© Peuples Noirs Peuples Africains no. 19 (1981) 60-94



Toutes les vérités ne sont ni bonnes à dire,
ni bonnes à entendre. (Laye, Le regard du roi).
Aussi pénible que puisse être pour nous cette constatation,
nous sommes obligé de la faire: pour le Noir, il n'y a qu'un
destin. Et il est blanc. (Fanon, Peau noire, masques blancs).



QUESTION DE SUPERIORITE BLANCHE :

UNE LECTURE CONTEMPORAINE

DE DEUX ROMANS DE CAMARA LAYE

F. OJO-ADE

INTRODUCTION

Pendant longtemps, la critique de la littérature africaine accusait les écrivains d'un manque de don artistique. Elle leur reprochait leur propagande mal cachée, leur cri de revalorisation aigu, leur revendication socio-raciale outrée. Puisqu'il s'agissait d'une littérature naissante – et il y en a qui diraient qu'elle n'a pas encore atteint la maturité –, les écrivains, éternellement ouverts à la critique et toujours prêts à s'améliorer d'après les critères des maîtres expérimentés, s'efforçaient de devenir de meilleurs artistes, des stylistes mieux formés.

La critique a été, elle aussi, victime de reproches divers lancés par des individus appartenant à la nouvelle école dite littéraire. Ceux-ci blâmaient leurs collègues « trop conventionnels » et « trop trempés dans l'anthropologie », de manque de talent. Il en a résulté de la part de tout le monde soucieux de toujours faire sienne l'étiquette fort importante de critique des efforts extra-ordinaires de quitter les chemins battus pour trouver de nouvelles voies uniques, des démarches ingénieuses, des approches inattendues. Parfois, en essayant de découvrir des données [PAGE 61] cachées de cette littérature – car, il y va de découvertes théoriques ou méthodologiques –, on oublie d'en capter certains éléments essentiels. On ne tient pas assez compte de ce que les écrits visent à décrire, à contempler l'existence des êtres humains au sein d'une société. On fait peu cas du rôle de l'écrivain noir qui est, selon Léonard Sainville, de:

    bien étudier l'homme noir, afin qu'il se retrouve à travers nos livres comme dans un miroir, qu'il parvienne à saisir son rôle et sa mission.[1]

Ce rôle dit social, ou bien engagé, met l'accent sur une vérité indéniable, à savoir que quelle que soit sa position philosophique ou idéologique, quelles que soient les influences littéraires qu'il a subies, ou ses héros, dans l'univers des lettres, l'écrivain ne peut – et nous faisons allusion à l'écrivain sincère et prêt à faire front à la réalité – divorcer d'avec son environnement, sa société. Ses ouvrages allégoriques ne peuvent donc que revenir, de biais, sournoisement, sur les réalités brûlantes de la vie. Ses drames ne peuvent qu'aborder les questions gênantes de son époque. Ses récits ne peuvent qu'exprimer ses idées sur les situations réelles de sa société. Miroir et visionnaire, catalogueur et voyant, l'écrivain fait partie intégrante de la totalité des éléments existentiels de cette société dynamique, toujours en évolution, constamment en révolution, qu'est la société africaine.

Or, en ce qui concerne Camara Laye, un des écrivains les plus étudiés et commentés de la littérature africaine, la critique s'est beaucoup intéressée aux aspects mystiques et peu réalistes de son œuvre[2] : l'élément kafkaësque, le mystère, le symbolisme, l'idéalisme, et d'autres encore. Wole Soyinka[3] est de ces critiques qui ont souligné l'élément kafkaësque de l'œuvre de Laye. Les commentaires [PAGE 62] du fameux artiste-critique ont été examinés par J.M. Ita[4] qui, tout en acceptant l'opinion de Soyinka sur l'élément d'imitation chez le romancier guinéen, a longuement exposé sa thèse, à savoir que l'auteur du Regard du roi a su adapter les données kafkaësques à la situation africaine. A part ces accusations et réponses, il y a d'autres études intéressantes, y compris celle de feu Janheinz Jahn[5] 1 qui a interprété l'état psychologique de Clarence, héros du Regard et celle, plus récente, de Brench[6] qui a fait ressortir les éléments mystiques et idéalistes chez Laye.

Trois autres articles et communications sont à retenir, surtout parce que, contrairement à ceux mentionnés ci-dessus, ils abordent l'œuvre layéenne d'un côté plus contemporain, plus terre à terre, plus rattaché aux réalités sociétables. Il y a d'abord la communication du bien regretté Kolawole Ogungbesan[7] où le critique, tout en prônant l'idée de l'engagement total de l'écrivain noir dans son art, discute de la signification des écrits de Laye, entre autres, en fonction de la société africaine contemporaine. En deuxième lieu, il nous faut mentionner la communication de Tunji Adebayo[8] qui fait certaines répétitions en soulignant les couches traditionnelles et mystiques de l'œuvre de Laye, mais qui fait un pas en avant, en examinant les possibilités de modernisation de la société à travers cette même œuvre. Finalement, nous avons égard aux propos de O.R. Dathorne[9] qui, de toutes les études citées jusqu'ici, se rapproche le plus de notre thèse sur l'œuvre layéenne. [PAGE 63]

De Dathorne, citons les propos suivants, sur Le regard...

    On a interprété Le regard du roi de façons diverses : une recherche de Dieu, une recherche kafkaësque de l'identité, une leçon de sagesse africaine. Mais aucune de ces interprétations ne tient. Clarence est Blanc en Afrique noire ( ... ). Sa tribu est la tribu « blanche » qui ne peut se racheter qu'en rendant humblement service à la tribu « noire » ( ... ). Clarence renverse les rôles historiques de l'Europe et l'Afrique et il symbolise les deux, en essayant de corriger les défauts des Blancs. On lui accorde la faveur désirée seulement après qu'il a corrigé les erreurs de sa race. Clarence s'intègre ainsi dans la tribu noire et le roi est le moyen par lequel il perd les accessoires de sa première société pour s'initier à l'autre.[10]

Affirmons dès l'abord que nous ne sommes pas tout à fait d'accord avec les opinions de ce critique renommé. Nous reviendrons sur ses idées. Pour l'instant, l'essentiel est de constater que Dathorne met l'accent sur les données sociales, réelles, et d'intérêt actuel, de l'ouvrage de Laye. Et voilà le point commun entre ses idées et les nôtres.

A notre avis, l'œuvre de Camara Laye[11] présente des possibilités sérieuses pour une analyse sociologique. En dépit du fond mystique et traditionnel, cette œuvre peut être, et elle est, une fonction des réalités socio-politiques de L'Afrique contemporaine. Remarquons que les romans de Laye sont axés sur une période où le maître colonial [PAGE 64] régnait triomphalement et majestueusement sur son domaine d'outre-mer, où les jeunes colonisés, membres d'une élite en germe, réalisaient avec fierté le voyage vers la métropole considérée comme un véritable paradis terrestre, où certains Blancs faisaient parade de leur supériorité et certains Noirs, convaincus de leur infériorité – malgré les propos acharnés de libération et d'égalité des chefs de file – faisaient tout pour accéder au niveau de ceux-là. Laye, tout comme Jean Malonga, Lépold Sédar Senghor[12], et d'autres encore, a vécu le colonialisme français et a assisté à l'avènement de la décolonisation. Etudiant installé en France et puis citoyen de Guinée d'où il a fini par s'exiler, il a partagé son existence entre les deux côtés de la communauté franco-africaine. Par là, il a été témoin de ce que nous considérons comme une part essentielle de cette réalité aigre-douce;les rapports entre le Blanc et le Noir. L'Africain et son Afrique, par rapport à l'Européen et son Europe. La question coloniale. L'Africain face à l'Europe. L'Européen face à l'Afrique. Enfin, l'Africain face à l'Afrique. Ce sont là des relations et combinaisons que nous voudrions examiner à fond chez Camara Laye.

L'EUROPEEN DEVANT L'AFRIQUE

A la parution du Regard du roi (1954), la critique a été étonnée de constater qu'un écrivain africain, noir et déjà auteur d'un récit autobiographique foncièrement traditionnel[13] a dépeint un héros blanc désorienté et délaissé dans une société qui est fort éloignée de la sienne. Nous en savons déjà long sur les diverses interprétations faites de ce deuxième récit dit étrange. [PAGE 65]

Pourtant, la démarche thématique et stylistique de Laye n'est pas aussi « étrange » et surprenante que l'on a eu tendance de le croire. Car, Clarence, ce héros qui est sans le sou, joue un rôle spécifique dans le schéma socio-psychologique du romancier. Alors, Clarence est un Blanc qui a perdu toute sa fortune – mais il faut bien dire qu'il n'est jamais cossu – à un jeu de cartes organisé par d'autres Blancs installés dans une colonie française d'Afrique. Ne sachant plus où donner de la tête, il décide de chercher une situation auprès du roi africain.

    Parce qu'il le leur devait, lui qui n'avait jamais eu beaucoup d'argent, ils le lui avaient réclamé âprement, non certes parce qu'ils y tenaient ou parce qu'ils y attribuaient une importance quelconque, mais par plaisir de l'humilier, par pur plaisir de lier... C'est pourquoi maintenant il logeait dans une sorte de caravansérail nègre; une sorte de caravansérail, oui, car on ne pouvait pas appeler décemment hôtel ce bâtiment; et peut-être même était-ce trop déjà de l'appeler caravansérail; c'était... Mais non ! il n'allait pas évoquer cette misère une fois de plus : son cœur se levait rien que d'y penser... Le seul espoir qui lui demeurât – la dernière chance ! c'était d'entrer au service du roi. (Le regard..., p. 13.)

