985) 141-143



SONT-ILS MEILLEURS
QUE NOUS ?

Marc TALANSI

Bordeaux, le 25 août 1984

Cher Mongo Beti,

J'aime votre revue que je lis avec passion. Jamais une revue n'avait réellement joué le rôle de défenseur des peuples noirs. Les réflexions et les analyses sont percutantes, tranchantes. Un véritable régal...

Merci de nous aider à comprendre, à prendre conscience et à prendre position sur des problèmes qui nous touchent de près ou de loin. C'est vrai que le drame des peuples opprimés réside aussi et surtout dans le silence des nantis et l'acceptation passive des privilégiés de toutes sortes qui n'ont ni le courage de se salir les mains ni celui de se mouiller devant les injustices criantes dont souffrent des millions d'hommes en Afrique et ailleurs.

J'espère de tout mon cœur qu'en dépit des difficultés de tous genres, P.N.-P.A. vivra longtemps. Très longtemps. Ceci dit, j'aimerais attirer l'attention des intellectuels africains sur ce que je considère comme étant une grande faiblesse. Dans la rubrique « Livres lus » de P.N.-P.A., no 36, Thomas Mpoyi-Buatu écrit page 89 : « Dans cette école africaine, on peut distinguer des féodalités comme celle qu'exerce le couple Chemain sur le littérature congolaise (toutes les notes relatives à Henri Lopès, Tchicaya U'Tamsi, à Tati-Loutard, à Sylvain Bomba... sont de leur cru). » Certains critiques congolais n'ayant pu briser le [PAGE 142] monopole de fait qu'exerce le couple Chemain sur les lettres congolaises ont préféré aller ailleurs. C'est le cas de Jean-Pierre Makouta-Mboukou.

Il existe une certaine école zaïroise, même si on peut noter ici l'intervention envahissante d'une universitaire américaine : Danielle Chavy Cooper.

Plus loin, rendant compte du colloque sur « l'enseignement des littératures africaines à l'université », le même Thomas Mpoyi-Buatu écrit page 91 « Les inévitables Chemain étaient de la partie... »

Je dois d'abord dire que je suis assez étonné que notre ami Thomas Mpoyi-Buatu qui par ailleurs nous donne à lire des analyses intéressantes puisse verser dans un simplisme stupéfiant. Dire que J.-P. Makouta-Mboukou a préféré aller ailleurs parce que les Chemain ont monopolisé la critique littéraire congolaise me semble traduire plutôt une méconnaissance de l'œuvre politiquement engagée de cet écrivain.

D'autre part, quand cesserons-nous de geindre ? La meilleure façon de refuser que les autres se substituent à nous pour écrire sur notre littérature, pour écrire notre Histoire, etc., n'est-elle pas de prendre nos plumes et d'écrire nous-mêmes ?

Pourquoi attendre passivement que les autres pensent, traduisent et écrivent notre réalité à notre place ?

Pourquoi se contenter simplement de pleurnicher, de déplorer la soumission de notre littérature à une critique occidentale ?

Pourquoi renforçons-nous nous-mêmes le mythe de l'incapacité congénitale du nègre ?

Pourquoi faut-il qu'à diplôme égal nous soyons toujours (ou presque) inférieurs aux Blancs ?

Pourquoi les universitaires nigérians, eux qui sont censés d'abord écrire en anglais, sont-ils plus présents dans les revues littéraires francophones que les francophones eux-mêmes ?

Remarquez que je ne suis pas du tout hostile à ce que les Nigérians écrivent dans ces revues, mais combien de francophones écrivent dans des revues anglophones africaines ?

Comment expliquer notre incroyable apathie qui fait que ce soit des Blancs qui le plus souvent révèlent au public africain ses propres écrivains ? Les Chemain dont [PAGE 143] il est question ont-ils empêché les critiques congolais d'écrire au de publier quoi que ce soit ?

Ayant été moi-même producteur d'une émission littéraire à la télévision, j'ai entendu des gens me reprocher la participation des Chemain à certaines émissions. Mes détracteurs qui supportaient mal de voir des Blancs parler de la littérature africaine à la T.V. étaient professeurs à la fac, eux aussi, plus souvent invités à l'émission que les Chemain. Mais ils me faisaient attendre des semaines ou des mois avant de venir ou ne venaient pas du tout prétextant qu'ils avaient trop de travail ou qu'il fallait que l'émission fût préparée longtemps à l'avance.

Evidemment, chacun sait qu'une émission hebdomadaire de radio ou de T.V. n'attend pas. Ceux qui étaient capables de parler de littérature, sans brouillon forcément, sans questionnaire d'avance, ceux qui étaient le plus disponibles sont ceux là que je recevais dans mon émission, y compris les Chemain.

Attention à la plainte et au murmure éternels !

Comme ce poète arabe qui avait écrit ces vers avait raison :

      « Si tu n'as que des pleurs
      pour seules armes
      Garde-toi bien de t'en servir. »

Marc TALANSI
étudiant, Bordeaux