© Peuples Noirs Peuples Africains no. 19 (1981) 148-151



FRANCOPHONISEZ, FRANCOPHONISEZ...

Il en restera toujours quelque chose !

Odile TOBNER

On a déjà vu, à propos de Voyage au Congo de Gide, fonctionner le jeu de l'omission en toute innocence et sincérité. On ne peut quand même pas exiger que soient rééditées des œuvres qui n'intéressent personne.

En ce domaine chaque jour apporte, cependant, de nouvelles surprises. Voici ce qu'un ami m'a mis récemment sous les yeux, en me disant : « Regardez comment on écrit l'histoire littéraire. »

BETI (Mongo, Alexandre Biyidi, dit -). Cameroun, 1931. Encore étudiant, à l'âge de vingt-trois ans, il publie son premier roman, Ville cruelle (1954). Son talent s'affirme dans les romans suivants : Mission terminée, Le Roi miraculé, il cherche à écrire des histoires inspirées par son pays, sans y mêler de souci politique.

C'est pas mal, n'est-ce pas ?

Nous nous sommes donc efforcés d'exprimer notre surprise par la lettre suivante : [PAGE 149]

Paris, le 2 janvier 1981.

M. Gabriel JOURDAIN, agrégé de l'Université.
M. Yves-Alain FAVRE, professeur à l'Université de Pau.
M. le Directeur des Editions GARNIER.

Messieurs,

Nous prenons aujourd'hui connaissance de votre Dictionnaire des auteurs de langue française, publié par les Editions Garnier. Nous sommes stupéfaits à la lecture de la notice que vous consacrez à l'écrivain Mongo Beti, notice dont le caractère scandaleux nous a été signalé par un libraire. A première vue on peut reprocher aux auteurs une scandaleuse ignorance du sujet qu'ils traitent puisque dans la simple nomenclature des œuvres ils ne citent que trois des huit titres de la bibliographie de cet auteur. Le premier Ville cruelle étant d'ailleurs cité avec une attribution inexacte, puisqu'il a été écrit sous le nom d'Eza Boto. Ne sont cités ni Le Pauvre Christ de Bomba (1956, Laffont, rééd. 1976, Présence Africaine), de loin le plus célèbre des romans écrits par Mongo Beti, ni Main Basse sur le Cameroun (1972, Maspero), ouvrage saisi et interdit par le ministre de l'Intérieur de l'époque, M. Marcellin, interdiction rapportée depuis qu'un tribunal a fait la preuve de l'excès de pouvoir qu'elle constituait; ni Perpétue (1974, Buchet-Chastel); ni Remember Ruben (1974, 10/18); ni La ruine presque cocasse d'un polichinelle (1979, Editions des Peuples Noirs). Mais ces étonnantes lacunes dans l'information sont couronnées par un non moins scandaleux commentaire constitué par la phrase suivante « Il cherche à écrire des histoires inspirées par son pays sans y mêler de souci politique. » Passons sur le « cherche à écrire » qui est bien grossier comme coup de pied de l'âne, mais le « sans y mêler de souci politique » pourrait passer pour une plaisanterie par antiphrase si tout ne venait nous convaincre que vous n'avez pas pour principal objet de faire œuvre humoristique. Dès 1956, en effet, Le Pauvre Christ de Bomba, qui est il est vrai « oublié » dans votre ouvrage d'un haut niveau scientifique, était interdit de circulation dans les librairies d'Afrique noire – la suite de la carrière de Mongo Beti, décrite ci-dessus, démontre à l'évidence son absence de préoccupations politiques. Mais il est vrai que, à son sujet, vos fiches sont mises à jour à la date de 1959.

Bien plus que d'ignorance il s'agit donc d'une entreprise [PAGE 150] délibérée de falsification. Le chercheur le plus novice n'avait, en effet, qu'à recopier le catalogue du Cercle de la Librairie, pour fournir à vos lecteurs, en très peu de mots, une information exacte et complète, deux qualités qui sont indispensables, pour qui prétend à la science et à l'honnêteté, Cette défiguration ne peut être que l'œuvre d'un spécialiste de l'intoxication, dont la présence révèle d'assez inquiétants dispositifs au cœur d'instances « scientifiques » qui prétendent à la respectabilité.

Trouvez-vous les faits que nous venons de relater anodins, futiles et négligeables dans un ouvrage que vous couvrez de votre autorité et de vos titres ? Sur ce sujet, la littérature d'Afrique francophone, qui a constamment été l'objet des stratégies les plus grossières de falsification, comme votre ouvrage en témoigne, la majorité de vos lecteurs n'y verra que du feu et sera trompée de la manière la plus odieuse puisqu'elle ne peut soupçonner qu'une officine de propagande se cache derrière votre auguste façade. Il se trouvera bien peu de connaisseurs pour vous taxer d'ignorance ou d'escroquerie intellectuelle. Nous pensons cependant que, vous qui vous trouvez en position de maîtres d'une culture que vous êtes chargés de transmettre, vous ne manquerez pas de vous juger vous-mêmes et d'apprécier le tort que la légèreté d'une confiance mal placée, nous voulons le croire, fait à une parole livrée aux plus viles entreprises d'étouffement.

Au nom de la rédaction de P.N.-P.A.

Odile TOBNER

Voici la réponse :
Le 20 janvier 1981.

Madame,

J'ai bien reçu votre lettre relative au Dictionnaire des Auteurs de langue française et à la notice concernant Monge Beti.

Vous nous prêtez de ténébreux desseins à son encontre et je puis vous assurer qu'il n'en est rien. La meilleure preuve en est d'abord qu'il figure dans ce Dictionnaire, où bien des écrivains n'ont pas pu être mentionnés, car le livre devait rester d'un format commode et pratique.

Nous n'avons donc aucune mauvaise intention à l'égard [PAGE 151] de Mongo Beti et les accusations que vous lancez contre nous sont très injustes. Nous ne manquerons pas dans la prochaine réédition de l'ouvrage de tenir compte des renseignements que vous nous communiquez et de réparer les omissions. Quant à la phrase que vous incriminez, elle n'a pas le sens que vous lui prêtez; elle signifie précisément que Mongo Beti ne sépare pas l'œuvre littéraire du souci politique. Nous souhaitons vous avoir rassurée.

Croyez, Madame, à nos sentiments respectueux.

Y.-A. FAVRE.

Accusations très injustes ? Mais comment expliquer alors une notice aussi désinvolte dans l'approximatif ? Le niveau baisse, le niveau baisse, dirait Alice. Quant au sens de la phrase en question, ah bon, excusez-nous, on n'avait pas compris. On ne parle pas encore couramment le francophone.

Merci pour la promesse de rectification. En attendant la maison Garnier aura bien mérité de la civilisation en évangélisant les Africains, sans les gâter par un excès d'instruction. L'important c'est qu'ils payent. D'ailleurs on ne les vole pas, on n'a pas omis une seule pièce de Marivaux. Elles sont toutes autorisées en Afrique.

Odile TOBNER