© Peuples Noirs Peuples Africains no. 23 (1981) 150-152



CONTRECENSURE

film d'Alain d'Aix
(d'après Main basse sur le Cameroun, de Mongo Beti, F. Maspero édit.)

Mongo BETI

Fin 1972, un couple de journalistes canadiens de retour d'un séjour au Cameroun apprend avec étonnement à Paris que Raymond Marcellin, ministre de l'intérieur du gouvernement français, vient d'interdire et de faire saisir chez l'éditeur Main basse sur le Cameroun, ouvrage d'un écrivain camerounais dénonçant les atrocités de la dictature qui accable son pays avec la bénédiction de la France depuis le 1er janvier 1960, date de son indépendance.

Le Cameroun ne serait donc pas la république africaine francophone comme les autres qu'ils ont cru voir ? Ils auraient alors été victimes d'une vaste mise en scène. Ils veulent en avoir le cœur net, fût-ce au prix d'une véritable aventure. C'est que le Cameroun est un sujet tabou dans toute la francophonie : on n'en parle pas, ou alors dans un langage stéréotypé, comme d'une entité mythique, intemporelle. Aucune image de l'histoire récente de ce pays dans les organismes officiels compétents. Personne ne conteste les faits évoqués dans Main basse sur le Cameroun; on n'en a pas entendu parler, c'est tout. Le Cameroun n'a pas d'histoire, comme la planète Mars. « Avons-nous donc séjourné sur la planète Mars ? » se demandent les deux journalistes canadiens. [PAGE 151]

La deuxième phase de leur enquête, Main basse sur le Cameroun en main, les mène successivement auprès des témoins que leur obstination leur permet de découvrir. C'est pour cette raison que, comme le spectateur a vite fait de le constater, Contrecensure est plus un film de témoins que d'images. Témoins méconnus, et cependant irrécusables. L'auteur du livre parle lui-même des leaders camerounais assassinés les uns après les autres. Une infirmière blanche ayant vécu vingt ans au Cameroun raconte les violences policières auxquelles elle a assisté. Un Belge, ancien collaborateur de Mgr Ndongmo, l'évêque de Nkongsamba condamné à mort en 1971, un journaliste de droite, un ancien coopérant canadien, un groupe d'étudiants camerounais défilent et malgré les interprétations différentes, racontent une seule et même histoire édifiante. Ainsi se dessine irrésistiblement cette face si jalousement cachée du Cameroun, champ de bataille exemplaire des guerres coloniales à venir – menées dans le silence des medias et la terreur des populations.

En effet l'histoire du Cameroun depuis trente ans, c'est à la fois l'histoire de l'effondrement moral des medias français de gauche, qui ont volontairement trahi leur mission d'information pendant toute cette tragédie des populations camerounaises, et celle aussi du cynisme des gouvernements successifs de la Cinquième République qui ont froidement concerté et orchestré l'interminable liquidation de l'U.P.C., le mouvement révolutionnaire qui mena le combat contre la colonisation française, ayant à sa tête Ruben Um Nyobé, l'un des plus grands leaders que les Noirs aient jamais eus.

La Quatrième République, qui n'était pourtant pas tendre, mais dont le tort fut de s'obstiner à utiliser des méthodes de répression trop classiques, avait été impuissante à conjurer l'essor du mouvement nationaliste.

Le génie du général que vous savez fut de sortir de sa manche un Bao-Daï noir en la personne d'Ahmadou Ahidjo, et de l'auréoler d'une indépendance d'autant plus flamboyante qu'elle était de simple façade. Derrière ce paravent de rêve commença la liquidation monstrueuse du mouvement révolutionnaire camerounais, avec son cortège d'Oradour-sur-Glane, de trains de la mort, d'Auschwitz et de solutions finales. De sorte que, paradoxe terrible, c'est au moment où on le proclamait indépendant [PAGE 152] que le peuple camerounais subissait la plus cruelle violence de son histoire. Paradoxe pourtant mineur pour le public français, féru de solidarité avec les peuples de l'Amérique latine où cette situation est une donnée permanente.

Mieux documenté sur le thème de la répression du mouvement révolutionnaire camerounais, le film suggère la même conclusion que le livre de Mongo, Beti : la liquidation de l'U.P.C. (Union des Populations du Cameroun) n'est pas achevée, elle ne le sera sans doute jamais, les leaders assassinés trouvant des successeurs dans les générations suivantes.

La réaction des spectateurs français au sortir de Contrecensure est presque toujours celle-ci : « Nous ne savions pas ! ».

Propos stupéfiant, parce que c'est exactement celui que tenaient les Allemands après la deuxième grande guerre en entendant évoquer les abominations hitlériennes. Quelle lourde responsabilité que celle d'une presse dite de gauche par qui le peuple français connaît aujourd'hui une humiliation intellectuelle égale à celle des Allemands naguère.

Mongo BETI

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La revue possède une copie récente du film Contrecensure, qu'elle prêterait volontiers, pour une soirée, suivant des conditions à débattre, aux groupes et aux organismes qui nous en feraient la demande.