© Peuples Noirs Peuples Africains no. 20 (1981) 51-61



CAMEROUN: COOPERATION OU RECOLONISATION CULTURELLE?

J. MUNA KAM

La Coopération franco-africaine se révèle, à bien des égards, être un marché de dupes. Les cadres africains l'apprennent à leurs dépens lorsqu'ils s'aventurent dans les secteurs où la métropole entend perpétuer sa domination sur ses néo-colonies. L'Enseignement Supérieur et la Recherche Scientifique constituent en Afrique dite francophone un cas d'espèce de ces domaines réservés dont le trait caractéristique est l'omniprésence française, tant sur le plan administratif que par une forte représentation numérique dans le personnel enseignant et scientifique.

Ce n'est donc pas une affirmation gratuite de dire que l'installation de Centres Universitaires, plus ou moins adaptés, dans ses protectorats rénovés, constitue pour la France une opération fort bénéfique. En effet, l'institution universitaire n'apparaît-elle pas en Afrique « francophone » d'abord comme le témoignage vivant de la dominante présence française ? Le moyen par excellence de socialisation du modèle socio-culturel et économique de la Métropole.

Evidemment, le profit socio-économique de cette « Coopération culturelle » est également matériel. Economique, [PAGE 52] dans la mesure où elle permet à la France d'exporter à prix d'or, puisque non concurrencée, sa propre technologie. Social, parce qu'elle dispose ainsi d'un moyen sûr pour résorber le chômage parmi ses cadres.

Sous le rapport de cet aspect du bénéfice multiforme de l'opération coopération, le coopérant universitaire y trouve de substantiels intérêts, au point de perdre parfois toute vocation scientifique et même toute considération pour ses collègues africains. Peut-il en être autrement, dès lors que les mécanismes de la domination néocoloniale n'ont plus de secrets pour lui ?

G. Charles, mandarin et seigneur de la guerre

L'Université de Yaoundé offre un exemple pour illustrer ces assertions. La Faculté des Sciences de cette institution emploie en effet un cas d'espèce de ce genre de coopérant-conquistadore en la personne de G. Charles. Ce professeur-homme d'affaires y est en poste depuis 1964, époque de la création de la « Fondation universitaire française au Cameroun ». Ce nom est chargé de significations et symbolise des pratiques que l'appellation d'Université de Yaoundé est loin de prétendre avoir délaissée. Tant s'en faut. A preuve, la gestion du Département de Chimie par son chef-titulaire Charles.

C'est ainsi que ce seigneur a installé dans l'enceinte universitaire un comptoir d'achat des plantes médicinales pour le compte des laboratoires pharmaceutiques. C'est le cas d'Omnium Chimique de Bruxelles intéressé par les fruits de Voacanga dont des stocks sont ainsi entreposés dans les locaux affectés normalement à la Recherche. Cependant, c'est en matière de recrutement que se fait sentir le plus l'omnipotence de ce mandarin des colonies. Trois cadres camerounais (entre combien d'autres) en ont pâti, et s'aventurant dans cette chasse gardée qu'ils ont prise à tort, quoique de bonne foi, pour un service normal de leur pays.

Le premier, sorti Docteur en chimie des universités allemandes (R.F.A.) et une fois rentré au bercail, a vu sa thèse purement et simplement contestée par M. Charles, un jury, non un super-jury à lui tout seul. Au point que le doyen de la Faculté a dû recourir aux services d'une notoriété scientifique métropolitaine pour lui faire [PAGE 53] entendre raison. Mais, en dépit de cet avis autorisé favorable, il a fallu des interventions ministérielles pour faire droit enfin à la candidature de ce cadre national; c'est-à-dire pour lui permettre d'accéder à un poste pour lequel sa qualification scientifique et sa compétence, n'en déplaise à M. Charles, ne souffre aucune réserve.

Le deuxième cas, tout aussi édifiant, est celui d'un autre jeune Camerounais, docteur d'Etat es sciences de l'Université française. Malgré son expérience universitaire – sanctionnée par des inscriptions sur les listes d'aptitude – cet autre cadre national a connu de la part du « patron » de Yaoundé toutes sortes de déboires et d'affreuses mesquineries. Tant de manquements aux traditions universitaires ayant soulevé la protestation d'un collègue camerounais, ce dernier fut accusé par Charles auprès de l'Ambassade de France « de saboter la coopération franco-camerounaise » (sic) Et le professeur camerounais reçut punition en se voyant déchargé de toute responsabilité administrative. Quant à Charles, réconforté par cette nouvelle victoire, il n'a plus eu qu'à poursuivre tranquillement son règne et à inscrire un nouvel exploit à son palmarès.