Donc, ses frères blancs, de véritablement mauvais esprits, sont résolus à l'humilier et il veut coûte que coûte résister à leur inhumanité. Ce décalage entre les Blancs est un microcosme d'une plus grande division, non seulement au sein de la société blanche, mais dans la société africaine[14]. Laye affirme ailleurs que les Blancs sont différents des Noirs. Et Clarence déclare catégoriquement que le Blanc est supérieur au Noir : « Je ne suis pas n'importe qui. Je suis un Blanc ! » (Le regard..., p. 12,) Toutefois, ce dont cet homme dérouté ne tient pas compte, c'est qu'il n'est pas un Blanc comme les autres. C'est un déchet, une épave. C'est partiellement pour cela que les Noirs ignorent sa présence sur l'esplanade, et qu'ils se moquent [PAGE 66] de lui tout à travers le texte. En effet, lorsque le mendiant affirme : « Les hommes blancs ne viennent pas sur l'esplanade » (ibid), il met l'accent sur l'état d'homme sans identité sans appui, où se trouve le malheureux Clarence. Qui plus est, cette observation prévoit le procédé africanisant – précisément ce qui aide le héros à s'installer dans la communauté africaine – qui se déroulera au cours de l'ouvrage.

L'essentiel en contemplant les pages introductrices du Regard... c'est que le Blanc, aussi fier que jamais, se croit accordé le droit de tout faire, de tout exiger. Le droit du maître colonialiste. Le droit de la race supérieure aux autres. Le droit de l'homme installé parmi des sous-humains. Les Noirs choquent pourtant Clarence en soulignant son manque de la véritable qualité de Blanc et, petit à petit, lui-même s'adapte à la vie africaine. Nous avons constaté que les Africains ignorent ce déchet de Blanc. Cela est quand même à modifier; car, au fur et à mesure que Clarence s'enfonce dans ce territoire étranger, ses compagnons (le mendiant, les deux garçons nommés Nagoa et Noaga) lui montrent plus de respect et d'amitié. C'est dire que malgré son état misérable, le Blanc n'a pas tout à fait perdu cet élément unique qui le distingue des Noirs. En plus, et cela importe bien, ses misères ne l'amènent pas à se débarrasser de son attitude négative envers l'Afrique. Citons-en des exemples :

A Adramé, Clarence habite deux hôtels, l'un dirigé par un Blanc et l'autre, par un Noir. Il est chassé du premier hôtel et il s'en va sans rechigner. C'est précisément après avoir été chassé du premier hôtel qu'il s'installe dans le second hôtel dont le directeur africain raffole de ses vêtements. Là, le client appauvri recouvre son audace, chose impossible à imaginer pendant son séjour au premier hôtel. Or, Clarence catalogue tous les défauts de cet hôtel nègre : bref, tout y est sale et en désordre. Remarquons qu'il s'agit même d'un caravansérail. En dehors de l'hôtel, il y a les ruelles « qui se terminent en cul-de-sac » (ibid., p. 40).

    Il pensait aux mille et une ruelles de la ville indigène, des ruelles tortueuses, étroites, coupées et recoupées à angles sournois, et dont beaucoup finissaient en cul-de-sac. Non, rien n'était jamais fait pour faciliter les choses dans cette ville. (ibid.) [PAGE 67]

C'est donc une ville laide, exclusivement nègre. Clarence remarque avec conviction : « Je doute fort qu'aucune alouette ait jamais traversé le ciel de ce pays. » (Ibid.) C'est une ville peuplée de fous : « Il eût annoncé : Plus on est de fous, plus on s'amuse ! » (Ibid.) C'est une ville tapageuse, où les gens ne font que boire, crier, festoyer.

    La plus agitée, la plus fourmillante des rues : la rue d'Afrique !
    Partout les tambours ronflaient, roulaient, communiquaient leur frémissement aux roseaux et aux bambous des clôtures, au pisé des murs, et jusqu'au sol et jusqu'au ciel même, et par-dessus tout à la foule ( ... ) qui criait, qui claquait des mains, qui poussait des cris sur tous les registres, sur le grave et sur l'aigu, mais plus particulièrement, plus violemment sur l'aigu; cris rauques des hommes, cris perçants des femmes, des femmes surtout... (Ibid., p. 60.)

C'est enfin une ville tout à fait trempée dans cette odeur à sources innombrables qui rend somnolent le pauvre héros blanc. Comme d'autres caractéristiques dénombrées, l'odeur ne se limite pas à Adramé; elle remplit tous les endroits visités par Clarence et l'on pourrait même dire qu'il a eu en Afrique un séjour d'odeurs. L'odeur de laine et d'huile. L'odeur de sang. L'odeur de corps en sueur. L'odeur de coït. L'odeur du nord. L'odeur du sud[15]. La seule odeur apparemment agréable, celle des fleurs mises sur l'oreiller de Clarence par ses diverses femmes nommées Akissi, finit par se rendre répugnante; car, c'est elle qui rend inconscient le héros contraint à coucher avec les femmes du naba. En bref, l'odeur de l'Afrique est mauvaise et meurtrière.

Le mépris de Clarence à l'égard de la société où il se trouve va encore plus loin lorsqu'il quitte Adramé pour aller attendre le roi dans la ville australe d'Aziana. Remarquons qu'il en a eu assez de ce voyage qui, selon lui, n'est qu'une éternelle tournure en rond dans la forêt tropicale. Tant ce voyage à pied qui l'éreinte et dégoûte, que l'odeur qui lui fait avoir sommeil, le mènent à haïr ce pays. [PAGE 68] L'arrivée à Aziana constitue une espèce de victoire, de miracle inattendu : « Je préférerais n'importe quel endroit à la forêt. » (Le regard... p. 113). Il ne voit pourtant pas de distinction entre Aziana et Adramé, sauf en ce qui concerne la propreté de cette ville-là. Plus il séjourne là-bas, plus il s'enlise dans la boue psychologique, plus il se désespère. Il ne fait que dormir, boire, se relâcher et se faire laver par sa femme, ou bien ses femmes nommées Akissi.

Alors, ce cas d'Akissi, des Akissi, il faut bien l'examiner de plus près. On constate que Clarence s'intéresse beaucoup au corps de la femme africaine. A la vue des jeunes filles d'Aziana, il réagit de la façon suivante :

    Peut-être celles-ci avaient-elles les mêmes jolis minois – sûrement elles devaient avoir de jolis minois, – seulement il était impossible de le découvrir, car il y avait dans leur poitrine, et quand ce n'était pas dans la poitrine c'était dans la croupe, quelque chose de si provocant qu'on en perdait – que Clarence tout au moins en perdait – le loisir, ou la volonté, de lever les yeux sur le visage. (Ibid., p. 109.)

Voilà qui démontre indubitablement la volonté de ce Blanc perdu en Afrique d'apprécier de manière quelconque les charmes physiques des Noires. Malheureusement, la critique n'a pas fait cas de cet élément de disponibilité toujours là présent dans la psyché du héros layéen. Il est certain que cet homme pour qui, d'ailleurs, tous les Noirs se ressemblent, ne fixe pas les visages. Il braque les yeux sur la forme alléchante des femmes. Le voici qui contemple une de ses Akissi :

    Sitôt qu'il la voyait toute, il ne voyait plus son visage : il voyait de la croupe et des seins; la même croupe haute et les mêmes seins piriformes que les autres femmes d'Aziana... (Ibid., p. 145.)

La critique a eu tendance à croire que Clarence s'est mis à contre-cœur au nocturne service sexuel. La disposition charnelle que nous venons de signaler dément jusqu'à un certain point cette tendance mystificatrice. En outre, il se voit que Clarence jouit pleinement de son union avec ces divers corps féminins. [PAGE 69]

    Et il trouvait la journée longue, il attendait la nuit;mais pas dans le sens où Samba Baloum l'entendait. Grands dieux, non, pas dans ce sens-là !... Il n'attendait pas la nuit : il la craignait. Le chien qui était en lui l'attendait peut-être; mais lui, il la craignait, il l'abominait, il... (Ibid.)

Laye essaie – et il le fait tout au cours de l'histoire de Clarence – de nous convaincre que son héros est innocent, qu'il est victime de la malignité du naba et de son employé, Baloum. Mais il s'agit d'une mauvaise foi mal cachée, tant de la part du romancier que de la part de sa créature. Car, seule une lecture superficielle soutiendra la thèse de l'ignorance de Clarence. Il a été affirmé que Clarence ne sait pas ce qui lui arrive dans la nuit, qu'il ne sait pas ce qu'il fait. Donc, il n'est pas censé savoir ou supposer la pensée de Baloum. Les propos cités ci-dessus impliquent cependant que Clarence sait déjà que son hôte lui fait accomplir quelque chose d'abominable dans cette chambre meublée de corps de femmes. Est aussi indicative de la mauvaise foi du héros de Laye, l'observation qu'il fait au sujet du « chien qui était en lui ».

