© Peuples Noirs Peuples Africains no. 34 (1983) 18-52
(1982-1983)
LES TITRES DE LA PRESSE INTERNATIONALE
Max LINIGER-GOUMAZ Un premier essai de ce type après le remplacement du dictateur Macias Nguema par son neveu Obiang Nguema, suite à une révolte de palais, en 1979 démontrait par la seule vertu des titres de la presse internationale la permanence du pouvoir autocratique de la famille des Nguema du bourg de Mongomo[1]. Du même coup apparaissait le rôle important de la presse; au fil des semaines, elle fournit des orientations qui dépassent le simple quotidien pour tracer, en filigrane, les tendances profondes du long terme.
Le précédent essai d'histoire immédiate avait permis de tirer les leçons suivantes de trois ans de dictature post-Macias Nguema :
« Le régime Macias Nguema n'est pas mort et perdure à travers Obiang Nguema et ses acolytes, pratiquement tous à des places de responsabilité depuis de nombreuses années. [PAGE 19]
La situation interne de la Guinée Equatoriale continue à se dégrader en dépit des aides diverses et ouvre au pays la perspective d'un nouveau chaos.
La dictature tribale et militaire de Obiang Nguema et de ses cousins ne reste en place que parce qu'elle fait le jeu des intérêts néo-coloniaux de certaines puissances occidentales après que la dictature civile/militaire de Macias Nguema ait répondu aux intérêts néo-coloniaux du monde soviétique.
Après avoir promis de changer la Guinée Equatoriale en un an, les neveux et émules de Macias Nguema évoquent depuis 1981 un terme de cinq ans, Si l'Espagne ou la France veulent bien les prendre en charge. La reconstruction nationale, en collaboration avec ces deux démocraties occidentales, n'est toutefois pas compatible avec le retour à un régime démocratique.
Le peuple équato-guinéen ( ... ) continue dans cet espoir lointain, à souffrir de nombreuses privations de libertés et de privations matérielles; il est, de plus, rendu fragile, en raison du fait que les élites survivantes sont pratiquement toutes dans la diaspora, qui représente le tiers de la population totale.
Le silence onusien, tout comme le silence vatican, le silence yankee, le silence soviétique, le silence chinois, l'ex-silence giscardien, le silence Mitterrand, tous ces silences se traduisent par l'absence dans la presse internationale de leur désapprobation des violations des droits de l'homme et de la démocratie en Guinée Equatoriale.
Nous allons tenter ici une nouvelle expérience, qui porte sur toute l'année 1982 et le début de 1983. Le but de cet exercice n'est pas de démontrer l'affligeante véracité de nos pronostics. Il s'agit plutôt de vérifier si l'étape 1982-1983 est véritablement l'année charnière dans les relations internationales de la Guinée Equatoriale que laissait deviner la présentation antérieure.
Avant d'énumérer chronologiquement les titres qui cernent le mieux chaque situation, voici d'abord la liste des périodiques et organismes porteurs des messages les plus significatifs pour la période considérée : [PAGE 20]
Périodiques
ABC, Madrid Organismes
Agence France Presse, Paris Sur les quarante-trois périodiques (de vingt-deux villes et de quinze pays différents) qui ont fait l'information sur la Guinée Equatoriale en 1982-1983, treize sont espagnols. Cela confirme le fait que présentement encore on a intérêt à passer par Madrid pour suivre les événements de l'ex-colonie espagnole. Mais nous verrons plus bas qu'il en sera peut-être autrement dans un avenir proche, compte tenu des pressions francophiles. Voici les titres significatifs retenus :
Janvier 1982
Février 1982
Mars 1982
Avril 1982
Mai 1982
Juin 1982
Juillet 1982
Août 1982
Septembre 1982
Octobre 1982
Novembre 1982
Décembre 1982
Janvier 1983
Février 1983
Mars 1983
Les 122 titres pour 1982-1983 énumérés ci-dessus[13] suivent les 250 autres titres qui ont permis l'analyse de la [PAGE 35] période 1979 à début 1982. Voyons alors ce que révèlent les médias sur la quatrième année de la carrière du second dictateur nguemiste.
La grande illusion (suite)
Après le renversement du dictateur Macias Nguema par ses neveux et cousins, début août 1979, l'opinion internationale voire les Equato-Guinéens eux-mêmes se sont laissés éblouir un instant par le miroir aux alouettes nguemiste. Subtilement, les conseillers espagnols d'Obiang Nguema, avec la bénédiction des Etats-Unis et de la France, ont inventé pour le nouveau dictateur le slogan de « Coup de la liberté ». Et l'on y croyait d'autant plus volontiers que les accords militaires et de pêche avec l'Union soviétique étaient rapidement résiliés par un Conseil Militaire Suprême composé largement de centurions de Macias Nguema (dont de nombreux avaient pourtant été formés en U.R.S.S.). Simultanément, l'assistance technique cubaine déjà réduite en 1976 par les Cubains eux-mêmes, fortement désillusionnés par le socialisme verbeux des fascistes de Mongomo tombait à zéro. La Guinée Equatoriale, malgré la persistance d'une aide de la Chine populaire, avec quelque 400 techniciens, semblait avoir repris le chemin raisonnable de la collaboration avec l'ouest.
Pourtant, dès janvier 1982, se multiplient les signes de la continuation du chaos nguemiste : cadres fuyant le pays (dont le Secrétaire d'Etat à l'Information et au Tourisme, S. Moto Nsa); valise diplomatique espagnole violée au ministère des Affaires étrangères de Santa Isabel (par un garde d'Obiang Nguema, ex-milicien de la Juventud en marcha con Macias), sous le regard complaisant du nguemiste passionné Pedro Nsue Ela Eyang, directeur des Affaires européennes. Loin de sévir contre l'Esangui Nsue Ela Eyang, suite aux protestations espagnoles, Obiang Nguema le prend avec lui à la Conférence des pays donateurs organisée à Genève par le P.N.U.D., et en octobre 1982 il le propulse directeur général des Affaires consulaires et culturelles du même ministère. Pendant ce temps, la presse anglo-saxonne, en particulier, continue à démontrer que les hommes de Mongomo abusent [PAGE 36] toujours du pouvoir et qu'en Guinée Equatoriale plane encore le fantôme de Macias Nguema.
