© Peuples Noirs Peuples Africains no. 35 (1983) 91-102



DES ECRANS
A LA RECHERCHE D'UNE MEMOIRE
(DES CULTURES A LA RECHERCHE D'UN MIROIR)

1er Festival panafricain de Cinéma de Ouagadougou (5-13 février 1983)

Pierre HAFFNER

Puisque l'on s'accorde à tenir Afrique-sur-Seine (Sénégal, 1955) pour le point de départ du cinéma négro-africain, ce cinéma a aujourd'hui plus d'un quart de siècle, un âge qui, pour toute grande cinématographie, compte énormément : en un quart de siècle le cinéma américain a entièrement fait peau neuve, le cinéma anglais a presque disparu des écrans, plus ou moins phagocyté par le cinéma américain, les jeunes cinéastes allemands ont montré que dans le pays de Lang ou de Murnau une renaissance était possible, le cinéma suisse s'est imposé, le cinéma canadien a subi des fortunes diverses... Pendant ce temps, progressivement, l'on s'est mis à parler du cinéma algérien, du cinéma indien, du cinéma turc, des cinémas latino-américains, oubliant que la plupart de ces derniers étaient déjà des cinémas bien anciens et que seule notre ignorance (ou, selon un autre point de vue, l'impérialisme hollywoodien) pouvait nous faire croire que les images de nos écrans les plus familiers – cinéma et télévision – étaient les plus intéressantes.

Et que s'est-il passé pendant ces vingt-cinq ans pour le cinéma africain ? On peut aligner des chiffres plus ou [PAGE 92] moins précis, cent longs métrages, deux ou trois cents courts métrages, uniquement pour l'Afrique francophone, on peut citer des noms plus ou moins connus, une centaine, connus soit des Africains, soit des africanistes, soit des cinéphiles particulièrement attentifs aux jeunes cinémas – Sembène Ousmane, Med Hondo, Souleymane Cissé, actuellement les leaders incontestés de ce cinéma, Safi Faye, Dikongue-Pipa, Richard de Médeiros, Mustapha Alassane, Issa Traoré, Djibrill Diop-Mambéty... Des œuvres et des noms, c'est important, l'histoire du cinéma les retiendra, mais encore ?

UN COMBAT EXEMPLAIRE

Pour le reste, et nous pensons en particulier au commerce du film en Afrique noire, à la circulation des œuvres des auteurs que nous pouvons citer, à leurs possibilités de travail, à leur liberté d'expression, au présent réel et à l'avenir réel du cinéma africain, pour ce reste nous nous contenterons de renvoyer le lecteur aux traités d'économie africaine, la situation du cinéma n'étant guère différente, pour l'exportation ou pour la commercialisation, de celle de l'arachide ou du caoutchouc, et pour l'importation de celle des automobiles ou des téléviseurs. S'il y a une différence, elle apparaît moins au niveau des faits qu'au niveau de la volonté de lutte des cinéastes africains, volonté qui, à une échelle aussi impressionnante, puisqu'il s'agit d'un immense sous-continent d'une quarantaine de pays, apparaît comme un fait unique dans le tiers-monde.

C'est donc d'abord de cette lutte, peut-être imaginaire, peut-être perdue d'avance, mais il y a vingt ans qu'elle se poursuit, qu'il faut rendre compte lorsqu'une occasion de parler du cinéma africain se présente. Les occasions ne sont pas si nombreuses, la sortie d'un film sur un écran parisien – une demi-douzaine en vingt ans... -, la parution d'un livre – deux ou trois en ce quart de siècle, et diffusés d'une manière confidentielle –, la mort d'un cinéaste important - Oumarou Ganda en janvier 1981, mais qui sait qu'il était un cinéaste important ? –, un succès au festival de Cannes ou d'ailleurs... On n'a, pas oublié la Palme d'Or de « La chronique des années de [PAGE 93] braise » en 1975, mais ce n'était pas l'Afrique noire et l'Afrique noire n'a d'ailleurs guère eu la possibilité de voir cette œuvre; depuis, presque à chaque session, des films sont projetés, on a pu voir à Cannes telle œuvre de Safi Faye, celle de Souleymane Cissé ou de Paulin Vieyra, on a vu l'ex-ministère français de la Coopération tenir un stand du cinéma africain, mais qui a visité ce stand ? Qui fréquente les sections d'information ou de critique où sont passés ces films ? Nous y retrouvons les fanatiques, les inconditionnels, et il semble bien qu'aucune de ces occasions n'ait permis au cinéma négro-africain de sortir de ce qu'il faut bien appeler un ghetto.

