© Peuples Noirs Peuples Africains no. 12 (1979) 37-46



« CEDDO » OU LE POIDS DES MYSTIFICATIONS EN AFRIQUE

X...

C'est seulement au mois de juillet 1979 que « Ceddo », le dernier long métrage d'Ousmane Sembène vient d'être présenté au grand public parisien : le film achevé depuis trois ans demeure interdit au Sénégal, Sembène n'ayant pas cédé aux injonctions du pouvoir installé à Dakar qui lui demande non seulement de se soumettre à un article d'un décret relatif à la transcription des langues nationales et ainsi de réécrire le titre de son film en supprimant un « d » (« cedo » au lieu de « ceddo »), cf. annexe, mais encore d'ajouter un texte en prégénérique pour « avertir que l'histoire ne se passe pas maintenant ».

Avec son cinquième long métrage, le cinéaste sénégalais renoue aussi bien la rétrospective historique déjà amorcée dans Niayes (1964) continuée dans Emitaï (1971) qu'avec la satire de la société néocoloniale présente dans Borom Saret (court métrage, 1963), le Mandat (1968), Xala (1974) : en effet, il ne fait nul doute que le film a le cachet indélébile d'un mélange de genres : le cinéaste y exprime son point de vue sur certains maux dont l'Afrique d'hier, comme celle d'aujourd'hui souffre. Les deux grandes religions monothéistes, l'Islam et le Christianisme ont été des éléments de désagrégation des sociétés africaines, elles ont servi et [PAGE 38] servent les forces de domination et d'asservissement qui s'exercent sur les peuples africains.

SYNOPSIS

L'histoire se situe aux alentours du XVIIe ou XVIIIe siècle dans un royaume (aux dimensions modestes si l'on s'en tient à l'image que Sembène nous en donne) où trois éléments extérieurs font leur intrusion : le négociant européen échangeant ses armes à feu, son alcool, son « pain de sucre » et sa pacotille contre des esclaves; le missionnaire chrétien très confiant dans l'avenir du Christianisme en Afrique; l'iman qui a déjà un certain nombre d'adeptes (cela nous rappelle fort bien la « troïka coloniale » symbolisée dans le roman camerounais : là il s'agissait du missionnaire, du négociant et du... militaire).

Le plus dangereux de ces personnages est sans conteste l'iman, ses « Sahid » ne cachent pas leur ambition d'instaurer un pouvoir théocratique, le jeu subtil de la caméra nous les montre déjà « emprunter » le parasol du roi (le buur Dembawaar) pour protéger leur iman des ardeurs du soleil. Les « Ceddo » très jaloux de leur liberté, pressentent le danger, enlèvent par l'intermédiaire d'un des leurs, la fille du roi et, en échange, ils exigent le respect des traditions et l'allègement des charges qui pèsent sur eux.

Dès lors, plusieurs conflits se nouent :

Saaxewaar, un prétendant (prince de son état) apprend la nouvelle et veut délivrer sa promise que lui dispute le neveu du roi, Majoor Faatim Faal. La tradition réserve à ce dernier non seulement l'honneur d'épouser la princesse, mais encore celui de succéder au roi, la transmission du pouvoir se faisant dans la lignée maternelle. Mais, hélas pour Majoor, maintenant l'Islam en a décidé autrement; le système patrilinéaire est institué; le neveu du roi se trouve ainsi écarté de la scène politique et il demeurera jusqu'à la brutale conversion collective, le témoin des mutations profondes d'une société assaillie de toutes parts.

Le roi, après l'échec des négociations avec les « ceddo », se voit contraint d'accepter la bataille pour délivrer la princesse. Il préfère d'abord envoyer son fils, Birima Ngoone Cubb, qui se fera tuer par le « ceddo » en face de qui le second adversaire, le prince du royaume d'à côté ne pèsera guère plus lourd sur la balance.

Les dignitaires du pays (le « jarraf » : Président de l'Assemblée [PAGE 39] des électeurs dans les royaumes traditionnels du Sénégal; le « Jaman suuf si », gardien des terres ... ) prennent peur, font un putsch : le Roi disparaît, assassiné sans doute et les choses se précipitent. L'iman prend le pouvoir et déclare le jihad ou guerre sainte; les « ceddo », malgré qu'ils aient pu pressentir la tournure des événements, n'ont pas le temps de faire face; ils ne peuvent même pas chercher refuge chez le missionnaire qui n'est pas non plus épargné par les balles des fanatiques déchaînés. Et ceux des « ceddo » qui ont survécu se laissent convertir ou sont échangés contre des fusils chez le négociant. Deux « talibésé » (adeptes) envoyés par l'iman tuent le « ceddo ». Et la princesse, dont les sentiments commençaient à évoluer positivement à l'égard du « ceddo », tue l'iman.

