© Peuples Noirs Peuples Africains no. 18 (1980) 152-158



LETTRE OUVERTE

à Monsieur Mathieu KEREKOU
Président de la République Populaire du Bénin

Monsieur le Président,

Depuis plus d'un an maintenant, beaucoup de nos camarades de l'Université Nationale du Bénin, de certains établissements secondaires, ainsi que certains de leurs professeurs croupissent dans vos geôles.

Le crime de tous ces gens, c'est pour les uns d'avoir accepté d'être élus comme responsables des étudiants au moment de la destruction et de l'enterrement de la coopérative universitaire, véritable goulot d'étranglement des libertés à l'université pour d'autres, c'est celui d'être simplement étudiants puisqu'à ce jour rien ne leur est reproché, l'étudiant étant selon vous porteur du virus de la « contestation » pour certains professeurs, c'est de n'avoir pas choisi le chemin du Gabon ou de la Côte d'Ivoire après leurs études et d'avoir accepté de revenir mettre leurs connaissances au service de leur pays. A côté de tout cela il y a ceux qui, pourchassés par vos forces de répression, ont été obligés d'abandonner leurs études pour vivre dans la clandestinité ou prendre le chemin de l'exil.

Lorsque le 11 juin 1979 à leur Assemblée Générale, plus de deux mille (2 000) étudiants (soit la quasi-totalité) ont décidé de détruire la coopérative universitaire, vous avez [PAGE 153] répondu le 13 juin 1979 à votre Conseil de Ministres par la suppression des bourses des responsables, l'incarcération de ceux-ci et la menace de fermeture de l'Université. Nos camarades n'ont pas reculé devant ces menaces et ont déclenché le 14 juin une grève d'avertissement de 72 heures pour exiger l'abrogation des mesures scélérates que vous avez prises contre eux.

Votre réaction face à ce légitime mouvement a été de faire occuper le campus universitaire par vos militaires et d'entamer une chasse aux étudiants à travers la ville de Cotonou. N'ayant pas réussi à étouffer la volonté de lutte des étudiants malgré les arrestations arbitraires, les tortures et tout genre de sévices au P.C.O. (Poste de Commandement Opérationnel) dirigé par le lieutenant assassin Coovi, vous avez dû au niveau du Bureau Politique de votre Parti fascisant reconnaître le bien-fondé des revendications des étudiants. A la dernière rentrée scolaire, vous avez entrepris d'apporter de timides solutions qui sont à mille lieues de résoudre les problèmes de l'Université. L'augmentation des bourses ainsi effectuée est sans commune mesure avec l'augmentation du coût de la vie; le manque de professeurs est chronique (pendant que certains sont en prison ou obligés de s'exiler). Les bibliothèques sont vides, le nombre insuffisant de cars à l'Université, les places en cité universitaire très en deçà du nombre d'étudiants à loger;les laboratoires sont sans matériel; les instituts créés n'ont d'institut que le nom. Même votre ministre Montéiro Armand lors de son dernier passage à l'Université a reconnu que ces problèmes « sont réels et non imaginaires ». Malgré tout cela, vous continuez de détenir certains de nos camarades ainsi que leurs professeurs et maintenez les mandats d'arrêt qui ont obligé certains d'entre eux à quitter l'Université. Ceux qui sont arrêtés vivent dans des conditions déplorables. C'est ce qu'ils vous ont exprimé dans la lettre ouverte qu'ils vous ont envoyée le 24 mars 1980 et qui est ainsi libellée :

« Cotonou le 24.3.80

Au camarade Président de la République

Objet : Motion de grève de la faim de 48 h.

Camarade,

Voici bientôt 10 mois qu'une grève a éclaté à l'U.N.B. [PAGE 154] et qu'un certain nombre d'étudiants ont été arrêtés.

Les autorités elles-mêmes ont non seulement à maintes reprises reconnu le bien-fondé des revendications mais ont promis de trouver des solutions satisfaisantes fin septembre au plus tard.

