© Peuples Noirs Peuples Africains no. 25 (1982) 67-82



L'enfer de la terreur nguemiste

LA GUINEE EQUATORIALE

Max LINIGER-GOUMAZ

An 14 : l'apothéose du clan de Mongomo

Les lecteurs de Peuples noirs-Peuples africains sont maintenant familiarisés avec le seul pays à parler espagnol d'Afrique noir qu'est la Guinée Equatoriale. Dans les numéros 23 et 24 d'octobre et de décembre 1981 ils ont pu suivre l'évolution historique de l'ex-colonie espagnole d'Afrique centrale, vestige des vastes possessions ibériques dévorées au XIXe siècle par l'avidité coloniale de la France, de l'Angleterre et de l'Allemagne.

Nous avons montré comment, après un siècle de paternalisme espagnol exercé par la présidence du gouvernement avec le concours des Pères du Cœur Immaculé de Marie, le Rio Muni, Fernando Poo et Annobon ont accédé à l'indépendance le 12 octobre 1968. Devenue 126e Etat membre de l'ONU, et bien sûr intégrée à l'OUA, la Guinée Equatoriale démarrait sous l'autorité d'un Parlement et du président Macias Nguema régulièrement élus sous contrôle international. Mais le chef de l'Etat, ancien maire de sa ville de Mongomo – et qui n'avait en fait jamais combattu pour l'indépendance – s'entoura d'un conseil des ministres formé de laquais, dissidents des principaux partis nationalistes, et parfois achetés [PAGE 68] par des intérêts espagnols. Simultanément, il privilégia les parents directs ou par alliance, en majorité de l'ethnie Esangui faisant éliminer hommes et partis à vocation démocratique. La quasi-totalité de la députation parlementaire, et quelque 40 000 compatriotes citadins et villageois assassinés, après avoir le plus souvent été torturés, sont la première des trois faces du triptyque de la dictature nguemiste civile et militaire; la seconde, c'est les 125 000 nationaux réfugiés à l'étranger, dont pratiquement tous les cadres professionnels et l'intelligentsia; la troisième, c'est le chaos économique, culturel, administratif, la terreur, l'absence des droits élémentaires, la prévarication, etc., résultat de ce que les nguemistes (ou encore macistes, ou clan de Mongomo) appellent gouverner.

L'an 13 décrit précédemment était la seconde année de la dictature militaire d'Obiang Nguema substituée à la civile de son oncle Macias Nguema. Ce dernier avait au moins le mérite de tirer sa fonction du suffrage universel initial, et la vertu de n'avoir jamais livré son pays à personne (même en acceptant des coopérants chinois, soviétiques, cubains, mais aussi espagnols, français, ou encore de l'ONU et de l'OUA, ainsi que des entreprises françaises).

Le 13 octobre 1981 commençait l'an 14 de la république népotique nguemiste des cousins et neveux d'un Macias Nguema liquidé en 1979 avec quelques lampistes. Afin de ne pas être taxés d'alarmistes, nous allons donner principalement la parole à ceux qui, depuis octobre 1981, se sont exprimés sur la Guinée Equatoriale après l'avoir observée sur place.

1. Les observateurs annoncent l'an 14 aux couleurs du crépuscule

Octobre 1981 commençait par le constat d'Africa now que deux ans après la révolte de palais qui a renversé le premier dictateur nguemiste, Macias Nguema, « les nouveaux leaders sont toujours en train de tenter le réorganiser leurs pays effondré »[1]. C'est pourquoi, West Africa [PAGE 69] se devait de rappeler que la Guinée Equatoriale reste tant pour les coopérants espagnols que pour les personnels diplomatiques, les hommes d'affaires ou les experts onusiens ou de la CEE « le cauchemar du visiteur »[2]. Bien entendu, nous n'oublions pas, plongés qu'il sont depuis 14 ans dans ce monde hallucinant, tous les Fang, Ndowe, Pygmées, Bubi, Créoles fernandinos et Annobonais. Ils ont subi et subissent toujours, la répression de l'armée des Obiang Nguema, Mba Oñana et Seriche Borico Dugan; de la terreur de la milice (Jeunesse en marche avec Macias) des Obiang Alogo et Moro Mba; de la torture des Obama Nsue Mangue, Ciriaco Mbomio, Nguema Esono, Masié Ntutumu, etc. Alors que la nomenklatura s'approvisionne auprès du magasin de l'ambassade d'Espagne (Cabafrica) ou prélève sur les dons de secours du Programme Alimentaire Mondial (ONU), le peuple équato-guinéen tente d'échapper à la disette avec de rares aliments vendus « à prix d'or »[3].

