© Peuples Noirs Peuples Africains no. 30 (1982) 39_42



IMMIGRATION :
ET APRES LE 31 DECEMBRE 81 ?

Gustave MASSIAH

Le gouvernement de la gauche est en train de mettre la dernière main au piège qu'il s'est tendu et qui se refermera le 31 décembre 1981. L'immigration, une fois de plus, va jouer le rôle de révélateur comme le montre déjà, malgré le peu d'échos qu'on lui donne, la mobilisation des travailleurs immigrés et de tous ceux qui luttent pour l'égalité des droits.

Pourtant, tout semblait avoir bien commencé : annonce des régularisations des travailleurs sans papiers; annonce d'une nouvelle politique de l'immigration fondée sur l'égalité des droits; annonce d'une nouvelle politique de coopération rejetant la permanence de la domination et mettant en avant le développement des pays d'émigration; annonce d'une nouvelle politique économique et industrielle mettant l'accent sur les droits des travailleurs. Les premiers jours annonçaient des temps nouveaux qui s'ouvraient sous les meilleurs auspices.

Dès le début, la réalité s'annonce moins souriante. La procédure de régularisation est révélatrice des contradictions et aussi, malheureusement, des choix qui s'imposent en définitive. Les contradictions sont nombreuses. Par exemple, on arrête au 1er janvier 1981 la date d'entrée des travailleurs qui peuvent être concernés. Même pas le 21 mai comme pour l'amnistie; on ne prend jamais trop de précautions, et on ne se méfie jamais assez des immigrés qui auraient pu, contrairement à bien des autres, prévoir plusieurs mois à l'avance la victoire de la gauche pour essayer d'en profiter. [PAGE 40]

De même, l'exigence du contrat de travail, présentée comme un moyen d'assainir la situation et de pousser les employeurs à se mettre en règle se retourne contre les travailleurs. Quand ceux-ci demandent un contrat de travail, les employeurs préfèrent les licencier. Si on voulait vraiment assainir la situation des employeurs, ne valait-il pas mieux régulariser les papiers des travailleurs, ce qui les aurait mis en situation d'exiger le respect de leurs droits ? Sans oublier les femmes de ménage, les intérimaires, les saisonniers, les femmes seules, les marchands ambulants... Les résultats sont là, sur 250 000 à 300 000 travailleurs en droit de demander la régularisation de leur situation, moins de 90 000 dossiers ont été remis, et moins de 20 000 régularisations ont été obtenues.

Cette procédure de régularisation est révélatrice de l'orientation de la politique de l'immigration. Celle-ci ne peut pas être séparée d'une réelle politique de coopération qui soutienne les efforts des pays dominés à se libérer et à développer leur production. Une politique de coopération qui ne saurait se contenter de déclarations généreuses accompagnées du maintien des relations passées, comme par exemple celui de la coopération policière avec le Maroc. Mais surtout une politique de l'immigration ne saurait être séparée de la situation économique et de la politique industrielle en France; car si la domination, et non la misère, pousse les gens à partir, c'est la structure de l'industrie en France qui explique, pour l'essentiel, leur arrivée. Tant que dureront en France des secteurs de l'économie fondés sur le travail précaire, les travailleurs immigrés arriveront quels que soient les contrôles aux frontières. Ils seront simplement encore plus opprimés, plus exploités. Ce n'est pas sous l'aspect du contrôle que l'on peut définir une politique de l'immigration; c'est en s'attaquant directement et immédiatement aux causes de l'immigration en France, en réformant en profondeur les structures de l'emploi en France.

La procédure de régularisation est aussi révélatrice de la façon dont est menée cette politique et de ses conséquences. La concertation connaît vite ses premiers avatars. Les organisations qui luttent avec les immigrés écrivent pour témoigner de leur bonne volonté; elles sont convoquées deux jours après l'envoi de la première circulaire. [PAGE 41] Quand elles en démontrent les incohérences on leur promet des circulaires rectificatives. Ces incohérences servent de prétexte à ceux qui, dans les services qui reçoivent les immigrés, ne font preuve d'aucune bonne volonté, D'ailleurs, dans l'ensemble, la logique d'Etat est la norme, il ne faut pas brusquer les services, de l'extérieur on ne peut pas comprendre et on ne peut bien vite que redevenir des gêneurs.

Cette situation conduit à des comportements inadmissibles, car en appliquant les règlements avec une bonne conscience de gauche, on peut se permettre d'être plus dur avec les familles d'immigrés, plus intolérant avec les clandestins; on n'a plus besoin de s'interroger on n'accepte plus d'être interrogé, l'orientation d'ensemble suffit à justifier toutes les pratiques.

Mais c'est là une erreur profonde. Car à jouer au plus fin, à décourager et à diviser les militants qui ont continué à se battre, à ne pas mener jusqu'au bout les batailles d'idées, on joue avec le feu et on désamorce les mobilisations qui seront nécessaires pour mener les affrontements avec la droite.

Après avoir admis les difficultés, affirmé des orientations courageuses, proclamé l'égalité des droits, pourquoi reculer dans les faits alors que l'on a fait passer les idées, que le plus difficile paraissait gagné ? Pourquoi ces divergences sur le droit de vote, les atermoiements sur le droit d'association, heureusement corrigés par les députés, ces dispositions de contrôle des entrées qui constituent une véritable Loi Bonnet bis ? Pourquoi ces concessions à la droite qui n'en demandait pas tant, pourquoi laisser la logique de contrôle, et, en définitive, la police régler la politique de l'immigration ? Croit-on ne l'on pourra rester indifférent quand se poursuivent les contrôles de faciès aux frontières, quand un haut fonctionnaire français explique publiquement au Maroc que seuls les ouvriers sont concernés par le contrôle mais que les hommes d'affaires seront toujours les bienvenus en France ? Quand lors des contrôles certains policiers menacent en disant : « Pour l'instant, ça va, mais attendez un peu le 1er janvier. » Et que fera-t-on le 1er janvier quand il faudra expulser, ou plutôt comme on dit maintenant, reconduire à la frontière, 100 à 200 000 personnes, [PAGE 42] dont certaines vivent en France depuis plus de vingt ans ?

La seule façon d'éviter les provocations zélées et les situations intolérables, c'est de ne pas s'enfermer dans des dates fétiches, c'est de réaliser franchement ce qu'on avait promis, de régulariser tous les sans-papiers et de s'engager dans une véritable politique pour assurer l'égalité des droits de tous les travailleurs en France.

Gustave MASSIAH
Président du C.E.D.E.T.I.M.
Centre d'Etudes anti-impérialistes
14, rue de Nanteuil, 75015 Paris