© Peuples Noirs Peuples Africains no. 19 (1981) 17-27



LES ACCORDS MILITAIRES FRANCO-AFRICAINS D'INDEPENDANCE

Sango MULEDI

L'évolution de la situation au Tchad, avant comme après la défaite militaire de l'homme de la France Hissene Habré au mois de décembre 1980, apporte un nouvel éclairage sur la nature des relations qui se sont nouées entre la France et ses anciennes dépendances d'Afrique noire et qui prolongent, dans le cadre de l'indépendance octroyée, les habitudes et les pratiques du temps des colonies.

Il ressort en effet clairement du « communiqué » diffusé le 13 décembre 1980 par la présidence de la République française que l'Elysée se considère toujours comme le véritable maître du Tchad, habilité, de ce fait, à y dénoncer toute « intervention d'éléments étrangers armés », même si cette intervention se produit avec le plein accord du gouvernement tchadien. Mieux encore : Paris s'estime plus fondé que les autorités légales de N'Djaména non seulement à se « préoccuper » des malheurs du peuple tchadien, mais aussi à apprécier la manière dont s'appliquent les accords de Lagos. On devine le concert de protestations – justifiées – qui se lèveraient en France et partout en Occident si c'est un Etat africain qui adoptait un tel comportement vis-à-vis de l'Hexagone : [PAGE 18]

« La France met en garde contre la poursuite de cette intervention (d'éléments étrangers armés) qui impose de nouvelles souffrances à des populations déjà si éprouvées, et qui est contraire aux accords conclus par les Etats africains et les diverses parties tchadiennes et menace la stabilité de la région »...

Par « stabilité de la région », il faut entendre le statu quo néocolonial que perpétuent, légalisent les traités inégaux franco-africains de coopération et sur lequel veille, par intérêt, la « Démocratie française ».

Pour la présidence de la République française, l'intervention légale des forces libyennes au Tchad constitue un précédent dangereux, de nature à porter atteinte à son emprise sur le Tchad et sur les autres néocolonies de la région : Niger, Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Zaïre. C'est contre ce danger que s'insurgent aussi bien le communiqué menaçant de l'Elysée que les gérants africains des protectorats sus-mentionnés : Kountche, Ahidjo, Dacko, Bongo et Mobutu.

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DES ACCORDS FONDAMENTALEMENT INEGAUX

Les accords militaires franco-africains font partie intégrante des conventions franco-africaines d'indépendance servant d'« Instruments légaux de la recolonisation ». Ils en possèdent tous les caractères;en particulier ils sont, comme elles, des accords fondamentalement inégaux, intervenus comme une contre-partie de l'indépendance octroyée aux conditions de la métropole. Rien d'étonnant, dès lors, que la France y occupe une position privilégiée à tous égards.

Ils se décomposent, grosso modo, en trois volets : les pactes de défense, les accords d'assistance militaire technique, et des conventions annexes relatives à divers objets tels que le statut des forces françaises stationnées sur le territoire des protégés africains de la France, les installations et bases militaires françaises en Afrique, les matières premières et les produits déclarés stratégiques, etc. [PAGE 19]:

Les signataires africains de ces accords militaires (en 1960-1963) ont été les suivants :

Ahmadou AHIDJO
David DACKO
Fulbert YOULOU
Houphouët BOIGNY
Hubert MAGA
Léon MBA
Maurice YAMEOGO
Philibert TSIRANANA
OULD DADDA
Hamany DIORI
Léopold SENGHOR
François TOMBALBAYE
Nicolas GRUNITZKY
Cameroun
Centrafrique
Congo
Côte d'Ivoire
Dahomey-Bénin
Gabon
Haute-Volta
Madagascar
Mauritanie
Niger
Sénégal
Tchad
Togo

Depuis lors, le Zaïre de Mobutu s'est constitué protectorat militaire français et a conclu, de ce fait, les accords réglementaires. Par contre, le nouveau régime de Madagascar a révisé de fond en comble sa coopération militaire avec la France pour n'en conserver que ce qui est compatible avec l'intérêt national malgache;il a, en particulier, dénoncé l'accord de défense conclu en 1960 par feu Tsiranana. Signalons que la Haute-Volta non plus n'est pas liée à la France par un pacte militaire de défense.

