© Peuples Noirs Peuples Africains no. 15 (1980) 129-132



BANTOUSTANS A GOGO

Triste chronique des indépendances mort-nées

P.N.-P.A.

Côte-d'Ivoire

Nouvel exploit dialectique de l'inénarrable M.P. (entendez Mandarin Présomptueux, ne pas confondre avec Military Police) Robert Cornevin. Interrogé par un journaliste local, il se montra égal à lui-même l'autre jour à Abidjan en proférant sur les langues africaines des appréciations qui datent d'une époque que chacun pouvait croire à jamais révolue, nouvelle preuve, s'il en était besoin, que cet homme vénérable est bien un intellectuel français (et francophone) particulièrement averti.

Voici le moment le plus croustillant de cet échange historique :

Question – Un des problèmes cruciaux de notre littérature (la littérature africaine), c'est la langue. On exige de plus en plus que l'on écrive dans les langues africaines.

Robert Cornevin – La littérature africaine dans les langues africaines, c'est de la rigolade ! Elle ne peut être qu'une littérature subalterne. Je dis cela parce que, là où il existe une littérature en langues africaines, c'est dans les pays colonialistes comme l'Afrique du Sud. Et cette littérature n'a guère dépassé les poèmes, contes. En réalité les Blancs [PAGE 130] scolarisent les Noirs dans leurs langues pour les maintenir dans l'ignorance. Notre association lutte contre les publications en langues africaines. Tout au moins, nous sommes d'accord pour le bilinguisme.

Question – Oui, mais pour un pays indépendant, les choses sont différentes.

Robert Cornevin – Non, il y aura toujours distorsion. Parce que les gens au pouvoir utiliseront toujours les langues internationales pour avoir accès à la vie moderne et à la politique. Actuellement, lorsqu'un parent envoie son fils à l'école, il veut qu'il ait un bon avenir. Or si vous scolarisez votre enfant en baoulé, il reste au village.

Question – Mais ce que vous dites M. est grave ! Si le baoulé était la langue officielle (de la Côte-d'Ivoire), où serait le problème ?

Robert Cornevin – Ah ! vous imposerez le baoulé aux autres ? Ce sera un autre impérialisme.

Question – Mais cela n'est-il pas préférable au français?

Robert Cornevin – Mais... Il faut que j'aille faire mes bagages. Je dois être à l'aéroport avant 17 heures.

Nous le lui faisons pas dire ! Il est vraiment temps que le Mandarin Présomptueux fasse ses bagages, l'heure de l'avion de sa retraite ayant manifestement sonné. Nous retenons quand même que, pour lui, les poèmes et les contes, c'est la rigolade. Rigolons, rigolons... il en restera toujours quelque chose.

(Ces répliques sont extraites d'une interview accordée à Fraternité-Matin le 1er avril 1980.)

CE QUI S'EST VRAIMENT PASSE AU NORD CAMEROUN

Un bout du voile a été levé par les mass-média occidentaux sur le régime sanguinaire d'Ahidjo; puisque le monde entier a appris que « 200 paysans du Nord-Cameroun ont été massacrés au cours de violents affrontements avec l'armée, entre le 20 et le 22 octobre dernier ».

En réalité il S'agit d'un « mini-Kolwezi », car les parachutistes camerounais, à l'instar et sous la conduite de leurs instructeurs [PAGE 131] français, ont mis à feu et à sang (5) cinq villages de l'arrondissement de Makari.

Les 200 morts dont il a été fait état représentent le nombre de victimes recueillies par les dispensaires. Quant au nombre exact de villageois tués sur le champ, il est impossible de l'évaluer avec quelque précision, parce qu'il faut tenir compte des personnes ayant succombé à leurs blessures dans la fuite devant les envahisseurs.

Certes, la diffusion de l'information, malgré la censure coutumière reconnue par l'agence Reuter, fait tomber un pan du masque d'un homme qui n'a rien à envier à un Idi Amin ou à un Bokassa, qu'il a d'ailleurs précédé dans le règne par la terreur – qu'on se rappelle le, train de la « mort de 1962 », les « massacres de Tombel en 1967 », l'incendie du quartier « Congo à Douala » pour ne citer que ces quelques faits d'armes d'un régime qu'on dit exemplaire de « stabilité et de sagesse ».

Le fait nouveau est qu'aujourd'hui la répression touche le Nord du pays souvent présenté comme formant un bloc monolithique derrière Ahidjo. Une telle imposture ne pouvait faire longtemps illusion, puisque les pratiques du régime ne sauraient se limiter dans le seul Sud du pays.

En effet, la cause objective des émeutes du Nord est le détournement récidivé des fruits de souscriptions faites par les villageois en vue de la construction d'un collège.

Le rapport d'une première campagne de souscription ayant été détourné par les autorités préfectorales, les villageois en entreprirent une deuxième dont le résultat devait malheureusement pour eux connaître le même sort que celui de la précédente cotisation.

Leurs réclamations auprès du préfet n'ayant pas abouti, les villageois entreprirent de construire eux-mêmes leur école. Les autorités préfectorales qui ne l'entendaient pas de cette oreille envoyèrent des buldozers raser les murs et les fondations élevés par les villageois. On connaît la suite. La pratique du détournement du fruit d'une quête publique est monnaie courante dans les préfectures camerounaises. Et ce en toute impunité. Un cas bien connu est celui dont l'auteur est l'actuel ministre de l'Agriculture. Les habitants de Bafoussan se souviennent que M. André Tchoungui, alors préfet de la Mifi, fit main basse sur les 23 millions de francs CFA récoltés pour la construction d'un aérodrome. [PAGE 132]

Détourner les derniers publics est, comme tout le monde le sait, une pratique courante au Cameroun d'Ahidjo, où l'exemple vient d'en haut. Elle se solde même par une promotion gouvernementale.

Mais il est intolérable que de braves citoyens se fassent massacrer en retour lorsqu'ils osent protester contre leur spoliation.

Il faut que les événements de Makari prennent valeur d'exemple pour tout le peuple camerounais qui doit se dresser comme un seul homme pour jeter à bas un régime sanguinaire imposé et soutenu de l'étranger depuis bientôt un quart de siècle.

(Article paru dans Kunde, organe de l'O.C.L.D., no 3, octobre 1979.
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P.N.-P.A.