Face à cette situation de détention prolongée, nous avions mené une série de démarches; parmi lesquelles citons :

Le 18.1.80 nous envoyions une lettre au Président de la République et au Ministre de 1'Intérieur attirant leur attention sur nos conditions de détention et de vie on ne peut plus déplorables, à savoir :

    – Plusieurs de nos camarades se trouvent depuis plus de 7 mois au violon et en cellule. Quatre sont enfermés au violon 1 et 2 où il n'y a ni lumière ni oxygène, les microbes et les vers de toutes sortes y prolifèrent. Ils y sont entassés souvent à plus d'une vingtaine, tous dangereusement malades.
    – la bourse ne nous ayant pas été payée, et pour la plupart n'ayant pas de parents à Cotonou, nous sommes transformés en de véritables mendiants.
    – des camarades sérieusement malades manquent de soins et d'argent pour acheter des médicaments, C'est le cas du camarade AZON Rigobert, deux fois hospitalisé et qui présentement ne sait comment s'acheter des médicaments.
    – année scolaire 79 perdue et année 80 incertaine.
    – brimades de la part de la police qui nous astreint constamment à des corvées, et nous menace de répression en cas de refus.
    – renvoi arbitraire de nos parents, etc.

Rappelons qu'un bon nombre de nos camarades n'ont jamais été interrogés depuis leur arrestation. A certains, on leur demande s'ils connaissent un tel individu; c'est Sur cette base qu'ils sont retenus. Nous sommes bien surpris qu'on puisse être désormais privé de sa liberté pour avoir connu telle ou telle personne.

Aujourd'hui, soit plus d'un mois après la rentrée, force nous est de constater que malgré la déclaration du Bureau Politique du Comité Central sur l'Université, nous demeurons toujours enfermés dans les geôles de la Sûreté Nationale Urbaine. (S.U.C.) [PAGE 155] et des autres commissariats de Cotonou où nous succombons à petit feu.

Au total les effroyables excès et vexations, dont nous sommes depuis plus de 9 mois victimes, ne peuvent pas manquer de susciter notre indignation. A présent, notre indignation est à bout de souffle.

En conséquence nous décrétons à partir d'aujourd'hui 24.3.80, une grève de la faim de 48 h pour protester contre notre détention injuste et les conditions inhumaines qui nous sont infligées, et nous demandons notre libération pure et simple.

ONT SIGNE TOUS LES ETUDIANTS DETENUS A LA S.U.C. »

Votre réponse à cette lettre et à cette grève de la faim de nos camarades a consisté à les transférer des commissariats de police à la prison centrale de Cotonou. Quand on sait qu'en plus de tout cela votre pouvoir détient le triste record d'avoir forcé à l'exil plus d'intellectuels béninois que ne l'ont fait les autres pouvoirs pro-impérialistes ayant précédé le vôtre; qu'il a plus qu'aucun semé la terreur au sein des masses populaires (rappelez-vous les fameuses campagnes anti-sorcières où des vieillards, hommes et femmes sans défense, étaient séchés au soleil, bastonnés et où, hélas, beaucoup ont perdu la vie). Quand on sait que vous avez sur vos mains le sang des glorieux manifestants de juin 1975. Quand on sait que le 17 août 1979, lors de votre « rencontre » avec les étudiants à l'Université quand ceux-ci voulaient sortir de la salle après l'arrestation de leur responsable, vous avez donné l'ordre à vos gardes du corps de « brûler la cervelle » à quiconque oserait sortir de la salle; si l'on sait que ce même 17 août 1979 vous avez déclaré : « Le 26 octobre 1972 nous avons dit que nous marcherons sur des cadavres... faut-il ajouter aujourd'hui que ces cadavres-là seront des corps d'étudiants, ça ne nous fait pas peur; on peut me comparer à Bokassa... il a raison dans ces conditions de tuer des enfants si ceux-ci sont des crapauds » (ce qui ne vous a pas empêché après la chute du dictateur de le condamner comme tout le monde Pour présenter un bon visage à l'extérieur). Si l'on sait tout cela donc, tout patriote et tout démocrate ne peut qu'être [PAGE 156] révolté par les conceptions que vous et votre gouvernement avez des libertés démocratiques.