Un aperçu du contenu des accords militaires franco-africains peut être donné à partir des cinq points essentiels suivants qui s'en dégagent :

1o La formation en France des cadres militaires africains :

L'article 1er de l'accord d'Assistance militaire technique (A.M.T.) franco-ivoirien dispose :

« A la demande de la République de Côte d'Ivoire, la République française s'engage apporter à la République de Côte d'Ivoire l'assistance de personnels militaires français pour l'organisation, l'encadrement et l'instruction des forces armées. »

Puis l'article 8 précise:

« La République française assure la formation et le perfectionnement des cadres des forces armées de la République de Côte d'Ivoire et s'engage à y consacrer les moyens financiers et en personnel nécessaires. » [PAGE 20]

L'accord d'A.M.T. franco-gabonais est encore beaucoup plus explicite et catégorique :

« La République française s'engage à apporter son concours à la République gabonaise pour la formation des cadres de son armée. La République gabonaise s'engage en retour à ne faire appel qu'à la République française pour la formation de ces cadres. » (Article 4.)

Une disposition de même teneur émaillait l'ancien accord d'A.M.T. (art. 7, al. 3) franco-malgache :

« La République malgache s'engage à ne faire appel qu'a la République française pour la formation de ses cadres militaires. »

C'est le lieu de rappeler que dans les premières années de l'indépendance (1960-63), la « formation des cadres militaires » avait pris la forme d'une véritable création des armées nationales africaines par la France. Armées composées, dans un premier temps, de tirailleurs africains (genre Bokassa, Eyadéma, Lamizana, Ngouabi, Malloum, Moussa Traoré, etc.) ayant appartenu jusque-là aux troupes coloniales françaises et qui venaient d'être transférés aux nouvelles autorités (mises en place par Paris) de leurs pays respectifs. Ces armées nationales ont repris avec d'autant plus de facilité les habitudes, pratiques et mentalités du temps du régime colonial direct qu'elles étaient encadrées par des officiers et sous-officiers français des troupes coloniales, promus tout à coup « conseillers techniques militaires ». Ainsi, la continuité voulue par la métropole – pour préserver ses intérêts – a prévalu sur toutes les velléités de changement préconisées par les forces nationalistes et dont le but était la promotion des intérêts africains grâce à l'indépendance reconquise.

En dépit des nuances que l'on relève, dans certains accords d'A.M.T., la règle demeure que c'est en France, à titre principal – et en réalité exclusif – que les partenaires africains de Paris forment leurs cadres militaires;ils ne peuvent le faire ailleurs que de façon tout à fait exceptionnelle, et toujours avec l'autorisation expresse de l'Elysée. Cette dernière règle non écrite est confortée, dans la pratique, par le second point essentiel qui se dégage des accords militaires franco-africains, à savoir l'approvisionnement quasi exclusif, en France, des régimes africains concernés en matériels et équipements militaires. [PAGE 21]

2o La France, fournisseur quasi exclusif du matériel militaire à ses partenaires africains.

Encore une petite promenade à travers les textes

Article 2, alinéa 2 de l'accord d'A.M.T. franco-camerounais :

« La République du Cameroun, en considération du concours que lui apporte la République française et en vue d'assurer la standardisation des armements, s'adressera à la République française pour l'entretien et le renouvellement des matériels de l'armée camerounaise. »

Dans les accords d'A.M.T. avec les pays d'A.O.F. (Côte d'Ivoire, Sénégal, Niger, etc), il est précisé que ces pays s'adresseront « en priorité » à la République française pour l'entretien et le renouvellement des matériels et équipements... Quant aux pays d'A.E.F. (Tchad, Congo, Gabon et Centrafrique), ils se sont engagés « à faire appel exclusivement » à la République française pour l'entretien et les fournitures ultérieures des matériels et équipements...

Pour les fournitures qui ne pourraient pas êtres faites par la métropole, les protégés de la France se réservent, en principe, « le droit d'accepter l'aide d'autres pays ». Cette disposition des accords n'a pas souvent eu l'occasion de s'appliquer, car, non seulement la France dispose d'arguments décisifs pour convaincre ses « clients » qu'ils non pas besoin de ce qui se fabrique ailleurs, mais elle possède aussi, dans le cadre de la zone franc, la redoutable arme monétaire : en effet, ces pays ne peuvent effectuer le moindre paiement à l'étranger sans l'autorisation expresse du ministre français de l'Economie et des Finances, seul habilité à débloquer les devises dont ils ont besoin pour acheter hors de la zone franc. On sait que les devises des protégés africains de la France sont déposées à la Banque de France à Paris et que c'est cette banque étrangère qui les gère, soi-disant pour le compte des pays africains concernés, toujours incapables de le faire eux-mêmes. Mais c'est là un autre aspect de la dépendance et de la domination dont ces pays sont toujours victimes, malgré la proclamation de l'indépendance nominale.

