© Peuples Noirs Peuples Africains no. 28 (1982) 1-10



DIALOGUER AVEC LE MAITRE BLANC ?

Mongo BETI

Les premiers Blancs à débarquer sur une plage de ce qui allait devenir les Etats-Unis d'Amérique du Nord engagèrent des négociations avec les habitants du pays, c'est-à-dire les Peaux-Rouges, et signèrent avec eux des traités proclamant qu'une éternelle amitié liait désormais les Indigènes de ces contrées et les étrangers venus de la mer.

En fait, les nouveaux venus n'avaient pas d'autre choix. Largement inférieurs en nombre, ils devaient se garder d'engager les hostilités sous peine d'être anéantis.

Au cours des années cependant, les Blancs ne cessèrent d'arriver de la mer, et le rapport de forces de se modifier en faveur des étrangers, tandis qu'une évolution d'abord insensible éloignait progressivement les Peaux-Rouges de leurs territoires de chasse et de pêche de la côte atlantique vers l'intérieur des terres, sans qu'il soit encore véritablement question de conquête. De temps en temps, une tribu qui regimbait subissait aussitôt la foudre des armes à feu, apanage des Blancs; toutefois, de telles expéditions demeuraient sporadiques : les Peaux-Rouges, mal informés et d'ailleurs trop divisés, étaient bien incapables de saisir l'inclinaison sournoisement tragique des événements, quoiqu'ils fussent toujours pressés avec de [PAGE 2] plus en plus de rigueur de reculer vers les solitudes inhospitalières, loin des terres ancestrales.

Même lorsque, devenus à la fin les plus forts, les Blancs, ces hôtes fraternellement accueillis jadis, eurent résolu de les spolier les armes à la main, ils ignoraient toujours que leur sort était scellé à jamais. C'est le cœur serré que nous les voyons au dix-neuvième siècle s'accrocher pied à pied aux réserves successives que des traités de paix, signés chaque fois en grande cérémonie, mais toujours violés ensuite par la cupidité et la volonté de puissance des Blancs, leur assignent sans cesse comme le refuge définitif. C'est le cœur serré que nous les imaginons dépêchant sans cesse des messagers de leur colère ou de leur désespoir auprès du chef suprême des Blancs à Washington. Quand ils sont reçus, ce n'était pas toujours le cas, ces derniers, à leur retour, brandissent comme un trophée triomphal de jolis parchemins gonflés de serments pompeux leur assurant enfin définitivement la reconnaissance et le respect de leurs droits imprescriptibles; puis, passant par là un jour, un colonel intempérant à la tête d'un régiment de reîtres en goguette les décimera.

Aujourd'hui, il n'y a pour ainsi dire plus de Peaux-Rouges aux Etats-Unis d'Amérique du Nord; en tout cas, les rarissimes survivants de ce grand peuple ne possèdent absolument plus rien du patrimoine aménagé par leurs ancêtres, et si cruellement convoité par l'homme blanc, c'est-à-dire la vie la plus libre de l'histoire des hommes, à travers les plus superbes étendues, plantées des plus magnifiques forêts, arrosées par les plus belles rivières, encadrées des plus merveilleuses montagnes dont un peuple puisse rêver.

N'en déplaise à ceux qui prétendent le contraire, l'Histoire se répète bel et bien, et sans bégayer encore. A la fin des années cinquante, l'Afrique noire française (?), exaltée par l'insurrection des populations indigènes de l'Algérie, semblait devoir basculer elle aussi dans la révolte généralisée. Alors le grand Manitou blanc débarqua tout à coup sur nos plages; il s'était déguisé en sorcier; il exécuta quelques danses rituelles ici et là les plumes dont il s'était affublé le chef s'agitaient dans les rayons obliques du soleil couchant; il proférait des paroles éclatantes autant qu'énigmatiques. Tout cela [PAGE 3] eut un effet si prodigieux que les Indigènes de nos contrées, à leur tour apaisés, virent non sans amusement le grand chef blanc signer des traités d'éternelle amitié avec de grands sachems noirs qu'il venait de désigner d'autorité parmi la foule accourue sous l'emprise de la curiosité.

