© Peuples Noirs Peuples Africains no. 38 (1984) 5-17



LE MOUVEMENT SYNDICAL SENEGALAIS
A LA VEILLE DE L'INDEPENDANCE :
UN LIEU DE FORMATION DES ELITES POLITIQUES

Mar FALL

Au Sénégal comme ailleurs, la condition ouvrière constitue l'incitation première au groupement syndical. La liaison activité industrielle-urbanisation-syndicalisme n'embrasse certes pas toutes les situations, mais elle délimite sans équivoque les zones dans lesquelles le syndicalisme bénéficie des plus grandes possibilités de pénétration[1].

Il y a cependant un risque d'abstraction à parler sans autre précision de syndicalisme comme si le phénomène était identique dans toutes les sociétés. Il faut bien admettre que « l'éparpillement des réalités ne se laisse pas aisément réduire à des schémas, encore moins à un modèle normatif »[2]. De ce point de vue, une sociologie du syndicalisme sénégalais, décrivant concrètement la situation nationale et les situations historiques, devient une nécessité. Surtout si l'on sait qu'il existe une sorte de [PAGE 6] « vide sociologique » dans ce domaine de recherche[3], tout au moins pour l'Afrique noire anciennement colonisée par la France.

Deux séries d'éléments ont présidé à la formation du syndicalisme sénégalais. Ces facteurs ont contribué et conditionné son développement ultérieur. Il s'agit de l'état du niveau économique et la situation de dépendance politique. Il faut rappeler que nous sommes en présence d'un pays largement non industrialisé, encore dépendant dans une grande mesure de la production agricole et essentiellement de la culture de l'arachide[4].

Ce pays n'offrait donc pas les conditions objectives les plus favorables à l'éclosion et à la fortification d'un mouvement syndical. De ce fait, le syndicalisme n'intéresse qu'une minorité dans une minorité, c'est-à-dire une infime partie de ceux qui sont insérés dans une forme [PAGE 7] de rapports sociaux : le salariat[5]. Le syndicalisme sénégalais, malgré le développement du capitalisme, reste un syndicalisme de minorité, faible quantitativement[6].

Ce sont les cheminots, les enseignants et les membres des professions libérales qui sont les premiers à constituer des organisations de défense professionnelle. Cela tient au fait que ce sont des travailleurs qui ont déjà une qualification dans leur métier. Par ailleurs, certains secteurs de l'économie coloniale ont eu une importance considérable en assurant la liaison avec le monde extérieur et le pays, ou entre les différentes régions du pays.

Il en est ainsi pour les cheminots qui ont engagé un combat d'avant-garde[7] grâce en partie à leurs liens étroits avec leurs collègues français et à l'efficacité relative de leur réseau de communication qui parcourait l'ancienne A.O.F. D'autre part, le syndicalisme sénégalais a été pendant longtemps marqué par la présence d'éléments intellectuels et par les obstacles dressés par l'Administration coloniale à la syndicalisation de la population active autochtone : il fallait savoir lire, écrire, être titulaire du C.E.P.E. pour adhérer à un syndicat.

La question qui nous intéresse ici est de voir dans quelle mesure le mouvement syndical a constitué un cadre, un lieu de maturation et de formation des jeunes éléments intellectuels, couche sociale fortement influencée [PAGE 8] par les idées nationalistes[8]. C'est autour des éléments suivants : histoire au cours de laquelle le mouvement syndical sénégalais s'est forgé, les bases sur lesquelles il s'est formé, les revendications des couches et classes sociales de la société dont le mouvement syndical a la prétention de prendre en charge les voies dans lesquelles les idéologies des jeunes éléments intellectuels acquis au nationalisme entendent orienter le syndicalisme que s'articule notre objet.

I. LES PREMISSES D'UNE HISTOIRE SOCIALE

Il faudrait peut-être souligner l'existence de groupes précurseurs au cours des années 1920 et 1930[9]. Même si ces groupes traduisaient un besoin chez les populations concernées, et même s'ils pouvaient emprunter au syndicalisme quelques aspects, ils n'ont pas évolué et ne se sont pas transformés en véritables syndicats. Néanmoins, les réactions pré-syndicales, notamment sous forme de grèves et de manifestations collectives sont à mettre au compte de la constitution d'un mouvement syndical. De même, les grèves que les travailleurs du chemin de fer de l'ancienne A.O.F. en 1920 et 1937 renforcent ce processus de constitution d'un véritable mouvement syndical sénégalais.

