© Peuples Noirs Peuples Africains no. 29 (1982) 57-76



LES HÉRITIERS DES SAINTS
COME ET DAMIEN

(Esquisse d'une histoire du racisme médical européen)

Laurent GOBLOT

Si tu creuses la tombe d'un plus faible que toi,
fais en sorte qu'elle soit grande, car tu ne sais pas
s'il peut t'entraîner dans sa chute.
(Proverbe dogon)

Dans cet article, j'ai voulu mettre en lumière la responsabilité de la médecine dans l'élaboration, la diffusion et la pratique du racisme anti-noir.

Les professions, qui traitent le corps, ont eu souvent un rôle dans la formation des mythes anti-noirs. Sous le titre « L'image du Noir d'un peuple à l'autre », ce sera l'une des observations que Peuples Noirs-Peuples Africains me permettra de faire dans le numéro suivant.

M. William B. Cohen, dans « Français et Africains » (Gallimard), p. 305, rend bien compte du rôle des médecins dans la fondation de la Société d'Anthropologie, en 1929, à Paris (seize sur les dix-neuf fondateurs; cinquante années plus tard, 51 % des membres étaient encore médecins) et du racisme scientifique. Il met aussi en lumière le rôle des anatomistes, des peintres, et des sculpteurs, qui représentent le corps humain – je suis peintre, je sais de quoi je parle. [PAGE 58]

Si le lecteur n'est pas trop las, à travers « L'image du Noir dans l'art occidental », nous verrons que d'autres professions ont aussi participé à cette élaboration : garçons de bains, à Rome; cuisiniers, au Moyen Age; dans « Paris-Noir », (livre de photos, sur les Noirs à Paris, dont P.N.P.A. a rendu compte l'an dernier), M. Nicolas Silatsa a pu mettre en cause un tailleur.

Nous verrons aussi comment l'image du Noir peut se transmettre de peuple en peuple, par ses caractères aussi bien positifs que négatifs. D'autres livres, qui collaborent à cet examen, seront décortiqués. Dans ce domaine, le hasard joue son rôle; là où il n'en joue aucun, c'est dans l'étouffement de certains livres...

Et comme le directeur de la revue est « passionné » par cet article, l'auteur, qui ne doute plus de rien, dira ce qu'il aurait écrit dans « Le Monde », s'il avait été à la place de M. Emmanuel Todd, pour faire une critique objective du livre de M. William B. Cohen.

L.G.

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Les saints Côme et Damien étaient des médecins qui soignaient gratuitement, à Cyr, au nord de la Syrie. On les appelait « anargyres » – parce qu'ils refusaient l'argent. Martyrisés sous Dioclétien, en 303, leur culte fut très vivant à partir du Ve siècle. Patrons des médecins et des chirurgiens, leur miracle a été souvent représenté jusqu'à la fin du XVe siècle, en Italie, en Allemagne, en Autriche, mais surtout en Espagne. « Le Miracle de la Jambe Noire » les représente au chevet d'un malade, dont les deux saints ont coupé une jambe couverte d'ulcères, et à qui ils ont greffé la jambe d'un Noir qui a été préalablement déterré au cimetière.

Alors qu'ailleurs, le Noir est absent, ou à l'arrière-plan, en Espagne, le Noir est présent, il gagne peu à peu le devant de la scène; plus au nord, on traite la scène avec répugnance; et il existe une représentation à l'église de Valladolid, datant du milieu du XVIe siècle, où le Noir est représenté sur le devant de la scène, et vivant, souffrant. Ce fait montre que le Noir est vu par le sculpteur comme un animal, sur lequel on peut tout faire, pour le bénéfice d'un Blanc. Dès le IV siècle, cette légende nous force néanmoins à nous poser cette question : [PAGE 59] pourquoi Côme et Damien ont-ils choisi un Noir mort pour lui couper une jambe – dans un monde où l'on croyait à la résurrection des corps ? Est-ce parce qu'il était moins grave pour un Noir de revivre unijambiste ? La sculpture de Valladolid coïncide avec les débuts de la traite négrière, et marque un progrès de l'Europe dans la cruauté.

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La médecine a joué un grand rôle dans l'élaboration du racisme contre les Noirs, et il semble que ce rôle ne soit pas terminé. C'est pourquoi une histoire des responsabilités des médecins, et plus généralement des hommes de sciences, dans la création de l'image que l'Europe s'est faite de l'Afrique et de ses habitants, devrait être écrite.

Galien, médecin grec (131-201) dit des stupidités qui feront fortune, à propos de l'homme noir, qui serait soumis à l'insupportable ardeur du soleil africain, et elles seront citées par des successeurs : « Ce qui est au sud de l'Equateur est occupé en partie par la mer, et le reste est extrêmement chaud. Les habitants s'y écartent assez de la nature humaine » (texte du Xe siècle).

Des médecins arabes enrichissent le propos :

Al Biruni, au XIe siècle, écrit que les hommes qui vivent près de l'équateur, « sont brûlés quant à la couleur, les cheveux, la nature et la raison ».

Pour Avicenne, dont les écrits ont été lus par les médecins européens jusqu'à une période récente, la peau du crâne des Noirs est très dure, et elle laisse passer difficilement les cheveux; ils sont dès lors moins menacés par la calvitie que les autres hommes.