La troisième victime est un autre jeune universitaire camerounais, certes en fin d'études. Ce jeune diplômé a donc adressé une demandé d'emploi à l'Université de Yaoundé, pour un poste en Chimie organique. Comme à l'accoutumée sa candidature est remise au chef de département de Chimie pour appréciation, c'est-à-dire pour décision. On devine avec quel cynique plaisir Charles a fait dire à cet intrus que ses services seraient plus appréciés ailleurs. Il serait même allé jusqu'à lui conseiller de changer de spécialité; en l'occurrence de se recycler dans la biochimie, en abandonnant sa formation première d'organicien. Comme si les deux disciplines étaient confondables mais qu'importe puisqu'on se trouve en colonie, où un vétérinaire peut allègrement suppléer un médecin. Il n'en demeure pas moins posé la question de savoir combien de Charles on peut dénombrer dans les université franco-africaines ? Et jusque à quand y régneront-ils ? Toujours est-il, comme en témoignent des exemples précédents qui ne sont certainement que quelques bouts visibles de l'iceberg, que le jeune diplômé africain qui, accordant foi au slogan officiel de l'africanisation [PAGE 54] des cadres, s'engage imprudemment ou naïvement sur le chemin de retour au bercail, est bien loin d'imaginer dans quelle jungle politico-administrative il s'aventurera. Nourrissant quelqu'espoir légitime d'être un partenaire social intéressant dans son pays, il se retrouve souvent soit piégé, soit confronté à des situations pour lesquelles les plus apolitiques – et ils sont légion – n'ont reçu aucune préparation psychologique. D'où une plus grande vulnérabilité, une profonde désillusion.

Pourtant, au départ, grand est son enthousiasme; surtout lorsqu'après de longues études (qui représentent parfois un véritable investissement familial), il croit être fondé à aspirer à jouer un rôle de premier plan dans la construction nationale. L'illusion est alors d'autant plus grande qu'il tombera sur un Charles, à qui revient le dernier mot pour ses chances d'exercer sa compétence, de servir son pays.

La déception de voir son avenir professionnel hypothéqué par l'avis aléatoire d'un collègue expatrié, parfois bien moins qualifié, ajoute à un sentiment légitime de frustration. Frustration d'autant plus dramatique que le cadre indigène néo-colonial découvre ou expérimente l'impuissance des responsables nationaux en titre à régler des problèmes rentrant normalement dans leurs attributions; tout comme le fait que les « dirigeants du pays » gouvernent, si tant est qu'ils le fassent, en réalité par procuration contrôlée. Ce qui démontre bien, qu'en fait de souveraineté, les Etats africains dits francophones modérés n'en jouissent que de ses aspects formels; l'essentiel du pouvoir, qui s'y identifie à une véritable régence, ainsi que la tâche de contrôle, étant exercés par les ambassadeurs ou les conseillers techniques français.

Par conséquent, la coopération franco-africaine qui est au fondement de la politique de décolonisation à la française se révèle comme étant la garantie des intérêts de la métropole dans ses néo-colonies; la perpétuation des privilèges de ses ressortissants face aux indigènes; bref, c'est une assurance « légalisée » pour l'avenir, en vue de contenir efficacement toute velléité d'indépendance, fût-elle sur le plan de l'emploi des cadres nationaux.

La collaboration entre ces derniers et les coopérants est ainsi rendue difficile, voire impossible dès lors que ceux-ci adoptent souvent une attitude défiant tout code [PAGE 55] de déontologie, ou se refusent à vivre dans un gentlemen agreement bien compris. Mais, que l'arrogance des néo-colons s'alimente à l'une de ses sources qu'est la complicité d'une partie non négligeable de l'intelligentsia, tout acquise au dominateur étranger, point n'est alors besoin d'être habité par une flamme nationaliste pour y situer un nœud du problème ou pour en être surpris. Et si surprise il y a, elle ne peut qu'être apparente, un examen attentif des critères de choix des responsables révélant l'identité de nature entre ces promus et les hommes politiques à qui ils peuvent devoir leur nomination.

Intégration et récupération

C'est ainsi que certains cadres, candidats potentiels à des postes de responsabilité, tirent directement la substance de leurs charges de la véritable source du pouvoir néo-colonial que constitue la métropole. Exemple : le Ministère de la Coopération doit agréer les candidatures aux concours d'agrégation de l'enseignement supérieur, organisés à Paris pour les états africains amis.