Le syndicalisme s'implante véritablement dans les territoires africains à partir de la Seconde Guerre mondiale, au moment où les Africains deviennent des citoyens, sinon à part entière, du moins dotés des libertés élémentaires. En dehors de quelques syndicats pour les Français [PAGE 9] de naissance et les Africains des quatre communes (Dakar, Saint-Louis, Gorée, et Rufisque)[10], il n'existait pas d'organisations ouvrières reconnues par la loi.

Les réformes instituées par le décret du 11 mars 1937 ont autorisé l'établissement de syndicats dans les colonies pour les sujets français locaux mais elles limitent le droit d'affiliation aux seuls travailleurs qui savent lire, écrire, et parler le français et qui sont détenteurs du C.E.P.E, comme nous l'avons déjà évoqué. Un autre décret, celui du 20 mars, a instauré les négociations collectives et l'élection de la délégation syndicale.

Cette croissance initiale du syndicalisme a été arrêtée par la guerre car, en 1940, le gouvernement de Vichy a interdit toute forme de syndicalisme organisé dans les colonies. Le mouvement syndical a alors sommeillé en A.O.F. et a repris force en 1944. Cette reprise de l'activité syndicale, même si elle marquait un progrès par rapport à la période précédente, se concevait toujours dans le sillage du syndicalisme de la métropole. Cette situation de dépendance se retrouvait sur le terrain proprement politique en ce que les organisations politiques de l'époque étaient sous la mouvance des partis métropolitains[11]. Dès l'instant où la revendication nationale fondamentale se dessine, ces liens étaient perçus comme des limites à l'approfondissement du mouvement national.

Les obstacles que rencontraient les populations dans leurs désirs de promotion sociale n'étaient pas sans influer, au bout d'un certain temps, sur les mouvements censés représenter la société coloniale. Le fait important [PAGE 10] à noter, est que ce processus de remise en cause des liens d'allégeance et d'affirmation de l'indépendance a d'abord été le fait du mouvement syndical.

II. LE MOUVEMENT SYNDICAL : LIEU DE PRISE DE CONSCIENCE DU PHENOMENE NATIONAL

Les caractères particuliers que revêtait ici la lutte syndicale font qu'elle manifestait avec force les conflits fondamentaux qui définissent la société coloniale et que le mouvement syndical a su traduire. Contrairement aux partis politiques qui demeurent marqués profondément par leur orientation assimilationniste. En cela, leur action connaît des limites. Par ailleurs, les conditions mêmes du syndicalisme dans une situation d'origine coloniale donnent à celui-ci une coloration politique marquée. On peut même dire que dans cette période, le mouvement syndical sénégalais peut être assimilé, au niveau de ses fonctionnements et de ses objectifs, à un véritable parti d'opposition[12].

A. Un postulat comme point de départ de l'action syndicale : la situation des travailleurs est de la seule responsabilité de la société coloniale

Les prises de position du mouvement syndical faisaient ressortir comment la lutte syndicale est conçue comme dirigée essentiellement contre l'Administration[13]. Ceci doit être interprété, non seulement par rapport aux caractères [PAGE 11] généraux du système colonial, mais aussi en fonction du rôle central que joue ici l'Administration dans le domaine du travail. Al'arrière-plan de toute revendication limitée, dans l'ordre des salaires ou de la réglementation des conditions de travail, la revendication anticoloniale se dessine. L'action syndicale met en avant l'opposition entre les deux communautés de la population : ses composantes européenne et africaine. La bipartition de la société coloniale[14] selon les ligues raciales, qu'elle soit ou non officiellement reconnue, devient un fait plus important que tout autre division en groupements diversifiés. Dans cette période d'affirmation du mouvement pour l'indépendance, situation de crise aiguë, cette « contradiction » passe au premier plan et tend à effacer dans les deux communautés en présence les antagonismes qui leur sont internes. Le rôle du mouvement syndical sénégalais de défense professionnelle mais aussi le pôle d'opposition à la société coloniale, écarte toutes les tentatives d'interprétation du syndicalisme dans ce pays en fonction de l'histoire sociale du mouvement ouvrier d'Occident[15].

