© Peuples Noirs Peuples Africains no. 16 (1980) 48-58



LA FEMME DANS L'ŒUVRE DE CHINUA ACHEBE

Ibiyemi MOJOLA

Presque toutes les critiques consacrées à Chinua Achebe soulignent le caractère sociologique et anthropologique de son œuvre. Mais, en fait, dans cette critique abondante, l'étude de la femme occupe peu de place. Voilà pourquoi nous avons choisi ce sujet que nous comptons examiner suivant deux axes, à savoir, la situation de la femme dans la société traditionnelle d'abord et ensuite, sa condition dans la société moderne. Ceci nous permettra de constater les changements effectués pour le meilleur ou pour le pire dans le mode de vie et la personnalité de la femme au cours d'un peu plus d'un siècle de la vie des Ibos qui constitue la source des romans et nouvelles de Chinua Achebe.

Il convient de classifier les quatre romans d'Achebe en deux groupes : « Le monde s'effondre » et « La flèche de Dieu » qui traitent de la société Ibo traditionnelle dans toutes ses ramifications d'une part et d'autre part, « Le malaise » et « Le Démagogue » basés sur le Nigéria moderne vu surtout à travers la situation socio-politique des Ibos. Tandis que « Le monde s'effondre » évoque la société ibo de la deuxième moitié du XIXe siècle, c'est-à-dire, la période précédant l'arrivée du colonisateur anglais chez les Ibos et ses premières années d'occupation tant sur le plan politique [PAGE 49] que religieux, « La flèche de Dieu » témoigne de l'époque qui a vu l'installation définitive du gouvernement et de la religion du colonisateur au Nigéria. « Le Malaise » se situe juste avant l'Indépendance du pays et « Le Démagogue », roman satirique, traite des premières années de l'autonomie politique du Nigéria. Il faudrait aussi mentionner le recueil, « Girls at War », dont les nouvelles se basent presque toutes sur des événements assez récents au pays, en particulier la guerre civile.

Pour mieux comprendre la condition de la femme à l'échelle familiale et privée dans « Le monde s'effondre » et « La flèche de Dieu, examinons le type de relation qui existe entre l'homme et la femme dans le monde ibo tel qu'il se révèle dans les deux romans. L'homme maintient une suprématie sur la femme dans toutes les affaires publiques. Nulle femme, quels que soient son âge et son statut social, ne peut assister à une réunion pour discuter de sujets, si graves soient-ils, touchant à la vie de la communauté. Pourtant, tout homme, même le plus insignifiant, a le droit d'y assister sauf dans des cas exceptionnels où on laisse le soin de prendre la décision aux chefs et aux anciens. En ce qui concerne la religion, il est absolument défendu aux femmes de connaître ou même de vouloir connaître les secrets des esprits ancestraux, les « egwugwu », le culte le plus puissant et le tribunal suprême du clan. Dans le domaine de l'économie, certains privilèges sont réservés aux hommes : seul l'homme peut, par exemple, cultiver l'igname, « le roi des récoltes », « le symbole de virilité ». Enfin, être traité de femme représente pour un homme la plus grande insulte possible.

Nous allons maintenant examiner jusqu'à quel point cette conception collective se reflète au niveau de la famille à l'égard de la femme en tant que fille, épouse et mère. Il est à remarquer que Okonkwo et Ezeuleu, les protagonistes des romans dans « Le monde s'effondre » et « La flèche de Dieu » respectivement ont une vie familiale stable, ce qui souligne l'importance de la famille dans la société. Mais une famille sans enfants n'en est pas une. Pourtant, bien que l'on souhaite avoir des enfants à tout prix, on manifeste une préférence nette pour les garçons en qui l'on voit les continuateurs de la lignée. La fille favorite d'Okonkwo, dans « Le monde s'effondre », Ezinma, une petite fille de dix ans au début du roman, intelligente, sûre d'elle-même, attachée à son père, [PAGE 50] évoque régulièrement un sentiment de regret chez lui.

« Elle aurait dû être un garçon » se dit-il toujours. Le père a des espoirs et des plans pour ses fils mais il n'en a aucun pour ses filles. Il souhaite seulement qu'elles trouvent un bon mari, aspiration que partagent les filles et leurs mères.