Maîtrise technique et originalité

Tous ces événements se déroulent en 24 heures (suivant la tradition musulmane, l'enterrement se fait dans les 24 heures, le roi et le prince son fils sont enterrés en même temps). L'action est organisée en deux points fixes : le village où se tient la cour du roi et le champ de bataille, théâtre des duels qui ont opposé le « ceddo » à ses adversaires successifs, et pour ceux qui sont habitués aux « codes », le scénario se prêterait mieux à une interprétation théâtrale; à cela il faut ajouter le déroulement lent de l'action, à deux reprises entrecoupé : la première fois par une scène d'anticipation sur le futur (lorsque le missionnaire est plongé dans sa féérique vision d'un Sénégal entièrement christianisé) et la seconde fois par un flash back (quand la princesse Toor Yaasin ne pouvant croire à la mort du ceddo, se l'imagine revenant de la chasse et lui adressant la parole); dans ce film, Sembène réussit à opérer un dosage subtil entre le comique et le tragique et cette audace de l'artiste a donné à cette œuvre un cachet artistique indéniable que toutes les critiques ont mis en exergue; il faut noter que la bonne prestance des acteurs y a largement contribué : mention spéciale à Umar Gey (dans le rôle du Jaraaf) Mustafaa Yâdd (Maajoor), Mamadu Njaay Jaan (ceddo), Usmaan Kamara (Farba Joqomaay)...

Plusieurs critiques possibles

Le film a interpellé l'africaniste français (qu'il soit historien, ethnologue, sociologue ou politilogue) et le patriote africain. [PAGE 40]

Même si presque tout le monde a retenu que le « film se situe au début du XVIIe siècle et marque les débuts de la pénétration du Christianisme et de l'Islam en Afrique de l'Ouest » (Humanité du 13.7.1979) l'on a surtout retenu l'insistance mise sur l'Islam avec « sa nuisance, son emprise sur les esprits, son caractère fanatique, ses côtés fétichistes et mystiques » (dixit Alain Marquet dans Lutte Ouvrière, hebdomadaire trotskyste du 21.7.1979).

Le Christianisme y a la part belle et le missionnaire meurt en martyr.

A notre avis, il est fort inexact de situer les débuts de la pénétration de l'Islam en Afrique de l'Ouest au XVIIe siècle; en effet, dès de XIe siècle, il y eut des musulmans de la région qui ont suivi le mouvement almoravide jusqu'en Espagne et la tradition au Tekrour rapporte que le premier roi à se convertir à l'Islam fut Waar Jaabi Njaay qui a dû mourir en 1040. Sembène lui-même reconnaît que dans « les anciens empires du Ghana et du Mali on trouvait des quartiers « Ceddo » et ceux des religieux, mais cela a duré jusqu'à ce que l'Islam soit parvenu à s'imposer en profondeur ». Malgré cette évidence on a continué à parler des débuts de la pénétration de l'Islam : peut-être qu'il n'avait pas bien pénétré l'intérieur et d'ailleurs à ce niveau il faut signaler que dès le XVe siècle Cada Mosto rapporte un entretien avec Budomel (roi de Kayoor) : il nous y montre un souverain très pragmatique en matière religieuse et qui fait savoir au gentilhomme vénitien (au service des entreprises portugaises) que la raison d'Etat lui interdit de se faire chrétien et le met en devoir de tolérer l'Islam. (Cf. relations de voyages à la côte occidentale de l'Afrique... Paris 1895.)