S'il ne s'en va pas, s'il ne cesse de rendre ces « menus services » au naba en dépit de son doute au sujet de l'identité de « cette changeante Akissi » et en dépit de ces avanies qu'il subit supposément, c'est que Clarence ne déteste pas la tâche qu'il remplit ! Or, il y a des preuves incontestables de ce que ce grand fabricant de métis n'ignore pas son acte. Lui-même remarque qu'il y a un regard étrange dans les yeux du vieux mendiant lorsque celui-ci parle des menus services à rendre au naba. Les deux garçons Nagoa et Noa rient de Clarence au départ du mendiant accompagné de son âne et de la femme. Au fait de la physionomie toujours changeante d'Akissi, nous pouvons ajouter les paroles de Baloum : « Tu deviens dodu. Quand le mendiant t'a amené, tu étais un vrai poulet » (Ibid., p. 140).Lemaître des cérémonies, le plus téméraire et le plus franc de tous les Azianais, révèle à Clarence le genre de travail qu'il est en train de remplir et est fort surpris que ce Blanc – n'oublions pas que, selon le mythe, il n'y a pas de Blanc stupide –, ne se soit pas avisé de ce fait. [PAGE 70]

    – Lui, en tout cas, dit le maître des cérémonies en désignant Clarence, il aurait peine à se faire passer pour un agneau. Chaque nuit...
    – Laisse donc ! dit vivement Samba Baloum.
    – Quoi, chaque nuit ? demanda Clarence.
    – Je me comprends, dit le maître des cérémonies. Faites l'ahuri ou l'agneau si cela vous amuse, mais ne croyez pas que vous m'embobelinez. Je ne suis pas non plus un agneau; je vois clair dans votre jeu !
    [...]
    – Personne non plus n'entre dans ma case sans mon autorisation, dit Clarence.
    – Voilà qui est un peu fort ! dit le maître des cérémonies. Et vous aviez l'audace de prétendre, il n'y a pas un instant, ne pas savoir quel jeu vous jouez ? Vous me prenez décidément pour plus bête que je ne suis... Avec quelle femme étiez-vous cette nuit ? (Ibid., pp. 146-147.)

Les paroles téméraires du maître des cérémonies lui valent une claque assénée par Baloum et un procès où naturellement on le trouve coupable et on le punit d'une manière si sévère que c'est Clarence qui demande pardon en son nom. En plus, au cours de ce procès auquel assiste Clarence à l'insu des participants, on parle carrément de son rôle :

    – L'homme blanc n'est pas un sot, se reprit à vociférer le maître des cérémonies. Il fait parfaitement la différence entre Akissi et les femmes du sérail qui lui rendent visite pendant la nuit. D'ailleurs il suffit d'observer son attitude embarrassée à l'issue de ces visites.
    – J'atteste que l'homme blanc ne s'apercevait de rien, cria Baloum.
    – Mensonge ! hurla le maître des cérémonies.
    – Non ! cria Baloum en assénant le pied sur la nuque du maître des cérémonies. Je répète que l'homme blanc ne s'apercevait de rien, et qu'il ne pouvait s'apercevoir de rien, car chaque épouse, en entrant dans sa case, déposait à la tête du lit une gerbe de fleurs forestières;l'odeur aussitôt se répandait et rendait l'homme blanc inconscient. [PAGE 71]
    – Que raconte-t-il ? dit Clarence aux garçons. Il ne raconte que des fables ! (Ibid., p. 160.)

On dirait que l'homme blanc, étranger au pays et aux odeurs du pays, devient inconscient en respirant l'odeur des fleurs, alors que les femmes, adaptées à l odeur sauvage, demeurent tout à fait éveillées. Et Clarence de coucher avec elles inlassablement, et de les aider à fabriquer de petits sang-mêlé. Enfin, le héros voit ses enfants café-au-lait. Il sait que la ville d'Aziana n'a pas d'autre convive blanc que lui et que ces petits mulâtres sont probablement les fruits de son labeur. Pourtant, Baloum n'a aucune difficulté à lui prouver – aucune preuve n'est nécessaire, d'ailleurs – qu'il s'agit simplement de petits Noirs au teint clair.

    – D'où viennent ces petits sang-mêlé ? demanda Clarence.
    – Ce ne sont pas des sang-mêlé, dit Samba Baloum,
    – Alors, pourquoi sont-ils café-au-lait ?
    – Beaucoup sont café-au-lait quand ils naissent, dit Samba Baloum. Ils foncent par la suite.
    – Tu veux dire qu'ils deviennent noirs comme toi ?
    – Tout juste ! Viens maintenant, car il y a plus d'une seconde que tu regardes. (Ibid., p. 164.)

Le fait que le romancier insiste sur l'ignorance de son héros, malgré tous les renseignements donnés, est à expliquer par sa mauvaise foi. Ce serait aussi sa manière de préparer le héros à son intégration à la société locale;car, on sait déjà qu'aucun Blanc n'est censé être aussi naïf, aussi crédule que l'est Clarence. Le crédulité, la naïveté, voilà des caractéristiques supposément nègres. Donc, en rendant Clarence obstinément stupide, son créateur ne fait que le rapprocher de sa communauté adoptive.

Cependant, Clarence demeure un Blanc parmi les Noirs. Question d'atavisme, on ne perd pas si facilement le cordon ombilical. Laye n'oublie pas non plus ce fait, comme nous allons le démontrer. Le fait que Clarence est bien avisé de son rôle dans cette société étrangère ne doit pas étonner. Depuis des siècles, le Blanc s'empare de la femme noire pour démontrer sa supériorité et sa domination. Cédons [PAGE 72] la parole à Frantz Fanon, ce grand analyste des relations entre Blanc et Noir :

    Le Blanc étant le maître, et plus simplement le mâle, peut se payer le luxe de coucher avec beaucoup de femmes. Cela est vrai dans tous les pays et davantage aux colonies... Aux colonies, en effet, sans qu'il y ait mariage ou co-habitation entre Blancs et Noires, le nombre de métis est extraordinaire.[16]

Ce qui rend les choses encore plus intéressantes, c'est que dans le roman de Laye, ce sont des Noirs qui forcent le Blanc à coucher avec ces femmes sans visage. Qu'on ne blâme pas trop le Blanc, enfin : tout en se payant ce luxe du coït, il a honte d'abâtardir sa race. Pour lui, il faut garder la blanchitude ; qu'on ait des jouissances de l'instant, oui, mais qu'on n'aille pas jusqu'à fabriquer cette ribambelle de sang-mêlé exhibée sous le soleil africain par le naba et son eunuque Samba Baloum. Ça c'est trop fort pour le pauvre Clarence. Au contraire, les Noirs, eux, insistent pour réaliser ce dernier phénomène parce qu'il leur faut coûte que coûte la lactification. On a sur place le Blanc, l'homme le plus efficace à le faire, alors, la démarche la plus logique est de le mettre au travail. Il faut blanchir la race. Nous nous référons encore à Fanon :

    Blanchir la race, sauver la race, mais non dans le sens qu'on pourrait supposer : non pas préserver « l'originalité de la portion du monde au sein duquel elles (les Noires) ont grandi », mais assurer sa blancheur... Il s'agit de ne pas sombrer de nouveau dans la négraille. (Peau noire..., p. 40.)

Les petits métis courraient dans les couloirs des maisons des chefs et des nabas, ils s'amuseraient dans les rues des villes africaines, et leurs parents, tous fiers et pris d'émotion paradisiaques, les regarderaient avec confiance comme l'avenir glorieux de la nation. Cela irait même plus loin encore, pour atteindre au niveau universel; car, l'objectif ultime c'est de réaliser l'égalité absolue, [PAGE 73] de faire venir l'harmonie totale entre les êtres humains, de détruire toute distinction raciale. Qu'on lise les meilleures œuvres des partisans de la négritude et on le constatera sans aucune difficulté...

L'histoire de Clarence en Afrique réaffirme, avec quelques diversions contradictoires[17], la supériorité du Blanc vis-à-vis du Noir. Il est vrai que Clarence rend service à la tribu noire comme l'a affirmé le critique Dathorne; mais il faut bien dire qu'il ne le fait pas humblement. Il est faux de prétendre qu'il essaie de corriger les défauts de sa race.[18] A vrai dire, il n'accuse guère d'humilité au cours de son séjour en Afrique et nous faisons précisément allusion à ses rapports avec les habitants de la communauté, non pas avec le roi, personnage unique qui demeure en dehors et au-dessus de cette société. Il va de soi que les Africains aident le héros à affirmer, ou bien à maintenir sa supériorité et, partant, à améliorer, à dépurer le sang africain.[19]

L'AFRICAIN FACE A L'EUROPE

L'histoire de Clarence nous a montré une façon efficace, de « sauver la race ». Une autre façon de dénégrifier le Nègre, d'européaniser l'Africain, a été découverte il y a longtemps par les colonisés : passer en métropole, faire le pèlerinage aux origines mêmes de la Civilisation[20], se perdre parmi les Blancs pour mieux étudier et assimiler leur culture. Après les premières études traditionnelles et coraniques, l'enfant noir - qu'on se rappelle le roman de ce nom – se fait initier au monde des adultes. Pour se préparer à assumer son rôle dans cette société africaine en voie de développement, il prend l'avion pour Paris. C'est Dramouss qui raconte les expériences du jeune homme, nommé Fatoman, dans la capitale française. [PAGE 74]

Or, afin de bien sonder les données de la vie du jeune étudiant noir, il faut préciser les idées reçues qu'il a, au premier abord, de cette ville et de cette société. Les étudiants de sa connaissance lui ont décrit un Paris plein de beaux monuments :

    Je pensai à Diabaté, à ce que d'autres étudiants africains de France m'avaient conté de passionnant, sur Paris; et j'avais vu, en levant la tête, la Tour Eiffel et ses phares multicolores qui balayaient le ciel, les Invalides, au dôme en forme de ballon, ces monuments dont tous m'avaient dit qu'ils étaient les plus beaux du monde. (Dramouss, p. 62.)