Mais cette préférence marquée pour les fils ne veut pas dire manque d'intérêt pour les filles. En fait, aucun père ou frère ne tolérerait qu'on maltraitât sa fille ou sa sœur mariée. Dans « Le monde s'effondre » et « La flèche de Dieu » on voit deux cas où les frères de femmes mariées rossent leurs maris pour avoir brutalisé leurs sœurs. Si une femme quitte son mari violent, le père de celle-ci la gardera jusqu'à ce que sa belle-famille vienne l'apaiser avec des cadeaux et lui promettre que la conduite fâcheuse du mari ne se répétera pas. Même si le père souhaite ardemment qu'elle rentre chez son mari, il prétend qu'il en est autrement. Dans « La flèche de Dieu », bien que :

    « Ezeulu souhaitât que sa fille, Akueke, rentrât chez son mari, on ne s'attendait pas à ce qu'il le dît publiquement. Celui qui admet que sa fille n'est pas toujours la bienvenue chez lui ou que sa présence le gêne dit en effet à son mari de la maltraiter à son gré. »

Situation ironique, car ces mêmes pères battent leurs épouses parfois pour des raisons insignifiantes et en présence des enfants.

En effet, l'épouse traditionnelle vit dans l'ombre de son mari dans un système polygame. On mesure en général l'importance et la richesse d'un homme par la qualité de ses ignames, le nombre de ses femmes et enfin par le nombre de titres d'honneur du clan qu'il acquiert. Plus ses granges d'ignames prennent de l'extension, plus sa fortune s'accroît et plus il augmente le nombre de ses femmes – tout ce qui lui donne le droit de prendre des titres. Logiquement alors, les femmes font partie de ses biens. L'homme prend toute décision concernant la famille sans consulter ses femmes qui hésiteraient à lui poser des questions, à lui offrir leur avis et à le contredire, car :

    « L'homme qui ne pouvait pas contrôler ses femmes et ses enfants (ses femmes surtout) n'était vraiment pas un homme, [PAGE 51] peu importait sa prospérité » (« Le monde s'effondre »)

Même pour ce qui concerne les enfants, la femme a peu de chance d'être écoutée. Dans « La flèche de Dieu », quand Matefi, la première femme d'Ezeulu, le prêtre de la plus grande divinité du clan, essaie de persuader son mari de ne pas envoyer son fils, Oduche, à l'église, il la congédie en ces termes :

    (« Comment cela te regarde-t-il, ce que je fais de mes fils ? »)

Cependant, l'image de la mère se distingue nettement de celle d'une épouse. Elle symbolise le refuge en période de difficulté. Okonkwo, exilé avec sa famille pour le meurtre accidentel d'un garçon, cherche asile dans le village de sa mère. Okonkwo est inconsolable. Alors, son oncle, le chef de sa famille maternelle, réunit les membres de la famille et leur explique pourquoi chez les Ibos un des noms les plus communs est Nneka, « La Mère est Suprême » :

    « C'est vrai qu'un enfant appartient à son père. Mais lorsqu'un père bat son enfant, l'enfant cherche de la consolation dans la hutte de sa mère. L'homme est de chez son père quand tout va bien et que la vie est douce. Mais en période de chagrin et d'amertume, il cherche asile chez sa mère. C'est pourquoi nous disons que la mère est suprême » (« La Flèche de Dieu »)

Cet hommage à la mère que l'on retrouve souvent dans la littérature africaine écrite ou orale fait partie intégrante de la vision du monde des peuples africains. Jarmila Ortova en témoigne dans un article sur Sembène Ousmane :

    « Les mères, surtout les mères âgées, dans les romans africains, sont très respectées par leurs enfants. Elles représentent une certaine garantie de la stabilité de la société africaine, un élément de calme, de paix, source d'amour sans limite et absolument désintéressé »[1] [PAGE 52]

Nos constatations jusqu'ici peuvent donner à croire que les femmes, leurs épouses, surtout, sont :

    « résignées, passives, prenant leur sort comme fatal et inchangeable »[2].

Une telle conclusion serait hâtive, car s'il est vrai qu'au sein de la famille comme au niveau de la collectivité on relègue les femmes à une position d'infériorité, il est également vrai qu'elles ne souffrent pas de cet état de choses. On ne regrette sa condition que lorsqu'on en connaît d'autres. Puisqu'elles ne savent rien du principe d'égalité des sexes, elles sont satisfaites de leur condition. Au moins il n'y a rien pour indiquer le contraire dans les romans. Elles jouissent des joies simples de la vie naturelle.