En effet, contrairement à ce que l'évolutionnisme sociologique fait croire, les pays dépendants, en situation coloniale ou post-coloniale, ne reproduisent pas (même à retardement) les mêmes phases d'évolution syndicale que les pays du centre[16]. Certes, on peut relever ici ou là [PAGE 12] des convergences et des ressemblances, mais il n'en demeure pas moins que nous avons deux types de sociétés totalement différentes. A ce titre, la comparaison entre le syndicalisme de « métier » tel qu'il est défini par Alain Touraine et Claude Durand et le syndicalisme incarné par les fonctionnaires et les enseignants sénégalais à ses débuts nous paraît intéressante. Dans une série de travaux, A. Touraine a distingué trois formes d'organisation syndicale correspondant chacune aux phases A, B et C de l'évolution économique. Le syndicalisme de « métier » correspond à la phase A, début de l'implantation du mouvement syndical. La réaction de défense de l'ouvrier professionnel consiste à protéger la seule propriété qui lui reste : le métier, C. Durand ajoute : « C'est à l'adversaire patronal que sont reconnues dans les faits la responsabilité de la gestion économique et l'initiative en matière d'organisation »[17]. Certes, les fonctionnaires sénégalais et les cheminots ont été les premiers à s'organiser dans le cadre des syndicats, pour des raisons que nous avons déjà soulignées. Ce qui est important à retenir ici, c'est le fait que les revendications portées par ces groupes professionnels dépassaient les revendications classiques de « métier ».

L'idéologie et l'action syndicales dans ce cadre ne reflètent pas la situation particulière d'un groupe professionnel. L'idéologie du mouvement syndical interprète la situation des salariés autochtones et de toutes les couches de la société colonisée comme relevant de la seule responsabilité de la société coloniale. Elles dépassent donc le cadre étroit de l'entreprise pour poser le problème au niveau de la société. C'est la jeune intelligentsia sénégalaise (et dans une moindre mesure le prolétariat naissant) qui produit cette idéologie d'opposition. Se [PAGE 13] sentant frustrée dans ses aspirations parce qu'ayant les mêmes compétences que les chefs de l'Administration coloniale, mais aussi en raison des limites des organisations politiques compte tenu de leur orientation assimilationniste, les jeunes éléments intellectuels vont trouver dans le mouvement syndical un cadre d'expression de leurs revendications[18]. L'idéologie que véhicule une organisation comme l'U.G.T.A.N.[19] traduit bien, nous semble-t-il, les aspirations et de la couche sociale montante (les jeunes intellectuels) et des larges populations.

B. Dans quelle mesure le militantisme syndical pouvait-il se présenter plus nettement comme une riposte à la société coloniale que l'action dans le cadre des partis politiques ?

Le mouvement syndical, comme nous l'indique l'orientation de l'U.G.T.A.N., propose aux masses des thèmes qui sont très sensiblement différents de ceux des partis politiques. Ils sont par maints aspects, plus schématiques et plus vigoureux[20]. Le syndicalisme est beaucoup moins perméable aux différenciations de type traditionnel, qu'elles soient d'ordre ethnique, religieux, etc.

L'unité d'action que les syndicats pratiquent largement ne permet pas que soient réinterprétés à leur niveau des oppositions et des conflits dont la signification leur est étrangère. Ces conflits s'effacent devant l'opposition fondamentale [PAGE 14] que l'action syndicale met en relief. La quasi unanimité avec laquelle sont suivis les mots d'ordre des syndicats est, à cet égard, très significative de la volonté de voir les revendications satisfaites. Ceux-ci représentent, au moment où les formes de l'expression politique apparaissent étroites, un champ d'action plus vaste et plus adéquat pour la jeunesse intellectuelle acquise aux idées nationalistes (mais aussi à l'embryon de prolétariat).