Alors, tout cela est facile à constater, puisqu'il s'agit de quelque chose du dehors. Le nouvel arrivé est ébloui de la couleur et des bâtiments magnifiques de la capitale française. Il est d'accord pour dire qu'il est dans la ville la plus belle du monde. Le difficile, c'est de juger et de prouver ce que l'on ne peut ni voir ni toucher, à savoir, l'intérieur, la mentalité, le comportement, l'essence même de l'homme et de sa société. En Afrique, des colons ont averti le jeune Fatoman sur les manières louches de certains hommes rencontrés dans les rues d'Europe :

    « Ces hommes solitaires que tu rencontreras un peu partout dans ces grandes villes, tu devras t'en méfier; ce sont des brigands », m'avait dit un colon, la veille de mon départ. (Ibid., p. 64.)

Chose qui peut étonner, voilà les seuls conseils qu'on lui a donnés concernant ce que nous nommons l'essence de la communauté métropolitaine, et le jeune homme de vingt ans se les répète chaque fois qu'il rencontre un étranger. Si les propos des colons semblent assez parcimonieux, c'est que, selon eux, et selon Camara Laye, la société de laquelle s'approche le héros du roman n'a pas beaucoup de défauts.

C'est un fait dont Fatoman se rend vite compte et qui se révèle constamment à lui tout au cours de son séjour parisien. On doit s'attendre à une telle éventualité car la métropole est, pour le colonisé, une espèce de paradis. Crédule et psychologiquement orienté à adorer cc paradis, [PAGE 75] le colonisé est rempli de la joie de vérifier le mythe reçu des amis venus de la métropole. Voici donc Fatoman qui arrive à Paris. Eloigné par des milliers de kilomètres de sa famille et de son pays, il se sent solitaire. Mais ce sentiment de solitude ne dure pas. Il déclare :

    Ma pensée voltigeait; elle évoquait mes oncles qui m'avaient si amicalement, si affectueusement choyé; elle embrassait l'avenir, enfin les passions futures. Et tout à coup, je me sentis heureux, en dépit de ma solitude... (Ibid., p. 62.)

Le bonheur marquera son séjour en métropole. C'est le bonheur qui triomphe de la solitude. C'est le bonheur réalisé à l'aide des gens généreux et chaleureux. Il y a d'abord Stanislas, « si décidé et si plein d'entrain que sa vue avait rendu courage et confiance » (Ibid., p. 63) à Fatoman. Ils se rencontrent tout par hasard, et comme ça, spontanément, le Parisien costaud aide le jeune homme désorienté.

    Je tenais en main mes deux valises. S'emparant de la plus lourde, celle qui contenait mes livres, il l'avait bientôt entourée d'un gros ceinturon, l'avait hissée sur une épaule; et, à présent, me précédant, il avançait en direction du quai.
    – Je vais à Saint-Lazare, dis-je. Merci pour votre aide.
    – Je vois que vous ne connaissez pas le coin.
    J'étais heureux que cet homme m'apportât son aide, mais je trouvais cette aide si spontanée que, déjà, j'éprouvais quelque doute sur la moralité de mon compagnon. (Ibid, p. 64.)

Le doute se dissipe fort vite. Fatoman se dit encore craintif mais il n'en révèle rien à Stanislas; du moins, celui-ci ne s'en rend compte qu'à l'instant de la séparation où Fatoman lui en parle. L'image est assez drôle, pleine de couleur : voici le jeune Africain, à la voix étranglée par la peur se tenant sur la défensive devant le colosse blanc, tout bienveillant et calme, chargé de la valise de l'Africain. Pourtant ce Monsieur Stanislas – c'est ainsi que l'appelle Fatoman –, le géant doux comme [PAGE 76] un agneau, se fâche dès que l'Africain lui avoue les conseils que lui ont donnés les colons installés en Afrique. Qu'on tienne bien compte de la conversation :

    – Oui, je comprends ! Pour les colons, vous autres, vous êtes des nègres cannibales. Du moins, c'est ce qu'ils racontent ici. Pour ces mêmes hommes, nous Français, nous sommes des brigands, hein ? C'est ce qu'ils racontent chez vous; n'est-ce pas ?
    – Mais, monsieur...
    Il m'interrompit. Et je compris que tant qu'il n'aurait pas vidé, complètement vidé son sac, il ne me serait guère possible de parler désormais :
    – Seulement, cela ne marche pas avec moi ! s'écria-t-il. Mon meilleur ami, pendant la guerre, était un Sénégalais. Un homme intelligent, aussi intelligent que nous autres. Oui, la musique, la triste musique des colons, je la connais bien ! Mais qu'attendez-vous pour les jeter à la mer ?
    [...]
    – Jetez-les à la mer, ces colons qui vous exploitent et vous oppriment ! (Ibid., p. 69.)

Les colons sont donc à distinguer des Français demeurés en métropole. Ceux-ci n'ont pas été abrutis par la vie coloniale alors que ceux-là l'ont été.[21] On constate d'ailleurs que le généreux Stanislas est un rescapé de la guerre où il a rencontré un Africain aussi intelligent que les Blancs. Tout se met donc au jour; le Français fait la distinction entre les Africains restés dans leur brousse et ceux, fort chanceux, qui ont fait le voyage en Europe. Stanislas est un homme qui a honte de toutes les barbaries commises par sa race et qui est résolu, inconsciemment dans son cas, à les expier. Sa façon de le faire, c'est d'aider tous les Noirs qu'il rencontre. Cet homme est le symbole du côté dit libéral et humaniste de sa société. Pas de racisme, pas de discrimination, pas de défauts;il y a l'harmonie entre tous les hommes. A en croire [PAGE 77] ce colosse de Stanislas, tous les défauts du colonialisme français seraient à reprocher à ces mauvais esprits in représentent le pays aux colonies. Mais on sait que l'humanisme français, que l'harmonie raciale ne sont que des éléments du mythe ancré dans cette société. L'harmonie, la générosité, enfin, l'amour inter-racial existeraient éternellement pourvu que le Noir s'accepte en être inférieur au Blanc. Nous reviendrons sur ce point.

Or, la bonté extraordinaire de Stanislas, de Monsieur Stanislas, n'est qu'une part minuscule du bonheur de Fatoman. Etudiant privé à l'école technique, il se trouve dans l'impossibilité de payer les droits. Le directeur ne le chasse pourtant pas. « Nous patienterons », affirme-t-il jusqu'au point où le jeune homme lui-même a honte de sa pauvreté. La seule mauvaise expérience que subit Fatoman à Paris provient d'un hôtel dont le gérant finit par confisquer ses biens. Mais Laye ne voudrait pas que l'on crie au racisme. Son héros prend donc beaucoup de temps à expliquer qu'il s'agit d'un mal matérialiste, non pas du tout de racisme. D'ailleurs, on nous dit catégoriquement que ce gérant impatient n'est que le représentant de sa société particulière basée sur le matériel.

Les affirmations et explications du règne de l'argent sur cette société ultra-moderne prolifèrent dans le roman. L'argent, c'est le critère absolu décidant tant les relations que l'existence même des hommes. Fatoman se trouve victime non réellement du gérant de l'hôtel mais de la Société. Pour exister, il a dû se faire embaucher à une situation des plus humiliantes. Ses souffrances ne sont pas uniques;elles font partie intégrante de celles de cette majorité qui meurt « si bêtement de faim ». Parmi cette majorité se trouvent surtout des Blancs, et quelques Noirs. Comme toujours, le romancier et Fatoman font de leur mieux pour détruire toute notion de racisme chez le lecteur. A leur avis, le Noir ne souffre vraiment pas de sa couleur.

    Comment faire ?... « oui, comment faire ? » murmurai-je. Et je compris alors pourquoi, dans les rues de cette ville, il y avait des femmes et des hommes qui marchaient seuls dans les rues en parlant ou en gesticulant, accablés par l'éternelle question matérielle, hantés par cet argent qui ne suffit pas, qui ne suffira pas, [PAGE 78] qui ne suffira jamais, parce que toujours les plus malins s'en emparent, pour ne laisser qu'une part infime au reste du peuple. (Dramouss, p. 77.)

Fatoman continue à tout reprocher au matérialisme. Embauché aux Usines Simca, le voici qui montre avec fierté sa carte d'identité à l'hôtelier. Celui-ci a soudain le sourire au visage. Fatoman exprime ses idées là-dessus, toujours soucieux de souligner qu'aucun conflit racial n'existe entre lui et le bonhomme :

    – Avec les études que vous avez faites, dit-il d'un air enjoué, vous gagnerez certainement beaucoup d'argent là-bas. Je le regardai dans les yeux. L'envie me prit de lui répondre qu'un homme ne doit pas être évalué d'après son compte en banque ou sa rétribution mensuelle, qu'un être humain vaut plus que tous les comptes en banque de la terre. Mais je n'aurais pas pu le convaincre, car, par expérience et à mes dépens, je savais que nos conceptions en cette matière étaient différentes, et même opposées. Et comme je désirais que mes effets me fussent restitués, je me ressaisis et me tus. (Ibid., p. 93.)

Comme toujours, il y va de la différence de conceptions sur l'existence... Le jeune homme, sensé et résolu à ne jamais perdre son équanimité, même lorsqu'on s'empare de tous ses biens, paie donc ses dettes et ne dit rien. Mais qu'on examine de plus près les mots cités ci-dessus. Un être humain intelligent sait que ce n'est pas chaque fois qu'on exprime ses opinions, que l'on s'attend à convaincre son interlocuteur. Parfois, on s'épanche tout en sachant que l'autre n'écoute probablement pas. Et dans le cas de Fatoman, le gérant a déjà confisqué ses effets, ce qui constitue une bonne raison pour qu'il lui dise son opinion sur cette action inhumaine. Le silence de Fatoman est dû à une raison autre que celle du savoir-vivre et cette raison est à trouver en les mots suivants : « Et comme je désirais que mes effets me fussent restitués, je me ressaisis et me tus. » Ce qui fait taire le jeune homme, c'est donc une espèce de peur devant le gérant, un complexe d'infériorité mal caché.