Malgré la domination des hommes, on trouve des cas de femmes difficiles et querelleuses que les maris ne peuvent changer en dépit des menaces de punition. Il y en a aussi, qui, plus courageuses que les autres, osent faire ce que les autres épouses ne feraient pas. Lorsqu'un matin, on réveille Okonkwo, dont les femmes et les enfants ont peur, par de grands coups contre la porte de sa hutte, il s'écrie :

    « Qui est-ce ?... Il savait que c'était Ekwefi. Parmi ses trois femmes, seule Ekwefi aurait l'audace de frapper à sa porte. » (« Le monde s'effondre »)

En effet, la seule femme à qui le romancier donne un peu de relief en tant qu'individu, c'est Ekwefi. Cet intérêt vient surtout de la position de sa fille unique, Ezinma, une « Ogbanje »[3] comme personnage central dans deux épisodes du roman, « Le monde s'effondre ». Ses souffrances – elle est encore jeune – dépassent la moyenne. Ayant eu dix enfants, seul le dernier, Ezinma, lui reste. La mort de ses enfants les uns après les autres, avant l'âge de trois ans, l'a considérablement marquée. D'abord profondément chagrinée, ensuite désespérée, elle s'est résignée à son sort. Mais bientôt, sa résignation a cédé la place à l'amertume [PAGE 53] contre son « chi »[4] en particulier. Ses déceptions l'ayant fortifiée, elle prend maintenant ses décisions unilatéralement dès qu'il s'agit du bien-être de sa fille, Ezinma.

Si les femmes acceptent la domination des hommes, ce n'est ni par manque d'esprit ni par manque de volonté. En effet, nous avons constaté que dans leurs rapports les unes avec les autres et parfois aussi avec les hommes qui n'appartiennent pas à leur famille, elles font preuve souvent d'une volonté extraordinaire.

Pour terminer cette première partie, signalons un fait ironique : malgré la suprématie attribuée à l'homme selon la tradition, le principe féminin soutient la vie du peuple. Une déesse, et non pas un dieu, contrôle la terre dans la cosmogonie ibo traditionnelle. Toute abomination contre la terre exige l'apaisement de la déesse afin d'éviter la destruction du clan. Et du côté humain, c'est une femme Chielo, qui, dans « Le monde s'effondre », est le porte-parole de l'oracle le plus puissant du clan. Chielo, investie d'une haute fonction religieuse, est en effet la prêtresse de l'Oracle des Montagnes et des Cavernes dont la renommée dépasse les frontières du «pays» ibo. Pourtant Chielo, dans la vie ordinaire, est une femme peu remarquable.

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Toutes les femmes dans la société traditionnelle dans « Le monde s'effondre » et « La flèche de Dieu » (sauf la doctoresse anglaise dans ce dernier roman, qui avec les quelques femmes blanches dans « Le Démagogue » et « Le malaise » ne seront pas prises en considération dans notre étude) sont fortement enracinées dans la communauté. On les considère davantage comme membres de familles faisant partie d'une société encore spirituelle, homogène et jusqu'à un certain point, fermée, que comme des personnages individualisés. Au contraire, les femmes dans « Le malaise » demeurant dans la capitale du pays, Lagos, se débrouillent sans l'appui moral et matériel de leur famille et de la société. Dans « Le Démagogue » Madame Nanga et Edna, les deux personnages féminins principaux, vivent en famille mais les personnages féminins épisodiques qui vivent dans la capitale, [PAGE 54] Bori, sont séparés de leur famille. Dans ces deux œuvres, la société moderne dans laquelle évoluent les personnages n'a plus sa cohérence dans le respect du travail, de la tradition et des coutumes religieuses. La destinée de l'individu ne regarde plus la communauté. Bref, les femmes sont individualisées. Malgré les risques que peut comporter le classement, il convient d'analyser les personnages féminins dans les deux œuvres suivant trois catégories : les Protagonistes féminins instruits et diplômés, Clara Okeke et Edna Odo, les personnages féminins secondaires peu instruits ou sans instruction – Mesdames Okonkwo, Nanga, et John –, et enfin les femmes aux mœurs douteuses, nombreuses et sans importance, pour la plupart.

Clara Okeke, le protagoniste féminin dans « Le malaise », semble être la femme qui s'impose le plus à l'esprit du lecteur parmi celles qui peuplent l'œuvre de Chinua Achebe. C'est une jeune femme d'environ vingt-trois ans, belle, sûre d'elle-même, infirmière diplômée d'Angleterre, où elle a rencontré Obi Okonkwo. Dix-huit mois après, ils se retrouvent par hasard sur le même bateau qui rentre au Nigéria. Au cours du voyage, ils s'éprennent l'un de l'autre.

