© Peuples Noirs Peuples Africains no. 23 (1981) 94-97



GENTILS V.P., GO HOME !

Renée SAUREL

Sur TFI, le 30 juillet dernier, une émission d'une heure, signée de Geneviève Laporte. Images d'Alain Retsin. Exemplaire à tous égards : le modèle de ce qu'il ne faut pas faire. Pour ce qui est de la forme, d'abord Il est vrai que l'on peut, même en 1981, excuser la qualité médiocre de l'image, due sans doute à l'insuffisance des moyens techniques. Plus difficilement admissible est l'articulation maladroite et confuse des séquences. Le fond ? Ils sont 500 « volontaires aux mains nues », répartis dans 12 pays francophones. Eux-mêmes se disent « volontaires de progrès » : V.P. Ils affirment d'emblée être très peu payés, et on les croit. Où sommes-nous ? chez les Peuls, d'abord. Chantal et son mari sont médecins en brousse. Elle apprend le wolof. Ils semblent découvrir qu'un village c'est un ensemble de structures aussi rigides que complexes : la case du chef, l'arbre sacré, la stricte hiérarchie... Il est difficile, nous disent les V.P., de faire changer ce qui procède de la religion, de la coutume. Cela ne se fait pas en trois mois... l'un des V.P. a l'air surpris que seuls les initiés, à l'exclusion des femmes, des enfants et... des étrangers aient accès aux sociétés secrètes, dont l'existence même leur était, semble-t-il, inconnue. Que de [PAGE 95] rites, de coutumes : entre ces deux arbres-là, voyez-vous, il est interdit de passer.

Une jeune femme médecin, qui avait cru résoudre ici ses « problèmes intérieurs » a, paraît-il, « craqué ». On ne nous dît pas comment, mais ses amis ont l'air affligés. Un médecin explique ingénument qu'il n'avait aucune envie de soigner les recrues du contingent dans une caserne. Une jeune femme médecin explique qu'elle fait un peu de petite chirurgie. Il faut collaborer avec les matrones traditionnelles qui contrôlent 80 % des accouchements en brousse. Si le « travail » est trop lent, on secoue la femme et on l'accuse d'avoir un amant. Oui, on la secoue jusqu'à ce qu'elle ait révélé le nom de son amant. Les complications sont nombreuses : rupture du périnée, tétanos, parfois. On discute avec une matrone : la tâche des V.P. sera de leur faire comprendre que les microbes, ça existe et qu'il convient de nettoyer le couteau à l'alcool, qu'il n'est pas recommandé d'appliquer de la bouse de vache sur le cordon ombilical. Images d'une jeune femme qui accouche sur une natte, dans une case. Elle souffre, rejette sa tête à droite, à gauche. Et voici, abruptement, qu'une sage-femme dit n'avoir vu que des cas de femmes excisées, constaté les dégâts, les séquelles, que c'est là un problème très dramatique et très douloureux pour les femmes africaines. Certes ! Ce n'est pas moi qui dirai le contraire! Elle ajoute que les hommes n'en parlent pas, que c'est l'affaire des femmes, qu'il faut « sensibiliser les vieilles ». Et puis, tout de suite, comme effrayée par tant d'audace : « Ce n'est pas à nous de parler de l'excision, c'est déjà un progrès que d'amener les filles à la maternité... Si une fille n'est pas excisée, c'est une honte pour elle ». Suite de la leçon sagement apprise (et enseignée par qui ?) : la circoncision des garçons donne lieu à une fête. Rien de tel pour les filles. Si elles dansent après l'excision, c'est pour défier la souffrance et s'affirmer femmes. Le feu tient à distance les esprits de la nuit et les maléfices. « Aucun Peul ne prendra pour nous le risque de lever le voile... ».