C'est une révélation pleinement vérifiée par les rapports [PAGE 79] entre Fatoman et tante Aline, « vieille Normande sexagénaire ( ... ) qui était la maman de tous les jeunes Africains (ils l'avaient surnommée " Tante Aline " » (ibid. p. 77). Mère adoptive idéale, Tante Aline n'exige rien de particulier pour accueillir de tout son cœur ses enfants inconnus;ils n'ont qu'à se présenter comme de pauvres Africains récemment venus du continent exotique. Fatoman ne nous raconte pas sa première rencontre avec cette âme parfaite mais nous pourrions deviner que c'était un moment plein d'émotion. La première fois que nous voyons ensemble la mère et son fils adoptif, c'est au bar La Capoulade. Lui, il la vouvoie; elle le tutoie. S'agit-il, de la part de Fatoman, de respect traditionnel africain que le plus jeune accuse envers son aîné ? Cela se peut bien, mais les relations entre Fatoman et tante Aline démontrent qu'il y a chez lui ce complexe d'infériorité qui l'empêche de se mettre à égalité avec les Blancs et, chez elle, le paternalisme qui lui tait toujours affirmer sa supériorité et sa générosité envers les Noirs.

Le paternalisme, c'est l'attitude mentale du colonialiste, bienveillant et bienfaiteur :

    Le paternaliste est celui qui se veut généreux par-delà, et une fois admis le racisme et l'inégalité. C'est, si l'on veut, un racisme charitable – qui n'est pas le moins habile ni le moins rentable. Car le paternalisme le plus ouvert se cabre dès que le colonisé réclame, ses droits syndicaux par exemple (... ). Or il est entendu, par tout ce qui précède, qu'il n'a pas de devoirs, que le colonisé n'a pas de droits.[22]

Examinons donc le couple Aline-Fatoman en fonction de cette affirmation perspicace. Tante Aline est infiniment généreuse. Elle a l'air même de jouir de certains pouvoirs extraordinaires qui lui permettent de préciser les pensées et l'état financier des Africains de sa connaissance. C'est une espèce de voyante, de sorcière aimable, une déesse parmi les êtres humains. Et, voilà qui souligne encore plus l'image tout imposante de cette dame idéale, elle rencontre ses protégés dans un bar... [PAGE 80]

    – Te voilà, Fatoman, me dit « tante Aline », lorsqu'elle me vit au bar de La Capoulade.
    – Oui. Je suis content de vous trouver là.
    – Prends place auprès de moi, dit-elle en me montrant une chaise.
    Puis elle me dévisagea et comprit, sans que je lui eusse dit un seul mot, que la faim me torturait les entrailles.
    – Commande ce que tu veux et ne t'inquiète pas, dit-elle.
    [...]
    – Entre nous, tu as faim, et même ta faim ne date pas d'aujourd'hui. Elle date certainement de trente-six heures.
    – C'est vrai, avouai-je à mi-voix.
    – Beaucoup plus tard, lorsque tu seras rentré chez toi, tu oublieras. Parce que, là, tes efforts auront été couronnés de succès ajouta-t-elle dans un rire amusé et comme pour me faire oublier mes misères présentes.
    – Et croyez-vous, tante Aline, que cela va passer ?
    – Oui. Bien sûr que oui. Sois-en convaincu ! assura-t-elle, dans un sourire qui découvrit des dents solides et d'une blancheur inattendue à son âge. (Dramouss, pp. 78-79.)

Cette femme est incroyablement bonne. Elle ne voit pas de difficulté dans les cas les plus difficiles. Elle n'a qu'à remuer sa baguette et les plus hautes montagnes se réduisent en monticules. C'est le messie, l'ange gardien de Fatoman. Elle lui donne toujours de l'argent et, après trois mois de recherche vaine d'une situation quelconque, c'est elle qui lui trouve un travail aux Halles comme déchargeur de camions. Lorsqu'il tombe malade, c'est bien elle qui s'en charge. Alors, « ce garçon qui n'a aucun parent en France » a vraiment trouvé une mère blanche. Tante Aline va jusqu'à présenter Fatoman à sa petite fille qui « aime bien les Africains, elle aussi » (ibid., p. 80). Et voici le messie qui se décrit à son protégé :

    – Je suis la mère de tous les Africains. Tous, ceux qui sont rentrés en Afrique se souviendront de moi. [PAGE 81]
    J'en ai aidé, des Africains ! Et je continuerai, jusqu'au dernier soupir. Sais-tu que je parle Malinke ?
    – Non !
    – J'ai habité longtemps Siguiri. C'est en 1925 que j'en suis partie.
    – Je n'étais pas encore né, tante Aline !
    – Nous en reparlerons plus tard. Va, maintenant, mon fils, acheva-t-elle dans un éclat de rire. (Ibid.)

Voilà enfin que se révèle graduellement la véritable source de la charité de cette femme. C'est qu'elle savoure son rôle de porte-bonheur auprès de ces pauvres enfants exotiques. Elle a été déjà chez eux, elle a déjà aidé leurs aînés. Le rôle de supérieur devant les Noirs inférieurs – nous nous souvenons de la croyance que les Noirs sont des enfants, non pas physiquement mais psychologiquement –, plaît bien à cette vieille dame et elle est fort contente d'en jouir parmi deux générations successives d'Africains. Enfin, si elle est résolue à aider les Africains jusqu'au dernier soupir, c'est précisément qu'en le faisant, elle peut revivre ses expériences africaines. Paternaliste à la lettre, elle est fière de l'image qu'elle évoquera chez ses protégés rentrés au bercail.

Or elle est prête à tout faire pour eux pourvu qu'ils ne cessent de raconter de belles choses à son sujet et au sujet de la France, pays idéal et paradis terrestre. Au moment où le colonisé lève la voix contre la colonisation française, le paternalisme se fâche. Tante Aline révèle ainsi son côté braillard. Voici la mère engagée avec son fils adoptif en une conversation sur la France et sur son système colonial. C'est l'enfant ravi de la métropole qui parle le premier :

    – Les Français sont libres. Tout à fait libres.
    – Si je consacre ma vie à aider les jeunes Africains, c'est bien pour qu'ils s'ouvrent l'esprit et spécialement pour qu'ils comprennent les problèmes sociaux.
    – Depuis bientôt six ans que je suis parisien je me rends mieux compte maintenant que le colonisé n'est pas un homme libre. Ou pas tout à fait libre. Et je distingue mieux à présent les raisons pour lesquelles notre peuple pourrait se soulever contre la domination coloniale. [PAGE 82]
    – J'aime la liberté, Fatoman, réagit-elle. Tout le monde aime être libre. Mais si, dans votre pays, les colons français doivent un jour être remplacés par des gens sans moralité, votre pays tombera sous un régime de fascisme, de dictature. A ce moment-là, vous évoquerez avec nostalgie le régime de domination coloniale, qui vous apparaîtra alors comme le paradis. Mais il sera trop tard.
    [...]
    – J'ai hâte, pour ma part, de retourner en Afrique ! dis-je. Malheur au premier colon qui fera le malin avec moi ! Je les connais, les Blancs, à présent ! « Tante Aline », subitement, eut l'air indignée. Et, longuement, elle se mit à parler : – Fatoman, commença-t-elle, presque furieuse, tu prétends connaître les Blancs. Sans doute nous connais-tu un peu. Cependant, on ne connaît jamais parfaitement un homme, a fortiori une race (...). L'ennemi n'est pas une race, n'est pas le Blanc, mais une bande de profiteurs... (Ibid., pp. 106-107.)

Tante Aline est donc contente d'entendre parler de la liberté des Français, mais non pas de leurs défauts. Quelle horreur ! quelle grossièreté! Ce petit Fatoman ose penser à nuire aux colons, aux Français. De tels propos sacrilèges exigent un châtiment ferme et une leçon verbale sur la relativité et la particularité et c'est bien ce que la dame angélique donne au jeune homme. Fatoman ne peut rien d'autre que d'accepter le raisonnement logique de tante Aline. Ce raisonnement atteint l'objectif voulu :

    – Alors, comprends-tu maintenant que les hommes qui mènent là-bas une lutte systématique contre les Blancs sont des animaux ?
    – Je le crois. Vos sentiments sont justes. (Ibid., p. 107.)

Jamais Fatoman ne donne tort à sa tante Aline. Les affirmations de celle-ci sont à ajouter aux constats de l'étudiant sur sa vie en pension. Il y a vécu « avec les jeunes Français, sans subir (mais c'est peu dire, sans sentir) aucune discrimination raciale » (ibid., p. 73). Elles sont aussi [PAGE 83] complémentaires aux propos de Stanislas d'après qui l'on doit distinguer entre le colon et le Français de France. En fait, Fatoman accepte sans rechigner la mission civilisatrice de la France en Afrique et nous constaterons sous peu que ses idées sur ce compte ne diffèrent guère de sa fameuse intelligence lorsqu'il s'entretient avec ses amis français, un fait qui s'oppose clairement à ce qui se passe pendant son séjour en Afrique. Là, il pose des questions à ses amis demeurés au pays natal, il se met volontiers en désaccord avec eux, il exprime toujours ses idées sur toutes sortes de sujets. S'il ne se sentait pas inférieur à tante Aline, il aurait facilement fait ressortir l'illogisme de son raisonnement. Car, ce que fait cette femme, c'est de soutenir, plus ou moins simultanément, le travail des colons et de le condamner. Cela n'étonne pas puisque le raciste se servirait de toutes les manigances pour se montrer libéral. Derrière le masque libéral de tante Aline réside un préjugé approfondi, une croyance que les Africains ne peuvent s'occuper avec succès de leur destin, et qu'ils auront toujours besoin des Blancs.