L'astrologie joue son rôle dans la culture de ces thèmes. Alkindi incrimine les astres : « Son pays étant très chaud, les corps célestes y exercent leur influence, et attirent les humeurs dans la partie supérieure (de son corps). De là ses yeux à fleur de tête, ses lèvres pendantes, son nez aplati et gros, la flaccidité de sa tête, par suite de l'abondance des humeurs attirées vers le haut du corps; ainsi, le mélange (des humeurs) dans son cerveau n'est plus équilibré, et l'âme ne peut plus exercer sur lui son action complète; son discernement s'altère, et les actes de l'intelligence le désertent. » Il cite l'inévitable [PAGE 60] Galien : « Galien explique (la pétulance si caractéristique du Zang) par l'organisation imparfaite de son cerveau, d'où la faiblesse de son intelligence. »

Mas'udi cultive, lui aussi, le thème astrologique, à propos de Saturne : « Telle est l'opinion d'un poète et astronome musulman moderne; le doyen des astres est le sublime Saturne, vieillard majestueux, puissant monarque; son tempérament est noir et froid, noir comme l'âme en proie au désespoir; son influence s'exerce sur les Zang et les esclaves noirs, et sur le plomb aussi, et le fer. »

Ibn Khaldoun – qui pense que ce que dit Mas'udi « de l'intelligence des Noirs est sans valeur, et ne prouve rien », et qui refuse de voir en eux les « fils maudits de Cham » – est lui-même infecté par la théorie des climats de Galien : « Leurs mœurs sont proches de l'animal. La plupart des Sudans vivent, dit-on, dans les grottes et dans la brousse, ils se nourrissent d'herbes; ce sont des sauvages, sans aucune civilisation. Ils se mangent entre eux. La raison de tout cela tient à l'éloignement de la zone tempérée. Cette situation les rend plus proches du comportement des bêtes, tout en les éloignant d'autant de l'humanité. »[1]

Ces idées singulières ont survécu jusqu'au XXe siècle[2]. Mais la médecine européenne, dans sa pratique, a ajouté à ces idées, ce que M. Léon Poliakov, dans un livre [PAGE 61] collectif, Hommes et Bêtes (Mouton), a qualifié de « mentalité faustienne », en citant des savants, tels que Maupertuis et Jean Rostand en France, Bentley Glass aux Etats-Unis, Norman Hampson en Grande-Bretagne, et dont il dit qu'ils « semblent frappés de cécité, face aux expériences médicales sur l'homme. »

Or, cette histoire, qui commence sur notre continent, avec la légende de Côme et Damien, n'est pas terminée. Etienne-Geoffroy Saint-Hilaire, l'examinateur de Sarah Bartmann, dont je parle dans ma poésie[3], qui espérait que « l'on pourrait transformer les espèces les unes par les autres »; Maupertuis, qui « verrait volontiers la vie des criminels servir à des opérations expérimentales, parce qu'un homme n'est rien, comparé à l'espèce humaine, et qu'un criminel est encore moins qu'un homme »; Cuvier, qui a participé au rapport d'autopsie de Sarah Bartmann, et au moulage de son corps, toujours exposé au Musée de l'Homme à Paris; puis les expériences médicales des médecins nazis, ont manifesté, chacun à une époque différente, une tendance de la science européenne à traiter des êtres humains comme des animaux, susceptibles de servir d'expérience, sans qu'ils soient éclairés sur les buts, alors que d'autres êtres humains sont protégés de ces conduites médicales, et cela, j'y reviens, en toute impunité.

Soulignons-le : la légende de Côme et Damien a été l'objet de multiples représentations graphiques et sculptées, dans la péninsule Ibérique, et a rencontré une nette répugnance[4] plus au nord. C'est pourquoi je veux établir, peut-être à tort, un lien avec ce que j'ai entendu le 9 septembre 1981, à la télévision, sur TF 1, à propos d'expériences sur l'homme, entreprises au Brésil, pour [PAGE 62] le compte de laboratoires français, parce que des lois les interdisent en France et en Europe.

L'EMISSION « PILLULES AMERES »...

On nous parle d'abord d'une affaire analogue d'expériences sur l'homme, qui a éclaté il y a quatorze ans, en 1968; elle avait motivé la constitution d'une commission d'enquête brésilienne. Au cours de l'émission, on parlera aussi des gens dans la misère, qui donnent leur sang, et dans des laboratoires qui n'aiment pas beaucoup qu'un journaliste soit là.

Deux laboratoires européens seront nommés : Behring (Allemagne Fédérale), et Roussel-Uclaf (Belgique et France), et un laboratoire de Thérésopolis (Brésil). Mais d'autres laboratoires français, suisses, anglais, sont mentionnés sans autres précisions. L'Organisation Mondiale de la Santé, les Fondations Rockefeller, Ford, France, sont nommées par le député Umberto Dantas, qui a ce mot, à propos du Nord-Est : « Les cobayes ici, c'est très facile. »

Le gros de l'émission est consacré aux activités du professeur Coutinho, professeur de médecine à l'Université de Bahia, qui sont patronnées par l'OMS et surveillées par un « Comité d'éthique » composé de personnes qui travaillent au laboratoire, auxquelles s'ajoutent trois professeurs de pédiatrie.