Vingt ans après, et sans qu'il soit question de reconquête coloniale, par le simple effet d'un engrenage insidieux mais diabolique qu'on appelle le capitalisme, la spoliation des Noirs d'Afrique francophone, commencée avec la Traite, poursuivie sans relâche tantôt ouvertement, tantôt hypocritement, a repris de plus belle; elle s'accélère même à l'insu de l'opinion internationale et même de la grande majorité d'entre nous, les principaux intéressés, dont le sort est peut-être déjà scellé comme celui des Peaux-Rouges américains au début du dix-neuvième siècle.

Bien sûr, on n'en est pas encore à nous écarter des côtes ni à nous entasser dans des réserves exiguës à l'intérieur des terres – sauf en Afrique du Sud où ce n'est pas du tout une autre histoire, comme l'on veut nous taire croire, mais bien toujours la même histoire depuis quatre cents ans.

On n'en est pas encore en Afrique francophone (?) aux bantoustans expressément nommés. Pourtant chaque mois des clans indigènes sont dépossédés de leurs terres sans autre forme de procès pour céder la place à une entreprise Péchiney désireuse de s'installer à l'aise. Des faubourgs entiers sont rasés au bulldozer et leurs habitants misérables dispersés aux quatre vents parce qu'une chaîne de grands magasins a décidé de construire un supermarché sur cet emplacement. M. Albin Chalandon, P.D.G. d'Elf-Erap, dédaigne ostensiblement de verser aux Etats les royalties du pétrole extrait du sol africain, ne se gênant nullement pour les donner de la main à la main à ses petits copains les roitelets nègres, qui, au vu et au su de tous les hommes avertis, s'empressent de les mettre à l'abri dans des banques suisses. D'ailleurs n'est-il pas coutume d'entendre les plus hautes autorités de Paris, surtout depuis l'avènement des socialistes, exposer sans complexe leur intention de fonder sur le nucléaire (alimenté par l'uranium du Gabon et du Niger) leur politique d'indépendance énergétique de la France ? [PAGE 4]

La mythologie moderne, pervertie par le cinéma, avide de sensationnel, résonne des noms des grands résistants du peuple Peaux-Rouges : Sitting Bull, Red Cloud, Crazy Horse, Spotted Tail, Cochise, Geronimo, etc. Mais qui évoque encore ses prophètes imbéciles du dialogue avec le maître blanc ? Il nous passionnerait pourtant de savoir où ces âmes molles puisaient leur foi, dans quels gestes ou quelles paroles du conquérant elles crurent trouver un encouragement, quels furent leurs arguments les plus persuasifs, comment expliquer leur cécité.

C'est que nous retrouverions aujourd'hui les mêmes illusions, les mêmes rêves insensés, les mêmes faiblesses dans leurs émules africains de notre époque : les prophètes du dialogue avec le Parti socialiste au pouvoir maintenant à Paris. En ce moment, plus que jamais depuis le 10 mai, les exaltés francophones du dialogue avec le maître blanc prolifèrent, le nouveau grand Manitou de l'Elysée ayant relancé récemment la frénésie de la secte en allant exécuter quelques danses rituelles sur nos plages, balayant le soleil de son chef empanaché, et proférant des paroles sacramentelles. C'est une vraie rage. On a beau les dénoncer, les prêcher, les vitupérer, rien n'y fait. Jusqu'où peut aller ce fanatisme, qu'on en juge par cette modeste anecdote.

Je fus contacté l'hiver dernier par un petit-bourgeois noir, un homme que je croyais honorablement connu parmi les Africains; il me proposa de créer et d'animer avec lui un petit mensuel destiné à l'information de nos compatriotes dispersés à travers le monde en communautés immigrées coupées les unes des autres. J'acceptai avec d'autant plus d'empressement que j'avais moi-même déjà caressé un projet semblable.

Nous préparions depuis quelques semaines la parution du numéro 1 du mensuel lorsque ce petit calculateur sans scrupule me confia, sur le ton le plus détaché, que des responsables socialistes, qui avaient entendu parler de notre projet, avaient manifesté le plus vif intérêt pour nos activités et désiraient nous rencontrer en vue d'une connaissance mutuelle. Je lui rappelai les réserves maintes fois exprimées que m'inspiraient les politicaillons africains qui avaient pris l'habitude de se précipiter chez les Socialistes dans le vain espoir qu'une telle visite leur conférerait la représentativité qui leur manquait; les [PAGE 5] avais-je souvent cloués au pilori dans mes écrits ces temps derniers!