Dans le Saalum au XVIe siècle déjà, le buur qui s'était converti à l'Islam eut à faire face aux « Ceddo » : sous le règne de Giraanoxap Ndong les ceddo n'ont pas toléré «l'islamisation» de leurs villages et il y eut des heurts sanglants. Et l'on pourrait multiplier les exemples qui attestent de la longue durée des conflits entre ceddo et musulmans et même si l'on a connu des « jihad » jusqu'au XIXe siècle avec les El Hadj Omar, rien ne permet de situer les débuts de l'Islam au Sénégal au XVIIe ou XVIIIe siècle. Toujours en ce qui concerne l'Islam en Afrique, il convient de reconnaître que sa dynamique est plus contradictoire que Sembène ne l'a imaginée; si dans le Fuuta en 1776 la révolution Torobe sous la direction de Seex Suleymaan Baal, a pu mettre fin à la [PAGE 41] dynastie des Denianke, c'est que, pour réussir, ce soulèvement trouvait un terrain favorable. Les féodaux traditionnels non musulmans étaient des exploiteurs du peuple. Un critique dira que « l'auteur ne prend aucun recul par rapport aux mœurs tribales (sic)... et c'est comme si pour lui la dénonciation des méfaits des deux religions importées ... allait de pair avec la glorification des coutumes ancestrales ... » et on a l'impression que pour Sembène mieux vaut être animiste que musulman, et on ne sent pas la continuité qu'il devrait y avoir entre le Sembène très critique à l'égard des traditions (cf. Emitaï) et le Sembène de « Ceddo », la conception que l'auteur a des pouvoirs traditionnels en Afrique est très discutable.

Sembène nous dit que « dans Ceddo, il y a, au départ, un chef traditionnel qui assume le pouvoir sans vraiment en tirer aucune gloire. Ce n'était pas du tout un pouvoir totalitaire comme l'est celui de certains chefs d'Etat africains actuellement. Cet homme, à l'époque, était élu (par qui ?) (c'est nous qui soulignons), il était désigné (parqui ?) et chacun pouvait s'adresser à lui suivant la tradition... » (Cf. Cinéastes d'Afrique Noire, de Guy Hennebelle et Catherine Ruelle.)

Penser que la société traditionnelle fut un havre de paix pour les masses populaires, c'est manquer totalement de discernement dans l'étude de notre passé.

Une autre ambiguïté du film consiste à prendre comme symbole de la résistance populaire les « ceddo » : à notre connaissance, les ceddo faisaient partie de l'appareil d'Etat et constituaient une noblesse guerrière, et c'est parce que l'Islam leur faisait perdre leurs privilèges qu'ils se sont trouvés dans une situation conflictuelle avec les nouveaux maîtres musulmans; et le peuple dans tout cela et comme chaque fois en pareil cas, tant qu'il n'a pas son projet autonome, se trouve divisé, les uns se convertissant à l'Islam, les autres rejoignant les «ceddo»; l'élargissement de la signification du terme «ceddo» qui a désigné par la suite les « non musulmans» ne doit pas introduire la confusion ceddo = masses populaires.

En France, les critiques ont assimilé les ceddo aux « Baadoolo » (les masses populaires) et on peut même remarquer qu'ici le film connaît un destin particulier, celui de faire l'unanimité allant de la nouvelle droite (le Figaro Magazine [PAGE 42] du vendredi 13.7.1979 y voit « un vibrant réquisitoire pour le droit à la différence et contre la colonisation culturelle) à l'extrême-gauche très criticiste et tout aussi ignorante des réalités africaines (Marquet y voit une résistance des traditions tribales à l'arrivée concurrente d'imans musulmans et de missionnaires catholiques ... ). Des tribus dans le Sénégal du XVIIIe siècle, il ne manquait que cela !

Cette distorsion entre la vison du spectateur européen et celle de l'africain se reflète à plusieurs niveaux et il n'est pas rare de voir que là où le critique français (toutes tendances confondues) voit du bon, nous pensons le contraire et vice-versa. Ainsi lorsque dans un autre hebdomadaire trotskyste (il s'agit de Rouge du 20 au 27 juillet 1979) nous lisons « que la musique de Manu Dibango a dérouté les amateurs de folklore et c'est une bonne chose », nous pensons que Sembène aurait pu trouver dans le patrimoine musical sénégalais (cela dit sans nationalisme étroit) des airs nationaux à contenu démocratique et cela aurait été plus agréable et plus cohérent que ce spectacle du griot du Ceddo qui porte un xalan (instrument à cordes) avec lequel il ne joue jamais. Et là où le critique français excelle de zèle dans le criticisme facile, là nous pensons que Sembène a merveilleusement réussi; ainsi Marquet trouve que « le film est par moments bien lent, émaillé de longs palabres qui ne sont pas toujours faciles à suivre », par contre, à notre avis, cette utilisation du parler populaire se trouve être une des notes les plus intéressantes du film : c'est là un magnifique plaidoyer pour l'utilisation des langues nationales et un cinglant démenti à Senghor sur la pauvreté de nos langues.