Il suffit, début mai 1982, du voyage à Madrid du deuxième vice-président de la République et ministre de la Santé, Seriche Bioko (un nguémiste de la première heure, qui sera Premier ministre en octobre 1982) pour qu'une commission mixte hispano-équato-guinéenne tente de stimuler la coopération entre les deux pays. Ce devait être un échec, et Seriche Bioko (un militaire, évidemment), de quitter l'Espagne en faisant un scandale à l'aéroport par son refus de s'acquitter du prix de ses bagages en excédent; qu'à cela ne tienne, le ministère espagnol des Affaires étrangères, pour éviter des vagues, régla la note. Une semaine plus tard, Obiang Nguema en personne était reçu à déjeuner par le roi, à Madrid. Suit alors une série de douches écossaises où la coopération semble tantôt progresser, tantôt souffrir des réductions. L'Espagne émit le vœu pour éviter que ne se reproduise la fuite de millions de pesetas dans son ex-colonie que des conseillers espagnols opérationnels fussent placés dans les ministères stratégiques (Finances, Commerce, Budget). Santa Isabel refusa, arguant de l'honneur national, alors qu'il s'agissait de ne pas faire tarir une des principales sources de revenus des rapaces nguémistes. Sans pressentir que le vent allait bientôt tourner, la diplomatie espagnole signale quelques accords de coopération, portant surtout sur le statut juridique des coopérants. Pourtant, à la même époque, la presse de la péninsule faisait état des risques de nouvelles fuites de fonds, et relatait le mitraillage d'un avion de la coopération espagnole par un officier équato-guinéen, à Bata. En avril 1982, à l'occasion de la Conférence des pays donateurs, l'Espagne était fière d'affirmer qu'elle maintenait son aide à la Guinée Equatoriale, et se flattait même de fournir 10 % des 90 Mo de $ décrochés par le régime nguémiste.
La gauche espagnole eut beau s'opposer aux crédits d'aide à la Guinée Equatoriale, début mai, aux Cortès et El Pais recommander la « prudence avec la Guinée Equatoriale », rien n'y fit. Il suffit qu'Obiang Nguema assurât le Premier ministre Calvo Sotelo de la préférence que son pays continuait à accorder aux relations avec l'ex-métropole, et voici le gouvernement espagnol pris [PAGE 37] d'une nouvelle frénésie, et décidé à favoriser les investissements au pays des héritiers de Macias Nguema. Il est vrai que la plupart des investisseurs relevaient de l'U.C.D.
Durant l'été 1982, on assista à la multiplication d'informations sur l'intensification des relations économiques de l'Italie, de la France et du Cameroun avec Santa Isabel. Et tandis que La Nueva España signalait que l'aide espagnole ne servait qu'à renforcer la dictature, Obiang Nguema, après une visite au Vatican, déjeunait le 24 septembre 1982 à I'Elysée. Le président Mitterrand assura son visiteur de la volonté de la France socialiste d'intensifier ses relations avec son pays. Puis, à son passage inévitable à Madrid (Obiang Nguema se déplace dans un avion de l'Armée de l'Air espagnole), il entendit Calvo Sotelo l'assurer de la priorité accordée par l'Espagne à l'assistance à la Guinée Equatoriale.
C'est le 4 octobre 1982 que West Africa, à Londres, brisa pour la première fois les illusions ibériques, en montrant qu'« Obiang joue Paris contre Madrid ». Curieusement, tout l'automne 1982 la presse espagnole fait pratiquement silence, le temps de se réveiller vers Noël en se rendant compte qu'une nouvelle fois la diplomatie espagnole avait perdu la partie : « La Guinée Equatoriale s'apprête à joindre l'Afrique francophone », avoue alors abruptement El País, le 21 décembre.
Mais les illusions sont aussi du côté de la France qui n'a pas encore digéré le fait d'avoir dû laisser le Rio Muni et Fernando Poo à l'Espagne, au Traité de Paris, en 1900. Avec ses alliés de l'U.D.E.A.C., elle imagine que la Guinée Equatoriale de la dictature nguémiste servira à renforcer sa position en Afrique centrale : pétrole oblige. Et puis, cette enclave hispanophone au creux du Golfe du Biafra énerve la France, qu'elle soit giscardienne ou socialiste. Mais qu'on y prenne garde; le voyage du vice-président du Nigeria, M. Ekwueme laisse penser que, malgré l'ineptie de la diplomatie espagnole[14], la France ne sera pas seule dans la région. En octobre 1982, le Nigeria a inauguré son consulat de Bata.
Parmi ceux qui cultivent les grandes illusions, le Vatican [PAGE 38] n'est pas en reste. Non seulement ses serviteurs ont contribué à aider à l'élimination d'un des héros de l'indépendance de la Guinée Equatoriale, Acacio Mañe[15], au bénéfice de l'Etat franquiste; non seulement la presse vaticane a fait silence sur les crimes nguémistes. En février 1982, Jean-Paul II n'a trouvé rien de mieux que d'inclure la Guinée Equatoriale dans son périple en Afrique centrale. Si les chefs musulmans du Nigeria ont fait sentir au Pape qu'ils n'appréciaient pas du tout son circuit de commis voyageur, les nguémistes ont vu dans la visite papale l'occasion de se poser en pouvoir responsable et en fils fidèles de l'Eglise de Rome. Le Monde tentait bien de rappeler le « Sombre souvenir de l'Etat athée », du temps où Obiang Nguema était vice-ministre de la Défense auprès de son oncle Macias Nguema. La presse espagnole fit remarquer combien le Souverain Pontife s'était montré prudent dans ses allocutions, à Santa Isabel et à Bata; pas une seule fois il n'a prononcé l'expression « droits de l'homme ». Puis Jean-Paul Il de s'envoler de Bata, après ce propos insipide : « J'emporte avec moi le sourire de vos enfants », oubliant dans son voyage pastoral de faire référence aux enfants assassinés, sous-alimentés, sous-scolarisés, embrigadés dans des mouvements para-militaires, par les vertus de ses hôtes. Ce service rendu à Obiang Nguema et à ses sbires (en échange, semble-t-il, de la réouverture d'un Séminaire) s'est concrétisé en été 1982 par l'émission par la Banque de Guinée Equatoriale d'une pièce en or à l'effigie du Pape, destinée à souligner l'attachement de la junte à la foi catholique...