Il ne s'agissait pas du tout de cela, à l'en croire. D'abord – et il me montra une lettre à vrai dire d'une limpidité relative – ce sont les socialistes qui assumaient l'initiative de la rencontre; d'autre part, de quel sectarisme négatif ne ferions-nous pas preuve en refusant toute rencontre avec des hommes de bonne volonté qui n'avaient d'autre intention que de s'instruire.

Je finis par me rendre à ses raisons, et j'eus bien tort. A peine fûmes-nous devant nos interlocuteurs rue de Solférino que, dédaignant ma désapprobation maintes fois formulée des exclusives politiques entre compatriotes, il se lança dans une violente diatribe contre d'importantes personnalités camerounaises qu'il qualifia tout de go de faux prophètes, alors qu'elles avaient peut-être été reçues ou allaient être reçues par des responsables socialistes. Je dus intervenir pour le désavouer.

En sortant de là, j'avais ma religion faite. Je me livrai néanmoins dans les jours qui suivirent à une petite enquête pour savoir qui avait réellement pris l'initiative d'une rencontre qui me laissait si perplexe. Je découvris assez facilement ce dont je me doutais : l'initiative ne venait nullement de responsables du P.S. Très simplement, mon petit magouilleur brûlait de « dialoguer » avec les socialistes mais, manquant d'autorité personnelle, il avait dû se faire éconduire. Il avait alors imaginé de se servir du sésame de ma petite notoriété pour ouvrir une porte de service du Parti socialiste, anti-chambre du pouvoir. Il a peut-être aussi été le misérable instrument d'un complot destiné à me ridiculiser en me faisant faire, serait-ce à mon insu, ce que j'avais tant blâmé chez d'autres[1].

Répétons donc que nous ne cautionnerons à P.N.-P.A., ni individuellement ni collectivement, aucun « dialogue » avec le Parti socialiste. Nous l'avons d'ailleurs dit mille fois depuis le 10 mai. Mais apparemment on ne veut pas l'entendre. Il n'y a de dialogue que d'égal à égal, car « dialoguer » avec un pouvoir, c'est nécessairement [PAGE 6] négocier, c'est-à-dire monnayer. Puisqu'il n'a rien et qu'il n'est rien, que peut donc monnayer l'esclave devant son maître, si ce n'est le prix de vente de ses frères ? C'est d'ailleurs pourquoi toute démarche de ce genre tourne nécessairement à la diatribe fratricide, à la dénonciation de prétendus « faux-prophètes ».

Mais qu'on ne me tasse pas dire ce que je n'ai jamais dit : je ne condamne nullement le dialogue en soi. Que Noirs et Blancs puissent et même doivent dialoguer, mais entre individus libres, d'homme à homme comme on dit si mal, de quoi donnons-nous donc l'exemple en permanence à Peuples noirs-Peuples africains ? Beaucoup de collaborateurs de la revue – la moitié peut-être –, un grand nombre d'abonnés, de lecteurs, d'amis, de sympathisants de cette publication ne sont-ils pas des Blancs ? En effet, l'individu n'est pas nécessairement solidaire de sa société, encore qu'il réponde forcément de l'oppression que celle-ci exerce sur d'autres sociétés : c'est une évidence reconnue depuis longtemps.

Nous soumettons à nos lecteurs le texte reproduit ci-dessous, paru dans « Le Canard Enchaîné » du 23 juin 1982, comme une illustration définitive de la forteresse d'incompréhension haineuse, de mépris paranoïaque, de prétention boétienne où le dominant s'enterre nécessairement, tant qu'il se choisit solidaire de sa société, face au dominé, et qui rend dérisoire tout dialogue entre eux.