Le professeur présente lui-même son laboratoire :

« Pour la question des techniques nouvelles, je ne crois pas qu'on puisse me reprocher quelque chose. D'abord, je suis Brésilien, je travaille avec des Brésiliens, les idées sont brésiliennes, et si on pouvait avoir aussi des composés brésiliens... ça serait aussi des composés brésiliens. Deuxièmement, on ne travaille pas à la volonté : on fait des choses qui sont approuvées par des comités d'éthique.

« Quand j'ai eu l'occasion de m'approcher des scientistes qui travaillaient à Paris, je suis arrivé à avoir une collaboration très importante, ils m'ont mis à disposition des hystéroïdes que j'avais besoin, pour développer des implants, des anneaux, des tas de modifications des méthodes. Et alors, nous avons trouvé des substances extraordinaires. [PAGE 63]

« Maintenant, par exemple, nous avons un composé, qui sert aussi bien pour la contraception, que pour le traitement de l'infertilité. C'est un composé français, unique, avec lequel je travaille depuis trois ans sur l'infertilité, mais que je connais depuis dix ans sur la contraception.

« Les implants sont fabriqués ici, mais la substance qui sert à fabriquer les implants est faite ailleurs, par exemple en France.

« Nous avons à étudier une centaine de femmes pendant quelques années avant de savoir si ça marche. Deuxièmement, si ça marche assez bien, chez les femmes, où nous n'avons pas des effets indésirables, que nous avons besoin d'étudier plus longtemps, parce que, pour savoir si ça marche ou non, c'est quelque chose que nous pouvons savoir à la fin d'une année. »

Le professeur Coutinho n'expérimente pas que des produits français : « Ces derniers ne représentent que 10 à 20 % de mes contrats », dit-il.

La secrétaire du professeur ne profite pourtant pas de cette contraception, semble-t-il, exceptionnelle :

– Vous avez un implant, vous, Katia ?

– Non, pas moi, j'ai un stérilet...

Aimablement, le professeur Coutinho se transforme en cicérone pour nous :

« On a trouvé un moyen d'obturer un utérus : il y a des petits ballons que vous mettez à l'intérieur de l'utérus, et ici, dans ce cas-là, nous avons ici une expérience, justement, en train de faire l'enregistrement du changement de pression à l'intérieur de l'utérus.

« Alors, comme ça, on peut étudier : alors là, par exemple, vous avez une femme; vous avez un tube de pression, là, c'est un compteur à dépression, qui va avec les petits tubes, là, qui vont à l'intérieur de la fille, de l'utérus. Alors, elle ne sent rien du tout : c'est une chose qu'on n'a pas besoin d'anesthésie pour lui faire. Alors, le docteur, il peut étudier l'effet de quelques substances injectées chez la femme sur l'activité de l'utérus.

« Les substances que nous testons ne sont pas essayées partout, parce qu'il y a des pays qui font des choses plus difficiles que les autres.

« On accompagne les femmes qui sont traitées ici par [PAGE 64] traitements expérimentaux, et il faut qu'on sache exactement ce qui se passe dans ces hormones...

– On va voir les autres ?

– Oui, alors, vous me suivez là. On est en train de préparer, et les hommes, ici, qui servent à nos expériences... »

Le professeur Coutinho étudie autant la contraception que la stérilité. Ici, un examen péritonéal sur une femme de plus de 35 ans. Ce qu'on appelle une laparoscopie, devenue commune dans beaucoup de pays, et pendant laquelle il fait, selon son mot, « cueillir des ovules » pour ses recherches.

« Des études plus délicates : nous travaillons avec des ovules cueillies pendant des laparoscopies, que nous faisons faire des fertilisations in vitro : ce n'est pas pour avoir des « bébés artificiels » fabriqués en laboratoire. C'est pour étudier les actions et interactions entre les spermatozoïdes et les ovules. »

En cours d'expérimentation également : le pistolet stérilisateur, que le professeur Coutinho nous présente lui-même :

« La femme, elle vient, elle s'assoit là, elle se met en place, au moment aisé du cycle, et alors là, il met le pistolet et c'est fait ! Maintenant, on a voulu voir, si on peut introduire dans l'utérus une substance qui se solidifie à l'intérieur des trompes, et comme ça, les trompes sont bouchées. Le docteur Boufi, là, est en train de faire cette étude. On travaille avec un petit canon, un petit pistolet, il va nous montrer comment ça marche : il fait introduire ça dans l'utérus. Au moment qu'il le rentre à l'intérieur de l'utérus, il fait remplir ces petits ballons. Les petits ballons, remplis à l'intérieur de l'utérus, empêchent que le liquide, qu'il va jeter par là, ressorte. Alors, il n'y aura que deux sorties, les petits trous et les trompes. Alors, à ce moment-là, au moins, qu'il distingue l'utérus, alors que le liquide est rentré. Il fait, avec le pistolet, aussitôt qu'il sera rempli, une tentative. Alors, là-dedans, il y a la capsule avec le liquide; et cette substance ne doit pas tomber à l'intérieur de l'abdomen. Il a déjà fait une centaine de femmes, aujourd'hui; il a complété avec le numéro 104...

– Ça fonctionne ?

– (Avec enthousiasme) oh! ça fonctionne très bien! [PAGE 65] Fantastique! Moins de 4% qui échouent! Mais pour celles-là, on peut répéter, après quelques mois!

– Et est-ce qu'on pourra retirer cette substance, plus tard ?