Les milieux attentifs aux événements de Guinée Equatoriale savent depuis 1980 déjà que la concorde ne règne pas chez les héritiers du clan de Mongomo. Les antagonismes et jalousies entre le président Obiang Nguema, responsable depuis 1975 de l'armée de terre, et du cousin Maye Ela, commandant de la marine, sont un secret de polichinelle. Et depuis que l'oncle Mba Oñana – qui n'a pas atteint le grade de sergent malgré son service dans la garde coloniale (et qui s'exprime aussi mal qu'il écrit en espagnol) – a été promu lieutenant-colonel et Inspecteur général des Forces armées, en février 1981, on savait Maye Ela relégué au troisième rang de l'armée, malgré sa fonction de premier vice-président de la République. Les « murmures de discorde »[4] devaient forcément devenir de plus en plus audibles; et nous ne parlons pas du simulacre de résistance anti-dictature du cousin nguemiste Daniel Oyono Ayingono, ex-dauphin civil de Macias Nguema, qui piétine à Madrid. [PAGE 70]

Milieu novembre 1981 tombait la nouvelle du démarrage des forages pétroliers dans la concession de 1000 km2 accordée à la société Hispanoil, dès janvier 1982, au nord de Fernando Poo, près des eaux camerounaises et nigérianes. Devant leur incapacité de faire fructifier les richesses de leur pays, notamment à cause de la résistance populaire, les autocrates du Conseil Militaire Suprême (CMS) utilisent « le potentiel pétrolier comme appât »[5] et moyen de survie; Macias Nguema s'y était aussi exercé, avec des compagnies américaines. Comme depuis un certain temps on fuit un Golfe Persique en proie à la guerre, c'est la ruée vers l'or noir en Afrique centrale. Si Petrogab a été éconduit par les militaires du CMS (en représailles de l'occupation militaire de 2 000 km2 de territoires équato-guinéen par l'armée gabonaise depuis 1972), les majors pétroliers pensaient avoir leur chance. Le mécontentement dû aux privilèges espagnols – la Guinée Equatoriale des colonels serait, selon Obiang Nguema « orpheline de l'Espagne »[6] – soulève la « polémique entre les compagnies multinationales en raison des droits réservés à Gepsa » [7]. Cette Sociedad petrolera guineo-española SA est une des trois sociétés mixtes nées de la récupération de son ex-colonie par l'Espagne démocratique; les deux autres sont une entreprise de recherches minières, Gemsa (président : Seriche Borico Dugan, ministre de la Santé et dès le 8 décembre 1981 deuxième vice-président de la République), et la Guinextbank (en collaboration avec le Banco exterior de España). Gepsa est présidée par Maye Ela.

Face à « la ruée des pétroliers américains... et autres » [dont Elf-Aquitaine et la Compagnie française des pétroles, l'] « Objectif Bioco [Fernando Pool ][8] devient celui [PAGE 71] de beaucoup de chancelleries et de conseils d'administration. S'étonnera-t-on si après avoir pudiquement fermé les yeux sur les crimes nguemistes entre 1969 et 1981 « Washington envoie son homme »[9] milieu novembre 1981 en la personne d'un ambassadeur résident ?

D'août 1979 à décembre 1981 l'Espagne a ouvert son escarcelle à la Guinée Equatoriale des colonels protégés par des Marocains avec 8 500 millions de pesetas (env. 285 Mo de FF); combien les chômeurs espagnols auraient-ils apprécié que leur soit allouée une telle aide! Cette manne espagnole se décompose ainsi :

Aides (à charge du budget de l'Etat espagnol : coopérants civils et militaires voyages, logements, etc. 2 400 Mo pes.
Aide alimentaire 600 Mo pes.
. ------------------
. 3 000 Mo pes.
Assistance militaire (dès 1981) 3 000 Ma pes.
Crédits 2 500 Mo pes.

De l'aveu du secrétaire d'Etat espagnol au Commerce, Hidalgo de Quintana, la destination de l'aide est mal contrôlée (d'où les nombreuses fuites, notamment de pesetas dans des comptes de Paribas). C'est ce qui tend à expliquer pourquoi le gouvernement UCD (d'abord M. Suarez, et aujourd'hui M. Calvo Sotelo) – nombre de ses cadres ou de protégés tirent avantage de cette situation ambiguë[10] – ont des sueurs froides. Douche écossaise en effet que cette Guinée Equatoriale nguemiste qui oscille entre « le chaos et l'espoir »[11]. D'où Cambio 16 déduit, tant à l'adresse des nguemistes que des autorités espagnoles « qu'il faut en Guinée Equatoriale [PAGE 72] imposer le sérieux et arrêter la corruption, ou c'est l'échec ».