On ne voit pas ce que ces pays africains gagnent en consentant un tel privilège à la France, celle-ci n'étant ni le producteur des meilleurs matériels militaires en [PAGE 22] tous genres dans le monde, ni le pays qui pratique les meilleurs prix. Au contraire.

En revanche, la France, elle, gagne sur tous les tableaux, et l'on comprend qu'elle soit parvenue à se hisser au troisième rang mondial parmi les marchands de canons, après les Etats-Unis et l'Union Soviétique, mais avant la Grande-Bretagne, l'Allemagne Fédérale et l'Italie.

Il est significatif que cette position éminente de la France date des années 60, année des indépendances africaines. C'est en effet à partir de cette année-là que l'industrie française de l'armement a commencé de s'implanter en force à l'étranger. On estimait, en 1978, à 287 000 le nombre de travailleurs français employés dans l'industrie de l'armement (voir Le Monde du4 novembre 1979); 85 000 de ces personnels étant occupés dans le secteur de l'exportation... C'est dire combien, grâce pour une large part à l'Afrique, les ventes d'armes de la France à l'étranger ont pratiquement quadruplé au cours de la décennie 1970-1980, alors que l'ensemble du commerce extérieur français (exportations civiles et militaires) doublait à peine.

Mais notre continent a été tout autant indispensable à la France dans le domaine des matières premières et des produits dits stratégiques, autre secteur réglementé par les traités inégaux de 1960.

3o Main basse sur les matières premières et produits stratégiques.

De ce qui rentre dans cette catégorie, les accords livrent une nomenclature qui ne laisse aucun doute quant aux intentions du co-contractant qui était en position de force. Il y fait rentrer non seulement les hydrocarbures liquides ou gazeux, mais aussi l'uranium, le thorium, le lithium, le beryllium, l'hélium, leurs minerais et composés. Et l'énumération est loin d'être limitative, car les textes prévoient que « les modifications à cette liste feront l'objet d'échanges de lettres entre les parties contractantes »...

Alors que l'engagement de la partie française envers ses partenaires africains consiste simplement à informer ces derniers « de la politique qu'elle est appelée à suivre en ce qui concerne les matières premières et produits stratégiques, compte tenu des besoins généraux de la défense, [PAGE 23] de l'évolution des ressources et de la situation du marché mondial », l'engagement des protégés africains comporte, lui, quelque chose de beaucoup plus contraignant, et à la limite d'attentatoire à la règle de la souveraineté sur les matières premières. Parmi les nombreuses obligations mises à la charge des Africains, rappelons les trois suivantes, à titre d'exemple :

a) Informer la France de la politique qu'ils entendent suivre en ce qui concerne les matières premières et produits stratégiques, ainsi que des « mesures qu'ils se proposent de prendre pour l'exécution de cette politique »

b) Faciliter, au profit des forces armées françaises, le stockage des matières premières et produits stratégiques; et lorsque les intérêts de la défense l'exigent « limiter ou interdire leur exportation à destination d'autres pays »;

c) « Réserver par priorité la vente de leurs matières premières et produits stratégiques à la République française, après satisfaction des besoins de leur consommation intérieure, et s'approvisionner par priorité auprès d'elle », etc.

Nulle part dans lesdits accords la France n'a souscrit, au profit de ses partenaires africains, à des engagements de la nature et de la dimension de ceux qui viennent d'être partiellement évoqués;pas davantage elle ne leur a accordé, sur son territoire national, des facilités militaires comparables à celles que ses « clients » africains lui ont consenties.

4o Octroi des facilités et des bases militaires à la France

Les accords militaires franco-gabonais comportent une « Annexe 1 concernant l'aide et les facilités mutuelles en matière de défense commune ». Ce document se décompose en six articles; les cinq premiers répondent parfaitement à la question qui fait le titre du présent paragraphe (4o). Reproduisons-les sans commentaire :

Afin de réaliser l'aide et l'assistance qu'elles se sont engagées à se prêter pour la défense, les parties contractantes sont convenues des dispositions suivantes :

Article 1er. – Les autorités militaires de chacune des parties contractantes reçoivent de l'autre partie contractante tous les concours nécessaires à l'exercice de leurs responsabilités.

