© Peuples Noirs Peuples Africains no. 14 (1980) 38-43



BANTOUSTANS A GOGOS
Triste chronique des indépendances mort-nées

REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE
COMMUNIQUE DE PRESSE DU F.P.O. Mouvement d'opposition du Dr Abel GOUMBA
MONSIEUR DAVID DACKO EN FRANCE PROCHAINEMENT...

Monsieur Dacko, à qui la gestion de l'Etat centrafricain vient d'être confiée par le pouvoir giscardien, s'apprête à effecteur une visite à Paris.

Le but réel de ce voyage est en fait de solliciter de ses maîtres les moyens financiers susceptibles de lui permettre d'exécuter le « Plan de redressement économique du Centrafrique », lequel plan n'est pas autre chose que le Plan Barre centrafricanisé et dont l'objectif est de résorber le chômage en France par l'envoi massif en Centrafrique de chômeurs sous l'appellation de coopérants.

Le peuple centrafricain ne se reconnaît pas dans ce Plan qui met un accent tout particulier sur le développement des cultures de traite (coton, café, tabac, caoutchouc, etc.) au détriment des cultures vivrières et d'un développement autocentré. [PAGE 39] Il ne faut pas perdre de vue que l'ouverture à Bangui du procès des complices de Bokassa n'est qu'une mise en scène tendant à endormir psychologiquement le peuple centrafricain, car :

– D'une part, les principaux complices de Bokassa, dont Dacko, Maidou et autres se blanchissent eux-mêmes et s'abstiennent cyniquement de demander l'extradition de Bokassa qui doit être jugé par un tribunal populaire;

– et, d'autre part, la tenue prochaine du congrès du parti unique « U.D.C. » fabriqué de toutes pièces et qualifié populairement d'« Union des Copains » préoccupe énormément le gouvernement Dacko quant à l'atmosphère de son déroulement.

Le FRONT PATRIOTIQUE OUBANGUIEN (F.P.O.), présidé par le Dr. Abel GOUMBA, attire l'attention de la communauté centrafricaine sur la légèreté avec laquelle certaines décisions ont été prises par ce gouvernement que la France impose au peuple centrafricain, et qui perturbent le cycle universitaire de l'année en cours (certains étudiants doivent aller continuer leur cycle universitaire au Maroc et appel est fait à des Inspecteurs agricoles pour assurer des cours dans des disciplines scientifiques au niveau de certains lycées, voire à la Faculté des Sciences).

Le F.P.O. réaffirme que toute solution politique valable pour le Centrafrique passe par les préalables maintes fois réitérés, à savoir :

– le retrait immédiat des troupes françaises;

– la constitution d'un gouvernement provisoire d'union nationale chargé de préparer les élections présidentielles et législatives, et dirigé par un Collège présidentiel regroupant les leaders des différents Mouvements d'opposition.

Fait à Cotonou le 22 février 1980 et diffusé à Paris le 23 février 1980.

Le FRONT PATRIOTIQUE OUBANGUIEN

CAMEROUN

Pétrole, quand tu nous tiens !

A la suite de notre article paru dans le numéro 12 et [PAGE 40] intitulé : « Camerounais, votre pétrole f... le camp ! », Ahidjo, président du Cameroun par la grâce d'Elf-Erap, a fait dire par une feuille complaisante paraissant à Paris que son gouvernement avait exigé des sociétés pétrolières que la part du pays dans le capital soit élevée à 40 %. Quel capital ? Les dirigeants camerounais, prisonniers d'un obscurantisme moyenâgeux, ne semblent même pas pouvoir se poser la question.

Dans Ouest-France, quotidien catholique paraissant à Rennes (le plus fort tirage des quotidiens français), un certain E. Brulé, en reportage au Cameroun, demande, le 12 mars 1980, au secrétaire général de la présidence de la République quelle est l'importance des gisements, celui-ci vous répond avec prudence : « Nous ne savons pas très bien... »

Tel quel. D'ailleurs, ces choses-là ne s'inventent pas. S'il ignore l'importance de ses propres gisements de pétrole, de quel capital ce personnage, le plus proche du président de la République, pourrait-il bien revendiquer 40 % pour le pays ?

Convergences, convergences...

Nous avons pu observer une convergence, qui ne vous étonnera sans doute guère, entre, d'une part, la page récapitulative des événements les plus importants, publiée selon la tradition le 1er janvier 1980 par le quotidien Le Monde, dans la rédaction duquel Ahidjo compte de nombreux amis, et le tract distribué par le Parti Communiste Français pour lancer sa campagne en faveur des droits de l'homme dans le monde, document où les Communistes Français dressent le « palmarès » des violations des droits de l'homme à travers le monde depuis la guerre : eh bien, sur l'un et l'autre documents (celui du Monde et celui du P.C.F.), le massacre le 20 octobre 1979 de deux cents paysans (d'autres disent quatre cents) à Dollé, dans le nord du Cameroun, est omis.

Ahidjo aurait-il donc autant d'amis au Parti Communiste Français qu'au Monde ? Dans quel étrange siècle vivons-nous donc ?

Dans le même ordre d'idées, Amnesty International fait preuve depuis quelque temps à l'égard du dictateur francophile de Yaoundé d'une pugnacité à laquelle cette organisation [PAGE 41] ne nous avait point habitués en terre africaine, à moins que cela ne cache une rivalité hypocrite de puissances nanties s'efforçant de faire main basse sur le pétrole en manipulant des dirigeants fantoches indigènes.

