© Peuples Noirs Peuples Africains no. 17 (1980) 57-59



BANTOUSTANS A GOGOS

Triste chronique des indépendances mort-nées

P.N.-P.A.

LE NOMBRE CROISSANT DES FRANÇAIS AU CAMEROUN

Alors que l'effectif des Camerounais en France est en train de fondre comme neige au soleil, du fait de la politique française de « tribalisme d'Etat » qui discrimine les immigrés africains, le nombre des Français au Cameroun s'accroît à un rythme inquiétant : de plus de mille personnes l'an dernier, de près de trois mille en 1978. Les chiffres officiels du gouvernement français, pour les trois dernières années, apparaissent suffisamment éloquents à cet égard :

    1977 ........... 9 000
    1978 .......... 11 913
    1979 .......... 13 315 Français au Cameroun.

On sait que ce déferlement incontrôlé ne procède pas d'un amour particulier des Français pour nous, mais uniquement du souci pour la France de venir résoudre chez nous ses problèmes de chômage, d'approvisionnement en matières premières, de maintien d'une place financière et d'un marché privilégié, conformément à la règle de conduite chère au général de Gaulle : [PAGE 58] « Les pays n'ont pas d'amis, ils n'ont que des intérêts » [1]. français, eux, ne jurent que par ce qu'ils appellent « l'amitié franco-camerounaises », une amitié à sens unique dont pâtissent les Camerounais au profit des seuls Français qui, eux, n'y croient guère.

Ainsi, en matière de circulation des personnes et d'établissement, comme dans tous les autres domaines, c'est l'inégalité qui régit actuellement les rapports franco-camerounais, ou plus exactement franco-Ahidjo. Une inégalité qui fait qu'aussi bien au Cameroun qu'en France, les Camerounais restent perdants, et les Français gagnants sur tous les tableaux. Le mépris des fonctionnaires de l'ambassade de France à Yaoundé à l'égard des demandeurs camerounais de visas pour la France n'a d'égal que l'empressement servile des fonctionnaires de l'ambassade d'Ahidjo à Paris auprès des Français désireux de se rendre au Cameroun où, grands seigneurs, ils se comportent comme en pays conquis, avec la bénédiction des autorités néocoloniales.

Avec l'O.C.L.D., les relations franco-camerounaises en matière d'établissement et de circulation des personnes s'établiront sur la base d'une stricte égalité et d'une réciprocité non moins vigilante. Les Français au Cameroun ne pourront se prévaloir que des droits et privilèges effectivement reconnus aux Camerounais en France.

Cet article a été publié dans KUNDE, bulletin de l'O.C.L.D. (Organisation camerounaise de lutte pour la démocratie), no du 8 août 1980. Adresse : c/o Philippe Borel, 12, rue des Riches-Claires, 1000 Bruxelles (Belgique).

Abonnements : ordinaires 1000 F C.F.A., 500 F.B., 50 F.F. soutien : à partir de 10 000 F. C.F.A.

CENTRATRIQUE

Quel esprit un tant soit peu cartésien n'admirera cette merveilleuse illustration de la décolonisation à la française, telle [PAGE 59] qu'elle est rapportée par Le Monde, numéro du 31 août-1er septembre 1980 ?

LIBERTE BIEN SURVEILLEE

« M. Henri Maidou est libre de vous rencontrer s'il le désire. » Il nous avait bien semblé discerner un léger vacillement dans la voix de M. Dacko, au moment où il nous accorda l'autorisation d'interviewer son ancien vice-président. Ce n'est qu'en sortant du vaste bureau présidentiel que les choses se sont – si l'on peut dire – précisées. Devenu à son tour mal à l'aise, l'altier secrétaire général de la présidence, si souriant avant l'entretien, accepte d'appeler le responsable de la garde, qui seul peut délivrer un sauf-conduit. Celui-ci, un Français, qualifié de « colonel », n'en croit visiblement pas ses oreilles. S'adressant au secrétaire général : « Vous êtes bien sûr que le président a donné son accord? » « Euh... oui... J'étais là, le président a donné son accord. » Puis, le ton un peu plus appuyé : « Un accord verbal. » Le « colonel » : « Suivez-moi Monsieur. » Sortant du bureau, il semble tout à coup avoir oublié quelque chose. « Excusez-moi un instant. » Il entre dans une autre pièce. Attente. Vingt longues minutes plus tard, un nouveau et aimable : « Voulez-vous me suivre », puis arrêt dans un couloir, à l'abri des oreilles indiscrètes - « Hum ! je vais vous décevoir, finalement le président estime qu'il vaut mieux annuler cette interview. Ce serait mauvais. » Pour qui? « Mais, voyons, pour M. Maidou lui-même. »

Le « colonel », qui dirige, avec l'aide d'une poignée de Français, la garde présidentielle, et à ce titre « préserve les intérêts de M. Maidou contre d'éventuels manifestants », s'est montré bien plus persuasif que nous. Etrange « liberté » que celle de l'ancien vice-président et singulière autorité présidentielle...

P.C.

Songez donc que ceci se passe vingt ans après les indépendances ! Vous mesurerez enfin à quel point le mot néocolonialisme est une invention d'excités et d'irresponsables, en somme de gens coupés des vraies réalités africaines.

P.N.-P.A.


[1] C'est surtout l'odeur du pétrole qui suscite cet afflux d'immigrants. Apparemment, toute la planète est informée de l'existence du pétrole camerounais. Seuls les Camerounais ignorent les faveurs dont ils ont été l'objet de la part de la Providence (N.D.L.R.).