© Peuples Noirs Peuples Africains no. 22 (1981) 100-103



COMMENT « LE MONDE » CACHE A SES
LECTEURS LA TORTURE ET LA RÉPRESSION EN ALGERIE

F. IBRAM

Les lecteurs du journal « Le Monde » sont des gens sensibles. Il ne faut pas les effaroucher avec la vérité. Des exactions policières et des tortures, on peut leur en parler lorsqu'il s'agit de quelque « Banana Republic » d'Amérique latine; on peut aussi en parler lorsqu'il s'agit de la police française contre les immigrés. Très bien. Mais lorsqu'il s'agit du pouvoir algérien, on entre dans le domaine de l'intouchable : à tous les niveaux, les informations concernant la répression en Algérie sont systématiquement minimisées, quand elles ne sont pas carrément censurées. Nous exagérons ? Que nos lecteurs jugent sur pièces d'après trois cas concrets.

1) Les événements de Kabylie. Tous les Algériens connaissent la violence de la répression qui s'est abattue sur la Kabylie en avril dernier, avec notamment l'intervention de nuit des CNS accompagnés de chiens contre le campus Hasnaoua, les centaines de blessés et les morts probables, l'occupation de l'hôpital de Tizi par l'armée, les sévices et les tortures contre les militants arrêtés (voir par exemple « Libération » du 7/5 et du 19/5/80). La presse française en a largement parlé. Il suffit de se reporter [PAGE 101] aux numéros du « Le Monde » du mois d'avril (nous en avons reproduit des coupures dans notre bulletin no 1) pour voir à quel point ce journal a minimisé les faits en parlant d' « agitation » lorsqu'il s'agissait d'émeute, en multipliant les conditionnels et les précautions, et en taisant systématiquement la violence de la répression et les exactions policières.

2) Les tortures subies par les condamnés de Blida. Dans son communiqué de juin 1980, la Fédération Internationale des Droits de l'Homme signalait qu'un au moins des inculpés de Blida avait dû être hospitalisé à la suite des sévices subis. Lorsque « Le Monde » du 26 juin passe un court extrait du communiqué, cette information a disparu. Problème de place ? Admettons. Lorsque « Le Monde » du 27 novembre publie une information de source algérienne annonçant le procès et citant le PCI, cette organisation envoie une mise au point (qu'elle rendra par la suite publique) dénonçant le caractère invraisemblable de l'accusation de complot contre la sûreté de l'Etat, et le fait que les « aveux » ont été arrachés par la torture. « Le Monde » refuse purement et simplement de la publier. Lorsque, après le procès, les avocats des inculpés informent les journalistes sur son déroulement, ils ne manquent pas de faire état des tortures subies. L'AFP cite le fait dans sa dépêche (publiée dans ce bulletin), « Le Matin » du 29 décembre également. Dans « Le Monde » la torture a disparu... Pourtant on sait maintenant avec certitude – le fait est confirmé par tous les avocats, français ou algériens – que tous les inculpés ont passé leurs aveux sous la torture.

3) Le refus de la publicité RIPRA. Les lecteurs du « Monde » savent que ce journal publie régulièrement des annonces publicitaires payantes insérées par divers comités ou personnalités, pour demander la libération de prisonniers politiques dans tel ou tel pays. Eh bien, l'Algérie est une « zone protégée » de ces publicités gênantes ! Nous avons en effet demandé le 8 janvier au service publicité du « Monde » l'insertion payante du communiqué (reproduit dans ce bulletin) en précisant expressément que nous étions prêts à accepter toutes les modifications de rédaction oui paraîtraient souhaitables. Notre interlocuteur, [PAGE 102] très aimable, nous a dit que cela ne devrait présenter aucun problème, car ils avaient l'habitude de passer ce genre de publicité mais qu'il fallait tout de même l'accord de principe de la direction, et que nous aurions une réponse en téléphonant le lendemain. Lorsque nous avons rappelé, on nous a informés que le communiqué était purement et simplement refusé. Pourquoi ? Impossible de nous le dire. – Mais nous avons accepté d'en modifier les termes... – « Cela ne change rien, c'est un refus de, principe. Je ne peux rien vous dire de plus. Et pourtant, vous savez, a conclu notre interlocuteur, on ne refuse pas souvent! » Nous avons écrit au « Monde » pour être sûrs qu'il ne s'agissait pas d'un malentendu. Sûrement pas, puisque deux semaines après, notre lettre était toujours sans réponse...

Voilà les faits. Chacun les interprétera comme il voudra. Pour nous, cela montre en tout cas que nous n'avons pas seulement à lutter contre les mensonges officiels, mais aussi contre les censures officieuses. Nous continuerons à le faire, malgré la disproportion entre nos moyens et ceux de nos adversaires et malgré l'hypocrisie de la presse dite « objective ».

Lettre envoyée au « Monde » et restée sans réponse :
Paris, le 9 janvier 1981

M. le Directeur
« Le Monde »
5, rue des Italiens Paris IXe.

Monsieur le Directeur,

Nous avons récemment demandé à votre service publicité l'insertion d'une annonce « Pour la libération des emprisonnés de Blida », en précisant expressément que le texte remis n'était qu'un projet et que nous étions prêts à envisager en commun avec vous les modifications qui vous paraîtraient souhaitables.

Votre service publicité vient de nous informer de votre refus de publier l'annonce, sans pouvoir nous indiquer quelles en étaient les raisons. Comme nous savons que « Le Monde » a déjà publié des annonces du même type concernant des emprisonnés dans d'autres pays, [PAGE 103] nous pensons qu'il s'agit d'une question de forme et de rédaction, et que notre proposition d'accepter des modifications n'a pas dû être transmise.

Voudriez-vous nous indiquer comment procéder pour arriver à un texte acceptable, par exemple en rencontrant un de vos collaborateurs ?

Nous vous en remercions et vous prions d'agréer, Monsieur le Directeur, l'expression de nos salutations distinguées.

F. IBRAM,
Responsable de « Ripra ».

Le texte remis au « Monde » pour insertion payante refusé :

POUR LA LIBERATION DES EMPRISONNES DE BLIDA

Pour avoir été en contact avec une organisation d'extrême-gauche et lu sa presse, Rabah Benkhallat et ses camarades ont été arrêtés en novembre 1978, torturés par la Sécurité Militaire algérienne, gardés au secret pendant deux ans.

Sous le prétexte de « complot contre la sûreté de l'Etat », le Tribunal Militaire de Blida siégeant le 27 décembre dernier a condamné les cinq inculpés à des peines de 3 à 10 ans de prison.

Rabah Benkhallat et ses camarades restent aux mains de la Sécurité Militaire algérienne. Pour obtenir leur transfert dans une prison civile avec statut politique, puis leur libération, « Riposte à la répression en Algérie » vous demande :

– De participer à la souscription pour la défense des emprisonnés de Blida : envoyez vos chèques au nom de F. Ibram, avec la mention « Ripra ».

– De participer à la campagne pour leur libération en diffusant les bulletins et affiches qui seront envoyés sur simple demande à:

Riposte à la répression en Algérie – RIPRA – 56 bis, rue du Louvre, 75002 Paris.

F. IBRAM