Le dénouement du film nous pousse à formuler deux questions : la première concernant la vision que Sembène a de la lutte de libération nationale et la seconde sur la place de la femme dans cette lutte.

On peut s'étonner du choix porté par Sembène sur le personnage du Ceddo : la démarche du cinéaste laisse les masses hors de l'action, certes, elles parlent, elles ne font que parler, elles subissent et il se trouve qu'à deux reprises « leur libérateur » se trouvent être des gens de la haute société (ceddo, lingeer = princesse). Cela pour ce qui est du premier aspect.

Examinons la deuxième question : il est aussi remarquable que les critiques en France ne se soient appesantis que sur [PAGE 43] le côté superficiel du dénouement : dans Libération du 11.7.1979, Elizabeth Ayala dira de la princesse « : elle reste pour nous, occidentaux, comme une Atlantide rêvée et envoûtante d'une inaccessible beauté », et un autre journaliste retient que « le dénouement féministe n'en constitue pas le moindre charme » (cf. Hebdomadaire trotskyste Rouge). Quand on demande à Sembène pourquoi est-ce une femme, la princesse, qui tue l'iman et bat en brèche le pouvoir religieux, il commence à répondre avec sa boutade habituelle, « j'aime trop les femmes », ensuite il ajoute, c'est un problème de révolution. La libération de l'Afrique ne se fera pas sans la moitié de sa population... Mais il faut éviter les travers de certains pays africains, où les femmes ont participé à la révolution les armes à la main; la révolution finie, on les a renvoyées à la cuisine. Au niveau de l'analyse, le point de vue exprimé par Sembène est absolument juste : pas de libération de la société sans la libération de la femme et pour une révolutionnarisation ininterrompue, et par étapes des relations hommes-femmes. Mais dans la réalité des films de Sembène, l'image qui nous est donnée de la femme n'est pas radicalement différente de celle des films bourgeois, la femme, objet de plaisir, femme sexy (cf. le déhanchement provocant d'Isë Nang dans le Mandat, le nu intégral dans Xala, la scène du bain dans Ceddo ... ).

En conclusion, nous dirons que Sembène a choisi un thème intéressant : l'aliénation des Africains par les idéologies obscurantistes qui sont de fait au service de l'impérialisme et de la réaction en général : l'essor du mouridisme au Sénégal encouragé par le régime néo-colonial de Senghor ces temps derniers en est l'illustration la plus nette, l'intérêt également porté par les Américains pour cette secte ne doit laisser aucun patriote dans l'indifférence. Il nous semble cependant que la manière dont Sembène s'y prend n'est pas la bonne : Considérer l'Islam comme cible principale peut ne pas accrocher le public sénégalais (la portion de la population qui serait concernée sera fort restreinte vu que les circuits de distribution touchent uniquement les villes, et il serait encore très difficile d'imaginer l'accueil qui serait réservé au film à la campagne).

Le film réconforte ceux qui étaient déjà avertis sur le rôle des religions et peut rebuter les patriotes musulmans par la présentation unilatérale des choses : Ceddo ne laisse guère soupçonner le rôle de quelques chefs religieux [PAGE 44] dans les luttes anticoloniales, quand bien même ils auraient assumé une direction inconséquente.

C'est dans la lutte contre l'impérialisme, avec l'élévation de leur niveau de conscience politique, avec l'élévation de leur niveau scientifique et technique que les masses populaires parviendront à rejeter l'obscurantisme qu'il soit animiste, chrétien ou musulman.

Nous souhaitons que le film revienne au Sénégal et fasse tout au moins réfléchir les patriotes sur la relativité historique des deux religions importées et sur leur utilisation réactionnaire par les forces du mal : il a fallu un courage politique à Sembène pour avoir osé poser les premiers éléments de réflexion, à nous d'en faire autant afin d'approfondir la réflexion.

