POEMES
Ernest PEPIN
Ceinture d'eau à la taille
nouée de salaison
gabarre à la dérive
au défi du passé
un cri d'eau salée
rompt les amarres
et culmine en plumage de soufre
Les falaises font faillite
sauf pour quelques touristes
qui picorent de leur caméra
les cuisses d'eau des Chutes
Iles errantes
éclatant non-lieu
coulé à pic
par l'obus négrier du soleil
escarbilles
escarboucles
des larmes de rhum sec
creusent les mines abandonnées
du jour
La nuit les trois-chemins
apportent les nouvelles
d'un insomniaque quimbois
Ce n'est que mon île
hommes tournés chiens
tournés rien
tous engourdis aux seins
d'exotiques icebergs
(malgré l'évidente hostie du soleil) [PAGE 121]
Même la ville tend son
cou d'autruche
à la hache des cyclones
Pointe-à-Pitre déménage
à dos de bétonnières
et dresse de grands cierges
en offrande aveugle
Pointe-à-Pitre
faux prophète
le sang des putains
garde vraie une goutte
de vie
sous les dessous des
faubourgs
Ce n'est que mon île
mon île fonctionnaire
en faction
outre-caraïbe
La route roule son corps automobile
jusqu'aux hanches les plus larges des campagnes
Les campagnes roulent les mornes
dans la gueule des usines
Les usines roulent rage et chômage
au fond des yeux
Ce n'est que mon île
scindée mâle et femelle
seule coup de machette de la Rivière-Salée
mâle désir jaune La Soufrière
mâle lévitation cannibale Matouba
Grande Terre
femelle passion de la mer
plages nues
filles nues
touristes ensablés
(ne pas oublier l'injustice d'une balle de golf
dépossédant un crabe de son trou)
En éternelle césarienne
Porte-d'enfer lâche ses eaux
utérines
Iles
dauphins jongleurs
à mordre [PAGE 122]
à petits sauts
de mornes
la balle du soleil
Marie-Galante
mare prophétique
pour la soif des marrons
Les Saintes
proues jumelles
Saint-Barthélemy
bretonne
sous sa coiffe d'écumes
Saint-Martin
Désirade agenouillée
sous la croix de Pointe-des-Châteaux
Iles
seins blessés
bouquets d'îles
à désarçonner
les géreurs de la joie
Ce n'est que mon île
mon île chien-créole
(lire dans les mains bleues du ciel
notre faim canine d'être d'ici)
sa queue pyrogène
met le feu aux poudres
des voraces morsures de
squales
du souvenir
Après des cents d'années damnées
l'échine haute des volcans
porte sacrifié le sang
Proie sûre et sanglante
liberté
belle légende suspendue
au javelot des filaos
une escorte de chiens
salue notre naissance
métamorphose
sonnant à la cloche des
volcans
l'heure dissidente [PAGE 123]
Rient les insectes
au visage des nuits
dansent les fêtes indiennes
couleur safran et colombo
aux lèvres
bombardent traqués
les tambours météores
l'agonie hors-jeu
sacres
et massacres
Notre naissance
bague au doigt consentant
des cyclones
Ce n'est que mon île
mon île paysanne
un vieux nègre zébu
tire la misère
un vieux nègre gros-talons
met le tonnerre
en terre
Sauvage éclat de rire des bombes
coup de main
pour demain
Pluie de seins
venue d'arbres-à-faim
tombe fille à fille
sur les trottoirs d'exil
Ce n'est que mon île-déluge
Cohue de cases
mauvais dominos posés à même la route
mauvais jeu
mauvaise main
maldonne
Ce n'est que mon île
enfilant long manteau d'hiver
et colliers d'heures étrangères
Mais l'hivernage
sourire fardé vert
herbes-guinée aux lèvres
l'hivernage
plus frais que monbins
aux narines des rivières [PAGE 124]
Mais
le carême
cœur de chauffe
cils brûlés roux
à la dynamite
du soleil
Ce n'est que mon île
qu'attend
au doux recel des siècles
la chevelure interdite
d'un drapeau
Ernest PEPIN
(Extrait de Labours d'amours)
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