Si tante Aline est l'épitomé du paternalisme colonisateur et du raciste charitable, Fatoman est, lui, la quintessence du colonisé complexé. Face à la bienveillance du Blanc, le Nègre se montre infiniment reconnaissant, humblement content. Devant la femme blanche, le Nègre accuse une timidité extraordinaire, une pureté inébranlable. Tante Aline présente Fatoman à sa petite-fille Françoise qui, on nous le dit, aime bien les Africains, elle aussi. Le jeune homme a souffert de la solitude avant qu'il n'ait rencontré la dame et sa petite-fille. Françoise est fort éprise du jeune homme. Pourtant, il y a des problèmes à résoudre. Fatoman doit penser à Mimie, l'amie qu'il a décidé d'épouser et qui se trouve au pays natal. Il lui faut donc se tenir à distance de la jeune fille française. Cela lui donne l'occasion de maintenir des relations intellectuelles avec elle. C'est enfin l'amour pur, l'affection entre frère et sœur. Et ce serait Fatoman qui mène le jeu, ce serait lui qui prend la décision : « Tante Aline nous a demandé à tous les deux de nous considérer comme frère et sœur. » (Ibid., p. 97.) C'est un drôle de garçon, ce Fatoman tout humble et tout obéissant;car, son amie Françoise ne veut rien de cette parenté, de ces relations platoniques. Elle veut même se marier avec lui. [PAGE 84] Elle le baise sur les lèvres, elle est jalouse de le voir qui lance une œillade à d'autres filles. Question d'exotisme ou d'engouement, peut-être, mais nous trouvons l'attitude de cette jeune fille plus facile à croire, plus humaine, que celle de son ami bonasse. N'oublions pas non plus que Fatoman passe, pendant son premier séjour, six ans d'affilée à Paris. Ce qui rend sa froideur encore plus incroyable, c'est qu'il prête bien attention à la forme féminine. Il affirme avec fierté : « J'ai deux patries au monde, l'Afrique et la beauté. » Il n'est donc pas aveugle aux charmes des Françaises flânant sur les boulevards parisiens. Il n'est même pas sans désir charnel pour cette Françoise qu'il a prise pour sœur.

    – Au revoir, ma sœur ( ... ).
    Elle ne répondit pas ( ... ). Et parce qu'elle savait que je la suivais du regard, elle eut soin de marcher en se déhanchant, ce qui me remua le cœur. Je m'apprêtais déjà à la rappeler, pour lui dire qu'elle était belle, que je ne voulais pas qu'elle s'en allât, que je désirais la voir toujours auprès de moi, lorsque le flot des passants la déroba à ma vue... (Ibid.)

Les tentations doivent passer vite; Fatoman n'en parlera plus. Et cela peut se comprendre, puisqu'il est interdit à l'Africain de violer la petite-fille de son messie, tante Aline. Nous nous demandons ce qu'aurait été la réponse, ou bien la réaction de cette déesse de femme si Fatoman avait voulu épouser une Françoise.

LE DESTIN AFRICAIN

Heureusement pour sa Mimie, Fatoman ne demande pas la main de Françoise. Il rentre au pays natal après six ans d'absence en France. Mimie aussi a été en voyage dans une espèce de métropole, Dakar, où elle a passé quatre ans. Donc, si le jeune homme a manqué d'épouser la Blanche, il a bien choisi sa remplaçante. Enfin, l'évolué a trouvé son évoluée.

Il faut bien le dire, l'évolué se trouve étranger chez lui, il ne peut plus s'adapter, ou bien il le fait difficilement, à la culture traditionnelle;il demeure donc en marge. Fatoman rentre donc après six ans à l'étranger. [PAGE 85] Durant son court séjour en Afrique, il n'arrive pas à oublier Paris. « Toute la nuit, avoue-t-il, j'ai pensé à là-bas. » (Ibid., p. 113). A vrai dire, il a hâte de retourner « là-bas ». Là-bas, chez les Blancs, il s'est préparé au rôle qu'il espère jouer chez lui. Il a aidé des représentants gouvernementaux à « consolider l'Union fraternelle franco-africaine » : émissions radiophoniques, réunions, voyages de propagande, il a tout fait pour répandre les idées et la politique de la France parmi ses frères installés là-bas. C'est ce qu'il appelle des sacrifices. Ce sont de tels sacrifices qu'il aurait aimé faire en rentrant en Afrique.

Seulement les animaux – nous empruntons le mot à tante Aline –, ces Africains qui osent critiquer la colonisation française, empêchent le héros du roman layéen de réaliser ses rêves. Or, il parle longuement de ce Rassemblement Démocratique Africain dont le seul accomplissement semble être la plantation d'arbres partout dans le pays. Keita, le chef du parti, en montre le côté inhumain :

    – Notre mouvement, le R.D.A., veut la fraternité franco-africaine et combat le colonialisme, ainsi que ses fantoches, instruments du colonialisme. Je veux parler des réactionnaires du B.A.G. Respectez ces réactionnaires (ennemis de notre mouvement) au cas où ils se tiennent tranquilles. S'ils feignent de méconnaître la force de notre Parti, appliquez les consignes : mettez les saboteurs hors d'état de nuire, incendiez leurs cases. Et alors, justement intimidés, ils ne se mettront plus en travers de l'évolution harmonieuse de notre pays. (Ibid., p. 181.)

Il faut dire qu'un pays bâti sur la terreur et sur l'injustice ne vaut pas le nom de pays, et que les partisans de la politique de la violence et de l'intimidation sont pires que des bêtes. Néanmoins, on voit que le parti d'opposition dans le roman de Laye, le B.A.G., ce parti préféré par le héros au R.D.A., a participé, lui aussi à la violence. Et Mimie, femme émancipée par excellence, nous informe que l'idée de l'union française – cette idée qui est très chère aux Fatoman – a aidé le R.D.A. à gagner la victoire.

Voici enfin la vérité qui se met au jour : C'est tout parti politique engagé à chasser les Français qu'abhorre [PAGE 86] Fatoman. Tante Aline a prévu la catastrophe pour l'Afrique désireuse de se libérer et de chasser le colonisateur. Fatoman n'a d'autre recours que d'en faire autant. Les mots de cet enfant de la France rappellent ceux de sa mère adoptive :

    Il faudra dire que si la colonisation, vilipendée par ce comité, a été un mal pour notre pays, le régime que vous êtes en train d'y introduire sera, lui, une catastrophe, dont les méfaits s'étendront sur des dizaines d'années.[23]

La critique acharnée que porte Fatoman sur les réalités et les êtres humains de son pays pourrait étonner ceux qui ne comprenaient pas sa mentalité de métis culturel, né dans la culture africaine mais élevé au sein de la culture française. L'essentiel de ce métissage, ce n'est pas le mélange de deux cultures qui, l'une et l'autre, retiendraient sur un pied d'égalité l'attention du métis. C'est le fait que la culture de la maturité de Fatoman, à savoir, la culture française, l'emporte sur la culture africaine. A bien des égards, Fatoman affirme son choix du côté français. A part la critique acerbe faite des hommes de politique, il y a la condamnation du matérialisme de Bilali, ami d'enfance de Fatoman et marchand de diamants qui raffole de sa voiture américaine et de sa richesse : « Rien sur cette terre ne saurait résister à l'argent », dit Bilali (Dramouss, p. 117). Le dégoût de Fatoman pour le matérialisme de son ami serait dû au fait que la culture africaine se base plus sur l'élément foncièrement humain que sur le pouvoir du matériel. Une telle interprétation serait valable si Fatoman lui-même était vraiment trempé dans ladite culture africaine. Tout indique, au contraire, qu'il ne l'est pas. En effet, le seul élément de la personnalité africaine qu'il garde toujours pendant son séjour à l'étranger, c'est celui de porter son [PAGE 87] boubou même lorsqu'il fait froid. A cause de cette manifestation culturelle, il a une infection pulmonaire. Voilà bien un grand sacrifice pour la promotion de la culture africaine. Cela s'avère encore plus drôle quand nous lisons les mots suivants décrivant la réaction du héros layéen devant l'ambiance africaine :

    Toutes les femmes que nous rencontrions étaient vêtues de ces tissus multicolores, gais, mais trop voyants maintenant à mes yeux. Depuis six années, je vivais en Europe, depuis six années, je n'avais pas revu mon pays; je n'étais plus habitué à cette orgie de couleurs. (Ibid., p. 157.)

Il va de soi que Fatoman n'est plus l'Africain traditionnel qu'il prétend être. Lui-même se décrit à un moment de clairvoyance, en homme divisé :

    J'étais un homme divisé. Mon être (...) la somme de deux "moi" intimes : le premier, plus proche de mon sens de la vie, façonné par mon existence traditionnelle d'animiste faiblement teintée d'islamisme, enrichi par la culture française, combattait le second personnage qui, par amour pour la terre natale, allait trahir sa pensée en revenant vivre au sein de ce régime. (Ibid., p. 187.)