Au travail, elle fait preuve d'une haute compétence. Dans ses rapports avec Obi, elle est fidèle, franche, sympathique et conciliante sans soumission. Bien que l'on discerne qu'elle a été en Angleterre par son accent anglais sophistiqué et non nigérian, par sa démarche à l'anglaise, elle ne dédaigne pas ce qui est du pays.

Mais c'est une femme psychologiquement déchirée à cause d'une situation qui lui est tout à fait externe : elle appartient à la caste « Osu », c'est-à-dire à la caste des descendants des hommes mis à part dans le passé lointain des Ibos pour servir les dieux du clan. Alors, les « nés – libres » n'ont pas le droit d'avoir de rapports avec eux. Clara sait que la tradition reste inébranlable sur ce point. Plus réaliste qu'Obi et consciente de l'opposition que la société ibo, la famille d'Obi en particulier, dressera contre leur relation, elle hésite à accepter ses propositions de fiançailles. Mais encouragée par Obi qui déclare une telle tradition absurde et scandaleuse en plein XXe siècle et qui insiste « Même ma mère ne peut m'arrêter », elle y consent, enfin. Mais c'est elle qui perd, car au moment critique, Obi, malgré sa position privilégiée de fonctionnaire bien instruit, malgré ses protestations contre l'existence de la caste, lui fait perdre l'enfant qu'elle attend [PAGE 55] de lui et ainsi succombe à une tradition injuste et indéfendable. C'est le moment d'une prise de conscience douloureuse pour elle : le manque de courage de son fiancé face au poids de la tradition. Elle se révolte en se refusant à le revoir. Cette révolte, n'est-elle pas contre Obi aussi bien que contre la société?

Edna Odo, dans « Le Démagogue », jeune et belle comme Clara, institutrice diplômée, souffre psychologiquement à cause d'une situation qui lui est également externe. Son père despotique, farouche et avare, insiste pour qu'elle se marie avec le ministre Nanga, homme politique d'un certain âge, sans scrupules, sans esprit et aux mœurs douteuses, riche polygame dont le fils a presque le même âge qu'Edna. Monsieur Odo reçoit régulièrement de l'argent du ministre et de plus c'est ce dernier qui s'est chargé des frais de scolarisation d'Edna. Quand le protagoniste principal du récit, Odili Samaru, essaie de la détourner du polygame, elle répond d'un ton résigné :

    « Il a payé mes frais de scolarisation au collège » (« Le Démagogue »)

Mais, enfin, elle aussi se révolte et rejette une vie conjugale insoutenable d'abord quand elle se range du côté d'Odili au moment où le ministre Nanga et ses hommes de main le brutalisent, et ensuite lorsqu'elle lui rend visite à l'hôpital malgré les menaces de son père. Elle lui avoue à propos du ministre :

    « L'épouser ? Franchement, je n'ai pas voulu l'épouser... Toutes les jeunes filles au collège se moquaient de moi... C'était seulement mon père... » (« Le Démagogue »)

Deuxième catégorie de femmes – les femmes peu instruites ou sans instruction, au rôle secondaire mais non sans importance. Il y a d'abord la mère d'Obi Okonkwo, Madame Hannah Okonkwo, qui a reçu une certaine éducation. Ainsi elle sait lire, mais elle ne lit jamais. Fidèle à son mari qui est catéchiste et à sa foi chrétienne, elle manifeste parfois trop de zèle. Suivant la tradition, elle accepte l'avis de son mari tant sur les plans personnel que religieux. Par exemple, bien qu'elle préfère raconter des contes folkloriques [PAGE 56] à ses enfants comme le font ses voisines, son mari lui a défendu de le faire depuis déjà longtemps, car les contes sont « païens ». Mais, ironiquement, elle parle avec fermeté lorsqu'il s'agit de la tradition anti-chrétienne contre la caste « Osu » :

    « Si tu fais la chose de mon vivant, mon sang retombera sur toi, car je me tuerai » (« Le malaise »)

« The thing » (« la chose ») c'est le mariage d'Obi avec Clara.