En revanche, tout cadre dépourvu de soutien politique local, ou ne se réclamant pas de quelque recommandation parisienne, est exposé à bien des tourments, à l'arbitraire. Nanti de son seul parchemin, il se découvrira bien moins servi, donc vulnérable sur le marché du travail de son pays. D'où son terrible dilemme – courir le risque de rester au chômage en se fiant à sa seule qualification technique ou bien s'assurer des chances de recrutement en faisant acte d'allégeance au chef de l'état, c'est-à-dire parfois brader sa dignité.

L'acte d'allégeance consiste généralement ici soit en une adhésion officielle au parti du président, soit en une déclaration publique d'attachement à sa personne par un « soutien sans réserve apporté à sa sage politique ». Il est rare que celui qui s'est résolu à tant de preuves d'obédience ne soit pas payé en retour, en étant jugé apte à entrer au service de l'état-nation.

L'entrée dans la fonction publique constitue ainsi pour le jeune cadre une véritable promotion sociale, étant donné par ailleurs les privilèges et le prestige attachés à la catégorie socio-professionnelle des fonctionnaires.

Evidemment, ceux des cadres qui reviennent au pays [PAGE 56] porteurs d'un certificat de bonne conduite, délivré par l'ambassade ou la section du parti à l'étranger, bénéficient d'un préjugé favorable, sinon d'un atout déterminant dans leur épreuve d'adoption. Bref, le recrutement dans les services d'état du cadre rapatrié ou fraîchement sorti de quelque établissement de formation est conditionné par son intégration ou sa récupération politique.

En effet, on dispose à Paris ou sur place de tout un système de contrôle, d'embrigadement des futurs cadres. Suffisamment efficace pour que les « mauvais sujets » et les « fortes têtes » soient mis à l'écart ou exclus de la bergerie, c'est-à-dire souvent contraints à l'exil ou condamnés au chômage. Le système de filtrage débute en France au niveau de l'O.C.A.U. (Office de Coopération et d'Accueil Universitaire) et de l'ambassade qui, de concert avec la section locale du parti, entreprennent un travail de recensement des étudiants, de leur reclassement par affinité politique ou par toute autre activité, syndicale par exemple, qui permette d'avoir des uns et des autres un profil caractéristique et référentiel. C'est alors aussi que les petits malins se font remarquer ou connaître dans(les milieux du lobby colonial, en y prenant du service ou en s'y faisant des amitiés particulières. Les carriéristes parviennent ainsi, par un état de services éloquent, ou par leur engagement à défendre le statu quo (entrée dans quelque société secrète), à se faire réserver une bonne place autour de la table de la soupe néo-coloniale.

Au pays ensuite, le Cameroun, par exemple, si le cadre rapatrié est insuffisamment connu (politiquement s'entend), une enquête de moralité est ordonnée et menée par la police politique, en l'occurrence le C.M.D. (Centre National de Documentation), l'ex-SEDOC-DIREDOC.

Au demeurant, le cadre africain francophone, outre le fait de voir l'ouverture d'une carrière dans son pays natal handicapée par des épreuves politico-policières – ô combien aléatoires – se trouve confronté par ailleurs, de la part de son collègue français coopérant, à une concurrence déloyale, encouragé pour cela par la politique même de coopération. Mais comment celle-ci est-elle organisée ?

L'organisation de la politique de coopération, c'est-à-dire ]'élaboration d'un type nouveau des rapports de [PAGE 57] dépendance a, dès le départ (qui se situe à la veille des proclamations des « indépendances africaines ») constitué le but essentiel, la clef de voûte de cette « décolonisation-recolonisation » gaullienne.

Un système diabolique

En effet, à la différence des anciennes colonies britanniques qui ne contractent des accords de coopération avec la métropole qu'une fois leur souveraineté recouvrée, et reconnue, les protectorats français ne pouvaient et ne peuvent prétendre à un contrat équitable, signé entre partenaires juridiquement égaux. Pour la signature et l'application de ses contrats léonins, la France n'a-t-elle pas suscité ou fabriqué « ses interlocuteurs valables » de préférence aux patriotes – pourtant porteurs des aspirations populaires – qu'elle s'est d'ailleurs employée à liquider politiquement et plus souvent physiquement ? L'« indépendance » n'a ainsi été octroyée qu'avec l'installation au pouvoir d'hommes entièrement acquis à la sauvegarde et à la défense des intérêts français, c'est-à-dire des présidents-serfs, ayant fait acte et donné preuve d'allégeance à Paris.

