© Peuples Noirs Peuples Africains no. 25 (1982) 104-112



DE L'ECHANGE INEGAL

MALONGA Jean-Michel
NGANGA Ignace
NKOUNKOU Clotaire

Notre article portera sur l'ouvrage de Makhtar Diouf publié par Les Nouvelles Editions Africaines en 1977 et qui s'intitule « Echange inégal et ordre économique international ». Nous présenterons d'abord un résumé de l'ouvrage et ensuite nous dégagerons les réflexions qu'il a suscitées en nous.

Iere partie : Résumé de l'ouvrage.

L'échange inégal est un problème d'actualité ayant fait l'objet de discussions théoriques et d'ouvrages. Mais le problème n'a pas encore été résolu, d'où l'objet de ce livre qui se propose de ré-ouvrir le débat sur l'échange inégal.

L'échange inégal est le problème des termes de l'échange, c'est-à-dire du rapport de l'indice des prix à l'exportation à l'indice des prix à l'importation. La baisse de ce rapport exprime la détérioration des termes de l'échange subie par les pays d'Amérique latine, d'Afrique et d'Asie, gros importateurs de produits industriels et gros exportateurs des produits de base. Les débats reposent non sur l'existence du système mais sur les divergences d'interprétation et de proposition de solution. [PAGE 103]

A – Echange inégal. Commerce extérieur et développement économique.

I – Recensement des théories et des politiques

Pour l'économie néo-classique, le commerce international se caractérise par une division du travail avantageuse pour tous. L'échange inégal dans la théorie du commerce international n'est introduit que dans les années 50, notamment par l'économiste argentin Raul Prebisch qui constate dans « The economic development of Latin America » qu'après des années, certains pays continuent à s'appauvrir tandis que d'autres ne font que s'enrichir. L'échange inégal vient du fait que le progrès technique s'est propagé d'une manière inégale, d'où la division en centres industriels et pays périphériques spécialisés dans la production des matières de base. Le frein du développement est donc de nature structurelle. Prebisch recommande le modèle d'industrialisation de substitution d'importation.

Pour réfuter l'exploitation dans le commerce international, les économistes néo-classiques recourent à la théorie de la valeur-utilité et à la loi de l'offre et de la demande.

Il existe une théorie crypto-néoclassique dont le principal tenant est Emmanuel avec son livre « L'échange inégal » paru chez Maspéro en 1969. Pour lui, ce ne sont pas les termes d'échange de certains produits qui se détériorent mais plutôt les termes d'échange de certains pays : les prix incorporent les coûts des facteurs capital et travail, c'est-à-dire le taux de profit et les salaires. Le taux de profit est identique mais le niveau des salaires varie. Il est bas dans les pays sous-développés et élevé dans les pays développés. Il y a donc une plus-value plus élevée dans les pays sous-développés, plus-value transférée vers les pays développés.

Deux types de solutions sont proposés pour résoudre le problème : la concertation internationale et les actions unilatérales des pays producteurs de produits de base.

La concertation internationale s'inspire de la théorie néo-classique macro-économique et vise une portée financière (aide compensatrice) et commerciale (régularisation des prix). [PAGE 106]

Les actions unilatérales des pays en voie de développement visent non seulement la commercialisation des produits de base (action d'organisation de pays producteurs, action de valorisation commerciale interne) mais aussi la promotion de la production et de l'exportation des produits manufacturés par les pays sous-développés (politique de valorisation industrielle et d'industrialisation et de substitution d'importation recommandée par Prebisch).

2 – Critiques des politiques de l'échange inégal

La formule néo-classique de l'aide financière montre que la place actuelle des pays sous-développés dans l'actuelle division internationale du travail n'a qu'un but : renforcer les positions du capitalisme international et que l'aide aux pays sous-développés n'a aucun caractère humanitaire. Ainsi, le Stabex par exemple n'est rien d'autre qu'un simple mécanisme d'atténuation des fluctuations des recettes d'exportation des ACP et encore par leurs propres efforts étalés dans le temps. Quant à la formule commerciale des accords de stabilisation, toutes les expériences se sont soldées par des échecs. Le principe de base de ces accords est la loi de l'offre et de la demande. On oublie que depuis longtemps ces mécanismes ne fonctionnent plus.