Des conventions particulières interviendront, le cas échéant, à cet effet. [PAGE 24]

Article 2. – Les forces armées françaises ont la faculté de circuler entre leurs garnisons et d'organiser les exercices et les manœuvres nécessaires à leur entraînement. Les autorités de la République gabonaise sont informées, pour avis, préalablement à tout mouvement important effectué par voie terrestre.

Les forces armées françaises ont la faculté d'utiliser l'infrastructure portuaire, maritime et fluviale, routière, ferroviaire et aérienne. Elles ont la liberté de circulation dans l'espace aérien et dans les eaux territoriales de la République du Gabon.

Elles ont la faculté d'installer et de faire usage des balisages nécessaires sur le territoire et dans les eaux territoriales de la République gabonaise.

Article 3. – Les forces armées françaises peuvent utiliser les postes et télécommunications de la République gabonaise.

Pour leurs besoins strictement militaires, elles ont la faculté d'établir et d'exploiter sur le territoire de la République gabonaise des moyens de liaison propres.

Les conditions d'exploitation des liaisons radio-électriques sur le territoire de la République gabonaise font l'objet de conventions techniques.

Article 4. – Le cas échéant, et dans les conditions fixées par les conventions particulières à conclure à cet effet, la République gabonaise mettra à la disposition des forces armées françaises les bases et installations nécessaires à l'exécution de leurs missions.

Article 5. – Les matériels, équipements et approvisionnements importés pour le compte des forces armées françaises bénéficieront du régime spécial d'admission en vigueur au 1er juillet 1960...

Une « Annexe », de contenu identique à celle dont les termes viennent d'être rappelés, complète tous les autres accords de défense franco-africains, et notamment le pacte régional de défense qui lie la Côte d'Ivoire, le Niger et le Dahomey (Bénin) à la France.

De lui-même, le lecteur réalise ce que les dispositions ci-dessus contiennent de contraire à l'intérêt national gabonais – et africain – et que la France n'accepte pas pour son compte. Au demeurant, aucun gouvernement responsable et maître de lui-même ne l'accepterait pour son pays. La France a quitté l'Organisation militaire intégrée [PAGE 25] de l'Alliance Atlantique (O.T.A.N.) pour beaucoup moins. Mais il n'empêche qu'elle encourage, oblige même ses nouveaux protectorats d'Afrique à se déclarer satisfaits de ce qu'elle considère comme attentatoire à sa dignité et à ses intérêts de pays indépendant.

La dépendance ainsi contractualisée par les traités inégaux d'indépendance est devenue, pour les équipes dirigeantes des nouveaux protectorats, une seconde nature. Ainsi, lorsque l'une d'elles s'estime menacée, ou que l'Elysée lui enjoint de se considérer en danger, son premier réflexe n'est pas de rassembler ses forces pour faire face à la menace comme le ferait un gouvernement responsable, comme le fit la Tanzanie lorsqu'elle fut agressée par Idi Amin, mais de se tourner, en assisté débile et consentant, vers le grand protecteur métropolitain, lequel ne cherche qu'à justifier, à maintenir et à renforcer l'image du nègre incapable de s'en sortir seul. M. Gérard Chaliand a raison d'insister sur ce comportement négatif et honteux qui dessert tous les Noirs d'Afrique et dont on se demande si les Bongo, les Senghor-Abdou Diouf, Ahidjo, Mobutu, Houphouët-Boigny, Dacko et compagnie... sont bien conscients. Heureusement que l'Afrique noire possède aussi des responsables politiques d'une autre trempe comme Nyerere, Bernardo Vieira, Cheikh Anta Diop, Mugabe, Oboté, etc. Mais voici ce qu'on peut lire, à la page 36 du petit livre de M. Chaliand, L'enjeu africain (édition du Seuil, Paris 1980) : « Le troisième volet de l'attitude occidentale et qui, cette fois, concerne plus particulièrement l'Afrique subsaharienne, est non écrit et informulé, sinon en petit comité : de toute façon, les Noirs sont incapables de s'en sortir »...

Les traités inégaux institutionnalisent cette attitude irresponsable, négation de toute politique nationale de défense.