Toujours est-il qu'une vive polémique a opposé récemment Amnesty International et le président Ahidjo accusé, avec raison bien entendu, d'entretenir des camps de concentration et, dans ceux-ci, de laisser torturer des prisonniers politiques, parfois depuis 20 ans.

Inutile de reproduire les répliques du dictateur francophile, œuvre d'un logographe parisien dont on reconnaissait aisément le phébus; en revanche, nous soumettons ci-après à la réflexion du lecteur les deux communiqués d'Amnesty International, non sans lui rappeler que l'ardeur combative de l'organisation demeure suspecte, compte tenu de son abstention flagrante à l'égard, par exemple, du Maroc d'Hassan Il, le copain bien connu de Giscard.

Paris, le 8 février 1980

COMMUNIQUE DE PRESSE :
A L'OCCASION DE L'OUVERTURE A BAFOUSSAM LE 12 FEVRIER 1980 DU CONGRES NATIONAL DE L'UNION NATIONALE CAMEROUNAISE (U.N.C.), AMNESTY INTERNATIONAL TIENT A ATTIRER L'ATTENTION SUR LA SITUATION DES DROITS DE L'HOMME DANS CE PAYS

Le 7 février 1980, la Section Française d'Amnesty International a adressé un télégramme aux délégués du Congrès de l'Union Nationale Camerounaise (U.N.C., Parti unique au Cameroun) leur demandant de prendre d'urgence en considération la nature alarmante des violations des droits de l'homme et des multiples institutions répressives qui en sont à l'origine. Cet appel aux instances représentatives de l'U.N.C. est motivé par le mutisme et l'inaction des autorités gouvernementales et du Président lui-même, malgré les préoccupations que l'organisation leur a exprimées à plusieurs reprises.

L'envergure des violations des droits de l'homme au Cameroun [PAGE 42] demeure très préoccupante. Les opposants politiques sont détenus, sans le moindre chef d'inculpation et sans procédure judiciaire, dans des camps dits « d'internement administratif », directement sous le contrôle de la présidence.

Le régime y est sévère : entassement des détenus, nourriture insuffisante et malsaine, absence de soins médicaux, manque de contacts avec l'extérieur, brimades infligées par les geôliers, torture à l'électrochoc pendant les interrogatoires. On y dénombre au moins 200 détenus, parmi lesquels une cinquantaine d'étudiants, professeurs et employés subissent ces conditions inhumaines depuis juillet 1976, sans la moindre possibilité de recours.

Tenter d'exercer sa liberté de pensée ou d'expression est suffisant pour se retrouver en prison. Toute personne soupçonnée d'avoir « porté atteinte au respect dû aux autorités publiques, ou propagé des nouvelles ou rumeurs mensongères » encourt une peine d'emprisonnement de 1 à 5 ans. Peu nombreux sont ceux qui « bénéficient » de procès, et ceux qui ont lieu se déroulent devant une juridiction militaire qui dénie à l'accusé tout droit d'accéder à la défense et de faire appel. C'est à la suite de tels procès que des opposants politiques de la première heure (dès 1960) se sont vu condamnés à des peines à perpétuité, qu'ils purgent toujours dans des conditions déplorables. Cependant, l'atmosphère générale de peur et de suspicion qui règne dans le pays ne permet pas à Amnesty International de connaître le nombre exact de ces détenus.

Paris, le 22 février 1980
Pour diffusion immédiate

COMMUNIQUE DE PRESSE :
DECLARATION D'AMNESTY INTERNATIONAL SUR LES PRISONNIERS POLITIQUES AU CAMEROUN

Amnesty International qualifie de « surprenante » l'affirmation du Président El Hadj Ahmadou Ahidjo du Cameroun selon laquelle il n'y aurait plus que 4 personnes emprisonnées [PAGE 43] suite aux nombreuses arrestations d'étudiants, d'enseignants et de travailleurs intervenues en juillet 1976.

Ces arrestations ont eu lieu après la diffusion, à Yaoundé et à Douala de tracts critiquant le gouvernement.

Amnesty International confirme, d'après des informations reçues récemment, que bon nombre de gens arrêtés en 1976 se trouvent encore en détention et dans des conditions très dures, notamment : Dikoume Albert, Ebelle-Tobo Martin, Mbende Thomas, Missoup Jean, Ntone Nkongo Paul, Mouen Gaspard, Makole Jean, Djoumbi Emmanuel, Bille Samuel, Essaka Joseph, Mbende, Noug Prosper, et Tembe Titi.

Amnesty International remarque que la déclaration du Président Ahidjo intervient après celle de l'organisation attirant l'attention de l'opinion publique sur l'usage de la torture, les détentions à long terme sans inculpation ni jugement et d'autres violations des droits de l'homme au Cameroun.

Amnesty International rappelle qu'il y a au total plus de 200 prisonniers politiques au Cameroun dont certains sont incarcérés depuis près de 20 ans.

Amesty International fait appel au Président Ahidjo, lui demandant d'autoriser une Organisation Internationale compétente, telle que le Comité International de la Croix Rouge (CICR), à inspecter les prisons et « camps d'internement administratif » où ces personnes sont détenues.

P.N.-P.A.