Les politiques industrielles de lutte contre l'échange inégal ne sont pas une solution car celles-ci perpétuent la dépendance et, plus encore, participent à la détérioration des termes de l'échange. De même, la valorisation commerciale interne ne remet pas en cause l'échange inégal.

Le véritable nœud de l'échange inégal se situe au niveau de la valorisation commerciale extérieure. Celle-ci a lieu sur les bourses de commerce, création du capitalisme et fonctionnant dans les grandes métropoles capitalistes et c'est là que se déterminent le prix des matières premières sans que les pays producteurs soient même représentés. Au-delà de la fixation des prix des matières premières, les bourses de commerce remplissent d'autres fonctions liées au capitalisme.

Il faut souligner que les pays socialistes ne participent pas à cet échange inégal. Véritable réservoir de matières premières, ils ne comptent ne pour 6,3 % (contre 67,9 % pour l'Europe occidentale) dans le volume total [PAGE 107] du commerce des pays africains au cours de la décennie 60-70.

Les propositions et solutions présentées jusqu'à présent brillent par leur inefficacité car elles passent à côté du nœud : la valorisation commerciale externe. Il faut que les pays producteurs de matières premières brisent la forteresse des bourses de commerce. Les pays producteurs doivent s'entendre pour établir un prix révisable compte tenu de la hausse des produits manufacturés. Pour cela, il faut s'attaquer aux bourses de commerce et donc au capitalisme. Changer d'ordre, c'est changer de système.

D'autre part, il faut noter que l'échange inégal n'est pas le seul frein au développement. Il est devenu un alibi commode pour justifier les médiocres performances économiques, ce qui permet d'évacuer les causes socio-économiques du sous-développement.

B – L'ordre économique international du socialisme : le COMECON

Le socialisme a mis en place un ordre économique international d'un type nouveau qui a éliminé la base socio-économique de l'exploitation du travail par le capital.

L'expérience socialiste est connue sous le sigle COMECON. Celui-ci a vu le jour pour faire face à des nécessités conjoncturelles créées par le Plan Marshall. Ses membres sont dispersés géographiquement et il existe une disparité d'envergure territoriale et démographique. Le COMECON se fixe comme objectif d'accélérer le développement économique des pays membres et de le niveler progressivement. Ses fonctions actuelles qui ont commencé à partir de 1960 peuvent être divisées en deux points :

1 – Spécialisation et division internationale du travail

D. Ricardo avait dégagé une théorie de l'optimum économique sur la base des coûts comparés suivant laquelle le commerce extérieur se fait sur la base de la division internationale du travail. La spécialisation et la division internationale du travail sont menées dans le cadre du COMECON non sur une base intersectorielle comme dans les rapports pays développés – [PAGE 108] pays sous développés mais plutôt sur une base intra-sectorielle ou inter-branches. Sur cette base sont créés des rapports de coopération. La spécialisation n'est jamais absolue : aucun secteur n'est sacrifié et la spécialisation se fait aussi à l'intérieur de chaque secteur industriel. Jusqu'en 1964, les règlements se faisaient par compensation bilatérale. A partir de cette date, le Rouble Transférable a été adopté comme unité de compte.

2 – Autres formes de coopération

– Aide pour le commerce : contrairement aux relations pays développés – pays sous-développés où l'aide s'oppose au commerce d'où le slogan « Trade, not Aid », dans le cas socialiste, commerce et aide ne s'opposent pas, l'un est au service de l'autre.

– Coopération financière : Créée en 1970, la Banque Internationale d'Investissement est l'institution de la politique de coopération. La BII finance les projets d'investissement et fournit des devises (qu'elle se procure sur le marché international) pour permettre aux membres de s'approvisionner dans les pays capitalistes.

– Coopération technique et scientifique : elle se manifeste par la mise sur pied de centres communs de recherche. Plusieurs réalisations ont été faites dans le cadre de la coopération technique et scientifique. Une politique de transfert de technologie entre pays membre a été adoptée.