C'est pourquoi la coopération dans sa pratique doit apporter à ces « amis », « sages » ou « modérés» d'Afrique, l'assistance technique nécessaire à la gestion de la part du patrimoine colonial dont ils ont formellement la charge.

Evidemment, cette coopération-courroie de transmission contribue aussi au maintien du statu-quo néo-colonial en garantissant à la métropole la possibilité de tirer les ficelles, tant sur le plan politique qu'économique et culturel. Le Sénégal de Senghor offre à cet égard un exemple éloquent. Avancer que la coopération franco-africaine constitue l'un des piliers de l'édifice néo-colonial est loin de confiner à l'extrémisme gauchisant. C'est au contraire le fruit d'une observation objective et réaliste, la seule capable de permettre de démonter le mécanisme du blocage de l'Afrique sous domination française ou dite francophone. La preuve en est que la politique de coopération dispose en France d'un ministère dont on connaît les attaches des titulaires avec les milieux d'affaires [PAGE 58] coloniaux ou colonialistes quand ils n'en font pas directement partie eux-mêmes.

Il apparaît aussi que la coopération ainsi comprise à Paris ne saurait en aucune façon s'écarter des principes qui régissaient l'ancien empire colonial français appelé Union Française; lesquels ont été réaffirmés à la Conférence de Brazzaville en 1945. Leur esprit écartait toute visée, dans la conduite des affaires coloniales, à quelque forme que ce soit d'indépendance ou d'émancipation des peuples colonisés, c'est-à-dire aucunement de leur libération culturelle, donc de leur maîtrise d'une technologie propice à leur véritable développement. En bref, la politique de coopération élaborée à Paris a pour finalité la perpétuation de la domination et de l'exploitation.

Une telle vocation est également révélée par le mode de recrutement des coopérants ou par la pratique de leur maintien indéfiniment en service commandé, au contraire des autres pays coopérateurs tels que la Grande Bretagne, la R.F.A., les pays de l'Est, qui procèdent au renouvellement périodique de leur personnel d'assistance technique. Comment la France choisit-elle ses agents ?

Les principaux critères de choix ne peuvent qu'être politiques, c'est-à-dire conformes au dessein tacite ou occulte de la non-émancipation des pays « assistés ». Certes, il suffit souvent pour aller en coopération d'être Français ou francophile et de se prévaloir de quelque compétence ou référence technique. Parfois, la seule qualité requise est la nationalité française, étant donné les effets recherchés et produits par la présence outre-mer d'un nombre important des ressortissants métropolitains. N'a-t-on pas pu lire sous la plume de l'un des avocats et laudateurs des régimes néo-coloniaux d'Afrique, Ph. Decraene – qui, tout comme da plupart de ses compatriotes africanistes, ramène les problèmes du continent, par une vue simpliste des choses, aux seules possibles rivalités tribales – que les Français constituent souvent en Afrique francophone la onzième tribu, la tribu arbitre ou justicière.

Toujours est-il que les Français qui vont en coopération sont généralement dispensés ou ne sont que rarement tenus d'avoir une qualification solide suffisante pour leur donner accès au poste visé ou occupé dans une situation normale de compétition ouverte sur le marché [PAGE 59] du travail. Tant s'en faut. Qui plus est, les jeunes Français sous les drapeaux n'ont-ils pas la possibilité de choisir entre accomplir normalement leur service militaire et se constituer cadres de substitution dans la coopération ? En témoignage ce cas d'un caporal de rencontre, spécialiste des explosifs et formé dans l'un des régiments d'intervention stationné à Calvi, qui fait actuellement office de surveillant dans un lycée africain.

Evidemment, le choix du coopérant est principalement déterminé par la condition de conformité au « profil politique adéquat », en d'autres termes, par la nécessité d'être dénué de tout penchant gauchiste, déserté par toute sensibilité susceptible d'engendrer une attitude dangereuse de subversion pour le statu-quo. Une fois la candidature agréée, vient ensuite l'étape de la prise en mains par les services spécialisés de la coopération, chargés, eux, de dispenser le conditionnement nécessaire. Prévenir valant mieux que guérir.

Cependant, afin de garantir outre-mer pour ses citoyens (et électeurs) amateurs d'exotisme des emplois bien rémunérés, d'assurer la poursuite de sa « mission civilisatrice », avec pour prime la fructification de la coopération, la France giscardienne vient d'ouvrir un nouveau volet dans la stratégie de la domination teintée de racisme sournois et placée sous l'hypocrite et démagogique slogan « l'Afrique aux Africains ». Elle a choisi en effet de livrer bataille aux étudiants africains, sous prétexte de limiter le nombre d'étudiants étrangers dans ses universités; c'est-à-dire en fait pour réduire le nombre des futurs cadres africains ou concurrents potentiels de ses agents-coopérateurs. D'où la promulgation de toutes sortes de mesures, aussi pernicieuses les unes que les autres, mais visant toutes à porter entrave à leur formation ou à permettre leur domestication.