5o Appel aux forces armées françaises.

L'accord de défense franco-gabonais dispose : « La République gabonaise peut, avec l'accord de la République française, faire appel aux forces armées françaises pour sa défense intérieure ou extérieure. »

Ainsi le Gabon, comme tous les autres nouveaux protectorats, a expressément démissionné des fonctions d'Etat responsable que lui assignait l'accession à l'indépendance. Autrement dit, il s'est servi de la souveraineté recouvrée [PAGE 26] pour renoncer aux responsabilités de l'indépendance. A ses avantages aussi. Son unique fonction, en matière de « défense nationale », se ramène, de ce fait, à la formalité passive qui consiste à « faire appel » à l'étranger au profit duquel il a renoncé aussi bien à son pouvoir de décision qu'à celui d'action. Cela s'est vérifié dans un passé récent lorsque, informés par l'Elysée que la Libye menaçait leur sécurité, le Gabon, la Côte d'Ivoire, le Cameroun, le Centrafrique, le Sénégal et le Niger... se tournèrent vers la France pour solliciter une intervention de l'armée française contre la Libye au Tchad.

Il faut signaler, à ce propos, que l'interprétation qui a été faite par les autorités françaises de la disposition ci-dessus, a fini par rendre sans objet la formalité de « l'appel ». En pratique, la France intervient militairement en Afrique lorsque son intérêt lui commande de le faire, qu'elle ait été sollicitée ou non par l'un de ses « clients ». Expressément invitée par le président du Congo (Fulbert Youlou) à intervenir à Brazzaville en 1963, elle s'abstint de le faire, et l'émeute balaya le régime de l'Abbé Youlou comme un fétu de paille. L'année suivante, à Libreville (Gabon), aucun appel ne vint des autorités légales du pays (mises dans l'impossibilité matérielle de le faire), pourtant Paris dépêcha ses légions de parachutistes à Libreville, noyant ainsi dans le sang un coup d'Etat qui n'avait fait aucun mort (français ou gabonais) jusque-là. De même à Bangui, en 1979, c'est de son propre mouvement que le chef d'Etat français a décidé d'aller renverser le régime de l'empereur Bokassa Ier...

Autrement dit, comme du temps du régime colonial direct, l'intérêt de la France demeure, pour les nouveaux protectorats d'Afrique noire, le facteur déterminant dont dépend la sécurité intérieure et extérieure des membres du nouvel empire français d'Afrique. Dans ce cas, à quoi bon l'indépendance ?

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LES SILENCES DE L'O.U.A.

Lors de sa réunion constitutive à Addis Abeba en 1963, l'O.U.A. avait adopté un certain nombre de résolutions, dont celle relative aux conditions à remplir pour l'instauration d'une unité véritable des peuples africains. [PAGE 27] L'une des conditions soulignées avec insistance portait sur la nécessité de maintenir le continent africain en dehors des blocs militaires antagoniques. A cette fin, la résolution invitait les pays africains à « retirer les bases militaires étrangères qui se trouveraient sur leur territoire, et à se dégager des pactes militaires conclus avec des puissances étrangères ».

Depuis 1963, seul le nouveau régime de Madagascar s'est conformé à cette décision de l'O.U.A., de toutes les anciennes colonies françaises d'Afrique noire liées à l'ex-métropole par des pactes militaires.

Le silence de l'O.U.A., à l'endroit de ses membres qui foulent ses décisions aux pieds, laisse perplexes tous ceux qui continuent de faire crédit – peut-être naïvement – à l'Organisation d'Addis Abeba.

C'est une évidence qu'aucune unité africaine n'est possible avec des pays ligotés dans la camisole de force que sont non seulement les accords militaires franco-africains, mais l'ensemble des traités inégaux d'indépendance dont le véritable objet est d'adapter la nouvelle situation juridique survenue en 1960, la domination et l'exploitation de l'Afrique, le « monopole occidental » sur notre continent.

Le devoir primordial de la nouvelle génération de dirigeants africains consiste, en accord avec les masses populaires, à débarrasser l'Afrique des pesantes tutelles étrangères et intéressées qui sont la cause principale de son état de sous-développement actuel. Notre continent ne peut s'en sortir sans briser, au préalable, ces chaînes qui ont nom dépendance, extraversion, domination, irresponsabilité.

Sango MULEDI