Devant toute cette situation, nous, étudiants béninois à l'étranger regroupés respectivement :

    – en France au sein de l'Association des Etudiants et Stagiaires du Bénin en France (A.E.B.)
    – en Roumanie au sein de l'Association des Etudiants du Bénin en Roumanie (A.E.B.R.)
    – en Union Soviétique au sein de l'Association des Etudiants et Stagiaires du Bénin en Union Soviétique (A.E.S.B.U.S.),
    – condamnons l'arrestation de nos camarades étudiants et de certains de leurs professeurs, ainsi que la prolongation de leur détention arbitraire;
    – exigeons leur libération immédiate et inconditionnelle;
    – exigeons l'abrogation pure et simple des mandats d'arrêt lancés contre les étudiants toujours recherchés;
    – réaffirmons solennellement notre détermination et notre volonté inébranlables à contribuer à toute initiative pour la libération effective de nos camarades;
    – vous rendons d'ores et déjà responsable des conséquences graves qui découleraient de la prolongation de cette détention arbitraire et contraire à toutes les conventions internationales pour la sauvegarde des libertés auxquelles votre gouvernement a adhéré.

Veuillez croire, Monsieur le Président, à l'expression de nos sentiments patriotiques et d'attachement indéfectible à la démocratie.

20 août 1980
Des Etudiants Béninois.

LISTE APPROXIMATIVE ET NON LIMITATIVE
DES ETUDIANTS ET ENSEIGNANTS DETENUS
AU BENIN (ex-DAHOMEY)

Nom des détenus

Adjakpa Léon
Adjotin Pierre
Agossou Noukpo
Afouda Fulgence

Date et lieu d'arrestation

Janv. 80 à Cotonou (Etudiant)
Mars 79 à Abomey (Elève)
Sept, 79 à Parakou (Professeur) [PAGE 157]
Avril 80 à Cotonou (Professeur)
(détenu au commissariat de Jéricho en même temps que trois instituteurs)

Alassane Issifou
Awadou Firmin
Bani Samari
Bouco Ali
Bouraima Maléhossou
Dara Saalim
Djossou Joseph
Fikara Sacca
Glele Rémi
Hessou Joseph
Iko Paul
Koudezi Simon
Martin Zacharie
Monnou Raoul
Mama Adam
Mama Moussa
Noudjenoume Ph.
Offiki Hébert
Sossouhounto Urbain
Yelome Léon
Sept. 89 à Cotonou (Etudiant)
Juin 79 à Cotonou (Etudiant)
Juin 79 à Cotonou (Etudiant)
Juin 79 à Cotonou (Etudiant)
Mars 79 à Cotonou (Etudiant)
Août 79 à Cotonou (Etudiant)
Nov. 79 à Cotonou (Etudiant)
Déc. 79 (Etudiant)
Mars 79 à Abomey (Elève)
Août 79 à Cotonou (Etudiant)
Sept. 78 à Parakou (Elève-Instit.)
Sept. 79 à Glazoué (Etudiant)
Juil. 79 à Cotonou (Ingénieur)
Mai 79 à Porto-Novo (Instituteur)
Nov. 79 à Cotonou (Etudiant)
Nov. 79 à Cotonou (Etudiant)
Juin 79 à Cotonou (Professeur)
Août 79 à Natitingou (Etudiant)
Mars 79 à Cotonou (Etudiant)
Août 1979 à Calavi (Etudiant)

etc. (la liste n'est pas limitative)

A la suite de leur grève de la faim, tous les Etudiants et Elèves ainsi que leurs Professeurs (sauf le 4e sur la liste) sont transférés de la Sûreté Urbaine de Cotonou (S.U.C.) à la PRISON CENTRALE de Cotonou avec des mesures d'internement administratif de 2 à 6 mois automatiquement renouvelables. Ils ne sont pas nourris. Surveillance étroite et restriction de visite et même de sortie dans la cour de la prison.

Selon des indications du COMITE DE DEFENSE DE LA DEMOCRATIE DE L'UNIVERSITE NATIONALE DU BENIN.