– Nous avons l'espoir de pouvoir le retirer. Parce que c'est un petit bouchon. Le liquide et l'air se solidifient. C'est une chose solide qui est à l'intérieur. C'est pas facile : on doit, peut-être, se servir de quelques instruments de micro-chirurgie pour faire sortir.

– On ne les paie pas ?

– On ne les paie pas. On peut peut-être être compensé. Une femme qu'on a besoin d'étudier pendant une journée, qui dit : « Je ne peux pas rester, parce que j'ai besoin de travailler. » Alors on dit : « Non, on vous donne ce que vous allez perdre. » On peut payer un taxi pour aller chercher une femme. Vous voyez, là, nous ne travaillons pas seulement sur l'utérus (devant des cartes du corps humain), avec des stérilets, nous travaillons sur les trompes, les ovaires, l'hypothalamus, l'hypophyse...

– Vous avez déjà fait des essais, là ?

– Oh, oui! Nous travaillons sur toutes ces régions, où on pourrait trouver les moyens d'empêcher la contraception.

– On monte dans votre bureau, où on pourrait finir de discuter.

– J'ai de très bonnes relations avec un laboratoire de Bruxelles, à Roussel-Uclaf, qui a synthétisé, qui ont des brevets de ces synthèses composés hystéroïdes, formidables, uniques !

– Est-ce que vous communiquez les résultats de vos recherches aux laboratoires français ?

– Oh oui ! Ils sont au courant. Ça fait partie du contrat. Ils me donnent tout ce dont j'ai besoin, et je leur fais savoir tout ce que je trouve : bon ou mauvais. Et alors, je trouve quelques composés, que les Français ont développés; ils ne sont pas remplaçables par d'autres, d'ailleurs. Alors, si on le faisait ailleurs...

– C'est la loi, ça.

– C'est la loi, qui exige des études, qui prennent dix années, parfois quinze années, une vingtaine d'années, pour qu'un produit soit finalement libéré, vendu. Alors, les laboratoires, qui ont besoin de gagner de l'argent, ils veulent développer quelque chose, qui puisse rapporter [PAGE 66] plus vite, qu'attendre vingt ans, pour finalement commencer à avoir le retour de l'argent investi.

– Oui.

– Il y a des complications que, malheureusement, on ne peut pas discuter complètement. S'il y a quelqu'un qui reproche, il reproche en cachette; pas ouvertement, parce qu'il n'y a rien à critiquer, il n'y a rien à cacher : c'est ouvert, c'est permis, c'est légal, c'est libéré, c'est autorisé. Alors, reprocher quoi ? Reprocher, peut-être, une tendance politique ? On dit : « Vous n'êtes pas de gauche... ou alors, vous êtes de droite... » (Exit le professeur Coutinho). A Paris, Roussel-Uclaf a refusé nos caméras. Un des membres de la direction a reconnu que le professeur Coutinho testait pour Roussel-Uclaf le « 23-23 », une hormone destinée au traitement de l'odométriose...

... ET SES SUITES

Lorsqu'il apprit que l'émission allait être projetée, le professeur Coutinho, ayant réfléchi un peu tard à ce qu'il avait dit, demanda au tribunal des référés de Paris d'interdire sa programmation, parce que celle-ci le présenterait comme « un praticien sans scrupules, se livrant à des expériences sur des cobayes humains, stérilisés à leur insu pour le plus grand bénéfice des laboratoires pharmaceutiques. »

M. Marcel Caratini a estimé « qu'il ne ressort pas, en particulier, que la pose d'un plant, ou l'utilisation de pistolets stérilisateurs aient été effectuées dans des conditions les assimilant à des expérimentations sur des cobayes humains, non volontaires ni éclairés », et a autorisé sur ce motif la projection du film.

Par ailleurs, l'émission parle aussi des gens qui ont pour seul moyen d'existence, de donner leur sang. Femmes et hommes, la plupart sont noirs. Déjà, un film iranien a parlé du sang acheté. Cela me conduit à me poser à moi-même cette question : je donne du sang, plusieurs fois l'an. Je ne sais pas, si je contribue ainsi – puisqu'on le paie ailleurs à des gens appauvris – à faire baisser le prix du sang, tel qu'on le paie au Brésil ou en Iran, à des gens pauvres, et noirs. [PAGE 67]

Et je n'ai pas encore compris les reproches que Mme Claude Sarraute, dans Le Monde, a adressé à Michel Honorin, l'auteur de l'émission Pilules amères : mensonge par omission, goût du sensationnel. Bien sûr, j'aurais aimé plus de rigueur. Néanmoins, ces aveux librement exprimés par le professeur Coutinho ont révélé une tendance de toute la pharmacie de notre continent, qui ne date pas d'aujourd'hui.

Tant d'Européens vont faire du tourisme au Brésil, sans avoir conscience de ce qui s'y passe : Michel Honorin s'est adressé à eux, pour leur dire ce qu'ils ne voient pas au-delà de la plage et des Carnavals. Les journalistes ne sont pas si nombreux pour se préoccuper de ces choses, et c'est pourquoi je désapprouve ces reproches.

La publication des propos inconsidérés du professeur Coutinho peut exercer la critique, de ce qui peut se passer ailleurs, sous d'autres cieux plus proches, et c'est pourquoi je les publie dans Peuples Noirs-Peuples Africains. Ce médecin témoigne naïvement de conduites doublement scandaleuses : celles de Blancs sur les personnes de Noirs, et d'hommes sur les personnes de femmes qu'on prétend informées de ce qu'on fait sur elles.