1) Comparaison des taux d'appartenance syndicale et politique des catégories socio-professionnelles

Sur une série de plus de mille deux cents personnes interrogées à Dakar, plus de la moitié, exactement 56 % ont déclaré être membres d'un syndicat[21].

Quelles sont les professions représentées ? Les employés et les fonctionnaires subalternes, employés et fonctionnaires supérieurs, professions libérales ont dépassé le taux moyen d'appartenance à un syndicat, taux égalé par les ouvriers. « Ce sont, à l'exception de la première, les professions dont le taux d'appartenance à un parti politique se révélait le plus bas »[22], rappelle P. Mercier.

D'autre part, la participation à la vie syndicale était nettement plus importante dans les catégories que représentent les éléments intellectuels que chez les ouvriers. Si les catégories sont placées dans l'ordre : cultivateurs et pêcheurs, manœuvres et domestiques, artisans, ouvriers, employés et fonctionnaires subalternes, employés et fonctionnaires supérieurs, professions libérales, les variations peuvent être schématisées de la façon suivante : le pourcentage des individus appartenant à un parti politique est partout élevé (40 %). Fait inattendu, il diminue légèrement, et, progressivement d'une catégorie à [PAGE 15] l'autre. La courbe est exactement inverse pour les syndicats. Fait important, il joue un rôle moins important chez les travailleurs manuels que chez les autres. Les chiffres d'ensemble indiquent que les professions manuelles sont les moins organisées.

Sur 100 000 syndiqués de l'A.O.F. en 1954, il apparaît que plus de la moitié sont, soit fonctionnaires, soit employés dans l'Administration. Le taux de syndicalisation est, dans le secteur public, à peu près le double du secteur privé. Dans l'ensemble des deux secteurs, les ouvriers ne représentent qu'un peu plus d'un quart de l'effectif total des syndiqués. Les résultats d'enquêtes réalisées à Dakar et à Thiès indiquent qu'appartenance à un syndicat et niveau d'instruction étaient en nette corrélation ; alors qu'il était loin d'en être de même à Dakar en ce qui concerne l'appartenance politique.

2) Le rôle politique de la jeunesse intellectuelle dans le mouvement syndical sénégalais

La jeunesse intellectuelle sénégalaise de formation récente[23], bénéficie très tôt d'un prestige dans la société. Et comme cette intelligentsia est sécrétée par les centres urbains par ailleurs centres économiques, l'on s'explique l'attraction qu'elle peut et qu'elle va exercer sur les populations. Précisons cependant que si les intellectuels ont joué un rôle important, ils ne peuvent à eux seuls créer une situation sociologique sur laquelle appuyer leur action. Cette situation résulte à la fois du fait économique colonial, du fait urbain et de l'enseignement colonial.

Le prolétariat, c'est-à-dire la « classe des travailleurs économiquement contraints de vendre leur force de travail pour vivre, engendrant ainsi la plus-value du capital »[24] a d'abord été surtout composé de dockers et de [PAGE 16] cheminots. Il s'est ensuite élargi par la production et sa canalisation vers les débouchés du marché mondial. La faiblesse des industries de transformation et le développement démesuré du secteur tertiaire ont affecté de distorsions la composition de ce prolétariat sénégalais qui reste faible d'un point de vue numérique, même si le Sénégal dans l'A.O.F. est le territoire qui totalise le plus d'ouvriers[25].

Cette faiblesse quantitative du prolétariat sénégalais naissant n'explique pas certainement l'influence de la couche des intellectuels sur le mouvement syndical. Il y a aussi la force de l'idéologie du mouvement national[26] qui refusait au nom du principe national toute affirmation en tant que classe des masses rurales et du prolétariat sénégalais. L'une des conséquences durables d'une telle expérience historique est que les masses sénégalaises, quelle qu'ait été l'ampleur de rôle historique, ont toujours été placées sous tutelle et n'ont jamais pu se constituer pleinement en classe politique ni à ce titre se donner une organisation indépendante.