Les convoitises
De février à mai 1982, l'Espagne et la Guinée Equatoriale se font une guéguerre économique, en bloquant leurs comptes bancaires et en mettant l'embargo sur leurs navires respectifs. Simultanément court le bruit fallacieux [PAGE 39] de pressions soviétiques sur le gouvernement militaire de Santa Isabel. Camouflés par ces informations pour « Café du commerce » se déroulent de durs marchandages en vue de la prise de contrôle des ressources naturelles de la Guinée Equatoriale. Les hommes de Mongomo se laissent ballotter au gré de leurs intérêts, au détriment de l'intérêt national. Début mai, alors que piétinent les négociations économiques hispano-équato-nguémistes, une délégation de Guinée Equatoriale se rend au Gabon voisin pour des entretiens dans le domaine pétrolier. Faut-il rappeler qu'en 1972 le Gabon a attaqué la Guinée Equatoriale et occupé militairement, sous la conduite du président Bongo, divers îlots dans la région de l'estuaire du Muni (qui ne sont toujours pas restitués en 1983), dans une zone riche en pétrole ? Depuis lors, les autorités gabonaises prétendent, suite à on ne sait quels accords conclus avec Macias Nguema, voire son héritier (ni l'un ni l'autre, ne sont qualifiés pour cela), jouir d'un droit sur le potentiel pétrolier de la Guinée Equatoriale.
Autre pays intéressé par la Guinée Equatoriale : le Maroc. Obiang Nguema bénéficie d'une garde prétorienne marocaine de 600 hommes, au même titre que les présidents Bongo et Mobutu, qui doivent eux aussi craindre les foudres populaires. Ces mercenaires font escorte à Obiang Nguema lors du moindre de ses déplacements. Quel est le prix de cette sollicitude chérifienne ? C'est le vote pro-marocain de la Guinée Equatoriale, à l'O.U.A. et à l'O.N.U., dans toutes les affaires portant sur le Sahara occidental (contrairement aux options pro-Sahraoui de Macias Nguema). Mais le Maroc escompte davantage. D'où les nouvelles sur le renforcement de la coopération économique entre les deux pays, dès avril 1982. Peut-être s'intéresse-t-il également au pétrole équato-guinéen, et à travers lui certaines compagnies américaines ?
Courant avril 1982, des bruits contradictoires coururent à propos des ressources pétrolières de la Guinée Equatoriale. Alors que le 28 avril on annonçait pour août la tenue d'enchères en vue de l'attribution des droits d'exploitation insistant sur la qualité excellente du pétrole découvert le 30 avril, on prédit la délimitation des puits fin 1982 seulement. De plus, on soulignait que les quantités de pétrole disponible étaient minimes. Pendant ce temps la compagnie minière espagnole Adaro [PAGE 40] laissait entendre que son inventaire minier de la Guinée Equatoriale s'était avéré très intéressant. Quelle lutte entre compagnies de divers pays cachent toutes ces informations ?
Pendant que s'agitent les pétroliers et autres géologues, à Genève, sous l'égide de la section Afrique du Programme des Nations Unies pour le Développement (P.N.-U.D.), dirigée alors par le Camerounais Doo Kingue, s'ouvrit le 19 avril 1982 une Conférence des Pays donateurs. Sur la base d'une étude réalisée, comme par hasard, par deux bureaux d'étude, français et espagnol, 141 Mo de dollars ont été demandés pour ce petit pays de 28 051 km2 et de moins de 500 000 habitants écrasés par la dictature. Compte tenu de l'importance de cette conférence sur le développement d'un pays classé par l'O.N.U. dans la liste des « catastrophes », Obiang Nguema, qui est un des principaux auteurs de cet état de choses, avait tenu à faire le déplacement de Genève. Les journalistes semblent ne pas avoir été dupes. L'« homme au sceptre », comme l'a qualifié la Tribune de Genève, a fait devant les onusiens et les représentants de la presse internationale une foule de promesses et donné moultes assurances, tant sur la capacité de son régime de stimuler le développement, que sur sa volonté d'un retour à la démocratie. En dépit de la mauvaise impression laissée par Obiang Nguema et sa meute de gorilles comme on n'en avait encore jamais vus dans l'enceinte du Palais des Nations, 90 Mo de dollars ont été dégagés. Mais les Equato-Guinéens, épuisés par près de quinze ans de dictature féroce, verront-ils jamais un semblant de cette « générosité » internationale de quelque 180 $ par tête ?
Alors qu'en juin 1982 Remarques africaines (Belgique) et L'Impartial (Suisse) soupèsent les valeurs humaines en Guinée Equatoriale où ils détectent la persistance de l'ombre de Macias Nguema - en juillet, Actual, à Madrid, montre clairement ce que pense la population équato-guinéenne des promesses et assurances du chef du Conseil Militaire Suprême. « Dans notre pays il ne vaut pas la peine de chapear » (faucher = travailler); « seul compte le guru-guru » (la combine), allusion à la corruption et à la prévarication qui sont le quotidien des hommes de Mongomo. Quant au pétrole, « ce n'est pas [PAGE 41] sur nous que tombera la manne », estiment les survivants du goulag nguémiste.
Cette manne, comme aussi celle provenant d'autres ressources du pays (bois, pêche, etc.), tente de nombreux milieux d'affaires, et il n'y aurait rien à redire à l'expression normale de l'esprit d'entreprise, n'était que ces milieux se moquent éperdument des violations des libertés fondamentales (ne serait-ce que l'absence du droit d'association) qui permettent précisément la perpétuation de la dictature. Lorsque Marchés tropicaux (Paris) fait allusion à d'importants progrès dans l'industrie du bois, le 13 août 1982, il rapporte l'inauguration, à Bata, d'une entreprise italienne de déroulage de bois. Avec l'assistance de l'Etat italien, un complexe de 10 Mo de dollars, apte à traiter le bois provenant de 50 000 ha de concessions diverses, a ainsi vu le jour. Et l'article d'ajouter que l'Italie va ainsi profiter de prix particulièrement avantageux. Rien, évidemment, sur les avantages éventuels pour la nation équato-guinéenne. Côté mer, après l'abandon de la pêche dans les eaux territoriales équato-guinéennes par les Soviétiques, fin 1979, la France a commencé à montrer le bout de sa flotte. Le 18 août 1980, le Télégramme de Brest protestait contre l'interdiction de la pêche au thon dans les eaux équato-guinéennes. Afin de ne pas heurter la junte de front, la France s'arrangea pour que les négociations s'engagent par l'intermédiaire de la C.E.E. Mais, parallèlement, on offrait à Obiang Nguema un voyage en France, durant lequel il fut baladé de gauche et de droite, et comme par hasard dans des ports de pêche. Le 26 août déjà, Le Monde pouvait titrer : « La flotte thonière française aura accès aux eaux territoriales de la Guinée Equatoriale. » Subtilement, la France préparait ainsi le terrain pour de plus vastes marchandages.
