© Peuples Noirs Peuples Africains no. 22 (1981) 122-126



NOTES DE LECTURE

V. REMOS

Babou Paulin Bamouni, Luttes, Editions Silex (collection « Poing »), 56 bis, rue du Louvre, 75002 Paris. Préface de Jean-Baptiste Tiemele, 56 pages, 1978.

Tous les poèmes de cette jolie plaquette développent un thème politique; ils exaltent l'Afrique, mère noble et vénérable par ses grands hommes, ses horizons immenses, ses valeurs sublimes, mère cependant toujours bafouée au cours de son histoire par la cruelle fantaisie des étrangers. Chantre des aspirations révolutionnaires, le poète se range sous la bannière de la poésie africaine engagée.

Il est dommage que le lecteur ne puisse pas suivre l'itinéraire de l'auteur, car les poèmes, qui se succèdent sans préméditation apparente, ne sont en outre pas datés. Néanmoins, nous avons cru observer une évolution sinon dans le sens d'une meilleure technique, du moins vers une conscience toujours plus approfondie de la spécificité de l'expression poétique et de ses exigences. Se démarquant d'abord peu de la simple harangue fondée sur des concepts abstraits, la manière de B.P. Bamouni progresse ensuite lentement à la conquête de l'image et au rythme, deux ressorts essentiels de la poétisation. L'auteur devra encore travailler beaucoup pour imposer son nom [PAGE 123] parmi les célébrités de la poésie africaine contemporaine. Il y arrivera certainement; sa jeunesse, sa ferveur et sa sincérité lui garantissent d'ici quelques années une place enviable.

V. R.

*
*  *

Mukala Kadima-Nzuji, Jacques Rabemananjara l'homme et l'œuvre, Présence Africaine (collection Approches), 25 bis, rue des Ecoles, 75005 Paris, 1981, 192 pages.

Compte tenu de la typographie extrêmement serrée, il s'agit d'un ouvrage considérable. Toutefois la partie biographique ne tient nullement les promesses du titre. Il y a dans le personnage, sinon dans la personnalité de Jacques Rabémananjara, aujourd'hui âgé de 68 ans, une énigme qu'on aurait voulu voir l'auteur évoquer au moins brièvement ou même allusivement : comment en effet concilier le patriote à la fois viscéral et impavide qui, dans sa cellule de condamné à mort, écrivit les poèmes de « Antidote », et, particulièrement le merveilleux « Conte pour Bakoly », et le falot professionnel de la politique politicienne qui servit si docilement les intérêts français sous l'interminable dictature du sénile fantoche Tsiranana ? L'auteur ne paraît même pas se douter de l'attente du lecteur qui, bien entendu, reste sur sa faim. Il faut excuser ce conformisme fréquent chez les meilleurs critiques africains, et rendu inévitable par des habitudes de copinage qui s'imposeront aussi longtemps que les écrivains étudiés seront tous des classiques vivants.

Par bonheur, l'auteur donne toute la mesure de sa brillante maîtrise dans la deuxième partie où il analyse la poésie même de Jacques Rabémananjara. Non seulement ce commentaire instruit prodigieusement le lecteur, mais aussi, en mettant en évidence le génie d'un poète qui se compare aux plus grands du lyrisme français moderne (Verlaine, Rimbaud, Supervielle, etc.), il donne envie de lire (ou de relire) l'œuvre de Jacques Rabémananjara. [PAGE 124]

V. R.

*
*  *

Claude Lafosse, Les vers de terre civilisés se mordront la queue, Editions du Châtaignier, 1981, 94 pages. (Ecrire à Claude Lafosse, B.P. 31036 Toulouse.)

Les lecteurs de Peuples noirs-Peuples africains se souviennent peut-être que notre ami a publié dans le no 10, (juillet-août 1979) quatre poèmes extraits de « Le feu en terre », son premier recueil, dans lequel il utilisait de préférence le vers blanc.

Dans ce deuxième recueil, l'auteur a totalement renoncé à versifier, et l'on dirait qu'il a brusquement découvert le mode d'expression le plus conforme à son tempérament. Les poèmes (car ce sont toujours des poèmes) jaillissent avec plus de naturel, donc aussi plus d'efficacité, en torrents impétueux charriant pêle-mêle le calembour façon « Canard enchaîné », l'obscénité à la Georges Brassens, l'invective, l'aphorisme l'antiphrase, la contrepèterie rabelaisienne. Bref, l'invention verbale est intarissable ici.

Mais, loin d'être gratuite, elle souligne une méditation tout à fait cohérente, encore que pessimiste, et même un peu désespérée sur la civilisation industrielle, prétendue moderne, et sur ses dramatiques conséquences. Occitan plus que jamais fidèle à l'écologisme contestataire et internationaliste de son premier recueil, Claude Lafosse poursuit, avec une hargne également truculente, les industries boulimiques des matières premières et toujours génératrices de nuisances, l'agitation des politiciens magouilleurs et des financiers véreux, la cynique spoliation des populations désarmées du tiers-monde, le racisme, l'american way of life, en somme tout ce qui fait la fierté de l'homme occidental, civilisé par auto-proclamation, auquel il prédit le plus sombre avenir. Hilarant et troublant.

V. R.
[PAGE 125]

REVUE DES REVUES

JONCTION, revue africaine trimestrielle d'analyse et d'opinion. 46, rue de Vaugirard, 75006 Paris. No 4 (mai 1981).

Seule l'extrême multiplicité des tâches à accomplir nous avait empêchés jusqu'ici d'annoncer à nos lecteurs la naissance, il y a déjà plus d'un an, de cette jeune revue, orientée à l'extrême-gauche, d'apparence très austère et d'une haute tenue intellectuelle. Jonction se recommande particulièrement par son style incisif, la résonance révolutionnaire et l'élévation de ses vues ainsi que par la densité de ses études qui touchent à tous les domaines intéressant l'Afrique – politique, économie, philosophie, histoire, langues. Il faut absolument lire dans la dernière livraison les longues pages traitant de l'histoire ancienne de l'Afrique et de la Philosophie Africaine.

88 pages, 10 F.F. (500 F. cfa).

V. R.

*
*  *

U F A H A M U, journal of the African Activist Association, African Studies Center University of California, Los Angeles, California 90024. [PAGE 126]

Traduisons : UFAHAMU est une revue animée par un groupe de Noirs (américains et africains, professeurs et étudiants) de l'Université de Californie à Los Angeles. Son format est classique, la typographie excessivement tassée, la périodicité trisannuelle. Un bon exemple du ton et de la qualité de cette revue est donné par sa dernière livraison de l'année 1973 (Volume III, Number 3, Winter 1973), que nous recommandons à ceux de nos amis qui peuvent se la procurer. C'est un numéro spécial de 160 pages consacré à Amilcar Cabral qui venait d'être assassiné.

V. R.

*
*  *

Research in African Literatures (University of Texas Press Box 7819 Austin, Texas 78712), très importante revue trimestrielle dirigée par le Pr Bernth Lindfors, spécialiste américain très connu de littérature africaine. La présentation est cossue, sinon luxueuse, la typographie très aérée rend la lecture extrêmement agréable; le contenu, dense autant que varié, sait éviter l'écueil de l'abstraction excessive confinant à l'élitisme. Dommage qu'une publication si heureusement conçue pour un public débordant largement la sphère des spécialistes soit rédigée en anglais exclusivement. Mais nous connaissons bien cette servitude nous-mêmes.

V. R.