En 1968, à Meudon, des laboratoires de produits pour bronzer avaient utilisé des pensionnaires de l'Assistance Publique. Cela avait motivé diverses réactions dans la presse, et des sanctions dans l'établissement.

Les poulbots de Meudon trouvaient que l'opinion s'excitait sur une petite affaire, par rapport à tout ce qu'ils subissaient : « Contre ces tests, on nous donnait des bonbons et des cigarettes »... Ils n'avaient pas conscience d'être choisis pour cet office, parce que dénués de famille, donc de défense devant la justice. Et au fond, c'est un peu pour la même raison que les Noirs du Brésil sont utilisés ainsi.

Vercors écrit dans Les animaux dénaturés : « Rien ne nous garantit que, un jour, la race blanche ne sera pas à son tour considérée comme une race de sous-hommes ». J'ajouterais : alors même qu'elle ne l'est pas, pour une raison d'opportunité, des Blancs, parce qu'ils n'ont pas de défense peuvent à l'occasion, être traités comme on traite les Noirs, par la médecine et la pharmacie.

Faut-il vraiment reprocher à Michel Honorin de ne pas avoir rappelé ce qui se fait en France, alors que c'est [PAGE 68] bien dans la bouche du professeur Coutinho – et non dans son commentaire à lui – que ces actes sont dévoilés au Brésil, et perpétrés parce que la loi les interdit en Europe, et pour des raisons d'argent :

« C'est la loi qui exige des études, qui prennent dix années, parfois quinze années, une vingtaine d'années, pour qu'un produit soit finalement vendu, libéré. Alors, les laboratoires ( ... ) veulent développer quelque chose qui puisse rapporter PLUS VITE, qu'attendre vingt ans pour finalement commencer à avoir le retour de l'ARGENT INVESTI. »

On ne saurait mieux dire. Et j'aime imaginer les coups de téléphone des clients européens du professeur Coutinho... De plus, cette émission arrive à un moment opportun : le nouveau ministre de la Santé est soucieux de l'argent que gaspillent les industries pharmaceutiques pour leur publicité.

Je me plains de la manière dont nous sommes informés au sujet des pays du tiers monde; mais ce n'est pas à Michel Honorin que je penserais, en premier lieu...

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Depuis l'émission, j'ai appris que les laboratoires Roussel-Uclaf sont contrôlés à une majorité de 57,9 % par le groupe allemand Hoechst, et que les deux firmes ont des filiales étrangères communes et nombreuses dans le monde...

Le professeur Marc Maillet, dans un livre Nous sommes tous des cobayes (Editions Jeune Afrique, 1981), écrit sans citer aucune entreprise :

    « il y a plus grave : des officines installées en France proposent leurs services pour recruter des volontaires dans d'autres pays, en général en voie de développement : ces intermédiaires réalisent des bénéfices substantiels. Le vide juridique crée donc une situation particulièrement dangereuse, d'autant plus dangereuse que les essais de phases I et Il sont réalisés à l'étranger, parfois par des expérimentateurs qui n'offrent pas les mêmes garanties de conscience, de qualification que les experts français. Nous sommes donc très en retard [PAGE 69] par rapport aux Etats-Unis, à la Grande-Bretagne ou au Canada. »

Dans le même livre, le professeur Maillet cite un mot du docteur Pradal, qui laisse paraître une hiérarchie des cobayes véritablement inversée :

    « Les consommateurs ont, jusqu'à présent, confiance dans le médicament, et jamais les associations de consommateurs n'ont jugé bon de contester le principe même de l'expérimentation du médicament chez l'homme, alors que, lorsqu'il s'agit de l'expérimentation chez l'animal, un certain nombre d'associations extrêmement virulentes, efficaces, absolument hostiles à l'expérimentation animale, font poser des questions par les parlementaires. Or, les consommateurs admettent la nécessité de l'expérimentation sur l'homme, parce qu'ils tiennent avant tout à ce que les médicaments qu'ils achètent soient bien étudiés... »

Depuis l'émission aussi, un colloque s'est tenu à Marseille, sur les expérimentations sur l'homme, déclarées « immoralement nécessaires » (Professeur Jean Bernard). Si aucune allusion n'est faite aux pays appauvris – on est prudent – le colloque se montre généreux en formules, à propos de « l'homme sain », volontaire, « éclairé » sur le sens de l'expérience, « simplement, intelligemment, loyalement ». Il est fait allusion à des comités d'éthique médicale, dont s'est prévalu le professeur Coutinho.

Parenthèse : si un tel comité existait, indépendant, honnête, pourquoi ce professeur brésilien s'est-il inquiété ? Et pourquoi des portes de laboratoires européens, en affaires avec le professeur, se sont-elles fermées à Michel Honorin ?

Ces activités ont pour cadre Bahia, la ville la plus noire de l'Etat brésilien. Un représentant de l'ordre des médecins de Rio de Janeiro pense néanmoins que « c'est une pratique généralisée au Brésil. » Mais il ajoute que « ces expériences ne doivent pas être réservées aux pays du tiers monde ».

Depuis l'émission, enfin, un écrivain chilien réfugié à [PAGE 70] Washington, Ariel Dorfman, a publié dans Le Monde (20 décembre 1981) une nouvelle très bonne, dont le titre est certainement une référence à l'émission de Michel Honorin Pilules dorées.