Cette « coopération » espagnole tient à réduire l'ex-colonie à la merci de la madre patria, d'où cette « opération rançon »[12]. C'est que l'Espagne s'apprête à entrer dans l'OTAN. Aussi « Madrid entend-il maintenir des « liens privilégiés avec le monde arabe et méditerranéen » et la Guinée Equatoriale. L'accord militaire de septembre 1981 est destiné notamment à encadrer l'armée équato-guinéenne d'officiers et de matériels espagnols, et de remplacer les gorilles marocains (dont Hassan II a besoin pour mâter son propre peuple) par des hoplites autochtones après formation en Espagne[13]. Un accord de coopération commerciale et financière négocié par Hidalgo de Quintana va ramener l'ekwele (monnaie équato-guinéenne) à la parité avec la peseta. C'est tout cela qu'est venu régler en un séjour d'à peine 30 heures le chef du gouvernement espagnol, après sa tournée dans les pays africains musulmans (et après le voyage du roi Juan Carlos dans les Emirats). L'enjeu est d'une telle importance que « Calvo Sotelo a promis d'intensifier la coopération de l'Espagne avec la Guinée Equatoriale »[14]. Il s'agira en particulier de fournir des conseillers espagnols ayant compétence exécutive. Et J. Martinez de constater que l'optimisme de Calvo Sotelo jure péniblement avec le pessimisme des 450 coopérants espagnols (qui monopolisent les administrations clé, tel qu'a pu le constater Ph. Decraene[15]) . Le même découragement frappe d'ailleurs le personnel onusien. [PAGE 73]

Tandis que l'Allemagne fédérale s'intéresse de plus en plus à la Guinée Equatoriale, après avoir reçu Obiang Nguema en novembre 1980 et avoir accueilli un stand équato-guinéen à l'exposition sur le commerce avec l'outre-Rhin (Berlin, septembre 1981), la France, qui elle aussi a reçu Obiang Nguema en 1980, semble dans l'expectative. Déjà diverses sociétés françaises, notamment de travaux publics, s'activent avec des financements de la CEE. Et puis, les voisins faisant partie de la zone d'influence française dans le Golfe de Guinée, Gabon et Cameroun restent vigilants. A Libreville lors du 17e sommet de l'UDEAC (17-20 décembre 1981), la Guinée Equatoriale invitée avec Sao Tomé/Principe et d'autres, a été encouragée à accélérer sa demande d'adhésion en vue de la création de la Communauté Economique Centre Africaine (CECA) [16]. Et le Cameroun, par le président Ahidjo en visite officielle à Santa Isabel et Bata, où « un accueil fraternel [lui] a été réservé » [17] les 24-27 novembre 1981 a décidé de conclure avec les nguemistes des accords concernant l'agriculture et les forêts, la pêche et l'élevage. Obiang Nguema a accepté d'effectuer une visite de travail et d'amitié dans la République Unie.

2. La peau de chagrin des nguemistes et de leurs patrons

Pour rendre la récupération néo-coloniale plus crédible, les autorités espagnoles – d'aucuns disent aussi la CEE – ont engagé Obiang Nguema et le CMS à remodeler le gouvernement et l'administration : foin de « la léthargie équato-guinéenne. Deux ans après le coup d'Etat; Macias [Nguema] a disparu, mais le « clan de Mongomo dirige toujours avec une seule volonté : l'immobilisme »[18] immobilisme qui n'est pas inaction, puisque [PAGE 74] « les militaires sèment la terreur dans les rues et n'hésitent pas à rançonner la population ». L'Espagne et Obiang Nguema procèdent alors à ce qu'ils entendent être un « remaniement majeur »[19]. Mais comment trouver des cadres nouveaux alors qu'à quelques rares exceptions près l'intelligentsia de la diaspora n'a pas répondu à l'amnistie bidon proclamée par Obiang Nguema en octobre 1979, et attend toujours de pouvoir participer à la mise en place d'institutions, d'un gouvernement civil, d'une administration et d'un système judiciaire démocratiquement désignés, avec une armée qui ait réintégré les casernes d'où elle n'aurait dû sortir que pour aider à éliminer la dictature mais pas pour la perpétuer? Le Camerounais Ph. Essomba[20] définit bien le contexte : « si la tête de l'Etat a changé de mains (le pouvoir passant de l'oncle au neveu), le clan dirigeant n'a pas varié. Ce sont les mêmes natifs du village de Mongomo qui, aujourd'hui comme hier, continuent à faire la loi. La population est persuadée que le président Obiang Nguema est de plus en plus prisonnier de cette situation puisque les quelques rares décisions qu'il est amené à prendre se heurtent au blocage du clan. [PAGE 75] A cette pesanteur familiale s'ajoutent l'insouciance et l'incompétence d'une administration qui, il est vrai, a été décimée de ses meilleurs éléments »[21].

