© Peuples Noirs Peuples Africains no. 38 (1984) 1-4



A QUOI BON L'UNESCO ?
A QUOI SERT LA GAUCHE FRANÇAISE ?

P.N.-P.A.

Pour nous dominer si longtemps, il faut bien que l'impérialisme possède l'arme absolue de la domination, ou du moins une arme qui s'est révélée jusqu'ici imparable. Contrairement à ce que l'on pense, ce n'est ni le tonnerre des canonnières, ni le poignard des agents des services secrets, ni l'or de la corruption. C'est tout bêtement la mystification, qui consiste, par exemple, à nous persuader que deux et deux ne font pas quatre et que M. Mahtar M'Bow, directeur général de l'Unesco, est un grand homme, un héros, un combattant intrépide des lumières.

Vous êtes instituteur dans une école de village en Afrique, ou même professeur dans le lycée d'une capitale africaine, Dakar, Abidjan, Libreville, Bangui... Vous manquez de livres pour initier les jeunes à la littérature, à l'art, à l'histoire de leurs peuples. Vous êtes écrivain ou journaliste chassé de votre pays par la fantaisie d'un dictateur charismatique et réfugié dans une capitale occidentale, Paris, Londres, Bruxelles, Washington; vous vous êtes assigné pour mission de dénoncer les plaisantes fantaisies de « votre » président, comme dirait l'ineffable Cornevin, mais les autorités de cette accueillante démocratie ne cessent de vous harceler de tracasseries aussi mesquines que révoltantes. Etc.

Or vous apprenez un beau jour que M. Mahtar M'Bow et son Unesco ont disparu, pfuit ! Les nations anglo-saxonnes, les plus riches bailleurs de fonds de l'Unesco, ayant décrété, de guerre lasse, qu'il fallait arrêter les [PAGE 2] frais, que ça suffisait comme ça, qu'on les avait trop longtemps roulées dans la farine, qu'il ne faut quand même pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages. Qu'est-ce que cela changerait à votre pitoyable existence ? Rigoureusement rien. Et pour cause.

M. Mahtar M'Bow qui devait avoir pour tâche de combattre l'obscurantisme et de protéger les chevaliers de l'intelligence, n'a jamais levé le petit doigt devant la tyrannie linguistique des croisés de la francophonie, par exemple; il n'a pas sourcillé devant la délirante censure des Républiques africaines; il n'a jamais rien fait pour favoriser la diffusion du livre en Afrique francophone, y encourageant ainsi l'extension de l'analphabétisme par son abstention criminelle. Où avez-vous jamais entendu dire que M. Mahtar M'Bow ait protesté contre la mise en quarantaine sinon l'arrestation et la détention d'intellectuels, d'écrivains et de journalistes au Gabon, en Centrafrique, au Cameroun, au Togo ?

Si M. Mahtar M'Bow fit jamais preuve d'audace, ce fut pour protéger un « journaliste » occidental, arrêté en Zambie où il était très justement soupçonné de se livrer à l'espionnage au profit d'une capitale néo-colonialiste – Paris, pour être exact[1].

Alors pourquoi vouloir nous mobiliser en faveur de M. Mahtar M'Bow dans la folle querelle qui l'oppose aux Américains ? D'autant que, pour une fois, les Américains et les autres Occidentaux (à l'exception de la France), ont entièrement raison. Nous sommes d'autant plus à l'aise pour le proclamer que personne ne peut nous soupçonner de complaisance à l'égard de l'impérialisme de Washington.

Que prétendent en effet nous faire accroire M. Mahtar M'Bow et son staff de conseillers francophones, Hervé Bourges en tête ? Que si l'information va mal en Afrique francophone, par exemple, c'est la faute des agences de presse anglo-saxonnes. Celles-ci, nous affirme-t-on, donnent une image haïssable de l'Afrique. Comment ? Par le mensonge et par l'omission, certes, mais aussi, comme l'explique Hervé Bourges dans son livre Décoloniser l'information, en révélant des vérités qui devraient être tues, [PAGE 3] selon l'adage petit-bourgeois qui veut que toute vérité ne soit pas bonne à dire.

Les Africains savent où cette morale a conduit la communication sur le continent noir, et en Afrique dite francophone en particulier. C'est bien simple, il n'y a pas du tout de communication en Afrique « francophone », et les agences de presse anglo-saxonnes n'y sont pour rien. A qui la faute si les agences de presse nationales dans ces pays s'abstiennent d'exposer dans quelles conditions les dictateurs s'octroient 99,99% des voix aux élections qu'ils organisent ? A qui la faute si les agences de presse locales omettent de révéler aux populations les quantités de pétrole extraites par Elf-Erap ? A qui la faute si la corruption des dirigeants politiques est inconnue des populations ? La faute aux agences de presse anglo-saxonnes ? A d'autres !

M. Mahtar M'Bow et son Unescopinage, comme dit un journal satirique paraissant le mercredi à Paris, peuvent disparaître, ce n'est pas nous qui verserons le moindre pleur sur cet événement. Sauf pour ses directeurs généraux, sous-généraux, infra-généraux, para-généraux et pour leurs camarillas respectives, il doit être clair aux yeux des intellectuels et des hommes de culture africains que l'Unesco ne sert à rien.

C'est exactement comme la gauche française. Encore une idole qu'il sera bientôt urgent de précipiter de son piédestal. Quand les cinq années de cette législature auraient uniquement facilité la démystification de la gauche française, nous ne manquerions pas de raisons de nous en féliciter. Les candidats aux trônes africains, en s'engouffrant dans la brèche imaginaire du 10 mai 1981, avec l'espoir de se faire reconnaître sinon introniser par les nouveaux maîtres de Paris, ont surtout montré qu'ils étaient des enfants de chœur en politique et qu'il leur faudrait encore un long apprentissage avant de devenir opérationnels.

La gauche devait théoriquement substituer à la frénésie interventionniste de Giscard de nouveaux rapports fondés sur le respect de nos souverainetés; la voici ensablée au Tchad, prise au piège que Giscard, lui, sut éviter au Shaba. La gauche avait pris l'engagement solennel de se faire l'artisan des réconciliations au lieu d'attiser les querelles régionales en poursuivant inconsidérément la [PAGE 4] vente des armes; la voici sournoisement alliée à l'Irak contre l'Iran, aux chrétiens libanais contre les Druzzes et les Chiites.

En France même, elle devait instaurer un grand service national de l'Education publique; elle en est à souhaiter timidement avec les fanatiques du confessionnalisme un compromis à l'évocation duquel ces derniers font déjà la fine bouche.

A quoi sert donc la gauche ? se demande manifestement l'électeur français qui, à chaque consultation, ne laisse pas d'infliger un camouflet humiliant aux triomphateurs de mai 1981. Bien imprudent qui, aujourd'hui, hésiterait à parier sur le retour d'une majorité de droite à l'Assemblée nationale lors des élections de 1986. Que la gauche soit donc bientôt renvoyée à ses chères études. Au moins les militants africains sauront désormais à quoi s'en tenir sur son discours démagogique.

P.N.-P.A.


[1] Voir Peuples noirs-Peuples africains, no 18 (novembre-décembre 1980).