Thème un jeune chômeur embauché dans un de ces laboratoires, pour prêter son corps, avec un de ses camarades. Il fait prévenir sa mère par son ami, qui travaille avec lui, qu'il va se marier. Et on apprend peu à peu en quoi consiste ce travail. On pense à la lettre de mon moulin d'Alphonse Daudet, où un ami remplit la même fonction de messager... Que la médecine et la pharmacie se méfient; d'autres écrivains songeront à ce thème. Je reparlerai d'ailleurs de la littérature.

Soulignons, à l'heure où Jean-Claude Charles dénonce à la T.V., dans une émission splendide, « l'accueil » de réfugiés haïtiens dans la prison de Miami, combien la peau noire suggère de stéréotypes dans les cerveaux blancs, et des actes correspondants : réfugiés blancs et polonais, ou noirs et haïtiens; malades blancs ou noirs; écrivains blancs ou noirs – vous serez traités par certains messieurs bien sous tous rapports, d'une manière ou d'une autre. (A propos d'écrivains, je pense ici, d'un mot, à Mme Maria-Carolina de Jésus, auteur de Dépotoir (Stock), et du Journal de Bitita (Anne-Marie Métaillé), qui a été volée par ses éditeurs brésiliens, et dont il faudrait bien rééditer la première œuvre.

Ai-je tort d'établir un rapport entre l'évidente satisfaction des artistes de la péninsule ibérique pour traiter le Miracle de la Jambe Noire, et les expériences brésiliennes sur les Noires de Bahia ? Je reparlerai un jour de cette permanence des mythes et clichés concernant les Noirs, dans un autre cadre.

J'aborde maintenant un aspect de la médecine occidentale, sur lequel M. Léon Poliakov a déjà écrit, en employant ce terme évocateur : une mentalité faustienne. Heureuse expression : le docteur Faust, qui est-ce ? Un apprenti-sorcier. Or, nous allons voir que les Européens, en saccageant les cultures des pays conquis, ont eu trop tendance à voir partout de la sorcellerie, et que certains reviennent sur ces conceptions. Notons aussi que le docteur Faust exerce ses talents sur les corps de quatre sortes de personnes, plus souvent qu'à leur tour les femmes, les Juifs, les Noirs, les enfants. [PAGE 71]

LE DOCTEUR FAUST, MAUPERTUIS,
GUSTAVE FLAUBERT, CHARLES BOVARY ET LES AUTRES...

« Pourquoi cet art se borne-t-il aux animaux ? Pourquoi ces sultans, blasés, dans les sérails qui ne renferment que des femmes de toutes les espèces, ne se font-ils pas faire des espèces nouvelles ? », écrit Maupertuis en 1756. Ces lignes sont caractéristiques de cet état d'esprit « faustien », que dénonce Léon Poliakov chez de nombreux hommes de science. Il n'est pas seul dans ce cas : homme, faisant des expériences sur des femmes de toutes les espèces, dans un harem, et créant une espèce nouvelle. Témoin Gustave Flaubert : dans une œuvre de jeunesse, Quid quid volueris, il parle d'un être né dans une plantation coloniale, d'un accouplement entre une Noire esclave et un singe. Les fantasmes masculins de Maupertuis se réalisent dans la science, ceux de Flaubert dans la littérature; mais dans le second cas, la médecine doit bien jouer son rôle, pratiquée par le père et le frère de l'auteur de Madame Bovary; dans les deux cas, les auteurs de cette pensée et de cette nouvelle pensent à des femmes réduites à merci – dans un harem ou dans un système esclavagiste.

Dans le cas de Gustave Flaubert, on pensera aussi aux résultats de l'action provoquée par la mentalité faustienne dans ce dernier roman : aujourd'hui, le professeur Coutinho, lors de la diffusion de l'émission Pilules amères, forcé de demander l'interdiction, puis essuyant un refus, inspirait une certaine pitié, celle-là même qu'inspire Charles Bovary, après l'échec de l'opération aventureuse d'un pied-bot. Ce n'est pas en ennemi de la médecine occidentale que je veux parler, mais dans son intérêt : surveiller le passé de la profession, qui peut amener les médecins, sans qu'ils s'en doutent, dans la situation du professeur Coutinho – ce passé qui pèse sur eux, depuis Côme et Damien, et leur mort noir mutilé.

Le règne des multinationales sur la pharmacie risque, de plus en plus souvent, de mettre des médecins dans cette situation pénible : s'apercevoir brusquement, que ce qui leur apparaît « permis » peut apparaître criminel; [PAGE 72] demander l'interdiction d'un film, où on a dit que ce qu'on fait est permis, et permis à cause de l'impunité coloniale que dénonçait François de Négroni dans son livre Les colonies de vacances[5].

L'histoire avance, celle-ci modifie les codes de conduite; mais les médecins, ayant assez à faire, n'ont pas pour principale occupation de suivre les événements politiques, puis se laissent ainsi surprendre, en train de manipuler des cobayes, ou suspectés d'avoir cette activité : cette aventure du professeur Coutinho a, entre autres, cet intérêt, de mesurer une manière de traiter l'être humain – noir et femme – qui ne passe plus sans discussion, et elle prouve que cette impunité a un avenir compté[6].