Nous avons montré comment dans l'immédiat après-guerre, les situations de compétition dans le domaine professionnel se sont aggravées entre Blancs et Noirs[27]. Les jeunes Sénégalais, acquis au nationalisme, vont se forger et s'opposer à ce que l'on peut appeler « l'élite coloniale », c'est-à-dire celle des vieilles villes qui est pour l'assimilation et qui constitue la clientèle des partis politiques dans cette période.

Ces intellectuels qui vont s'opposer à la situation coloniale, constituent un groupe social d'opposition, de contestation qui contredit l'« élite coloniale », caractérisée [PAGE 17] par son refus aux changements. S'il arrive qu'elle propose des changements elle-même c'est souvent pour contrecarrer l'action de ceux qui en proposent de plus profonds.

Ce groupe social opposé à la « situation coloniale » c'est l'appareil syndical, ce sont les jeunes éléments des professions libérales, les enseignants[28]. Ceux-ci sont renforcés par une assez large fraction des moins de trente ans qui avaient reçu au minimum une instruction primaire. Ainsi le point est atteint où cette couche sociale tente de prendre le relais des partis politiques avec des aspirations plus radicales. C'est de ce point de vue qu'il convient d'apprécier leur rôle dans le mouvement syndical caractérisé par un manque de cadres issus du prolétariat qui est encore embryonnaire.

En conclusion, nous pouvons dire que dans beaucoup de pays d'Afrique, l'action du nationalisme sur le phénomène syndical a changé d'une manière radicale l'orientation dessinée par les éléments d'ordre socio-économique. Cette influence a été d'autant plus forte qu'elle s'est exercée à un stade relativement peu avancé de l'évolution syndicale. Dans le cas du Sénégal, au lieu de subir l'action du nationalisme en tant que force extérieure née de conditions spécifiques (économique, politique, religieuse, etc.) comme dans d'autres pays, le syndicalisme a constitué une étape décisive dans la prise de conscience du phénomène national. Son influence s'est faite dans le sens positif du passage de la revendication professionnelle à la réclamation politique; avec à sa tête le groupe social des intellectuels comme principal animateur de ce mouvement.

Mar FALL


[1] Cette liaison a été constatée aussi bien dans les pays du centre que dans ceux de la périphérie; d'où la difficulté, liée certainement à d'autres facteurs propres à chaque société, à voir se constituer et se développer un mouvement syndical dans le monde rural.

[2] J.D. Reynaud, Les syndicats en France.

[3] J. Copans dans son article, « Les classes ouvrières d'Afrique noire » Cahiers d'Etudes africaines 81-83. XXI, I. 3. pp. 405-429, attire l'attention des chercheurs sur ce « vide sociologique » dans ce domaine en Afrique noire anciennement colonisée par la France contrairement aux pays anciennement sous domination britannique. Quelques indications bibliographiques :
– T.J. Gerold-Scheepers, « The Political Consciousness of African Urban Workers. A Review of Recent Publications », African Perspectives (Leiden), 2, pp. 83-98, 1978.
– P.C.W. Gutkind, « Reformism, Populism and Proletarianism in Urban Africa Ufahamu, VIII, 3, pp. 24-61, 1978.
– N. Lévine, « The Revolutionary Non-Potential of the "lumpen" Essence of Deficiency ? », International Development Studies Bulletin (Brighton), pp. 43-52.

[4] Sur la culture de l'arachide, il existe de nombreux travaux à la fois économique, politique :
– S. Amin, L'Afrique de l'Ouest bloquée, Ed. de Minuit.
Qui se nourrit de la famine au Sahel ?, Ouvrage collectif, Petite collection Maspero.
Les travaux sur la confrérie mouride du Sénégal apportent un éclairage original sur l'importance de la production arachidière qui constitue encore l'une des principales exportations de ce pays. A ce titre, on pourra se reporter aux travaux de :
– C. Coulon, Le marabout et le prince, Ed. Pedone, 1981,
– A.B. Diop, La société Wolof, tradition et changement, Karthala.
– J. Copans, Les marabouts de l'arachide, Le Sycomore.

[5] Cf. Monique Lakroum, Le travail inégal: Paysans et salariés sénégalais face à la crise des années trente, l'Harmattan, 1982.