Voici qu'on nous présente M. Philippe Debouy, V.P. (orthographe non garantie, en raison de la mauvaise lisibilité sur le petit écran). Enchantés tout de même! Durant la palabre, un chef africain dit : « Le gouvernement et le parti se démènent pour nous aider à survivre. » Quel gouvernement ? [PAGE 96] Quel parti ? On reste dans le flou non-artistique. Mali, Sénégal, Haute-Volta ? Il faut planifier l'agriculture, pallier la destruction des récoltes par des techniques adéquates. Se marier, aussi. C'est un devoir. Il n'y a pas d'équilibre sans femme à la maison. Pas de place ici pour les célibataires. On invoque Allah. Voilà au moins un repère, l'ethnie est de religion islamique. Vient ensuite la récitation du petit catéchisme ONU/OMS/ UNICEF à l'usage des débutants. Le monde compte 800 millions d'hommes, de femmes, d'enfants vivant dans la pauvreté absolue. Les analphabètes, nous dit un Africain, ne peuvent comprendre les problèmes alimentaires. Fini, le temps à l'arbre à palabre... Le niveau des nappes phréatiques baisse, les arbres meurent, il ne pleut plus, le désert avance, les troupeaux divaguent. On pose la question : que reste-t-il des V.P. après leur départ ? Réponse : c'est là un problème de financement et de structures. Auparavant, j'avais entendu, venant des V.P., un « Comment font-ils après, CES GENS-LA ? » qui m'avait agacé les oreilles. M. Philippe Debouy s'avoue assez pessimiste. Ils étaient partis pour donner, ils ont surtout reçu. N'ont-ils pas pourtant engagé le « meilleur dialogue nord-sud », pas celui « des chamailleries », le leur? Chamailleries? Quel charmant euphémisme!

Il faut bien détromper ces gentils V.P. Si désintéressés qu'ils soient, leur travail « sur le terrain » et leur méthode sont contestables, leur esprit, « colon », quoi qu'ils en aient. Il est choquant de souligner, au passage, le traitement brutal que l'on inflige à la parturiente qui tarde à donner le jour à son enfant et l'accusation qui pèse sur elle sans replacer le fait dans le contexte socio-culturel. De même que l'on ne peut faire chavirer abruptement l'émission dans le problème des mutilations infligées aux fillettes et aux femmes. Précisément parce qu'elles sont aussi novices que cruelles et doivent être combattues. Mais autrement. Enfin, et ceci est plus grave encore que la maladresse, l'Afrique n'est pas le lieu où résoudre les « problèmes intérieurs » que l'on a en Europe. Elle n'est ni le substitut du divan freudien, ni la Nounou des cœurs brisés, et pas davantage une échappatoire au service militaire. L'Afrique – celle des peuples, et non des gouvernants – lutte, serre les dents et n'a que faire de nos états d'âme. Il n'est pas jusqu'à la notion d'analphabétisme [PAGE 97] qui ne devienne sujette à caution quand ce sont des Européens qui y font allusion : un Africain illettré de la brousse peut savoir bien des choses qu'ignore un Européen alphabétisé, voire diplômé. A condition, bien sûr, qu'il n'ait pas été coupé très tôt de ses racines.

Deux petites phrases, au hasard des séquences, ont éclairé d'un jour douteux le propos des V.P. Une allusion, d'abord, à l'aide qu'ils devraient trouver auprès des « Grandes organisations internationales ». Cette coopération new-look ne vaut pas mieux que la précédente. Comme celle-là – et ici nous en venons à une autre petite phrase cueillie au vol – elle ne peut que conforter une situation scandaleuse. Je veux parler de la dérobade des « élites », de leur goût du profit : « Les médecins noirs formés à Dakar refusent d'aller travailler en brousse », nous a-t-on dit. Ce mépris dans lequel les « élites » issues de la bourgeoisie compradore tiennent les peuples de la brousse et des bidonvilles est l'un des fruits pourris de la colonisation. Ne le comprenez-vous pas ? Quant à la prétention que vous avez de « sensibiliser les vieilles » au problème des mutilations, elle témoigne d'une ignorance absolue de la condition de la femme là où règnent l'Islam et, parfois, le catholicisme. Si encore vous n'étiez qu'un petit groupe de copains, boys-scouts attardés en quête de B.A. ! Mais 500 V.P. répartis dans 12 pays francophones, cela suppose une opération concertée, patronnée, sinon financée, par plusieurs de nos ministères. Pourquoi partir si loin, d'ailleurs ? Le tiers et même le quart-monde sont aussi en France. Et des chirurgiens français, ou africains formés chez nous, y mutilent bien proprement, sous anesthésie, les fillettes et les femmes noires. Go home ! Revenez donc au pays dénoncer ce scandale ! L'Afrique n'a besoin que d'une chose : qu'on la rende à elle-même, qu'on lui restitue ce qu'on lui a pris, en lui laissant toute sa liberté. « Africa fara da se ».

Renée SAUREL