Dès le 12 novembre 1980, par une dépêche de l'Agence France Presse, datée de Dakar, on apprenait la création d'un soi-disant Rassemblement démocratique pour la libération de la Guinée Equatoriale, par un parfait inconnu, Ruben Manuel Ndongo. Ndongo (originaire de Kukumankok) tenta de faire croire par des conférences de presse que son mouvement groupe des milliers d'Equato-Guinéens, alors qu'il est avéré que le R.D.L.G.E. n'est formé que de deux personnes, Ndon et Pedro Bidyogo. [PAGE 42]
Et encore : fin 1981 Bidyogo lâcha Ndongo sous l'accusation de comportement dictatorial. Mais Ndongo poursuivit sa propagande depuis Libreville, ses sponsors y voyant une troisième force entre le Conseil Militaire Suprême et le seul mouvement crédible d'opposants à la dictature, l'A.N.R.D., fondée en 1974. Marchés tropicaux, le 3 septembre 1982, laissait entendre que Ndongo soutenait la constitution dictatoriale d'août, et qu'il escomptait rentrer au pays pour y occuper un poste gouvernemental. Or, voici que le 16 février 1983, Le Canard enchaîné révèle qu'après sa réception par Mitterrand, milieu septembre 1982, Obiang Nguema aurait demandé de rencontrer l'autocrate du R.D.L.G.E. Il lui aurait même promis un billet simple course, mais refusé de signer des garanties écrites[16]. Echec donc de cette manipulation un peu grosse, et le rappel que même la France doit composer avec le monopole Esangui. Elle lui sert pour le moins de caisse de résonance puisque, dit le Canard enchaîné, avec la complicité de l'Elysée et des services de MM. Penne et Cheysson, « Obiang Nguema est venu à Paris faire cautionner son humanisme ».
Un mois plus tard, le roi d'Espagne s'entretenait avec le président Ahidjo de l'avenir de la Guinée Equatoriale, sans se douter que son interlocuteur n'était plus qu'en sursis, compte tenu de la reprise en main française des pays de la région. On constate ici un des innombrables exemples de manipulation de la Guinée Equatoriale. Le roi Juan Carlos, comme les milieux diplomatiques français, font la navette entre les voisins de la Guinée Equatoriale [PAGE 44] pour régler le sort de ce pays. Et ces voisins africains, particulièrement les francophones, jouent le jeu. Aussi, Cameroon Tribune laissait-elle entendre, le 12 octobre 1982, que l'agriculture camerounaise pourrait servir de modèle au petit voisin. Mais le fond du problème équato-guinéen n'est pas là. Jusqu'au désastre économique né de la dictature des Macias Nguema et des Obiang Nguema, l'agriculture équato-guinéenne, bien que coloniale, donnait de bons rendements; si aujourd'hui elle stagne, il faut y voir la seule cause possible : la résistance populaire à la dictature des hommes de Mongomo.
Nous avons vu plus haut comment la France a résolu le différend thonier par le biais de la C.E.E.; pour le phagocytage de l'hispanophone Guinée Equatoriale, elle procède de la même manière. Peu importe la présence d'un pouvoir despotique entre Gabon et Cameroun. Les affaires sont les affaires; d'ailleurs, les entreprises françaises ont depuis 1969 collaboré avec l'équipe Macias Nguema/Obiang Nguema, alors que celle-ci saignait le peuple et poussait un tiers de la population à s'exiler. Aussi est-ce à l'U.D.E.A.C. qu'échut, dès novembre 1980, par l'entremise du Cameroun, de tisser la toile d'araignée qui capturera le petit reste d'empire espagnol. Le 25 novembre 1982, deux artisans de la dictature nguémiste. le Camerounais de Douala, Mesa Bill (depuis toujours chef de l'Administration du régime des Nguema), et le cousin d'Obiang Nguema, Julio Ndong Ela Mangue, sont reçus à Yaoundé pour la remise de l'invitation adressée à la Guinée Equatoriale d'assister à la Conférence au sommet de l'U.D.E.A.C., en décembre; en observateur, évidemment, comme au sommet de Libreville, en 1981. Et tandis que de leur côté Banque Mondiale et Fonds Monétaire International intensifient leur soutien à la dictature nguémiste, la dix-huitième Réunion au sommet de l'U.D.E.A.C., à Yaoundé, acceptait courant décembre 1982 le principe de l'admission de la Guinée Equatoriale à cet organisme exclusivement francophone. Il est fort à parier qu'une des premières opérations de récupération de la Guinée Equatoriale sera son absorption dans la zone C.F.A. Adieu la peseta ! Mais se rend-on compte, au sein des membres de l'U.D.E.A.C., qu'avec le maintien de la dictature népotique en Guinée Equatoriale, l'Union douanière s'adjoint un maillon qui ne pourra qu'affaiblir leur [PAGE 44] chaîne d'intérêts et que le principal bénéficiaire de l'opération sera la France ?
Le nguémisme perdure
L'année 1982 a débuté avec un appel d'Obiang Nguema, au cours de son allocution de Nouvel An, à la bonne volonté des Equato-Guinéens. Le dictateur crut une nouvelle fois qu'il suffisait de proclamer 1982 « année du travail » pour briser la résistance populaire. Les observateurs de la Guinée Equatoriale (journalistes, onusiens) feront fin 1982 le constat du même désastre que durant les années antérieures, et de l'incapacité du régime nguémiste de faire autre chose que de plonger le pays dans la misère. Sans aucun doute, il en sera ainsi, comme le constatait en février 1982 New African (Londres), aussi longtemps que les gens de Mongomo continueront à monopoliser le pouvoir.