Puisqu'on ne peut que reprendre les mêmes et recommencer, mais pour donner l'illusion du changement, voici que l'on s'est lancé dans le carrousel des mutations. D'abord, on a éloigné géographiquement les parents par alliance – le cousin, deuxième vice-président, Ela Nseng est en 1980 déjà devenu ambassadeur en Chine populaire; voici le cousin, premier vice-président, Maye Ela, aussi ministre des Affaires étrangères (et président de Gepsa) qui est muté à New York, comme ambassadeur auprès des Nations Unies. Quant aux Esangui Mba Nchama et Mene Abeso, respectivement ministre de l'Intérieur et ministre de l'Education, ils deviennent ambassadeur auprès de l'OUA et premier secrétaire d'ambassade au Cameroun. Comme par le passé, le corps diplomatique est totalement en mains nguemistes, pratiquement tous du district de Mongomo (Wele-Nzas).

Le président Obiang Nguema, déjà fort encadré de nguemistes tels Mba Esono, directeur du cabinet civil, et Mba Nguema, directeur du cabinet militaire, a fait rentrer de l'étranger des proches tels Esono Obama Eyang, ex-ministre de la Santé relevé de cette fonction pour irrégularités puis remplaçant de Mba Oñana comme conseiller de l'ambassade près l'ONU; Esono Obama devient secrétaire d'Etat à la Présidence. Simultanément, l'ex-premier secrétaire à l'ambassade de Moscou, Ndong Abaga, se voit chargé de la direction des Entreprises d'Etat (qui subsistent, malgré l'insistance de la CEE/FED de les supprimer).

Quelques non Esangui titulaires de postes importants sont écartés ou dépolitisés, notamment le Bubi Oyo Riqueza : s'il perd la deuxième vice-présidence de la République on lui laisse toutefois le ministère du Travail, mais on lui adjoint le vice-ministre Nguema Esono Mifumu; Madame Angue Osa (du district d'Ebebiyin), veuve de l'ambassadeur assassiné par les nguemistes à Addis-Abeda, cède la direction de la Promotion féminine à Madame Mba Aveha; Ndong Ela Mangue, de vice-ministre des Affaires étrangères sous Maye Ela, puis directeur [PAGE 76] des services centraux de l'administration du CMS, se retrouve secrétaire adjoint, sous les ordres de Matogo Oyana.

N'ont pas été touchés les postes de ministre de l'Agriculture (Buale Borico) et celui d'inspecteur des Forces armées, soit en fait ministre de la Défense (poste occupé longtemps par Obiang Nguema sous Macias Nguema) qui reste à l'oncle Mba Oñana, l'organisateur de l'« auto-complot » du printemps 1981; Esangui, parent en ligne directe avec Obiang Nguema, il fait actuellement la loi. La presse espagnole le donne comme probable premier vice-président de la République (après son neveu Maye Ela et son cousin Esono Nguema)[22].

Quant à la vingtaine d'autres postes, touchés par le remaniement, il s'agit de promotions pour fidélité nguemiste. Quelques exemples :

Seriche Boriko Dugan : ministre de la Santé, est propulsé deuxième vice-président de la République, après avoir servi de procureur au procès factice de juin 1981, suite à l'auto-complot qui a permis à Obiang Nguema de s'approprier la société import/export Exigensa; mais on lui a adjoint comme secrétaire général Nsue Nguema, doyen de l'ordre des avocats, et ex-directeur des relations avec l'Europe et l'Amérique aux Affaires étrangères sous Maye Ela.

Marcos Mba Ondo : ex-secrétaire d'Etat au Plan (remplacé depuis début 1981 par le vice-ministre des Finances Owono Ndong Andeme), devient ministre des Affaires étrangères après Maye Ela. Il sera bien encadré par deux nguemistes notoires : Obiang Alogo Ondo comme secrétaire général, et Nguema Ngua comme directeur du Protocole.

King Tomas : il devient ministre de la Justice après avoir été secrétaire et défenseur au procès de Macias Nguema en 1979. On lui impose comme vice-ministre le nguemiste notoire Epalepale Evina, conseiller du CMS pour les affaires politiques, et ex-secrétaire du ministère de l'Intérieur.