TROIS PHENOMENES...

On pourrait énumérer quelques phénomènes historiques contemporains, qui feront disparaître cette tendance « faustienne » :

– La volonté des nations du tiers monde de se créer un corps médical, et surtout une pharmacie indépendante des multinationales.

– La volonté du public de savoir comment il est soigné. Ici, je dois mentionner un fait récent, qui l'indique bien. Il y a quelques années, lors des entretiens de Bichat, je crois, eut lieu une « exposition de malades »; les procédures humiliantes – longues attentes, écriteaux suspendus aux malades – motivèrent un article de Mme Claire Brisset, dans Le Monde, qui eut entre autres pour effet de suggérer à un auteur de théâtre, M. René Escudier, d'écrire une pièce sur le sujet : L'exposition. On connaît l'entreprise de Lucien Attoun, Théâtre Ouvert, qui a pour objet de faire interpréter des pièces non jouées, par des comédiens, après quelques répétitions, puis faire dialoguer public, auteur et comédiens sur le sujet et la pièce représentés. Ensuite, la pièce et le débat sont enregistrés et diffusés sur France-Culture. Cela se passait au [PAGE 73] Centre Pompidou; nous étions en pleine « Giscardie ». A la fin du débat, on apprit incidemment que la pièce ne serait pas diffusée, selon une responsable de France Culture, pour ménager la sensibilité du public; elle eut fort à faire, car c'était difficile, de défendre cette position. Et nous sommes toujours devant le même problème : le matériel de l'exposition, ici, est vivant, humain. Celui-ci proteste contre certaines procédures, certains traitements. « Cette décision, pensait le public du Centre Pompidou, ménageait plus la sensibilité des médecins que celle des malades. »[7]

– Dirais-je un troisième phénomène – le plus important puisqu'il concerne la moitié de l'espèce ? Les femmes, en pratiquant la médecine, liquideront cette mentalité faustienne, qui, on l'a vu, s'exerce souvent sur elles et conduit à des manipulations expérimentales sur leurs corps. Ce n'est pas un hasard si j'ai appris l'existence de l'émission de Michel Honorin par un dialogue entre deux jeunes femmes. Il n'y a pas d'héritières des saints Côme et Damien.

Voilà trois phénomènes, qui permettent d'espérer que l'héritage de ces saints sera bientôt liquidé.

NOUVELLE RECHERCHE DE
LA MEDECINE EUROPEENNE AU TIERS MONDE

Un quatrième phénomène s'amplifie depuis ces dernières années; il est dû à un travail commun de plusieurs disciplines – ethnologie, botanique, médecine, etc. – et des médecins occidentaux rejettent le mépris pour les valeurs médicales des autres continents.

« Depuis cinq ou six ans, dit à la radio le docteur Patrick Braun, auteur de Médecin et sorcier des Andes, des médecins occidentaux ont découvert que la médecine traditionnelle – pas seulement, d'ailleurs, chez les [PAGE 74] Jivaros, mais en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud – avaient des éléments extrêmement importants susceptibles d'être apportés à la médecine occidentale ( ... ) Il y a une très grosse partie de cette médecine traditionnelle qui est efficace, qui apporte des résultats positifs, comme notre médecine; à côté vous avez un revêtement de magie; ce reflet est vu par les Occidentaux; la plupart du temps, ils ricanent : c'est le côté tragique de la chose. Aujourd'hui, être chamane est de plus en plus mal vu. Les Jivaros, qui sont en contact avec les médecins occidentaux, ricanent un peu lorsqu'ils voient leurs propres chamanes tourner autour du patient en faisant des incantations, lui broyer des pierres et des plantes. A leur retour dans la tribu, il n'y a plus d'esprit, pour choisir un jeune, pour qu'il devienne chamane. Je peux citer un point précis. J'ai envoyé plusieurs lots de plantes, que l'on faisait sécher sur place, qui m'étaient fournies par des chamanes. Je me souviens très bien d'une de ces plantes, qui est considérée à nos yeux comme un anti-inflammatoire digestif, qui pourrait être utilisé pour empêcher la formation d'ulcères à l'estomac, des coliques, des inflammations du gros intestin et de l'intestin. »

Le docteur Braun affirme par exemple que la formule des suppositoires est un emprunt de la médecine aux chamanes d'Amérique Latine.

Du côté de l'ethnologie un autre savant M. Marc Augé, professeur à l'Ecole des Hautes Etudes dans un entretien avec M. Charbonnier, lui aussi, rejette les interprétations magiques comme seul caractère des médecines traditionnelles, et il condamne une tendance fréquente de sa discipline :

« L'anthropologue, son domaine à lui, c'est d'essayer de mettre en évidence la part sociale de toute représentation de la maladie. Ceci, qui pourrait paraître évident, va contre une certaine tradition de l'ethnologie, car dans la mesure où un certain nombre de sociétés attribuent des causes sociales à la maladie on a parlé, assez facilement, de « magie »... L'ethnologue a eu tendance à caractériser comme irréductiblement originaux, et, disons le mot, comme « primitifs et irrationnels », les systèmes qui procédaient d'abord par l'élucidation de la cause sociale supposée du mal... »

Dans l'histoire de la médecine chinoise, il y eut une [PAGE 75] période, qui a pris fin en 1949, au cours de laquelle les traditions médicales du pays étaient méprisées – acupuncture comprise – au bénéfice de la médecine européenne. Puis, une réaction eut lieu, les valeurs médicales de la Chine ont été restaurées, et l'Europe a été intéressée par cette restauration. Il semble que d'autres régions du globe suivront cet itinéraire.