Parmi les méthodes utilisées par la dictature, on signale depuis 1969 une longue série de procès bidons, la permanente phobie des coups d'Etat, l'étouffement systématique des libertés et droits populaires, le mépris de la culture, le népotisme, etc. Tous ces traits du nguémisme se sont perpétués en 1982-1983, ainsi qu'en témoignent là encore les titres de la presse internationale. Fin mars, on annonçait la condamnation de A. Mba Ndong, fonctionnaire des Affaires étrangères et interlocuteur principal de la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, avec nombre d'autres, pour un prétendu trafic de drogue, manifestement inspiré du trafic de bhang dans lequel avaient trempé plusieurs parents d'Obiang Nguema (cf. note 4). Tramée par le frère d'Obiang Nguema, Armengol Nguema, et par le cousin Mba Oñana, chef de l'Armée, tous deux connus pour leur violence et leur absence de sens moral, cette affaire a permis de mettre à l'ombre des hommes qui tentaient une ouverture vers plus de justice, ou qui, simplement, ne faisaient pas partie de la bande au pouvoir. Tout comme sous Macias Nguema, des tribunaux formés de juges issus du pouvoir exécutif et de l'armée condamnent sans même disposer d'une législation adéquate, et sur [PAGE 45] la base d'accusations montées de toutes pièces, et sans preuves crédibles.
Compte tenu de la perpétuation du régime nguémiste et de l'absence de garanties dans un Etat hors-la-loi, la plupart des exilés ont refusé de rentrer au pays après le renversement de Macias Nguema par ses proches. Ils savent trop bien que toute la machine mongomiste reste en place. Et de devoir endurer une nouvelle étape de leur pénible situation de réfugiés politiques, avec des difficultés matérielles et administratives dont Ya (Madrid) fait notamment état fin mai 1982. Dans le même temps, l'Agence France Presse devait rappeler que le régime qui a assassiné toutes les personnalités qui ont fait l'indépendance de la Guinée Equatoriale « est le même que celui qui vient mendier de l'argent auprès de la Communauté internationale ». On ne peut pas dire que l'Elysée soit mal informé.
Les pistoleros de la junte, par lesquels plusieurs dizaines de milliers d'Equato-Guinéens ont passé de vie à trépas - souvent après des séances de torture sous la surveillance d'Obiang Nguema en personne continuent à marquer leur présence. Un des exemples de ce banditisme d'Etat a filtré dans la presse européenne : courant avril 1982, alors qu'à Genève on faisait les yeux doux aux donateurs occidentaux potentiels, à Bata l'ex-soldat de la Garde nationale et chauffeur de Macias Nguema, l'Esangui Domingo Ngomo, devenu entre temps gouverneur militaire du Rio Muni, se faisait remarquer de façon caractéristique : arrivé en retard à l'aéroport, et alors qu'un avion militaire de la coopération espagnole qu'il entendait emprunter pour joindre la capitale était déjà en position d'envol, il tire sur cet avion. Heureusement qu'il visa mal et que l'avion put tout de même effectuer son service, sans D. Ngomo évidemment. Conséquence : les vols des Aviocar espagnols furent suspendus quelques jours, par décision de Madrid. Que l'on imagine comment des hommes de cet acabit réagissent face à un Equato-Guinéen sans défense.
Le 3 août 1982, Obiang Nguema annonçait à l'occasion du troisième anniversaire de la révolte de palais un référendum constitutionnel pour le milieu du mois. A Genève, il avait affirmé publiquement qu'il allait soumettre au peuple une Constitution démocratique, sans toutefois [PAGE 46] accepter d'en dévoiler le contenu (et sans respecter les recommandations de la Commission des Droits de l'Homme sur la tenue d'une Conférence constitutionnelle représentative de toutes les tendances). Lors de la publication du texte, fin août seulement, soit une semaine après que le peuple ait été obligé d'aller voter dans des urnes encadrées par l'armée, on a pu se rendre compte que pour les nguémistes démocratie équivaut à régime autocratique et pouvoir présidentiel, ainsi qu'en témoigne La Vanguardia de Barcelone. Rédigé à Akonibe par des proches du dictateur (qu'en octobre 1982 Africa (Dakar) qualifiera de « groupe de vétérans »), sous la conduite de Nko Ivasa, le ministre des Finances de Macias Nguema, puis à nouveau d'Obiang Nguema, ce texte s'inspire essentiellement, pour le préambule, de la Constitution gabonaise, et pour le reste de celle du Chili de Pinochet. Lorsque le 16 août 1982 l'hebdomadaire madrilène Cambio 16 donne Obiang Nguema comme élu, il ajoute : « Humour ou avanie » pour les raisons suivantes : la Constitution, qui exclut notamment tout droit d'association (et donc la formation de syndicats et de partis politiques), fixe le mandat présidentiel à sept ans, ainsi que les modalités de cette élection. Mais le peuple équato-guinéen qui s'est exprimé essentiellement par le oui (comment faire autrement sous les yeux de la troupe) ignorait parfaitement qu'une rubrique additionnelle de la Xe Constitution nguémiste spécifiait qu'Obiang Nguema était plébiscité en même temps que la Constitution, en annulation des dispositions prévues pour l'élection présidentielle. En 1972 déjà, Macias Nguema s'était propulsé à la présidence à vie par l'annulation des dispositions constitutionnelles. A dix ans d'intervalle, l'oncle et le neveu s'incrustent donc selon un procédé identique. L'analyse de la Constitution d'Akonibe par la Commission Internationale des Juristes, dans sa revue, en décembre 1982, est catégorique : rien ne la distingue de celles de la Turquie ou du Chili. Au point qu'Africa, à Dakar, voyait juste en titrant dès octobre : « La dictature continue. »
Oh oui, qu'elle continue : selon Le Canard enchaîné (16-2-1983), début janvier 1983, Julian Esono Abaga Ada, depuis octobre 1979 Ambassadeur de Guinée Equatoriale en France et en Italie, rentrait à Santa Isabel pour toucher le budget annuel de son ambassade. « Dès son arrivée ( ... ) [PAGE 47] l'excellence a été assignée à résidence par le président Obiang Nguema. Restée à Paris, son épouse a demandé aux services de Cheysson l'asile politique pour ses cinq enfants et pour elle-même. » Esono Abaga Ada est un nguémiste notoire. Mais il n'est pas originaire de Mongomo, car natif de Mikomeseng; il n'est pas Esangui. Mais, sa complicité de longue date avec l'oligarchie mongomiste notamment en tant qu'ambassadeur itinérant de Macias Nguema, fait qu'il en sait trop, sur trop de gens. Et comme l'environnement français l'a probablement rendu quelque peu perméable au concept de démocratie (au point qu'il semble avoir cru aux mensonges débités par Obiang Nguema devant l'O.N.U. et devant Mitterrand, sur un retour de la Guinée Equatoriale à des institutions démocratiques), le gouvernement militaire Esangui a préféré le neutraliser. Aussi ne se trouve-t-il pas en résidence surveillée, mais à l'ombre de Playa Negra (Black Beach), la sinistre prison de Santa Isabel, que Obiang Nguema connaît par cœur pour y avoir supervisé personnellement la torture du temps de Macias Nguema. L'information de l'arrestation d'Esono Abaga est significative à double titre : d'une part, elle révèle une nouvelle fois les procédés nguémistes à l'endroit des non-membres de la famille au pouvoir; d'autre part, elle confirme, après l'éviction des cousins Maye Ela et Ela Nseng dans des fonctions diplomatiques, en 1981 déjà, que l'édifice des hommes de Mongomo et de leurs complices est de plus en plus souvent soumis à des tensions internes, qui ne manqueront pas le jour venu, d'en provoquer l'effondrement. Mais jusque-là, le peuple opprimé, les prisonniers politiques (que la C.I.R.C. oublie de visiter) et la diaspora continueront à croupir dans leurs misères respectives, avec la bénédiction des puissances, grandes et petites.