Nous ne voyons que deux occasions où l'« effet-ghetto » se trouve déjoué : les Journées Cinématographiques de Carthage (les J.C.C., fondées en 1966) et le Festival Pan-africain de Cinéma de Ouagadougou (le FESPACO, fondé en 1969). Grâce à ces deux festivals, qui ont lieu chacun tous les deux ans et qui, selon leurs accords, alternent, les cinémas africains sont, chaque année, vus largement et publiquement sur les écrans africains : tous les cinémas de Tunis projettent les films des J.C.C., de même que tous les écrans de la capitale de la Haute-Volta projettent les films du FESPACO. En dix jours par an l'aventure africaine du cinéma est pour ainsi dire jouée, c'est Peu, pour ces jeunes cinémas c'est vital, à moins qu'il n'y ait là, plus profondément, un miroir aux alouettes, ainsi qu'a pu le suggérer Med Hondo au terme d'un assez amer constat : « Les cinéastes passent à Carthage, reçoivent des prix extraordinaires, discutent dans mille colloques, et qu'arrive-t-il ? Ils repartent avec leurs copies, la télévision tunisienne ne les projette pas, les salles ne les prennent pas... Alors à quoi nous servent nos festivals si on n'arrive pas à imposer nos films à nos propres Etats ? Faut-il s'arrêter d'aller dans les festivals ? Nous essayons d'imiter les pays avancés sans en avoir les moyens, ce n'est pas sérieux ! »[1]. [PAGE 94]

UNE VOLONTE POLITIQUE

Sans oublier pour autant la position, plus réaliste que pessimiste, du cinéaste mauritanien, nous nous attacherons à évoquer ici ce qui s'est passé au cours de cette huitième session du FESPACO, et rappellerons pour cela d'abord la vocation de ce festival telle qu'elle apparaît dans le préambule de son règlement : « Le Festival panafricain de cinéma de Ouagadougou, FESPACO, créé par décret no 80/276/PRES/INFO du 27 août 1980 et reconnu par la Fédération panafricaine des Cinéastes, a pour buts essentiels : de favoriser la diffusion de toutes les œuvres du Cinéma africain, et partant, d'encourager tous les cinéastes africains par les contacts et les confrontations des œuvres et des idées; de faire connaître les diverses cultures et courants de la civilisation de l'Afrique à travers leurs expressions par l'image animée; de contribuer au développement du Cinéma africain en tant que moyen d'expression et phénomène de culture et d'éducation. »

L'on peut reprendre les thèmes de ce préambule et les confronter à ce que nous avons pu constater « sur le terrain », cette confrontation nous permettra de décider si effectivement le FESPACO est resté fidèle à son esprit. Mais remarquons aussi combien cet esprit, naturellement proche de la vocation des J.C.C[2], est empreint de cette volonté panafricaine que nous retrouvons à toutes les grandes manifestations des cinéastes africains, volonté culturelle, volonté pédagogique d'ensemble, si ferme et si exclusive qu'elle devient volonté politique, en particulier lorsque l'on sait que la FEPACI, à laquelle se réfère le FESPACO, est une fédération reconnue par l'O.U.A. et qu'elle peut y occuper un siège d'observateur. La « Charte d'Alger » adoptée par le Deuxième Congrès de la FEPACI en 1975 est très explicite là-dessus, mais si l'esprit de Ouagadougou est conforme à celui de la FETACI, ajoutons que la réciproque est également vraie, puisque le festival a précédé la création de la FEPACI et que cette dernière apparaît également comme le résultat [PAGE 95] des rencontres qui purent avoir lieu à Tunis ou à Ouagadougou depuis 1966 ou 1969.