Mensuy Mba : de ministre de la Justice il devient ministre de l'Industrie, Energie et Mines. Ex-sous-lieutenant [PAGE 77] de la triste Jeunesse en marche avec Macias, il est président de la société minière guinéo-espagnole Gemsa.

Elo Nve Mbengono : ex-conseiller juridique du CMS, devient vice-secrétaire d'Etat à la Présidence, après avoir été défenseur de Macias Nguema avec King Tomas. Devant la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, en mars 1981, il a montré qu'il est un ferme adversaire de la démocratie, à l'opposé du chef de la délégation Ondo Asi (incarcéré depuis); au procès factice de juin 1981 il servait de conseiller au tribunal militaire.

Edjang Mbo : ex-gouverneur de la province du centre-sud, puis ministre de l'Industrie et Mines, il passe aux Travaux publics en remplacement d'Obiang Enama, condamné pour six mois en juin 1981.

Mansogo Nsi : devenu en mars 1981 secrétaire du ministère des Affaires étrangères, en remplacement de Ondo Asi arrêté dans le cadre de l'auto-complot imaginé par Mba Oñana pour Obiang Nguema (probablement accusait-on Ondo Asi d'avoir dirigé la délégation à la commission des Droits de l'Homme dans un esprit trop conciliant, contrairement à son adjoint Elo Nve Mbengono).

Micha Ela Obono : ex-ministre des Travaux Publics, il passe secrétaire d'Etat à la Jeunesse et au Sport.

Nandongo Nguema : il est maintenu directeur du seul périodique du pays (Ebano).

Si quelques ministres « nouveaux » apparaissent, c'est en fait de simples promotions à l'intérieur du système, depuis des postes subalternes :

Mbomio Nsue : ministre de l'Education,

Obono Mañana : ministre de l'Intérieur.

Mais on note aussi le retour en force de la vieille garde de Macias Nguema, dont certains piliers soutiennent l'édifice d'Obiang Nguema :

Nko Ivasa : devient ministre des Finances après l'avoir été sous Macias Nguema. Membre fondateur de la Jeunesse en marche avec Macias, il est devenu, après la révolte de palais, conseiller économique du CMS en tant que directeur de la Banque nationale.

Obiang Alogo Ondo : cousin germain d'Obiang Nguema, instituteur. Sous Macias Nguema, après l'assassinat du ministre de l'Education Ochaga et de ses principaux collaborateurs, [PAGE 78] fin 1976, il devient ministre de l'Education et ministre de la Santé. Il a été membre fondateur du parti unique PUNT, dont il avait la charge de la propagande pro-Macias en compagnie de D. Oyono Ayingono. En été 1981, l'Espagne l'a refusé comme ambassadeur de Guinée Equatoriale en remplacement de l'autre Esangui Owono Asangono, dont l'épouse s'était trouvée mêlée à une affaire de drogue.

Abaga Ondo Mayie : époux d'une cousine d'Obiang Nguema, directeur de la TV en 1968-69, et, après la révolte de palais, dès 1980 secrétaire d'Etat à l'Information et au Tourisme sous l'autorité directe d'Obiang Nguema. Après avoir démissionné de son poste en mars 1981 dans le cadre de l'auto-complot orchestré par Mba Oñana, il vient d'être nommé conseiller pour l'Information près la Présidence de la République.

3. La vraie Guinée Equatoriale

Les seulsEquato-Guinéens rentrés après la chute de Macias Nguema, et qui ont été intégrés dans l'administration et le gouvernement, mais pas à des fonctions politiques, sont le sculpteur Mbomio Nsue (ministre de l'Education), Ochaga Nve (secrétaire de ce ministère), et Nsue Ewore Micue (directeur de la Santé pour le Rio Muni). Cela montre le peu de crédibilité des prétendus mouvements d'opposition nés parmi les réfugiés, comme l'ont été le soi-disant Front anti-Macias (Mbomio), Pandeca (Ochaga), Urge (Nsue); rentrés se compromettre avec Obiang Nguema et les autres laquais de Macias Nguema, ils ont démontré que leurs « mouvements » n'étaient pas représentatifs de la diaspora, et encore moins de la population restée au pays. Ces trois mouvements se sont d'ailleurs évaporés.