Tandis que cette femme de type traditionnel montre de la volonté à un moment donné, Madame Nanga dans « Le Démagogue » ne fait aucune preuve de volonté malgré la conduite de son mari. Elle a fréquenté l'école primaire, elle s'est mariée avec Monsieur Nanga quand il n'était rien, mais maintenant qu'il a beaucoup d'argent et d'influence, il a une kyrielle de concubines. Cela ne lui suffit pas. Il décide de se marier avec Edna Odo, car, pour lui, sa femme n'est pas suffisamment civilisée. Madame Nanga souffre de cet état de choses mais elle prétend que tout va bien lors de sa première rencontre avec le narrateur, Odili Samaru. Mais à leur deuxième rencontre, son amertume et ses chagrins se font jour et elle a dé la peine à retenir ses larmes. La situation de ce personnage fictif, réduit à l'impuissance, traduit la position de nombreuses femmes dans la réalité de la société nigériane moderne. Dans le même roman, le romancier a campé Madame John, femme sans instruction, et sans appui devenue très puissante dans les domaines politique et économique grâce à sa détermination de réussir – mais aussi à ses atouts physiques.

Il nous reste à voir ce dernier groupe de femmes qui définit un aspect de la moralité de la société moderne : la promiscuité issue de l'émancipation sexuelle. Il y a Bisi, Elsie, Mademoiselle Mark, Madame Agnès Akilo et une foule d'autres femmes sans nom dont la seule caractéristique commune est la frivolité sexuelle. Ce ne sont pas des prostituées de métier. Mais elles sont prêtes à avoir des relations sexuelles surtout avec les hommes qui ont réussi dans le but d'avoir de l'argent : par exemple, Mademoiselle Mark, une jeune fille intelligente qui a très bien réussi à ses examens de fin d'études secondaires et qui cherche une bourse pour aller à l'université. Elle s'est offerte [PAGE 57] au secrétaire du Comité des bourses pour qu'il la fasse convoquer. Il y a Madame Akoli, sophistiquée et aisée, avocate de profession, qui vient passer quelques jours dans la capitale, Bori, sans sa famille :

    « Le chef Nanga qui était peu instruit allait probablement coucher avec elle cette nuit-là. » (« Le Démagogue »)

Et cette femme, l'épouse d'un autre homme, semble exercer une influence démesurée sur Chief Nanga.

Ce phénomène de femmes libres semble s'être accentué pendant la guerre civile au Nigéria, surtout dans les zones de guerre. La nouvelle qui donne son titre au recueil, « Girls at War » en témoigne. En effet, le lecteur assiste à la chute morale d'une jeune fille au caractère fondamentalement intègre.

Nous devons mentionner une femme qui n'appartient à aucune des trois catégories déjà analysées. Eunice, la fiancée de Maxwell Kulamo dans « Le Démagogue », est un membre très actif du Parti socialiste, le « Common People's Convention », comme son fiancé. Et, comme lui, elle est avocate. Mais ce qui surprend chez elle particulièrement, c'est qu'elle garde un pistolet dans son sac à main. Ce fait est connu lorsque son fiancé est renversé par l'automobile d'un de ses adversaires politiques, Chief Koko, et Eunice tire sur ce dernier avec son pistolet.

    « Une jeune fille singulière, dit-on » (« Le Démagogue »)

En effet, ce type de femme se trouve rarement dans la société nigériane moderne sans parler de la société traditionnelle où son action serait inouïe. On se demande pourquoi Achebe a créé ce personnage féminin irréel dans une œuvre basée sur une réalité vivante.

A partir de notre analyse de la situation de la femme dans la société traditionnelle et moderne, tirons quelques conclusions. Il est évident que de plus en plus nombreuses sont les femmes qui dans les centres urbains modernes reçoivent une éducation. Ces femmes ne dépendent plus des hommes pour survivre et elles jouent un rôle plus important dans la vie politique, économique et sociale du pays. [PAGE 58] Elles sont émancipées et plus individualisées. Mais la société a dû payer un prix formidable pour ces changements. Sur le plan familial, on se rend compte qu'il y a une dissolution graduelle de la famille et qu'elle est moins stable. A l'égard des principes moraux, les femmes ont succombé à la tentation de l'argent, de la promiscuité et, dans bien des cas, de l'aliénation culturelle. C'est que la femme, comme la société moderne, a besoin de faire une synthèse des bons aspects du traditionnel et du moderne.

Ibiyemi MOJOLA
Department of Modern European Languages
University of Ife-Ile-Ife
Oyo State – Nigeria


[1] Jarmilla Ortova « Les femmes dans l'œuvre littéraire d'Ousmane Sembène » dans Présence africaine, 1969, Vol. 1, p. 71.

[2] Ibid, p. 70.

[3] « Ogbanje » est le terme ibo désignant un enfant qui meurt maintes et maintes fois et qui retourne à sa mère pour revenir au monde.

[4] « Chi », terme ibo signifiant « dieu personnel », sorte dange gardien.