On ne s'étonnera pas d'apprendre dans Interviú (Madrid), en décembre 1982 encore, grâce à la journaliste espagnole I. Olivares et au récit de son séjour épique en Guinée Equatoriale, que ce pays se caractérise par « la peur, la misère et la corruption ». La journaliste donne de nombreux détails qui confirment les informations rapportées par tous les visiteurs : l'armée et les complices civils du pouvoir nguémiste frappent, volent trafiquent. D'où ces titres multiples tirés des journaux [PAGE 48] les plus divers, et d'auteurs différents, qui font référence à la corruption en Guinée Equatoriale :
S'y ajoute, dès janvier, le constat de la paralysie de l'économie par manque de carburant. L'ère Macias Nguema et l'ère Obiang Nguema sont marquées mêmement par une situation économique qui tient du désastre post-guerre; en 1973 déjà, le personnel diplomatique étranger n avait plus droit qu'à 20 litres d'essence par quinzaine. La dernière rupture de stock de décembre 1982-janvier 1983 vient moins d'un an après celle de février 1982 : la visite du Pape Jean-Paul II en Guinée Equatoriale n'a pu se dérouler normalement que grâce à un don d'essence, en dernière minute, du Cameroun...
Ce sont ces raisons, et nombre d'autres qui n'apparaissent pas dans les seuls titres de la presse internationale, qui expliquent pourquoi, fin février 1983, le cas de la Guinée Equatoriale figurait à nouveau, au point 12 de la Session de la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, parmi les pays pratiquant des « violations flagrantes et répétées » des droits de l'homme. A l'occasion de cette session, l'analyse de la Commission Internationale des Juristes de la Constitution dictatoriale [PAGE 49] nguémiste a été distribuée à toutes les délégations[17]. On y il entre autres graves constats, qu'après le coup d'Etat (ou plutôt, la révolution de palais) d'août 1979, « le pays fut dirigé sans Constitution par un Conseil militaire suprême, présidé par le colonel Obiang Nguema, jusqu'à la promulgation de la nouvelle Constitution en août 1982. A la base, cette nouvelle Constitution a un grave défaut, à savoir qu'elle a été rédigée uniquement par une commission composée de vingt membres nommés par le Conseil Militaire Suprême. Aucun représentant du peuple, ou aucune organisation politique, syndicale, sociale ou communautaire n'a pu participer à sa préparation. Le projet n'a jamais été discuté ni étudié par des personnes différentes de celles qui avaient été nommées par le gouvernement. Les partis politiques étaient encore interdits, et bon nombre des dirigeants de l'opposition ne sachant pas exactement à quoi s'en tenir au sujet du nouveau régime, n'étaient pas rentrés de l'exil auquel les avait contraints le régime Macias [Nguema] ». ( ... ) il est regrettable que la Guinée Equatoriale ait laissé passer cette chance d'adopter une Constitution qui aurait fait avancer le pays sur la voie de la véritable démocratie.
Le même document souligne aussi que les dispositions de cette Constitution « rappellent ce qui s'est fait au Chili en 1980 », ou encore ce qui s'est fait « de la même façon, en novembre 1982, en Turquie ».
Et maintenant ?
Début 1982, nous donnions dans Peuples noirs-Peuples africains l'an 14 de l'enfer nguémiste comme « l'apothéose et le crépuscule du clan de Mongomo ». La peau de chagrin de cette bande, disions-nous, allait rapidement se rétrécir, à moins qu'une subite lumière ne vienne éclairer Obiang Nguema. Hélas, même la visite papale dans l'enfer nguémiste, et le passage d'Obiang Nguema au paradis vatican, en septembre 1982, n'ont pu engendrer l'étincelle d'un sérieux élan démocratique. L'homme timide [PAGE 50] que d'aucuns voyaient en Obiang Nguema s'est révélé être du même acabit que son oncle, le charisme en moins.
Pour la réalisation d'une Guinée Equatoriale prospère, nous entrevoyions en janvier 1982 le respect par le colonel Obiang Nguema des évidences suivantes :
« Les Equato-Guinéens veulent retrouver un pays démocratique, tel qu'il aurait pu l'être après le 12 octobre 1968.
Cette démocratie exige que le clan de Mongomo et l'armée rentrent dans le rang et participent à la vie du pays dans les limites qui leur reviennent.
Sans cette démocratie, le peuple équato-guinéen ne travaillera pas, ne se sentant pas concerné, et les richesses naturelles du pays seront pillées par l'étranger (hier le poisson et les crustacés par l'U.R.S.S., demain le pétrole par l'Espagne et d'autres).
Ceux qui ont pris le pouvoir par la violence disparaissent en général par la violence. »
Le présent, enregistré par la presse internationale prouve que nous ne nous sommes guère trompés, sinon que nous n'avions pas prédit que c'est la France qui remplacerait l'U.R.S.S. dans le pillage des eaux équato-guinéennes.