Le premier thème est celui de la diffusion de « toutes les œuvres du Cinéma africain », que signifie-t-il exactement ? Le continent africain n'est certes pas un immense producteur de films, mais il y a de fortes chances qu'il en produise, tous les deux ans, plus qu'une dizaine de jours ne peuvent en projeter sur les écrans de la capitale de la Haute-Volta[3]. .. « Toutes les œuvres » désigne donc naturellement les œuvres sélectionnées par une commission, laquelle a retenu cette année vingt titres pour la compétition, dont sept courts ou moyens métrages, réunissant le Maroc, le Mali, le Sénégal, la Guinée, la Haute-Volta, la Tunisie, la Côte-d'Ivoire, le Congo, le Niger, la Centrafrique (un film entièrement réalisé et produit en France), le Soudan et le Zaïre. En section information on a pu voir une dizaine d'œuvres, du Canada, de Chine, d'Autriche, d'U.R.S.S., des Etats-Unis, mais aussi les chefs-d'œuvre de l'Ethiopien Haïlé Gérima, « La rencontre » de Borhane Alaouie, « Un toit une famille » de l'Algérien Rabah Laradji, « Caméra d'Afrique » – un excellent film synthèse sur le cinéma négro-africain – du Tunisien Férid Boughedir et « Money Power » du Nigerian Ola Balogun. Pour être plus précis disons que la plupart de ces pays étaient représentés par un seul film, mais le Sénégal en présenta trois, ainsi que la Haute-Volta et le Niger, exceptions auxquelles il convient d'ajouter la coproduction nigéro-malienne « Le médecin de Gafire et Amok » de Souhel Ben Barka, coproduction entre le Maroc, le Sénégal et la Guinée. Cette quinzaine de pays ne représente certes pas toute l'Afrique, l'Afrique noire anglophone n'était présente que par un film, l'Afrique lusophone entièrement absente, quant à l'Afrique du Nord ou à l'Afrique arabe le choix était pour le moins mince. On conclura donc que « tous les films » signifie d'abord la plupart des films présentés par les pays d'Afrique noire [PAGE 96] francophone, ce qui, de ce point de vue quantitatif, ne correspond pas exactement à l'esprit panafricain évoqué au départ.

REFLEXION SUR LA CULTURE AFRICAINE

Le second thème est celui de la connaissance des « diverses cultures et courants de la civilisation de l'Afrique – par les films et nous conduit à nous interroger sur la valeur culturelle des œuvres présentées. Un jugement à ce niveau ne saurait être que qualitatif et, connaissant les difficultés que rencontrent les cinéastes africains pour faire un film, nous voudrions leur demander de nous excuser si nos affirmations leur paraissent partiales, et d'abord si nous ne pouvons évoquer ici, même brièvement, tous les films projetés à Ouagadougou, étant impossible à un seul festivalier de tout voir. Notre choix a essentiellement porté sur les films d'Afrique noire et, s'agissant de culture, nous pouvons procéder par pays, en commençant par le pays-hôte, la Haute-Volta. Trois longs métrages donc : « Wend Kuuni », « Le don de Dieu », situé nommément au faite de l'empire mossi, en milieu uniquement rural – ce n'est pas un truisme, cet empire avait des centres de plusieurs milliers d'habitants –, tente pour la première fois une telle description, avec une pudeur qui fait honneur à son Jeune réalisateur Gaston Kaboré; « Paweogo », « L'émigrant », de Sanou Kollo, nous raconte une histoire africaine connue, celle de l'attirance de la ville, histoire banale dans les cinémas du tiers-monde et dont l'apport culturel est ici très secondaire; « Le courage des autres » enfin, production voltaïque réalisée par un cinéaste français, Christian Richard, est un film historique lui aussi, centré sur l'esclavage, mais les partis pris esthétiques – suppression de dialogues, recours à des symboles, gestuelle inspirée des westerns – nous paraissent davantage montrer une Afrique mythique qu'une Afrique réelle, et culturellement nous rejoignons ce que Rouch appelait l'Afrique exotique[4]. [PAGE 97] Le Sénégal, avec « Jom » de Babacar Sam-Makharam, présenta un véritable film d'histoire et de civilisation, peut-être unique dans la cinématographie africaine, car ce film historique – « Jom » évoque trois époques différentes de l'histoire du Sénégal – est bâti autour d'une valeur, le « jom », l'honneur, affirmée comme un trait essentiel de la culture des Ouolofs; la réussite de Samb est totale. Comme en négatif de ce film, c'est-à-dire ne décrivant plus ce qui constitue une société mais ce qui la détruit, le court métrage de Moussa Bathily, « Le certificat d'indigence », stigmatise le manque de conscience professionnelle des responsables de la santé et de l'administration du Dakar contemporain. Le court métrage de Paulin Vieyra enfin, « Birago Diop », est un portrait du vétérinaire-conteur, précieux dans la mesure où il nous rappelle que les cinéastes doivent se charger de transmettre à la postérité les personnalités des écrivains africains, figures importantes de la nouvelle culture africaine. Le Mali, avec « Finye », « Le vent », de Souleymane Cissé, s'il interroge d'abord sur le présent – la révolte des lycéens et le mécanisme de la répression militaire – ne sépare pas cette interrogation d'une méditation sur le passé, en particulier sur ce qu'on appelle encore le « fétichisme », et propose une morale, une exhortation à la lutte et à la recherche de solutions nouvelles, contestant fondamentalement le recours aux valeurs de certaines traditions africaines. Le film nigéro-malien, « Le médecin de Gafire » de Moustapha Diop, procède de la même « idéologie » : un médecin sorti des universités se heurte aux agissements d'un « féticheur », il décide de s'initier à sa science, il y parvient et le féticheur en meurt – l'ancien doit faire place au nouveau. Le Niger, avec « Kankamba » de Moustapha Massane et « Aube noire » de Djingarey Maïga, ne met guère en jeu la « civilisation africaine », en ce sens que l'anecdote – les tracasseries du mariage, la corruption de fonctionnaires pour protéger un chauffard – ne conduit pas ici à des « questions essentielles »; Si « les cavaliers... » de Bakabé Mahamané est plus ambitieux et se veut film historique – une révolte au début du siècle contre les tirailleurs « sénégalais » de l'occupant français –, mais le travail proprement historique parait si superficiel que le résultat n'est qu'un film d'action plus ou moins adroit.[PAGE 98]