Le simulacre de changement que constitue le remaniement ministériel du 8 décembre 1981 jette aussi un éclairage significatif sur le Frelige, dont le secrétaire a déclaré, à Santa Cruz de Tenerife, que son Front jugeait le remaniement comme « très positif ». Avec le simulacre de Conseil de la révolution imaginé à Madrid en été 1981 par le nguemiste D. Oyono Ayingono, homme orchestre civil du gouvernement Macias Nguema, [PAGE 79] et le déjà évanoui Rassemblement démocratique né des fantasmes de M.R. Ndongo, tous ces groupuscules ne représentent en fait que leurs « dirigeants ».

C'est pourquoi il est de plus en plus patent que le seul mouvement d'opposition à la dictature – on devrait pratiquement dire, de libération – passé et présent, est l'Alianza Nacional de Restauración Democrática. Dès 1974, l'ANRD « groupe des milliers d'Equato-Guinéens de toutes les ethnies, à l'intérieur comme dans la dispora (1/4 de la population totale, soit 110 000 personnes). L'ANRD apparaît comme l'unique mouvement apte à assurer un changement crédible, et dans le respect d'un débat démocratique national libre. Son secrétaire général, le Prof. C.M. Eya Nchama, est entouré d'un comité exécutif composé d'hommes et de femmes hautement compétents – et qui ne roulent pas en Mercedes – dont certains représentants de l'Organisation de la Femme équato-guinéenne et l'Union générale du Travail »[23]. C'est bien ce que soulignait en septembre 1981 le spécialiste de l'Afrique Claude Wauthier, selon qui « il ne reste plus que l'ANRD... pour réclamer que les choses changent enfin dans un pays qui n'a recouvré qu'un semblant de liberté »[24]. Et c'est ce qui était déjà mis en évidence en novembre 1980 par Philippe Decraene quand il évoque cette « ANRD qui réclame obstinément depuis plus d'un an l'établissement d'un calendrier pour l'organisation d'élections législatives » [25].

En décembre 1981, Attillo Gaudio, un des meilleurs connaisseurs de l'Afrique, et qui, pour avoir connu la Guinée Equatoriale à l'ère espagnole peut se flatter « d'avoir été le premier journaliste à dénoncer dans la presse italienne la macabre dictature de Macias Nguema », [PAGE 80] souligne sa conviction, en décembre 1981, quant à « la fiabilité que mérite l'ANRD et l'ANRD seule. Je partage totalement [le] jugement positif sur le Prof. Eya Nchama et j'indique avoir même dit une fois à l'ex-ministre espagnol des Affaires étrangères, Oreja, que, à mon sens, il y avait qu'une seule personne d'envergure internationale capable de devenir chef d'Etat de la Guinée Equatoriale, M. Eya Nchama. Ce souhait, tous les amis de ce pays ne peuvent que le formuler encore »[26]. M. Gaudio n'exagère pas; sinon qu'il néglige le fait que l'ANRD compte à côté de son secrétaire général de nombreuses personnalités d'envergure et très familiarisées avec les sphères internationales. Il y a dans cette Alliance démocratique des élites universitaires et des professionnels de tous horizons, formés tant en Espagne, en Suisse, en France, en Italie, en Allemagne fédérale qu'en URSS ou aux USA. Ces hommes et ces femmes, de toutes les ethnies et de tous âges – en particulier le vétéran de la résistance équato-guinéenne, Grange Molay, qui a combattu l'Espagne avant de combattre les nguemistes – sont parfaitement en mesure, avec leurs compatriotes prisonniers des nguemistes au pays, d'« éviter à la Guinée Equatoriale de retomber dans les bras de l'Ouest comme de l'Est, et de se développer par ses propres moyens. La Guinée Equatoriale dispose pour cela de ressources et d'hommes nombreux. Avec le concours de l'ONU elle devrait bientôt y parvenir »[27].

C'est précisément devant les institutions de l'ONU que l'ANRD fait démocratiquement et pacifiquement entendre sa voix. A la conférence des Nations Unies sur les Pays les Moins Avancés (Paris, septembre 1981), à travers l'organisation non-gouvernementale UFER, M. Eya a invité les pays nantis à cesser de subventionner les dictatures. Un mois auparavant, à la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, à Genève, le Prof. Eya Nchama répliquait à une attaque de la déléguée du Maroc que les Nations Unies devaient se féliciter que des mouvements comme l'ANRD leur fassent confiance et viennent solliciter leur compréhension active. [PAGE 81] Décevoir les espoirs que les mouvements démocratiques mettent dans l'Organisation internationale qui est, selon la Charte, celle de tous les hommes, serait les condamner au recours à la violence.