Signalons à nos lecteurs africains vivant en Afrique (car ils ne le savent peut-être pas) que « Le Canard Enchaîné », catalogué traditionnellement comme journal de gauche, appartient par définition à la mouvance idéologique des partis actuellement au pouvoir à Paris et qui, d'ailleurs, ne paraissent pas avoir éprouvé beaucoup de difficulté à digérer le sanglant héritage africain laissé par leurs prédécesseurs de droite. Rien ne pouvait donc être plus représentatif de l'idéologie française « de gauche » que ce monument que, certainement, retiendra l'Histoire, et pas seulement l'histoire de la bêtise humaine.

Mongo BETI

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Lettres ou pas Lettres

« URG. AFRIQUE NOIRE RECH.
CIVILISATION, MEME D'OCCAS. »

Dominique DURAND

L'Afrique noire ? Il paraît qu'elle est toujours aussi mal partie, merci. En tout cas deux livres, effectuant un mouvement de pendule au-dessus de l'Afrique orientale et australe, nous en renvoient la même image : une simagrée, un simulacre. Les colonisateurs sont partis (pas tous !) en enfouissant leurs fétiches dans le cœur des Zombies qu'ils ont mis à leur place.

Dans ses carnets de route qui charrient autant de mots que le Zambèze de cailloux, Jack Thieuloy[2] ne cherche pas dès l'abord l'explication politique. Il a tracé la route depuis Luzaka, en Zambie, vers l'est, vers Dar-es-Salam, le fournil du monde, l'océan, et le Kilimandjaro, pour dessiner l'ensemble de plus haut. Il entre tout de même en Afrique du Sud comme il en ressort, les flics aux fesses : sans visa. Il n'avait pas d'idée toute faite sur l'apartheid, ni de bonne conscience pétitionnaire : il lui suffit d'arriver à Johannesburg en stop, pas en avion comme les envoyés spéciaux des journaux occidentaux invités par le gouvernement; de descendre dans un hôtel minable, de faire un tour dans Soweto, le plus grand zoo à nègres du monde (« On se retourne pour regarder son ombre et on voudrait la fuir comme un colis piégé »), pour constater qu'Hitler et Goebbels sont toujours vivants. Ils sévissent du Cap à Jo'burg, en forçant leurs esclaves à extraire pour eux et leurs copains, de plus en plus profond du ventre de la terre, de l'or et du diamant. « L'or sud-africain est blanc, c'est ta peau. » Il pense à l'occupation de la France par la Wehrmacht...

Heureusement, il a un mythe et un copain après quoi courir, sans compter tous les beaux gosses qui illuminent ses piaules sordides : le copain, c'est un certain Milton [page 8] Livingstone (rien à voir avec le célèbre docteur anti-esclavagiste), qui a une idée fixe, le métissage. L'avenir, la seule chance pour l'Afrique, pense Milton, c'est le métissage organisé. Pour cela il affrète un bateau, le « Nuit-Blanche », qui amène en Tanzanie, Zambie, Kenya, Ouganda, Malawi, des cargaisons de visages pâles, moins gagnés à l'idée de sa croisade que désireux de se lancer dans l'aventure en fondant un foyer sous les tropiques. Le rêve de Milton – les nègres roses – est aussi celui de Thieuloy, ça tombe bien ! Un Thieu-Thieu en pleine verve qui prend le risque de la littérature jusqu'à en crever, ne trimballant sur les chemins du monde que sa bite, son couteau et ses carnets, autrement dit ses pépites.

Un incongru, Thieuloy, un boulimique ? Que non pas. Je rigolais, au milieu du bouquin en pensant : « Mais il nous devient un grand classique français, ce cochon!... » Et voilà qu'il avoue, qu'il s'étonne, qu'il est dominé par une écriture qu'il domine de mieux en mieux. Il dit son admiration pour La Rochefoucauld, fait « des pas timides vers la littérature moraliste » « avec la maturité, je suis devenu plus... classique, n'est-ce pas, le sang-froid au bout de la plume et dans le cran d'arrêt ». Cours, camarade, le vieux Gide est derrière toi !