La Guinée, rarement présente dans un festival avec un film de fiction, a projeté « Naitou » de Moussa Diakité - l'histoire d'une sorte de Cendrillon, entièrement chantée, dansée et mimée – qui, à l'évidence, ne parle que de la perfection des ballets guinéens et ne renvoie qu'à l'impossibilité de dire quoi que ce soit de la Guinée, passée ou actuelle... La Côte-d'Ivoire, avec « Dalokan » de Moussa Dosso – les difficultés d'une jeune femme à trouver et à garder un mari –, ne nous dit pas davantage sur elle, ni sur l'Afrique d'avant ni sur ce que l'Afrique est en train de devenir. Le Nigeria nous laissa entrevoir – le film n'a jamais été projeté complètement – « Money Power » de Ola Balogun, film-feuilleton, comédie de mœurs mêlant le social, le politique, le sentimental selon des recettes que son auteur expérimente progressivement, cherchant d'abord à faire œuvre de divertissement plus que de réflexion. La République centrafricaine apparaît avec « Zo kwe zo » de Joseph Akouissone, « Un homme est un homme » – titre bizarre si on l'applique à Bokassa, au centre de cette histoire -; on peut comparer ce film à celui de Vieyra, comme lui il annonce des « séries » qui devraient, peut-être par commandes de télévisions nationales interposées, constituer petit à petit une mémoire audiovisuelle de l'Afrique contemporaine. Le Congo, avec « Les lutteurs » de Jean-Michel Tchissoukou, présente un film culturellement à peu près nul lorsque l'on cherche, comme on la trouve chez un Samb, une réflexion approfondie sur l'histoire. Le Zaïre enfin, avec « Kin-kiesse » de Ngangura Mweze, présente un documentaire sur toutes les formes de petites fêtes qui peuvent naître dans Kinshasa; il est certain que ces fêtes nous apprennent plus sur la manière dont une ville africaine se survit à elle-même que des ballets parfaitement réglés.

L'on voit de quelle manière, à travers ces films, s'articule le second thème et quelle poignée d'œuvres abonde dans le sens de la vocation du FESPACO. Faut-il être plus exigeant ? Ce n'est pas le lieu d'en décider, nous pouvons cependant dire que, par rapport à une réflexion sur les cultures africaines, ce FESPACO est l'un des plus riches. Le troisième thème est celui du « développement du cinéma africain en tant que moyen d'expression et phénomène de culture et d'éducation ». Le Festival, comme manifestation publique, enclenche bien un processus de [PAGE 99] développement -. pendant dix jours Ouagadougou ne paraît vivre qu'à l'heure du festival, il fait lever un couvre-feu qui se retrouvera en place aussitôt les festivaliers rentrés; la radio, la télévision, toute la presse est occupée par des informations concernant les films, les cinéastes, leurs problèmes. Mais ce n'est ici qu'un aspect et proprement une parenthèse, le désintérêt total du publie devant de nombreuses œuvres, en particulier devant les films arabes ou « La moisson des 3 000 ans », ainsi que de nombreuses remarques de spectateurs, nous incitent à penser que l'on n'est pas mécontent de retrouver les films « normaux », c'est-à-dire les films de genre, les films de karaté les films hindous, etc. La véritable contribution au développement du cinéma africain nous paraît être le séminaire que le FESPACO abrite « rituellement » et qui, cette année, avait pour sujet « le film africain et son public ». Ce séminaire dura un jour et demi en fin de festival et était placé sous l'égide de l'UNESCO, représenté en particulier par les professeurs Enrico Fulchignoni et Victor Bachy.