ANNEXE à propos de la gémination de « CEDDO »

Les linguistes sénégalais ont opté pour une transcription phonologique des langues nationales : cela veut dire qu'il faudra noter les sons distincts chaque fois que l'analyse scientifique permet de les déceler. Ainsi les oppositions voyelles longues/voyelles brèves; géminées/consonnes simples; voyelles accentuées/voyelles non accentuées qui sont des traits pertinents (elles permettent de différencier deux termes) devront être notées.

Le tableau suivant, avec des exemples tirés du wolof, sera plus convaincant :

1o. A propos des oppositions voyelles longues/voyelles brèves

lal = lit
laal = toucher
xol = cœur
xool = regarder

2o. Consonnes simples/géminées

bët = œil
bëtt = percer
nëb = être pourri
nëbb = cacher

3o. Voyelles accentuées/voyelles non accentuées

làkk = langue
= làkk = langue [PAGE 45]

L'Etat sénégalais a sorti un décret en 1975 (il s'agit du décret 75 1026 relatif à l'orthographe et à la séparation des mots en wolof). Ce décret va à l'encontre des principes scientifiques qui doivent guider tout linguiste qui n'a pour souci que l'objectivité; il faut reconnaître que le dit décret n'avait d'autre objectif si ce n'est de créer la confusion dans l'esprit des Sénégalais afin de donner une tournure scientifique à la politique régressive du gouvernement de Senghor : les lecteurs sénégalais se souviennent que c'est ce décret qui a obligé le journal Siggi à changer de titre pour devenir TAXAW, qui veut obliger Sembène à écrire « Ceddo » avec un seul D.

Même si le débat a tourné principalement autour de l'article 3 du dit décret, il faut rappeler que les articles 2, 4, 7, 10 et 11 ont été contestés et rejetés par les patriotes sénégalais (il existe une importante documentation sur la question : nous citerons la lettre d'Ousmane Sembène du 27 octobre 1977 adressée à tous les Sénégalais et Sénégalaises et à Monsieur le Président de la République du Sénégal; les No 2 de Siggi et 10 de Taxaw : la Déclaration du Front Culturel Sénégalais sur les langues nationales, etc.).

Que dit ce fameux article 3 ?

« Les consonnes les plus fortement articulées ne sont pas notées par des géminées sauf pour des raisons étymologiques ou pour distinguer des homonymes. »

Les exemples donnés sont les suivants :

le mi = aller dérouler
le mmi = dérouler
nit = une personne
nitt = vingt

Il faut remarquer que l'Etat sénégalais ne tient nullement compte des principes scientifiques énoncés plus haut; les exemples de nit et nitt ne sont pas bon; nous n'avons pas affaire à des homonymes. On appelle homonymes des mots qui se prononcent de la même façon ou ont la même orthographe, mais un sens différent, avec l'option d'une transcription phonologique on ne peut pas dire que nit et nitt sont des homonymes : ce ne sont ni des homophones ni des homographes.

Dans la transcription du wolof deux mots qui se prononcent de la même façon s'écrivent de la même manière et [PAGE 46] inversement deux mots qui s'écrivent de la même manière se prononcent de la même façon :

takk (nœud)
takk (mariage)
garab (arbre)
garab (médicament)

Des fois le morphème de classe (le wolof est une langue à classe) permet de distinguer deux homonymes (des vrais)

wen wi (la mouche)
wen gi (le fer)
saxaar gi (le train)
saxaar si (la fumée)

Raisonnons par l'absurde et considérons que les homonymes peuvent être différenciés par la gémination. Cela implique qu'il faille procéder avant d'écrire un mot comme « siggi » à la prospection de tout le vocabulaire wolof et si après maints tours et détours on se rend compte qu'il n'y a qu'un seul siggi on se dit : « Ouf ! La géminée n'est pas nécessaire. »

L'absurdité d'un tel article est évidente, il impose une orthographe erronée et le gouvernement brandit l'argument prison et amendes (cf. les articles 2-8-3 du code des contraventions : c'est unique dans les annales de l'Histoire).

Certains pourraient trouver le débat futile, mais, par-delà la tournure burlesque du débat, il y a tout le devenir des langues nationales qui se pose. L'offensive du régime de Senghor consiste à bloquer l'uniformisation des principes scientifiques qui doivent régir la transcription des langues nationales; le gouvernement sénégalais par ces mesures vise à empêcher l'introduction des langues nationales dans l'enseignement, mais n'est-ce pas là une bataille d'arrière-garde ?

Un patriote sénégalais S KH SY