L'homme timide que serait Obiang Nguema (à en croire les articles de propagande dans Jeune Afrique[28]), a-t-il aidé à liquider les hauts fonctionnaires en 1976, assisté aux séances de torture dans la prison de Black Beach (Santa Isabel), empêché l'armée qu'il dirige d'intervenir contre son oncle fou par seule timidité ? Si vraiment c'est le cas, et s'il veut sincèrement « sauver notre peuple et lui rendre les libertés démocratiques... car la mission d'une armée c'est de défendre ce droit légitime »[29] alors il lui faut réagir en Equato-Guinéen, et non en Espagnol (ou en, Français, ou en Soviétique). Cela implique, sinon du courage – que l'on s'attend normalement à trouver chez un Colonel – du moins le respect des évidences suivantes :

– Les Equato-Guinéans veulent retrouver un pays démocratique, tel qu'il aurait pu l'être après le 12 octobre 1968.

– Cette démocratie exige que le clan des Mongomo et l'armée rentrent dans le rang et participent à la vie du pays dans les limites qui leur reviennent.

– Sans cette démocratie, le peuple équato-guinéen ne travaillera pas, ne se sentant pas concerné, et les richesses naturelles du pays seront pillées par l'étranger (hier le poisson et les crustacés par l'URSS, demain le pétrole par l'Espagne et d'autres).

– Ceux qui ont pris le pouvoir par la violence disparaissent en général par la violence.

Il ne fait pas de doute, et tous les observateurs s'accordent à le constater, que la Guinée Equatoriale peut devenir un des pays les plus prospères d'Afrique. Pour autant que tous les Equato-Guinéens serrent les coudes pour la mise en valeur par eux-mêmes du potentiel du sol et du sous-sol, et la défense de leurs intérêts face à la gourmandise étrangère. Alors, avant que n'explose la colère populaire depuis longtemps contenue, en particulier [PAGE 82] par les convictions démocratiques de l'ANRD, il est temps de réaliser ce que le président Ahidjo a conseillé à son jeune hôte-dictateur, en novembre 1981. Il faut réaliser d'urgence « l'unité nationale, la paix, la réconciliation, la concorde, le dialogue, la tolérance, la mystique de l'effort et du travail ». Même si le Cameroun est loin d'avoir lui-même réalisé toutes ces aspirations, il n'y a pas de raisons pour que la Guinée Equatoriale, autrement meurtrie, ne tienne pas compte de ces conseils avisés[30].

Colonel Teodoro Obiang Nguema Mbasogo : le temps est venu de surmonter votre timidité. Donnez à la Guinée EquatoriaIe l'occasion de redevenir indépendante et démocratique! Vous deviendrez alors un phare dans l'histoire de l'Afrique.

Max LINIGER-GOUMAZ
Prof. Ecole supérieure de cadres pour l'économie et l'administration et Ecole supérieure de Commerce, Lausanne.


[1] Penell, R., Africa now. Londres, octobre 1981, pp. 26-27,

[2] N'difang, D., « Equatorial Guinea : the visitor's nightmare » West Africa. Londres, 26 octobre 1981, pp. 2503-2504.

[3] Jimenez Moragues, C., « Hambre a precio de oro ». Interviù 6/288. Madrid, 18-24 novembre 1981, pp. 64-67..

[4] Momoh, E., « Ripples of dissent » Africa, 123. Londres, novembre 1981, pp. 43-44.

[5] « Oil makes a beeline for Equatorial Guinea ». Business Week. Londres, 9 novembre 1981, p. 27, carte.

[6] Domingo, X., « Guinea, huerfano de España ». Cambio 16. Madrid, 30 novembre 1981, pp. 86-92, ill.

[7] Valverde, A.,« Hispanoil comenzara en enero a preforar en las concesiones de Guinea Ecuatorial. Polémica entre compañias multinacionales ante los derechos reservados a GEPSA ». El País. Madrid, 19 novembre 1981, p. 51.

[8] Y.L.G., « La ruée des pétroliers américains... et autres Objectif Bioco ». Jeune Afrique Economie, 3. Paris, décembre 1981.

[9] « Washington sends its man ». West Africa. Londres, 16 novembre 1981, p. 2742.

[10] C'est pourquoi la droite espagnole, par Fraga Iribarne, et la gauche, par le PSOE, ont interpelé le gouvernement espagnol quant à l'opportunité de cette « aide », et notamment sur le pourquoi de l'usurpation par des Espagnols de biens appartenant à d'autres Espagnols en Guinée Equatoriale.

[11] Domingo, X., « El caos y la esperanza. O se impone la seriedad en Guinea y acaba la corrupción, o nada ». Cambio 16. Madrid, 30 novembre 1981, pp. 84-86, ill.