La méthode utilisée était celle de l'exposé suivi d'un débat, huit exposés étaient prévus, puis un bureau fut chargé d'établir un rapport final. Les principaux titres étaient : « Le cinéaste africain à la conquête de son public » par Med Hondo, « La production de films de qualité en Afrique, par Moussa Bathily, « Le marché du film africain et sa rentabilisation » par Inoussa Ousseini, « Le rôle du critique et de l'historien africain dans le processus de développement de la production cinématographique » par Paulin Vieyra, « Le rôle de la presse et de la publicité dans la préparation du public à l'accueil du film africain » par Férid Boughedir, « La psychologie du spectateur » par Régine Yoda, et un exposé improvisé mais fort brillant du producteur marocain Nourdine Saïl sur la production et la diffusion du film africain face à la concurrence euro-américaine. Le sujet le plus souvent abordé était celui de la distribution des films, bien qu'on eût remarqué dès le départ que de nombreux colloques, et récemment celui de Niamey, l'avaient traité et qu'on semblait avoir tout mis en œuvre pour que cette circulation se généralise enfin[5]. On discuta tout de même de ce [PAGE 100] qui nous parut essentiel, c'est-à-dire des conditions à rassembler pour créer des œuvres susceptibles de rivaIiser avec les produits habituellement commercialisés. On évoqua la nécessité de créer un institut africain du cinéma, où les films seraient étudiés, car, ainsi que le souligne le rapport final : « Le problème le plus grave est le constat de l'énorme sous-information qui règne entre les différents partenaires concernés. Faute de connaître les œuvres de leurs confrères, certains cinéastes aujourd'hui encore repartent de zéro en réitérant des expériences malheureuses tant au niveau du scénario, de la réalisation, que de la diffusion de l'œuvre. Il s'agit donc de faire l'économie des erreurs déjà faites en créant un centre interafricain permanent d'information, d'archivage, de conservation et de recherche concernant le cinéma et l'audiovisuel »[6].

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Avec un tel centre, avec une revue sous la responsabilité des membres de la FEPACI, souhait exprimé lors du colloque de 1979 sur « Le rôle des critiques dans le cinéma africain » et réitéré cette année, le cinéma africain trouvera sans doute sa mémoire. Un festival de cinéma est très largement un rituel, et l'on connaît la part des automatismes dans un acte ritualisé, mais à Ouagadougou on [PAGE 101] a souvent le sentiment que c'est un premier festival; quelques visages mis à part, les figures des cinéastes changent et il est vrai que de nombreuses œuvres paraissent méconnaître les acquis de l'histoire. Après vingt ans de films et de « palabres » Sembène Ousmane, Paulin Vieyra, Med Hondo, Désiré Ecaré, Lionel N'Gakane paraissent encore étonnamment jeunes lorsqu'ils discutent jusqu'aux premières heures autour de la piscine du Silmande, le nouvel hôtel mis à la disposition des festivaliers, mais ont-ils véritablement des échanges avec les jeunes ? Les jeunes cherchent-ils à discuter avec eux ? A approfondir leurs travaux ? Il reste encore un long chemin à parcourir pour que l'Afrique non seulement voie ce qu'elle réalise, mais pour qu'elle réunisse les conditions où ces réalisations puissent être étudiées et rendre ainsi possibles de nouveaux pas en avant. Sur ce chemin Ouagadougou reste une étape importante, d'autant que le ministre voltaïque de l'information a proposé, lors de la remise des prix, de recevoir le prochain congrès de la FEPACI, congrès très attendu puisque le précédent remonte à huit ans. On décidera peut-être à ce moment-là si le combat est désespérément douteux; en attendant le FESPACO nous a donné quelques films qui sauront rappeler qu'il reste, en Afrique, quelques fanatiques du septième Art, c'est-à-dire de la liberté d'expression.

Pierre HAFFNER[*]

PALMARES

Grand Prix (1000 000 F CFA) : « Finye », de Souleymane Cissé (Mali).

