La radio de notre pays a annoncé la funeste nouvelle[1]
Abdoul Karim CAMARA est mort dans les geôles
De la soldatesque malienne.
Aucune tristesse, aucun regret dans le ton
Comme si celui qui venait de perdre la vie
En un noble combat ne méritait point
Le qualificatif d'homme !
Pourquoi cette attitude frisant la complicité ?
Pourquoi ce cynisme machiavélique qui semble
Appeler de ses vœux la même barbarie chez nous ?
La vraie raison est qu'en Afrique Néo-coloniale
La plupart des régimes inféodés à l'Occident capitaliste
Et impérialiste, soi-disant chantre de la chrétienté et
Des droits de l'homme,
N'ont de cesse que de détruire sous la roue
Inexorable de l'oppression, les forces du progrès.
Oui les dirigeants néo-coloniaux africains s'entraident et se lient
En une sainte alliance contre les patriotes africains. [PAGE 8]
Ils ont choisi de défendre les intérêts de l'impérialisme,
Et leurs propres intérêts égoïstes contre ceux de leur peuple.
Cela, je l'ai perçu dans la voie complice
Et réjouissante du speaker annonçant
Sur les Antennes de la radio de notre pays
L'assassinat du militant Abdoul Karim CAMARA.
Nos dirigeants n'ont pas éprouvé de tristesse face à la mort
Par torture du patriote malien,
Mais seulement de la joie, une joie sadique,
Parce que, pour eux aussi c'est un ennemi de moins
Qui vient de perdre la vie.
En revanche, pour le peuple malien opprimé, surtout les élèves et étudiants
Engagés dans une lutte titanesque et combien juste contre la tyrannie,
Le fascisme et l'absolutisme aveugles de leur pays,
Pour tous les anti-impérialistes, pour tous ceux qui sont
Ennemis de l'oppression, de l'exploitation de l'homme par l'homme,
Pour tous ceux qui souhaitent voir une Afrique digne, responsable.
Désireuse d'être maîtresse d'elle-même, de s'imposer par son génie,
Pour tous ces gens, tu demeureras pour toujours, Abdoul Karim CAMARA,
Un Martyr Immortel !
Nous tes amis, dispersés de par l'Afrique et le reste du monde,
Ton martyre nous atteint au plus profond de nous-mêmes.
Nous voyons le cachot humide, sombre et putride
Où tes bourreaux sans cœur t'ont jeté.
Nous les voyons te rouer de coups avec des barres de fer,
Nous les voyons danser autour de toi une danse macabre
En te donnant des coups de godasse au creux du ventre
A la suite desquels tu te plies en deux,
Nous les voyons qui te passent l'électricité aux parties sensibles du corps
Nous les voyons qui te raniment avec des seaux d'eau,
Nous voyons l'eau qui ruisselle sur ta tête ensanglantée
Nous voyons tes lèvres enflées, ton visage tuméfié !
Où tes yeux, pareils à des oranges sans ouvertures,
Ne réagissent plus à la lumière.
Enfin, nous te voyons rendre l'âme [PAGE 9]
Sous le poids de la machine infernale de la torture,
Sans que cela arrache une seconde de tristesse et de regret
A les bourreaux diaboliques et sans âmes.
Au contraire, ils couvrent ton cadavre d'infâmes injures
En s'enivrant de whisky,
En remplissant le cachot de leurs rires méphistophéliques.
Abdoul Karim CAMARA, tu étais le Président des élèves et étudiants du Mali,
Où la corruption, la gabegie, les détournements de deniers publics
L'incurie, le népotisme et l'irresponsabilité des dirigeants
Ont conduit le peuple dans un cul-de-sac ténébreux.
L'injustice de ta mort cruelle rend plus sensible la justesse de ta cause !
Ton rôle se limitait à représenter tes camarades
Et à défendre leurs intérêts auprès du Gouvernement
Fasciste de ton pays :
C'est-à-dire de meilleures conditions d'études, une alimentation
plus saine, un avenir plus rassurant, la libération des élèves,
Etudiants et professeurs arrêtés.
Ce rôle, tu l'as courageusement assuré jusqu'au bout,
Jusqu'à la mort.
       Abdoul Karim CAMARA !
       Tu es mort sur le champ d'honneur
       Des patriotes Africains
       Tu es un héros martyr,
       Ton sang et ton courage
       Seront des aliments
       Pour ceux qui restent,
Pour tes amis et frères de pensée et de combat.
Ils seront pour eux le levain de leur détermination
Dans les prochains et ultimes assauts contre
les folles et sanglantes dictatures africaines.
     Abdoul Karim CAMARA !
Nous qui sommes encore en vie, pour combien de temps encore ?

Te plaçons auprès d'autres Héros Africains :
Les Samory TOURE, les CHAKA, les UM Nyobé Ruben,
Les Patrice LUMUMBA, les Kabral...
En somme tous ceux qui, à un moment donné, ont incarné l'Idéal d'une Grande Afrique
Forte, Libre et Indépendante ! [PAGE 10]
Oh ! Héros et Martyrs Africains !
Victimes de l'injustice et de la cruauté de l'impérialisme,
Des fascistes dictatures africaines
Qu'il arme, supporte et téléguide,
Soyez pour nous vivants qui vous vénérons,
Des lanternes inextinguibles,
Des balises qui nous conduiront
Vers une authentique libération de l'Afrique
       Vers un salut véritable
       des Africains !
Oh ! Abdoul Karim CAMARA repose en paix auprès
De tes grands frères Martyrs !
Et surtout, sache que, dans ton doux sommeil éternel,
les vrais Africains te pleurent,
       Et que, à travers
       La tristesse de ta mort féconde
       Tu leur communiques
    L'espoir !

OUAGADOUGOU, le 22 mars 1980
TRAORE Biny.

[1] La voix du renouveau (H-V) dans ses émissions de 20 heures (21-3-1980) annonce le décès en prison de Abdoul Karim CAMARA, Secrétaire Général de l'UNEM (Mali).