Lors du « Colloque international sur la protection des réfugiés africains », organisé par Pax Romana à Dakar, les 12-16 décembre 1982, il est apparu, notamment à travers une démonstration du Prof. Eya Nchama, Secrétaire général de l'Alianza Nacional de Restauración Democrática de Guinea Ecuatorial (A.N.R.D.), que pour résoudre le problème des réfugiés et le désordre économique et politique de trop de pays il convient de s'attaquer aux causes des problèmes. Pratiquer l'homéopathie plutôt que l'allopathie, en bon médecin indigène. Comme devait le relater Le Soleil (Dakar), il est faux de toujours incriminer des causes du type : racisme et problèmes religieux. « Les Equato-Guinéens sont à 100 % chrétiens, et la proportion de Bantous y est de 90 %. Tout s'explique ( ... ) par la persistance d'une doctrine dépassée, le franquisme, instauré par le défunt dictateur, Macias Nguema, et que son neveu Obiang Nguema qui l'a chassé du pouvoir, et [PAGE 51] tué, n'a fait que restaurer sous d'autres formes. » Et Le Soleil de rappeler, avec Eya Nchama, que « les grandes puissances s'intéressent avant tout aux matières premières du pays et à sa situation stratégique ( ... ). La situation dramatique [de la Guinée Equatoriale] est la seule dans le monde où tous les intérêts stratégiques, politiques et financiers des grandes puissances se sont mis d'accord ».
Obiang Nguema a eu beau dissoudre, en octobre 1982, le Conseil Militaire Suprême, tel que l'annonce Ebano (Santa Isabel), pour donner l'illusion d'un retour à un pouvoir et une administration civils. Mais le « nouveau » gouvernement mis en place comprend pratiquement tous les anciens (sauf quelques non-Esangui comme le Bubi Oyo Riqueza, qui perd la vice-présidence de la République), et ce sous le nom pompeux de IIIe République. La plupart des postes sont toujours tenus par des militaires, en civil, épaulés par « les "anges" d'Obiang Nguema » (Sabado gráfico, Madrid, 12-12-1982); la Constitution fasciste d'août 1982 ne pourra générer qu'une persistance du nguémisme. Avec ce que cela suppose de blocages économiques, politiques, sociaux, culturels, dont seul l'étranger saura tirer profit. Le seul changement véritable dans cette persistance nguémiste, c'est que la dictature a basculé des bras soviétiques dans les bras hispano-franco-américano-marocains. Notre analyse a donc bien porté sur une année charnière, mais sans que le peuple de Guinée Equatoriale ne ressente une quelconque évolution vers plus de libertés, sans une ombre de droit d'expression. Dans son analyse de la Constitution bidon d'Obiang Nguema, la I.C.R. Review confirme que le second régime nguémiste ne s'est pas assoupli. « Lorsque la Commission des droits de l'homme a discuté en 1982 le plan d'action proposé par le secrétaire général des Nations Unies dans le cadre de l'assistance dans le domaine des droits de l'homme, ses membres ont insisté à plusieurs reprises que, pour garantir le retour à la démocratie, le gouvernement devrait permettre à tous ceux qui le désirent de rentrer chez eux, et qu'il devrait même les encourager à le faire; cela devrait s'appliquer à tous ceux qui aspirent légitimement à participer politiquement à la reconstruction nationale; les partis politiques et les organisations syndicales devraient pouvoir se constituer librement. Rien de tout ceci n'a été réalisé. » [PAGE 52] Durant onze ans, Macias Nguema a saboté la Guinée Equatoriale pour mieux la conserver. Depuis quatre ans, Obiang Nguema conserve la Guinée Equatoriale pour mieux la saborder. « Humour ou avanie ? » (Cambio 16, Madrid, 16-8-1982). La sinistre farce nguémiste perdure : « Chaud, chaud, l'Equateur... » (Le Canard enchaîné, Paris, 16-2-1983). « La dictature continue » (Afrique nouvelle, Dakar, 2-3-1983).
Max LINIGER-GOUMAZ
[1] « Deux ans de dictature post-Macias Nguema » (1979-1980), Genève-Afrique, Société suisse d'études africaines, Institut universitaire d'études du développement, Genève, 1980, vol. 11, pp. 155-180; ch. aussi Max Liniger-Goumaz, De la dictature des colons à la dictature des colonels, Les Editions du Temps, Genève, 1982, 232 p., avec la prolongation de l'étude précédente jusqu'en février 1982 (pp. 161-206). [2] On appelle ainsi la variante équato-guinéenne du franquisme, où dominent les membres de la famille des Nguema, issus de l'ethnie Esangui, de la bourgade de Mongomo et environs, à l'est de la province du Rio Muni, près du Woleu-Ntem gabonais. [3] Depuis la montée du pouvoir népotique nguemiste, dès 1968, alors que les élites se sont réfugiées à l'étranger, les masses paysannes et urbaines, otages du régime, pratiquent la résistance passive par une véritable grève larvée que seule une démocratie réelle saurait interrompre. Avis aux investisseurs ! [4] En mai 1981 a été révélé par la police militaire espagnole, puis par les médias, un trafic de haschich (le bhang d'Afrique centrale) auquel s'est trouvé mêlée l'épouse de l'Esangui Evuna Owono Asangono, ambassadeur de Guinée Equatoriale en Espagne. Ce dernier, ainsi que son épouse, ont évidemment nié leur lien direct avec ce trafic. Mais cette affaire a contribué à inspirer, au printemps 1982, le simulacre de coup d'Etat imaginé par le cousin d'Obiang Nguema et d'Owono Asangono, le ministre des Forces armées Mba Oñana, aujourd'hui vice-premier ministre. Suite à ce montage totalement dans la ligne des procès nguémistes, des hauts fonctionnaires non Esangui ont été incarcérés sous l'accusation de trafic de drogue. L'affaire du bhang n'a pas empêché le cousin Owono Asangono d'être nommé secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, en octobre 1982. [5] Mba Oñana a rendu visite au dictateur de la Corée du Nord après avoir reçu une rapide formation militaire dans ce pays du temps de l'oncle Macias Nguema. Cela lui avait valu, au retour, le commandement de la deuxième compagnie de l'armée équatoguinéenne; après la révolte de palais, alors qu'il était commandant