Précisons que ce premier « moi » dont parle Fatoman se fait déjà de deux personnalités et que c'est dans cet accouplement même que se trouve le choix socio-politico-culturel du héros de Laye. Les mots soulignés par nous disent tout ce qu'il faut savoir sur cette histoire de culture : le moi de l'Africain est enrichi par la culture française...

Enfin, l'Africain monte vers la France, le Noir doit son salut au Blanc. Malgré le pouvoir extraordinaire de son père – le personnage du forgeron revient dans tous les romans de Laye –, Fatoman réserve le pouvoir absolu pour le Blanc. Contemplons les faits de près : à l'aide de son chapelet musulman et des incantations, son père sauve un poussin arraché du sol par un épervier. Il donne aussi une boule blanche à son fils qui voudrait s'informer sur l'avenir du pays. La nuit, le fils en rêve. C'est par [PAGE 88] le moyen du rêve que le pouvoir du Blanc se révèle : Fatoman est emprisonné et condamné à mort par un colosse qui lui reproche sa générosité. En priant, Fatoman se fait enfin sauver par un gros serpent noir et protéger par Dramouss. Celle-ci s'en va, mais non pas avant d'avoir donné un guide au jeune homme et à son pays. Ce guide, c'est le Lion Noir. Fatoman et tous ses compagnons de prison quittent donc le pays des ténèbres pour monter vers un nouveau pays du soleil. Voilà le symbole du voyage vers la nouvelle Guinée. Dans le rêve, le jeu de couleurs est remarquable. D'abord, la boule qui provoque le rêve, qui détermine tout ce qui se passe dans la nuit, est blanche. Le serpent est noir; le lion aussi. Et Dramouss est blanche.

    Femme belle, extraordinairement, dont les cheveux couvraient les épaules, le dos et descendaient jusqu'aux chevilles. (p. 220.)
    Une silhouette blanche, comme revêtue d'un linceul blanc. (p. 222.)
    Une femme géante, aux traits fins, à la peau claire, belle d'une beauté incomparable. (p. 224.)

Dramouss, c'est la déesse, le messie unique, dont les agents sont le serpent et le lion noir. C'est à elle que le pays de Fatoman doit son avenir, c'est à elle que les Guinéens auront recours aux moments de la difficulté.

DE LA « NEGRITUDE ASSIMILEE » [24]

Il est significatif que Dramouss ait choisi deux agents noirs pour mener à bien la tâche de sauver et de protéger le pays africain. Sur le plan socio-politique, il s'agirait de la coopération entre Blancs et Noirs, entre colonisateur et colonisé. Et voilà précisément le point où Le regard du roi et Dramouss se complètent l'un l'autre.

Rappelons l'histoire de Clarence, ce pauvre Blanc qui veut se mettre au service du roi africain. Il finit par être le seul élu du roi. C'est encore l'unité franco-africaine qui se met en jeu. Clarence n'est pas le seul à attendre le roi :[PAGE 89] en fait, tout le monde l'attend. Il y a pourtant deux personnages pour qui la venue du roi compte pour beaucoup, à savoir, Clarence et Diallo le forgeron. Nous savons déjà ce que fait Clarence en attendant le roi. Voici les commentaires du maître des cérémonies là-dessus :

    Ton attente, c'était des bavardages sans fin avec Pierre ou Paul; c'était des beuveries à n'en plus finir et le chapardage du vin du naba;c'était les escapades avec les deux polissons et les paresseuses stations à la forge.. Mais que n'était-ce pas, cette prétendue attente ?... C'était ta case, qui est comme un moulin ouvert à tout venant; et c'était l'inavouable farine de ce moulin; c'était, la nuit, la sale promenade de deux limaces ! ( ... )
    Un coq ! voilà tout ce que tu es, dit-il. C'est comme coq que le mendiant t'a vendu au naba, et c'est en coq que tu t'es comporté... (Le regard..., pp. 238-239.)

Clarence lui-même a honte de ce qu'il a fait à Aziana et il finit par ne plus attendre le roi. Diallo, lui, a passé sa vie à faire des haches, résolu toujours à en faire une plus belle que la dernière. Et pour la venue du roi, il s'efforce de faire une hache parfaite. Cette hache toute spéciale sera pour le roi.

    J'en ai forgé des milliers, et celle-ci assurément sera la plus belle; toutes les autres ne m'auront servi que d'expériences pour finalement réussir celle-ci; bien que cette hache sera la somme de tout ce que j'ai appris, sera comme ma vie et l'effort de ma vie même. Mais que voulez-vous que le roi en fasse ?... il l'acceptera; j'espère du moins qu'il l'acceptera, et peut-être même daignera-t-il l'admirer ( ... ). Peut-être ne puis-je faire autre chose, peut-être suis-je comme un arbre qui ne peut porter qu'une espèce de fruit ( ... ). Le roi malgré tout considérera-t-il ma bonne volonté. (Ibid., p. 189.)

L'espoir acharné de ce forgeron saute aux yeux; l'humilité, la persévérance aussi. Etant donné l'importance accordée à sa profession dans la société où se déroule le roman, on ne s'attend vraiment pas à ce que le roi, [PAGE 90] le roi africain, refuse la hache. Alors, à l'heure précise de l'arrivée du roi, la hache de Diallo est encore à terminer et Laye ne se préoccupe même plus de ce personnage. Tout l'intérêt se porte sur Clarence.

On peut se demander pour quelle raison le roi regarde Clarence, l'invite à le rejoindre. Clarence, ce pauvre Blanc tout nu, découragé, père de petits mulâtres. La critique en a donné toutes sortes de raisons, la plus répandue étant celle de la miséricorde de ce roi-dieu devant la figure du pauvre homme humilié et péniblement assimilé à la société africaine. Toutefois, la critique s'est bandé les yeux devant la raison la plus probable, à savoir, que Clarence est Blanc et que, à sa façon, il a aidé à améliorer, à sauver la race du roi. Le métier de Diallo, en dépit de sa signification mystique, sociale et religieuse, ne pourrait donc pas l'emporter sur celui, plus essentiel à la destinée du peuple, réalisé par Clarence.

Le sens de ladite négritude assimilée du Regard du roi, prônée par le critique Charles Larson, ne pourrait donc résider que dans l'acte sexuel de Clarence, acte d'où résulte la lactification de la société africaine. Les enfants métis façonneront le destin du pays. Enfin, en choisissant Clarence, le roi souligne catégoriquement que ce Blanc ne doit avoir honte de rien. Les données du roman nous aident à constater que Clarence ne devient guère humble après son expérience africaine. Humilié, oui, par le peu d'importance qu'on accorde à son état de Blanc au début du récit, par ses dettes, par son existence d'étalon forcé dans le harem du naba. Il n'arrive pas à s'intégrer, à se faire assimiler dans la société africaine. Au mieux, on dirait qu'il se résigne à vivre parmi ces gens, non pas volontiers, mais en victime des circonstances. Aziana, c'est pour lui une espèce de huis-clos, de cul-de-sac. Et tout cela change lorsque le roi le choisit.

Camara Laye est bien soucieux de maintenir l'égalité au sein de sa nouvelle société peuplée de métis : Dramouss, Blanche, constitue le pouvoir absolu du roman du même nom; le roi, Noir, demeure le personnage supérieur du Regard du roi et tout cela est d'ailleurs encadré dans les titres. La complémentarité des deux ouvrages va encore plus loin : Fatoman est Noir, Clarence, Blanc; l'Africain va en métropole, le Français en colonie. Tant l'un que l'autre se font sauver par une espèce de messie. [PAGE 91] La complémentarité est enfin une fonction des rôles des deux héros blanc et noir. Cette complémentarité est à joindre à la notion du métissage. Car, Fatoman n'est pas un Noir comme les autres. C'est un évolué formé en France, un privilégié, un métis culturel. Clarence n'est pas non plus un Blanc pareil aux autres. Trempé tant bien que mal dans la culture africaine, il en vient à se rendre acceptable pour les ressortissants de ce pays en voie de développement. De sa façon donc, lui aussi est métis.

CONCLUSION

L'analyse que nous venons de faire pourrait scandaliser les critiques qui ne voient en l'œuvre de Camara Laye que les aspects mystiques. Or il est des mythes bien ancrés au sujet des Noirs et de l'Afrique, qu'il incombe à tous les écrivains noirs de démolir; malheureusement, Laye est de ceux qui ne l'ont pas fait. Qu'on m'entende bien : il n'est pas nécessaire que l'écrivain, à cause de sa race ou de sa nationalité, se fasse porte-parole ou propagandiste, non plus qu'il se restreigne à discuter des questions politiques ou sociologiques. L'essentiel, c'est que son œuvre, même si elle ne traite pas directement du sujet racial, n'accorde pas la crédibilité aux mythes qui déshumanisent la race noire et la mettent en état d'infériorité.

Dans les deux romans abordés, le romancier assume l'optique de ses héros. Sans raconter l'histoire de Clarence à la première personne, Laye se sert dans Le regard du roi d'une espèce de style indirect libre, style qui lui permet des commentaires sur d'autres personnages que le héros et qu'il utilise pour soutenir la position de Clarence. Laye nous fait part des réflexions de ce dernier, de ses joies et malheurs. En d'autres termes, la sympathie de Laye demeure toujours avec Clarence. Quant à Dramouss, c'est un roman autobiographique; il n'y a donc pas de doute que les idées de Fatoman, sa personnalité même, sont partagées par Laye.