C. Appréciations

Certains économistes proclament l'exploitation par l'URSS de ses partenaires au sein du COMECON. Certains indices de surface sont susceptibles d'accréditer cette thèse. D'autre part, certaines personnes extrapolent des relations particulières ayant existé entre l'URSS et certains pays d'Europe devenus socialistes.

L'appréciation des rapports au sein du COMECON doit être faite au niveau des résultats et des méthodes de fonctionnement.

1 – Le principe de la souveraineté nationale

Chacun des membres du COMECOM détermine sa politique commerciale avec les pays tiers comme il l'entend. Les décisions au sein du COMECON sont prises non à la majorité [PAGE 109] mais à l'unanimité. Aucun pays ne peut se voir imposer par les autres une action qu'il considère comme contraire à ses intérêts. Ainsi, le COMECON n'est pas une autorité supra-nationale et aucun pays n'y exerce de tutelle sur les autres.

2 – Les résultats économiques

Le COMECON se fixe les objectifs suivants :

– atteindre des taux de croissance supérieurs à ceux du capitalisme : de 1950 à 1970, ce taux a été de 8,2 % contre 5,4 % pour l'ensemble de l'économie mondiale et 5,8 % pour la CEE.

– le développement économique des membres les plus défavorisés : le revenu national a été multiplié par 5 en Roumanie et en Bulgarie de 1950 à 1970 contre 3 en Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie et 4 en RDA et URSS.

Au classement suivant le revenu per capita, en 1971 et 1973, l'URSS ne se classe qu'en 30 position derrière la RDA et la Tchécoslovaquie.

Il ne correspond donc pas à un impérialisme de la grande puissance socialiste à l'image du monde capitaliste. L'URSS est dominante en termes de potentiel économique mais en termes de niveau de développement elle est dépassée par la RDA et la Tchécoslovaquie.

L'URSS exerce dans le camp socialiste une certaine hégémonie politique avec une structure politico-militaire comme le pacte de Varsovie, mais elle ne se double pas de domination économique.

Le COMECON se présente aujourd'hui comme une expérience réussie d'intégration et de coopération alors que le modèle le plus réussi d'intégration capitaliste, la CEE, se débat dans une crise. Les politiques d'intégration tentées au niveau des pays africains sont à encourager. Mais de nombreuses difficultés surgiront dans la mesure où le problème de l'option socio-économique reste encore entier. Nous ne devons pas perdre de vue devant les expériences du COMECON et de la CEE que « les pays les plus développés montrent aux autres l'image de leur propre avenir ».

Appendice : La Chine et le COMECON

La Chine n'est pas membre du COMECON. L'explication peut venir du conflit sino-soviétique mais plus encore [PAGE 110] des écrits de Mao notamment avec la thèse du « compter sur ses propres forces » et celle du développement inégal.

Malgré tout, la Chine semble se passer assez bien du COMECON. Ceci peut s'expliquer par l'existence d'un vaste marché (de par l'étendue du territoire et l'importance de la population), par le fait que la Chine est un véritable réservoir de matières premières et surtout parce que le commerce extérieur bien qu'ayant une influence sur le développement économique n'en est ni le facteur principal, ni le frein principal.

IIe partie : Réflexions

Comme le souligne l'auteur, le problème de l'échange inégal se pose plus en termes d'explications et de solutions que de mise en cause de l'existence du phénomène. Pour notre part, nous nous rallions aux critiques exprimées par l'auteur quant aux théories existantes. En ce qui concerne les politiques internationales, nous reconnaissons avec l'auteur que celles-ci sont inefficaces.