[12] « Guinea, operación rescate. Tres mil miliones de pesetas ya han desembarcado en Malabo [Santa Isabel] ». Cambio 16. Madrid, 14 décembre 1981, p. 85, ill.

[13] Maliniak, Th., Madrid entend maintenir des « liens privilégiés » avec le monde arabe et méditerranéen, Le Monde. Paris, 14 décembre 1981.

[14] Martinez, J., « Primer dia de la visita del presidente del Gobierno a la ex colonia española. Calvo Sotelo promete intensificar la cooperación de España con Guinea ». El País. Madrid, 22 décembre 1981, p. 17.

[15] Decraene Ph., « Tensions internes et convoitises étrangères. La Guinée Equateriale, toujours menacée de déstabilisation ». Le Monde diplomatique. Paris, juin 1981, p. 10. Anonyme, « Miedo de las españoles en Guinea ». Diario 16. Madrid. 28 Janvier 1982, p. 2. Cf. aussi note 18.

[16] « Bientôt la CECA ». Le Soleil, 3500, Dakar, 21 décembre 1981, p. 12.

[17] Vamoulke, A., « Le Président Ahidjo en Guinée Equatoriale. Un accueil fraternel a été réservé au chef de l'Etat ». Cameroon Tribune, 2237. Yaounde, 25 novembre 1981, p. 16, ill.

[18] Essomba, Ph., « La léthargie équato-guinéenne. Deux ans après le coup d'Etat, Macias a disparu, mais le clan de Mongomo dirige toujours avec une seule volonté : l'immobilisme ». Bingo, 343. Paris, décembre 1981, pp. 23-24, ill. Selon Essomba, les « experts envoyés par des organismes internationaux... sont partagés entre la patience stoïque et le découragement, tel cet expert allemand qui n'a pas hésité à adresser au siège de son organisation un rapport dans lequel il demandait ni plus ni moins la suppression de son poste à Malabo [Santa Isabel] ». De tels cas se sont produits semblablement durant l'ère Macias Nguema.

[19] « Major reshuffle ». West Africa, 3360. Londres, 21-28 décembre 1981, pp. 3095-3096; « Reajuste ministerial en el Gobierno del Consejo Militar Supremo ». Ebano, 43. Santa Isabel [Malabo], 10 décembre 1981, p. 3.

[20] Ph. Essomba s'est pourtant vu obligé de pondre un article louangeur pour les nguemistes du CMS sous le titre « La fin du cauchemar » (Bingo. Paris, janvier 1981, pp. 12-19). Sa revue semblerait avoir touché 15 Mo de francs CFA pour ce panégyrique digne de celui que Jeune Afrique s'est abaissé à faire par deux fois pour la Guinée Equatoriale nguemiste, avec, à en croire Le Canard Enchaîné, 5 800 dollars (soit env. FF 4 000) par page. Cf. Le Canard Enchaîné. Paris, 2, 9, 16 décembre 1981

[21] Cf. note 18, p. 23.

[22] « Profunda remodelación en el Gobierno de Guinea Ecuatorial ». El País. Madrid, 9 décembre 1981.

[23] Liniger-Goumaz, M., « L'ANRD, un secours pour la Guinée Equatoriale ». Africa, 136, Dakar, décembre 1981, pp. 19-20.

[24] Wauthier, Cl., « L'espoir déçu. Deux ans après la chute du 'Tigre', le colonel Teodoro Nguema n'a toujours pas rétabli la démocratie ni restauré l'économie ». Jeune Afrique, 1079. Paris, 9 septembre 1981, pp. 50-51, ill.

[25] Decraene, Ph., « L'auteur du coup d'Etat contre Macias. Le président Obiang N'guema M'basogo fait une visite de travail à Paris ». Le Monde. Paris, 13 novembre 1980, p. 5.

[26] Gaudio, A., « Point de vue ». Africa, 136. Dakar, décembre 1981, pp. 20, 94.

[27] Cf. note 23, Africa. Dakar, décembre 1981, p. 20.

[28] Anonyme, « La liberté reconquise ». Jeune Afrique, 1021. Paris, 30 juillet 1980, pp. 67-69, ill.

[29] Interview Jeune Afrique. Ibid, note 28, p. 67.

[30] Peuples noirs-Peuples africains récuse l'image flatteuse que ces propos pourraient donner d'Ahmadou Ahidjo, dictateur francophile imposé aux Camerounais en 1960 par de Gaulle, et assassin d'innombrables patriotes et militants progressistes camerounais. (N.D.L.R.)