Prix du meilleur court métrage (500 000 F CFA) : « Le certificat d'indigence », de Moussa Bathily (Sénégal).

Prix spécial du Jury (300 000 F CFA) : « Wend Kuuni », de Gaston Kaboré (Haute-Volta).

Prix de la meilleure interprétation masculine (250 000 F CFA); Mohamed Abachi dans « Le coiffeur du quartier des pauvres » (Maroc). [PAGE 102]

Prix de la meilleure interprétation féminine (250 MO F CFA) Rosine Yanogo dans « Wend Kuuni ».

Prix de la meilleure image (mention) Zo kwe zo », de Joseph Akouissone (Centrafrique).

Prix de la caméra d'or (250 000 F CFA) : Issaka Thiombiano et Sékou Ouédraogo pour « Wend Kuuni »,

Prix de la manivelle d'or (250 000 F CFA) : « Vombre de la terre », de Taïeb Louhichi (Tunisie).

Prix du meilleur scénario (250 000 F CFA) : id.

Prix Oumarou Ganda (300 000 F CFA) : « Paweogo », de Sanou Kollo (Haute-Volta).

Prix de l'Agence de Coopération Culturelle et Technique (4 000 000 F CFA) : « Caméra d'Afrique », de Férid Boughedir (Tunisie).

Prix de l'UNESCO pour le documentaire a Zo kwe zo ».

Prix de l'UNESCO pour la long métrage « Naïtou », de Moussa Diakité (Guinée).

Prix de l'Office Catholique International du Cinéma (5 000W F CFA) : « Wend Kuuni ».

Prix de l'O.C.I.C. pour le court métrage (100 000 F CFA) : « Le certificat d'indigence ».

Première mention : « Jom », de Babacar Samb-Makharam (Sénégal).

Seconde mention : « L'ombre de la terre ».

Prix de la Presse africaine (honorifique) : « Traversées », de Mahmoud Ben Mahmoud (Tunisie).


[1] Intervention du 11 février retranscrite du magnétophome. Med Hondo est actuellement le coordinateur du Comité Africain de Cinéastes (C.A.C.), association alternative pour la défense et la promotion du film africain, sorte de coopérative de cinéastes (lui traitent eux-mêmes, directement, avec les distributeurs. Adresse : Soleil 0, 72, rue Philippe-de- Girard, 75018 Paris.

[2] Cf. notre article « Le Nord et le Sud sur les J.C.C. de 1980 ». in Le mois en Afrique, no182-183, février 1981.

[3] La Haute-Volta compte douze salles de cinéma gérées Par la Société nationale voitaïque de Cinéma, dont quatre à Ouagadougou : le Volta (530 places), le Oubri (2 250 places), le Riale (2 000 places) et le Goughin (1020 places); pour la présente session, le public put également voir des films à la Maison du Peuple 3 000 places), au Centre culturel français (300 places) et dans la luxueuse salle de la C.E.A.O. (1000 places).

[4] Cf. « Situation et tendances du cinéma en Afrique » de Jean Rouch, appendice au Catalogue des films ethnographiques sur l'Afrique noire, UNESCO, 1967.

[5] Rappelons que le Consortium interafricain de distribution cinématographique (C.I.D.C.), projet déjà ratifié lors de la Conférence des chefs d'Etats et de gouvernements de l'O.CA.M. à Port-Louis et créé en août 1974 à Bangui, fonctionne réellement depuis la précédente session du FESPACO, dont il est en un sens une émulation. Il paraît actuellement difficile de connaître la situation exacte du C.I.D.C., de nombreux cinéastes africains semblent mécontents de ses services.

[6] Ouagadougou possède depuis 1977 un Institut africain d'études cinématographiques (INAFEC), qui a une vocation d'école interafricaine, mais c'est d'abord une école voltaïque, intégrée à l'Université, qui forme des cinéastes et des animateurs culturels voltaïques. De fortes carences et un budget dérisoire ne permettent pas d'espérer que cet institut devienne un centre interafricain d'études cinématographiques important. Rappelons aussi l'existence, à Ouagadougou, depuis 1981, de la Société africaine de cinéma (CINAFRIC), studios privés, à l'origine des productions présentées par la Haute-Volta au cours de cette session.

[*] Maitre-Assistant à l'Université des Sciences humaines de Strasbourg, auteur de Essai sur les fondements du cinéma africain, et de Palabres sur le cinématographe (diffusion : L'Harmattan).