Voici une analyse politique-express du Zimbabwe de l'après Ian Smith : « Depuis que les lunettes du professeur Mugabe sont Premier ministre, tout le monde se dit bachelier, c'est-à-dire ZANU (dans ZANU, il y a " national "). Sauf les autres, les gueules de terroristes qui, n'ayant pas réussi au certificat d'études, se disent du peuple, patriotes (comme dans ZAPU), derrière leur bibendum de chef, Nkomo, une sombre Mère Denis rigolarde qui aurait une mitraillette entre les cuisses. » Dire qu'il faudrait une page entière du « Monde diplomatique » pour n'expliquer que cela ! ...

Mais il ne l'a pas trouvée, l'Afrique. C'est un miroir qui renvoie en noir les anciennes grimaces des Blancs. Partout l'indifférence, la concussion, l'acceptation par les populations d'un destin qui irait vers l'entropie. Raciste, Thieuloy, lorsqu'il dit que l'Afrique, contrairement à l'Asie et autres bouts de terrain, n'a pas de civilisation puisque pas le génie du signe écrit ? Ne se préoccupant pas de ce qu'il y a eu après la houe et la charrette, écrit-il, les Noirs préfèrent attendre de pouvoir sauter dans [PAGE 9] la Mercedes, faisant l'économie d'une civilisation bâtisseuse. Raciste, mon frère ?

C'est aussi l'avis de V.S. Naipaul, dont le dernier roman traduit[3], s'il n'a pas la pureté glacée de « Guérilleros », est l'histoire d'une marche en sens inverse, depuis la côte orientale jusqu'au cœur de l'Afrique. Thieuloy a fait le chemin qui menait les esclaves vers les soutes des négriers. Le héros pâlichon de Naipaul, Salim, fils de négociants indiens venus s'installer sur les comptoirs de la côte, fuit une région qu'il sent menacée par les « troubles ». Il revient chez les descendants des esclaves, dans cette ville étonnante à la courbe du grand fleuve, d'où les Européens sont partis.

Salim pense également que « sans les Européens (et leurs livres), tout notre passé se serait effacé comme les traces de pas laissées par les pêcheurs sur la plage voisine de notre ville ». Il accueille un fils d'esclaves-domestiques de sa famille, qu'il appellera Metty, comme « métis », mais ce n'est pas un nègre rose, et son avenir non plus, dans ce cul-de-sac d'un pays, qui pourrait bien ressembler au Zaïre, avec son Grand Homme président affublé d'une coiffe en léopard, ses trafics d'or et d'ivoire, tout comme ce pourrait être chacun des pays voisins.

N'ayant pas de civilisation, l'Afrique fait donc de temps en temps le ménage et la révolution. On chasse les précédents, pour gérer la corruption à son compte. Une fois le nettoyage opéré par des mercenaires blancs, la prospérité revient, avec le boom immobilier. Le Grand Homme, de plus en plus mégalo, fait construire un « Nouveau Domaine » en grignotant la brousse. A l'écart de la ville, s'écaillant au bout de quelques mois, c'est l'Afrique moderne en vitrine, singerie des métropoles européennes, qu'on dirait posée là en trompe-l'œil rien que pour rassurer les hommes d'affaires blancs reconnaissant ce signe culturel convenu depuis le hublot de l'avion.

Rien de nouveau pour les déracinés comme Salim, qui trouvera en plein Londres ses frères indiens tenant les mêmes petits commerces qu'au cœur de l'Afrique. Ni [PAGE 10] plus, ni moins. La conclusion s'impose alors : « Il n'y a rien à quoi retourner. » L'Afrique est un pays où il faut « durer », répète-t-il inlassablement. Il se lassera le premier, car cela ne peut effectivement pas durer.

Après cela, amis du tiers monde, jolis coopérants, relisez René Dumont et faites de Beaux rêves...

Dominique DURAND


[1] Chose curieuse, quelques jours après ma rupture avec le magouilleur, la rumeur se répandit dans Paris que je m'étais suicidé. D'autre part, je n'ai pas eu le sentiment que mon guignol et le représentant du P.S., Chantal Pérez, étaient inconnus l'un de l'autre.

[2] « Le Continent maudit », par Jack Thieuloy (Presses de la Renaissance).

[3] « A la courbe du fleuve », de V.S. Naipaul (Albin Michel). Traduit de l'anglais par Gérard Clarence.