[6] En 1954, le mouvement syndical groupait un total d'environ 100 000 membres, soit un peu moins du tiers de l'effectif des salariés. Cf. Bakary Traoré, in «Forces politiques en Afrique noire », p. 53, P.U.F., 1966.

[7] Les cheminots et l'importance de leur rôle dans l'affirmation du mouvement syndical sénégalais ont fait l'objet de plusieurs travaux. On pourra se reporter à :
– Mamadou Seyni M'Bengué, « La grève tragique des travailleurs des chemins de fer Dakar-Niger» (les hauts lieux du syndicalisme sénégalais), in Sénégal d'aujourd'hui, Dakar, nos 5 et 6.
– Birdane N'Dour, « Le mouvement ouvrier sénégalais à ses débuts », in La Revue Africaine Jonction, no 5, pp. 21 à 31.
– Iba Der Thiam, « Les origines du mouvement syndical sénégalais, la grève des cheminots du Dakar-Saint-Louis du 13 au 15 avril 1919», in Annales de la Faculté des Lettres de Dakar, no 7, 1977, pp. 211-239 : « La grève des cheminots du Sénégal de septembre 1938 », Université de Dakar, 1972.

[8] Les idées comme les luttes nationales qui se sont développées dans cette période (mouvements de libération en Asie) ont influencé les jeunes intellectuels sénégalais.

[9] G. Martens, « Le syndicalisme en Afrique occidentale d'expression française : de 1945 à 1960 », in Le Mois en Afrique, no 178-179 (pp, 74-97), no 180-181 (pp. 53-64), no 182-183 (pp. 52-64, 81-83). Dans ces articles, G. Martens fait référence à ces groupes précurseurs du syndicalisme, groupes importants fonctionnant comme des mutuelles (entraides, cérémonies familiales, cotisations, etc.).

[10] Dans cette période on retrouve les mêmes clivages (C.G.T., C.F.T.C., Autonomes). Le mouvement syndical sénégalais est une copie structurelle et idéologique du syndicalisme métropolitain.

[11] L'exemple de la S.F.I.O., devenue P.S. sénégalais est caractéristique des relations entre les partis sénégalais, ce qui n'est qu'une succursale sénégalaise de l'organisation mère métropolitaine. Cette situation de dépendance devait être dénoncée par la suite par l'urgence de la question de l'indépendance dès lors qu'elle constituait un obstacle. La victoire du B.D.S. aux élections de 1956 pouvait être interprétée comme une victoire des nouveaux citoyens contre l'« élite coloniale » préoccupée par son orientation assimilationniste. C'est aussi un échec personnel de Lamine Gueye, leader de la S.F.I.O. devant L.S. Senghor du B.D.S. N'est-ce pas Lamine Gueye qui déclarait que le Code du travail métropolitain demeure l'idéal !

[12] Cette situation rappelle celle analysée par Elisabeth Jélin, « Spontanéité et organisation dans le mouvement ouvrier : le cas de l'Argentine, du Brésil et du Mexique », in Sociologie du travail, 2, 76.

[13] Les employeurs étaient identifiés à l'Administration. Et les mots « Administration » et « colonialisme » apparaissent comme interchangeables dans les prises de position du mouvement syndical. L'adversaire des syndicats était essentiellement l'Administration et une Administration coloniale, leur action prend effectivement une signification politique.

[14] La distance entre groupement européen et groupement africain s'est sensiblement agrandie. Le groupement européen, de plus en plus important, s'est replié sur lui-même et a créé « sa » ville. Cf. P. Mercier, L. Massé. A. Hauser, « L'agglomération dakaroise, quelques aspects sociologiques et démographiques », I.F.A.N., section de sociologie, 1954. P. Mercier, « Le groupement européen de Dakar : orientation d'une enquête », in Cahiers internationaux de sociologie, p. 138, vol. XIX, 1955.

[15] Les tentatives qui ont été menées ici ou là pour analyser le syndicalisme des pays coloniaux en se référant à l'occident relèvent, me semble-t-il, d'un occidentalisme certain qu'il faut signaler. Toutes les théorisations sur le « développement économique » ou le « développement politique » participent de la même idéologie.