militaire de Bata, il est investi du poste de Commandant militaire du Rio Muni, puis de la charge de ministre de la Défense. C'est un ancien tailleur, de Mongomo, propulsé dans la carrière militaire par son oncle. Le rapport de la Commission des Droits de l'homme des Nations Unies, de 1979, fait état de la muflerie de ce personnage. Nous allons voir plus bas qu'au Rio Muni, Mba Oñana a été remplacé par un autre Esangui, l'ex-chauffeur de Macias Nguema, D. Ngomo. [6] Gepsa = Empresa general Guineo-Espaplola de Petróleos SA, créée en 1980, avec une participation moitié/moitié, de la Guinée Equatoriale et de Hispanoil. Elle bénéficie de quatre concessions au nord de Fernando Poo, de 1973 km2 (soit les ex-concessions de Gulf Oil/Spangoc et du Banco de Bilbao). Le cousin d'Obiang Nguema, Msangui Maye Ela, d'abord vice-président de la République en compagnie de son autre cousin, Ela Nseng, était Président de la Gepsa au moment de son éloignement comme représentant auprès des Nations Unies, à New York, en décembre 1981. Maye Ela serait passionnément francophile, à l'opposé d'Obiang Nguema, qui ne connaît que l'Espagne. [7] Moises Mba Ada, ancien procureur aux Cortès espagnols, membre de la phalange franquiste (Movimiento nacional), participa à la Conférence constitutionnelle de 1967-1968, durant laquelle il se rapprocha de Macias Nguema. Cela lui valut dès octobre 1968, d'être président du Consejo de la República (Sénat). Homme d'affaires, il est accusé de détournements et fuit à l'étranger. Après avoir participé à la fondation de l'Atlanta Nacional de Restauración Democrática (A.N.R.D.), il en est exclu en 1976 en raison de son affairisme. Revenu en Guinée Equatoriale après la révolution de palais, il y crée la société d'import-export Exigensa, avec la participation d'Obiang Nguema. Grâce à la complicité de Mba Oñana, Obiang Nguema parvient à s'approprier Exigensa, début 1981, et Mba Ada doit s'enfuir une seconde fois à l'étranger. On l'accuse alors de complot (cf. note 3, ainsi que sous 22 mai 1982), dans le cadre de la même affaire dont a été victime A. Mba Ndong, que nous évoquons plus bas. [8] La gauche n'est pas seule à s'intéresser à l'utilisation discutable de l'aide espagnole au régime nguemiste. Le 21 septembre 1981, la droite espagnole, par Fraga Iribarne, s'est exprimée dans le même sens, par une série de questions au gouvernement espagnol. [9] Pour plus de détails sur l'O.N.U. en Guinée Equatoriale, cf. Max Liniger-Goumaz, « Nations Unies et régimes autocratiques. Un exemple africain : la Guinée Equatoriale », Genève-Afrique, Société suisse d'études africaines, Institut universitaire d'études du développement, XIX, 2, Genève, 1981, pp. 13-71. [10] Il s'agit de l'inauguration, à Bata, en août 1982, de la Sociedad italiana de explotación de maderas (S.I.E.M.), spécialisée dans le séchage, le débitage et le déroulage, grâce à un financement de l'Etat italien (prêt à 8 %). L'investissement total se monte à 10 Mo dollars. [11] La présence du vice-président du Nigeria aux célébrations du quatorzième anniversaire de l'indépendance de la Guinée Equatoriale montre que les prétentions des voisins francophiles de la Guinée Equatoriale pourraient être tempérées par celles du grand voisin anglophone du Nord. [12] Ce simulacre de retour à un régime civil ne trompe personne : la plupart des postes clés sont toujours détenus par les militaires nguemistes. Ils ont simplement troqué l'uniforme pour l'habit civil. Nombre d'entre eux faisaient partie de l'instrument de guerre qu'était la Juventud en marcha con Macias. Le remaniement ministériel d'octobre 1982, annoncé seulement le 11 décembre 1982, en est la confirmation. Divers Esangui y sont propulsés « superministres » dont Ochaga Nvé Bengobesama. [13] Nous avons éliminé de cette liste les titres parus le 1er mars 1983 dans La Tribune le Matin (Lausanne) : « L'ex-ministre veut devenir fossoyeur », et dans Le Monde (Paris). D'un article de El Mediterráneo (Alicante),l'Agence France Presse a repris la fausse nouvelle d'un instituteur équato-guinéen mythomane, réfugié en Espagne, et qui tout en postulant à la fonction de fossoyeur au cimetière de Benicasim revendique l'ex-fonction de ministre de la Culture, en 1969-1970, alors que ce poste n'existait pas. Le sérieux El País, (Madrid, 3-3-1983) a heureusement mis un terme a cette mystification, par une sérieuse enquête. Mais ni Le Monde, ni La Tribune le Matin, ni l'Agence France-Presse, n'ont démenti une information qui visait surtout à ridiculiser l'Afrique. [14] Qu'on pense à la réussite qu'ont été la décolonisation du Rio de Oro (Sahara occidental) et celle de la Guinée Equatoriale. [15] C'est le supérieur de la mission de Bata, le Père Nicolas Preboste, qui a indiqué en 1958 à la Garde civile espagnole le lieu de résidence d'Acacio Mañe. Celui-ci fut capturé, abattu au camp militaire de Bata, et jeté à la mer. [16] R.M. Ndongo s'est ridiculisé une nouvelle fois début mars 1883. En effet, dès le 7 mars à Libreville, et le 9 mars à Paris (Le Monde, p. 5) on annonce que, par un communiqué, le R.D.L.G.E. « a décidé de former un gouvernement provisoire en exil... après l'échec des différentes médiations en vue de la formation d'un gouvernement de coalition avec le Conseil militaire suprême... ». Toutefois, la composition de ce gouvernement « sera rendue publique ultérieurement »; et pour cause... Manœuvre publicitaire d'un solitaire qui depuis l'été 1983 clame que la constitution nguemiste marque une amélioration de la situation et indique son intention de participer au gouvernement des hommes de Mongomo. Mais ce même Monsieur exige d'Obiang Nguema un billet aller et retour. Pourquoi ce « retour », puisqu'il soutient que le pouvoir nguemiste est sur la bonne voie ? [17] Doc. E/CN.4/1983/NGO/4, Nations Unies, Conseil Economique et Social, Genève, 31 janvier 1983. Cf. plus haut International Commission of Jurists Review, Genève, 11 décembre 1982. |