En examinant les deux ouvrages, nous n'avons pu que constater la supériorité du Blanc et l'acceptation de ce fait pas le Noir. Une part essentielle du complexe de supériorité blanc est le paternalisme dont tante Aline, de Dramouss, est un exemple par excellence. Aussi bienveillante [PAGE 92] qu'elle se montre pour Fatoman, elle ne l'aide pas à trouver une situation pour laquelle son diplôme technique le qualifie. Elle lui trouve à faire aux Halles. Comme le dit son protégé – remarquons qu'il n'en dit rien à sa tante –, « en fait, le travail des Halles était une humiliation » (Dramouss, p. 91). Comme nous l'avons constaté, il s'agit chez tante Aline d'une bonté qui doit toujours provenir d'une personne supérieure à une autre, inférieure; et la hiérarchisation doit constamment se maintenir.

Fatoman, c'est un étudiant idéal, un Noir comme il faut. Il est intelligent, aussi intelligent que les Blancs. Il est humble, bien élevé et toujours prêt à apprendre des choses. C'est d'ailleurs sa raison pour aller en France. Pour comble de bonheur, les Français se rendent compte qu'il manie parfaitement la langue française.

    – Vous parlez joliment bien le français ! s'étonna subitement Pierre. Puis, s'approchant du car de police, il ajouta:
    – Il dit qu'il est arrivé ce soir d'Afrique, qu'il n'a jamais vécu en France, et il parle un français tout à fait correct !
    – Mais ils sont comme nous ! répondit l'agent. Ils sont français. Nous avons bâti là-bas des écoles, des hôpitaux. Dans quelques années, ils seront comme nous. Ils auront des cadres, tous les cadres !
    [...]
    – Au revoir, monsieur Pierre, dis -je, comme le car démarrait. (Ibid., p. 72.)

Ces propos de Pierre rappellent ceux d'un autre Français, bien connu, et qui présentait au public français un autre Noir, devenu bien connu, lui aussi : « C'est un Noir qui manie la langue française comme il n'est pas aujourd'hui un Blanc pour la manier.[25] » C'est André Breton qui parle d'Aimé Césaire. Il y a dans les deux propos une subtilité raciste cachée derrière la surprise et l'éloge. Ce qui pourrait étonner dans la personnalité de Pierre, c'est qu'il ne sait même pas quel épithète attacher au petit Africain : « Je ne sais pas, nous ne savons pas, ici, [PAGE 93] s'il faut dire nègre ou noir. » (Dramouss, p. 71.) Fatoman, lui, ne se fâche de rien; il ne s'en étonne pas. « Appelez-moi comme vous voudrez, nègre ou noir », dit-il humblement. Laye le répète à n'en plus finir, il n'existe pas de racisme en France. Et cet agent qui se vante du colonialisme français, le romancier serait tout à fait d'accord avec lui. En effet, son Fatoman apprécie jusqu'à la stupidité les apports français. Le roi africain choisit Clarence; nous nous souvenons de l'attitude de Fatoman envers tout ce qui est français et nous voyons l'analogie entre l'acte du roi et l'attitude de l'étudiant.

Ce choix de Clarence dans Le regard... comme l'attitude de Fatoman, c'est aussi le choix de la technique européenne. Nous avons délibérément passé sous silence un autre bienfait de Clarence à Aziana, parce que nous voudrions en parler à un moment précis : il s'agit de son invention d'un nouveau tissage. Serait-ce aussi à cause de cela que le roi le regarde ? Ce qui saute aux yeux, c'est que Laye restreint les capacités africaines au domaine mystico-religieux. Cela est assez gênant parce que l'œuvre de ce romancier comporte des possibilités de projeter et de développer la technologie africaine. Un exemple en est ce métier de forgeron. Laye en discute à fond les aspects mystiques, voire culturels : le culte, la magie, le mystère. La beauté idéale et universelle, la transposition de la réalité, le rythme. On dirait que le devoir de façonner et de développer l'aspect technique de la société est à réserver aux étrangers. A part le mystère, la religion, la culture, Laye s'intéresse à la politique. Ce souci peu technique exprime longuement dans la dédicace de Dramouss :

    Que cet ouvrage contribue à galvaniser les énergies de cette jeunesse ( ... ) pour mieux faire, beaucoup mieux dans la voie de la restauration totale de notre pensée; de cette pensée qui, pour résister aux épreuves du temps, devra nécessairement puiser sa force dans les vérités historiques de nos civilisations particulières et dans les réalités africaines. (Ibid., p. 8.)

Il y va donc de la recherche d'une Afrique « résolument engagée dans la voie de sa sagesse tutélaire et de la raison ». Ce souci culturel fait pendant à un aspect essentiel [PAGE 94] de l'idéologie de la négritude. Selon celle-ci, d'ailleurs, le Noir serait le levain nécessaire à la farine blanche. Ce serait un levain civilisé, évolué. Alors, les chefs africains de cet avenir prévu par les idéologues culturels seraient des rois métis, des demi-dieux formés à l'image de l'Occident et nantis des qualités essentielles de la culture des anciens maîtres. Il y en a même qui se sont déjà installés sur le trône... Si certains d'entre eux s'avèrent de mauvais étudiants de la Civilisation, s'ils font rire le père adoptif, et si ce dernier décide de collaborer de temps en temps avec d'autres souverains en puissance pour éliminer les premiers, c'est que la constatation de feu Frantz Fanon recouvre une vérité pénible : « pour le Noir, il n'y a qu'un destin. Et il est blanc. »

F. OJO-ADE


[1] Léonard Sainville, « Le roman et ses responsabilités », Présence Africaine, XXVII-XXVIII, 1959, p.44.

[2] Le mot de réaliste s'emploie ici, non pas dans le sens idéologique ou conventionnellement littéraire provenant du XIXe siècle, mais d'une manière générale. Est réaliste ce qui se rattache au réel, au contemporain, voire à la réalité.

[3] Voir Wole Soyinka, « From a Common Backcloth », The American Scholar, summer 1963, no. 3 vol 3.2, pp. 387-396. Soyinka y discute précisément de l'imitation de Kafka faite par Laye dans Le regard du roi.

[4] J.M. Ita, « Laye's 'Radiance of the King' and Kafka's 'Castle' » ODU, new series, no. 4, oct. 1970, pp. 18-45.

[5] Janheinz Jahn, « Camara Laye. Another Interpretation », in Ulli Beier, ed., Introduction to African Literature, London, Longmans, 1964, pp. 200-203.

[6] A.C. Brench, « Camara Laye: Idealist and Mystic », African Literature Today, no. 2, 1969, pp.11-31.

[7] Kolawole Ogungbesan, « The Modern Writer and Commitment », in I. Nwoga, ed., Literature and Modern West African Culture, Benin City. Ethiope, 1978, pp.3-18.

[8] Tunji Adebayo, « Reintegration and Restoration : A Reading of Camara Laye's Dramouss », in Ibid., pp.61-74.

[9] O.R. Dathorne, African Literature in the Twentieth Century, London, Heinemann, 1976, pp. 285-288..

[10] Ibid., p. 286. C'est nous qui avons fait la traduction d'anglais en français.

[11] Nous nous sommes intéressés aux deux romans publiés après L'Enfant noir : Le regard du roi, Paris, Plon, 1954; Dramouss, Paris, Plon, 1966. Paru en 1954, L'Enfant noir décrit l'enfance et l'adolescence du romancier jusqu'à son départ pour la métropole française. Puisque nos intérêts résident dans la vie des adultes au sein des sociétés africaine et française, nous avons trouvé nécessaire de passer à côté de ce premier roman. Ce qui ne nous empêchera pas d'y faire allusion de temps en temps.

[12] Voir Jean Malonga, « Cœur d'Aryenne », in Trois Ecrivains Noirs, Paris, Présence Africaine, 1954. Senghor, le fameux poète-président du Sénégal, était bien aimé de feu Camara Laye. Celui-ci a affirmé avec fierté l'influence de Senghor sur son œuvre et sur sa pensée. Malonga et Senghor ont tous deux joué un rôle de prime importance dans l'union franco-africaine. A remarquer que dans Dramouss, Laye discute de cette idée d'Union franco-africaine. Nous y reviendrons plus tard dans notre communication.

[13] Il s'agit naturellement de L'Enfant noir.

[14] Nous aborderons le sujet dans notre analyse de Dramouss.

[15] Par exemple, voir les pages 17, 20, 33, 39, 61, 84, 89, 102, 135.

[16] Frantz Fanon Peau noire masques blancs, Paris, Seuil, 1952, p. 39.

[17] Cela s'expliquerait par l'élément mystique qui se fait voir à travers le récit.

[18] Voilà l'analyse de Dathorne.

[19] Il s'agit là de d'opinion, exprimée par l'acte, des Africains du roman.

[20] Civilisation, mot employé au sens européen, et qui fait pendant à celui de sauvage. Tous deux appartiennent à la terminologie discriminatoire établie par l'Occident.

[21] Ce petit épisode nous fait venir à l'esprit l'œuvre de feu René Maran, et surtout la préface de Batouala où le romancier fait la même distinction en défendant la colonisation française.

[22] Albert Memmi, Portrait du Colonisé, Paris, J. J. Pauvert, 1966, pp. 112-113.

[23] Dramouss, pp. 185-186. Ces propos vont bien à ceux de tante Aline, à la page 106 du roman. En ce qui concerne la Guinée et la colonisation française d'Afrique, elle a opté pour l'indépendance totale, en dehors de la communauté. Il est pourtant digne de remarque que ce pays « révolutionnaire » se rapproche actuellement de l'ex-colonisateur.

[24] Expression empruntée à Charles Larson, Panorama du roman africain, Paris, Eds. Inter-Nationales, 1974, p. 220.

[25] Voir Peau noire..., p. 10.