La médecine occidentale est intéressée par un réexamen des médecines des autres continents, en particulier pour cette raison : ce sera une façon de liquider le passé colonial de l'Europe, sur le plan médical; les médecins qui s'en préoccupent ne sont certes pas ceux qui pratiquent les expériences dont j'ai parlé.

Ce phénomène concerne tous les continents : une exposition de médecine traditionnelle a eu lieu récemment à Kuala-Lumpur, et j'en ai entendu des extraits de commentaires, concernant les soins à apporter aux drogués, nombreux dans le pays. Le « ricanement » occidental, à propos de pratiques décrétées « magiques », est peut-être mal placé, sur cette spécialité particulièrement.

Il faut noter que c'est par une insuffisante réflexion sur les implications sociales de la médecine que des médecins en arrivent à ces errements, et que les médecines traditionnelles ont peut-être le plus à nous apprendre sur ces implications.

Or, les pratiques thérapeutiques africaines, justement, sont très occupées par les rapports du patient avec le milieu social, et par les rapports de la maladie et de la société où celle-ci se produit.

L'étude de ces médecines traditionnelles place les médecins occidentaux dans une attitude accueillante, et dans une posture psychologique de demandeurs.

Cette posture ne peut que les appeler à plus de respect envers les peuples que l'Occident a asservis, puis appauvris, et dont l'économie est encore tenue dans un état de dépendance, qui n'est pas sans conséquences, en médecine et en pharmacie.

Laurent GOBLOT

Post scriptum. – J'ai entendu parler, sans précisions suffisantes pour que cela rentre dans ce cadre d'un [PAGE 76] débat parlementaire au Parlement kényan, concernant un médicament abortif fabriqué aux USA, dont il faudrait se méfier, nommé DEPOPROVERA, et qui serait exporté en Afrique, au Maroc, en Union Sud-Africaine. Une anecdote fut racontée à ce sujet : une Blanche sud-africaine, parlant de ce médicament à son médecin, s'entendit répondre par le praticien : « Mais Madame, ce médicament est pour les Noires ! » Le racisme médical semble avoir beaucoup de rapports, dans ses manifestations, avec les femmes, la natalité, la contraception, sur de nombreux secteurs de la planète (cf. P.N-P.A., no 16, p. 111).


[1] Ces citations sont extraites de L'image du Noir dans l'art occidental. J'ai cru percevoir dans cette lecture, que cette image s'est dégradée dans l'Empire romain. Chez les Grecs, Herakles a des liens avec les Noirs, il a même une mère de couleur, alors qu'Hercule a perdu toute trace de cette ascendance. On commence à écrire des farces sur les femmes blanches, qui accouchent d'enfants noirs, dans le but de faire rire aux dépens des femmes et des Noirs, et une image pornographique des Noirs apparaît sur des mosaïques vers le Ier siècle après Jésus-Christ (mosaïques des thermes de Timgab et d'une villa de Pompéi). N'est-ce pas parce que l'empire romain est un empire colonial, qui motive beaucoup de migrations masculines sur de grandes contrées, ce qui créerait déjà les phénomènes décrits par François de Négroni sur le plan sexuel (P.N.-P.A., no 22) ? Je crois que, si des femmes et des Noirs avaient participé en plus grand nombre à ce livre, les différences entre les Romains et les Grecs, dans leurs perceptions des Noirs auraient été mieux examinées dans le tome 1. De même, si la médecine avait été une profession moins masculine, son rôle dans l'élaboration et la diffusion du racisme serait moins considérable.

[2] Voir P.N.-P.A., no 15, p. 95.

[3] V. « Saray Bartmann, la Femme de Bonne Espérance », p. 155, no 24 de Peuples Noirs-Peuples Africains.

[4] Un peintre allemand représente le Miracle de la jambe Noire, en supprimant les saints et le Noir, ne laissant que le patient sur son lit, puis guéri, et montrant sa cuisse greffée à un groupe d'amis. On pourrait croire que le peintre a voulu traiter le thème par dérision (Musée de Vienne, Autriche). Les peintres allemands du Moyen Age ont une toute autre image des Noirs que les Espagnols, dont je reparlerai, si P.N.-P.A. le juge utile. La manière dont des sociétés très différentes ont hérité d'une image mythique des Noirs, à travers les siècles, est assez curieuse, en Europe.

[5] Voir P.N.P.A., no 22, p. 24 et suivantes.

[6] J'ai entendu parler à Lyon d'un chirurgien, qui avait choisi un enfant de l'assistance, sans famille, pour pratiquer une opération expérimentale. Il a sollicité l'aide d'un autre chirurgien, qui a refusé.

[7] Il n'est jamais trop tard pour mieux faire : espérons que les événemems politiques qui ont changé la direction de la radio, permettent à Mme Michèle Cotta de mettre fin au purgatoire dans laquelle gît la pièce de René Escudié : un texte nécessaire, qui éduque les spectateurs, pour regarder autrement les handicapés, les malades, les anomaux, et qui concerne non seulement la médecine, mais la société dans son ensemble. Il faut mettre fin à cette censure inadmissible.