[16] La typologie élaborée par Alain Touraine, Bernard Mottez, « Le travail dans les régions en voie d'industrialisation, in Traité de Sociologie du travail, tome 2 pp. 302-303, Colin, 1964, est profondément marquée par un évolutionisme sociologique certain. « Les progrès de la décolonisation » et de l'industrialisation permettent de suivre la succession de ces divers types de situations et d'actions ouvrières : à mesure que progresse le développement d'un pays, la situation des ouvriers tend à se rapprocher de ce qu'elle est dans les pays industrialisés depuis longtemps. » Elle ne prend pas en compte l'histoire nationale propre des sociétés coloniales, la réclamation de l'indépendance s'étant aussi exprimée par le truchement des partis politiques. Elle n'intègre pas la qualité des relations entre syndicats et partis politiques.

[17] Claude Durand, « Conditions objectives et orientations de l'action syndicale », in Le Mouvement social, oct-déc. 1967, pp. 77-105.

[18] Pour la S.F.I.O. et le B.D.S., il n'est pas question de l'indépendance. Leur action, qui pouvait apparaître comme « progressiste » pour l'époque (même statut, même salaire que les travailleurs français), n'est pas très tranchante. D'autant qu'il était surtout question des habitants des quatre communes (Dakar, Saint-Louis, Gorée, Rufisque). Contrairement au mouvement syndical qui parlait au nom de toute la société.

[19] La création de l'U.G.T.A.N. en 1957 semble traduire la volonté d'unité syndicale manifestée par les dirigeants syndicaux de la C.G.T.A., de la C.G.T. et de la C.A.T.C. (de tendance chrétienne).

[20] La résolution sur la doctrine de l'U.G.T.A.N. réaffirme de façon vigoureuse la « contradiction principale » de l'époque : « Malgré les contradictions existant entre les diverses couches sociales locales, la domination coloniale rend inopportune toute référence à la lutte des classes et permet d'éviter la dispersion des forces dans les compétitions doctrinales. »

[21] Nous reprenons les résultats d'enquêtes réalisées en 1956 au Sénégal, résultats fournis par P. Mercier, « La vie politique dans les centres urbains du Sénégal : étude d'une période de transition », in Cahiers internationaux de sociologie, XXVII, juillet-décembre 1959, pp. 54 à 84.

[22] P. Mercier, op. cit., p. 75.

[23] En 1956, le taux de scolarisation, par rapport à la population scolarisable n'était encore que de 4,47 % (cf. P.F. Gonidec, « L'évolution du syndicalisme en Afrique noire », p. 169, Penant, avril 1962). Le prestige du « lettré », de « l'évolué » se trouve redoublé face à la grande masse non scolarisée.

[24] P. Fougeyrollas, « La question des classes sociales dans les sociétés africaines » in Connaissance du Tiers-Monde, Cahier Jussieu, Paris VII, p. 30.

[25] Un exemple : 1948 : Sénégal-Mauritanie 99 100; Côte-d'Ivoire 80 200; Guinée 44 100. Pinaville, p. 361, « Le travail en Afrique noire », Présence Africaine, Paris, 1952.

[26] Cf. Georges Balandier, « Dynamisme du traditionalisme et de la modernité », pp. 346-357, in P. Birnbaum, Sociologie politique, tome 2, Armand Colin.

[27] Au cours de l'année 1954, on a noté une augmentation sensible des scolarisés et des diplômés. Et c'est au cours de cette même année que se sont produites les premières réactions organisées des ouvriers européens contre l'engagement d'ouvriers sénégalais de même qualification.

[28] Les noms les plus en vue de l'époque sont ceux de Abdoulaye Ly, Assame Seck, Thierno Ba, A. Mocktar M'Bow, Latyr Camara, Abasse Gueye, Bassirou Gueye, D. Soulimah, tous des éléments de la jeune génération d'intellectuels. On pourra se reporter à J.-L. Seurin, « Elites sociales et partis politiques d'A.O.F. », in Annales africaines, p. 147, Faculté de Droit et de Sciences économiques de Dakar, 1958.