La complicité des fantoches

Certes, dans le cas de certains étudiants comme les Camerounais, la France bénéficie dans le pays d'origine d'un concours officiel actif de ses suppôts locaux. A preuve, l'accueil chaleureux réservé par les autorités de Yaoundé aux lois Stoléru-Bonnet, cependant que des gouvernements plus représentatifs de leurs peuples ont [PAGE 60] volé au secours de leurs ressortissants dont ils ont toujours défendu les intérêts. Qui ne se rappelle la lenteur avec laquelle les hommes en place à Yaoundé ont publié leurs « nouveaux accords de coopération », tant ils sont jugés défavorables pour les Camerounais même par des proches collaborateurs de M. Ahidjo ? Ce dernier argue que les communautés estudiantines camerounaises à l'étranger constituent des « foyers de subversion » pour son régime. Et que ceux des cadres qui en sortent renforcent les rangs de ses opposants.

D'où sa préoccupation concernant l'embrigadement des étudiants et sa joie devant la restriction légalisée de leurs possibilités de faire des études hors du pays alors que tout le monde s'accorde pour reconnaître l'insuffisance de la capacité d'accueil de l'Université de Yaoundé, sans parler de son envergure scientifique structurellement limitée comme cadre de formation. Quelle aubaine donc pour le dictateur télécommandé camerounais que la récente circulaire Imbert, dont le maître d'œuvre n'est autre qu'un de ses anciens collaborateurs au titre d'ancien chancelier de cette même université de Yaoundé. Et M. Imbert n'a jamais fait mystère de son aversion pour une France « généreuse formatrice de cadres africains contaminés par les germes de la contestation »... Mais qui a donc dit que quand il « entend le mot culture, il sort son pistolet » ? En France, on ne sort pas le pistolet, on promulgue des lois.

A défaut, on dresse pour les « sous-étudiants » du ministre français des universités, pour les protéger contre la « vérole politique » de son collègue de l'Intérieur, des barrières bien étanches et de tous ordres !

– financier : forte caution à déposer auprès de l'état d'origine avant délivrance de passeport et obtention d'un visa d'entrée en France, moyennant justification d'ouverture d'un compte substantiellement approvisionné dans une banque, française de préférence.

– politique : le candidat aux études en France ne doit pas figurer sur le « fichier de l'opposition ».

– culturel, enfin, car un certain niveau de connaissances est exigé pour avoir des chances d'entrer dans un établissement français, fût-il d'un niveau contestable.

Le dessein poursuivi à travers ces mesures, est d'autant plus évident que la France avait souscrit dans ses accords [[PAGE 61] de coopération à l'engagement de former les cadres nationaux de ses partenaires africains. C'est bien par exemple le cas sur le plan universitaire où de véritables échanges d'enseignants ont été programmés. Mais à en juger par les pratiques en honneur dans les universités et les centres de recherche français, il est clair qu'à Paris on n'entend nullement scier la branche sur laquelle les coopérants sont assis.

En outre, le fait pour la France et ses amis de multiplier dans les néo-colonies des embryons d'université, incapables d'assurer des cycles complets de formation même dans des disciplines fondamentales, atteste aussi de la volonté de ne perdre en aucune façon le contrôle de la situation, la maîtrise du terrain dans l'enseignement supérieur comme dans la recherche scientifique.

La politique actuellement suivie dans la formation des cadres africains illustre également un autre phénomène, lequel est bien établi sur le plan politique où il a fait ses preuves : la promotion d'éléments nationaux à compétence douteuse, qui auront vite fait de recourir aux services d'un cadre ou d'un agent métropolitain d'assistance technique ou de suppléance.

Somme toute, la pratique de la coopération culturelle franco-africaine, outre les barrières et les embûches dont elle jalonne l'itinéraire du cadre africain, tant dans le domaine de sa formation que pour son entrée en fonction, voire dans l'exercice de sa profession, démontre à suffisance qu'elle n'est qu'une entreprise de recolonisation. Une version moderne ou rénovée de la politique d'assimilation. Cette aspect culturel de la domination invite à s'interroger avec Odinga Oginga : NOT YET UHURU c'est-à-dire A QUAND L'INDEPENDANCE ?

J. MUNA KAM