Par contre, s'il est vrai que les actions de commercialisation interne n'ont pas d'influence sur l'échange inégal, nous ne pensons pas qu'il en est de même des politiques industrielles. Certes, sous leur forme d'application actuelle, ces politiques ne constituent qu'un redéploiement du capitalisme central vers la périphérie et contribuent à la détérioration des termes de l'échange car la quasi-totalité des actions menées en ce sens sont l'œuvre (ou bénéficient du soutien) des importateurs, transformateurs ou utilisateurs de ces matières premières dans les pays industrialisés. Il ne saurait en être autrement dans la mesure où, dans les pays lumpen-capitalistes, on ne maîtrise pas encore les techniques et on ne dispose pas souvent des capitaux nécessaires à l'implantation de ces industries. Ces politiques pourraient, à notre avis, avoir une influence sur l'échange inégal si elles sont réalisées par les pays lumpen-capitalistes eux-mêmes, ce qui suppose une maîtrise des techniques et un dégagement par l'Etat des ressources nécessaires à l'implantation des industries, ce qui est possible si l'on évite les gaspillages. Pour l'auteur, la résolution du problème de l'échange inégal se trouve en la remise en cause des bourses de commerce où sont déterminés les prix [PAGE 111] des matières premières, c'est-à-dire une remise en cause du capitalisme. L'auteur semble donc approuver la division internationale du travail telle qu'elle a été établie. Nous estimons qu'il faut remettre en cause non seulement les bourses de commerce mais aussi cette division du travail. Cette remise en cause du capitalisme et de ses produits ne sera possible que si les pays lumpen-capitalistes disposent d'une certaine autonomie leur permettant de se procurer les produits de première nécessité sans recourir aux pays capitalistes, et donc d'être en mesure de se procurer soi-même certains produits manufacturés.

Il faut cependant admettre avec l'auteur que l'échange inégal bien qu'étant un frein au développement économique il en est ni le seul, ni le principal frein. Il ne doit donc pas être l'alibi permettant d'écarter les véritables causes qui freinent le développement et qui sont d'ordre socio-économique.

Il est vrai, en ce qui concerne les pays socialistes, que ceux-ci ne sont pas co-responsables de l'échange inégal. Il n'en reste pas moins qu'ils ont fait peu d'efforts pour aider les pays qui le subissent à s'en sortir. Pourquoi le COMECON n'a-t-il pas intégré en son sein les pays d'Afrique, d'Amérique latine et d'Asie (à l'exception de Cuba et de la Mongolie) qui, sans être socialistes, se sont résolument orientés sur la voie du socialisme ? Est-ce à cause du refus de ces pays eux-mêmes ? L'avenir nous le dira avec le désir exprimé par le Mozambique récemment d'intégrer cette organisation. D'autre part, quels sont les résultats concrets obtenus par le fonds spécial d'aide économique et technique aux pays sous-développés créé en 1972 par la B.I.I. ?

Dans son ouvrage, l'auteur soutient qu'il n'existe aucune domination d'un quelconque pays au sein du COMECOM. Il reconnaît néanmoins une certaine hégémonie politico-militaire de l'URSS. Dans un monde où politique et économie sont étroitement liées, une hégémonie politique peut-elle ne pas s'accompagner d'une hégémonie économique ? Puisque, comme l'écrit Karl Marx dans sa Contribution à la critique de l'économie politique, que l'auteur cite, « les pays les plus développés montrent aux autres l'image de leur propre avenir », il convient d'analyser les expériences précédentes pour ne pas tomber [PAGE 112] dans les erreurs déjà commises par d'autres pays. A ce titre, nous devons nous poser la question de savoir si, comme le soutient l'auteur, la réussite de l'expérience d'intégration du COMECON est total. Comment expliquer alors que certains pays aient recours aux pays occidentaux pour résoudre leurs problèmes économiques ? Nous citerons ici le cas de la Pologne dont la dette auprès des pays occidentaux s'élève à 21 milliards de dollars et qui cherche à emprunter 8 milliards de dollars auprès de ces mêmes pays pour faire face à ses problèmes alimentaires et surtout pour s'acquitter de ses dettes.

Quoi qu'il en soit, il faut reconnaître que le COMECON est une expérience dont les pays lumpen-capitalistes peuvent s'inspirer pour réaliser une intégration efficace à la promotion du développement économique. Ils doivent prendre conscience du fait que la résolution des problèmes de l'échange inégal doit être l'œuvre des pays qui en subissent les conséquences. Ils ne doivent pas attendre que ces problèmes soient résolus par d'autres pays. Pour y parvenir, des actions aboutissant au changement des structures socio-économiques sont nécessaires.

MALONGA Jean-Michel
NGANGA Ignace
NKOUNKOU Clotaire

Etudiants de 2e année
Département de Gestion
Université Marien Ngouabi
Brazzaville