© Peuples Noirs Peuples Africains no. 12 (1979) 21-26



L'ANGLETERRE, « INVENTRICE DU RACISME »

A.O. BIAKOLO

M. Andrew Young l'a bien dit : L'ancien ambassadeur américain aux Nations Unies parlait en connaissance de cause lorsqu'il a décrit les Anglais comme « les inventeurs du racisme ». Dans toute l'Europe, l'Angleterre compte le plus grand nombre de racistes. On n'a qu'à jeter un coup d'œil sur son histoire à ce sujet. On n'a qu'à se référer à l'Afrique du Sud. On n'a qu'à analyser la politique britannique actuelle en Afrique et particulièrement au Zimbabwe.

L'histoire d'abord. C'est un Anglais, John Hawkins, qui mena le premier raid pour des esclaves sur la côte ouest africaine. C'était au XVIe siècle. Profitant du fait que la poudre et le fusil, deux instruments de mort, étaient inconnus des Africains paisibles, il organisa une bande de fainéants pour attaquer la côte et prendre des esclaves. Les Africains capturés étaient alors forcés de voyager dans des conditions carrément inhumaines aux Amériques pour y travailler jour et nuit dans des plantations de canne.

Ainsi, l'Angleterre fut la première à pratiquer cette pire forme du racisme qu'est l'esclavage. Elle tira profit de la sueur des esclaves. Elle montra le chemin à d'autres Européens. Au nom de l'argent, elle piétina et continue dans quelques autres domaines à piétiner la dignité humaine. [PAGE 22]

Les livres d'histoire anglais disent que l'Angleterre fut également la première à soutenir des efforts pour mettre fin à l'esclavagisme. Ils citent souvent William Wilberforce et quelques autres parlementaires britanniques qui, au XIXe siècle, prêchaient contre la « plaie puante de l'Afrique' ». Quelle maigre consolation ! La seule chose que prouvent les efforts abolitionnistes est que quelques Anglais ne sont pas racistes. Ce sont les exceptions rares.

Pour prouver que la majorité des Anglais est raciste, on doit se poser quelques questions : Qui a établi en Afrique du Sud l'apartheid ? Qui l'a nourri ? Qui le soutient le plus en Occident ? Les colons anglais et hollandais ont érigé cet abominable système qui vise à condamner les Africains à l'esclavage perpétuel. Leurs descendants maintiennent actuellement le même système exécrable. Dans l'apartheid, les Noirs sont confinés à des taudis misérables. Ils n'en sortent que pour aller servir leurs maîtres blancs dans les grandes villes ultra-modernisées. Toutes les communautés raciales sont strictement séparées ; le but de cette stricte séparation est de garder perpétuellement les Noirs dans leur misère et les Blancs dans leur luxe. Pour faire face à la protestation et à l'indignation de tous les hommes de bonne volonté dans le monde entier, les autorités sud-africaines ont trouvé une façade; elle donne l'indépendance fictive aux « bantoustans », agglomérations de ces taudis sataniques, là où toutes les richesses du sol sont épuisées. C'est le point culminant du racisme.

Lorsque les pays africains luttent pour mettre fin à l'apartheid, les Anglais parmi d'autres racistes les contrarient. Prenons le cas du Nigeria. Suivant l'embargo imposé par les Nations unies contre l'Afrique du Sud, le Nigeria refuse fermement de vendre son pétrole à toute compagnie qui traite avec les racistes de l'Afrique du Sud. Or, une des sociétés pétrolières les plus puissantes au Nigeria était la BP (British Petroleum), propriété du gouvernement britannique. Cette société passait sournoisement le pétrole nigérian aux racistes sud-africains. Le gouvernement britannique prenait les autorités nigérianes pour de parfaites imbéciles. Lorsque le Nigeria s'est rendu compte de cette situation insupportable, il a nationalisé comme de droit la BP sans avis préalable au gouvernement raciste de Sa Majesté.

Quelle a été la réaction immédiate des autorités britanniques ? [PAGE 23] Le ministre des Affaires étrangères, Lord Carrington, a perdu son sang-froid. Devant tous ses collègues du Commonwealth en pleine session, ce diminutif aristocrate a tempêté et aboyé pendant une bonne demi-heure contre son ancien homologue nigérian, Général Adefope. « Les Anglais se sont toujours querellés pour de l'argent », écrit un des historiens les plus connus en Angleterre, Lord Fisher. Le Général Adefope le savait aussi; il a donc gardé son sang-froid, alors que Lord Carrington se montrait vraiment imbécile, mesquin, irréfléchi, convoiteur et détestable. Contrairement à ce que la BBC a dit, le Général Adefope a donné une bonne leçon à son homologue britannique (et pas l'inverse). Le racisme britannique a subi l'humiliation de la part de son ancienne colonie, au moins pour la première fois. C'était l'acte le plus louable et le plus courageux du régime militaire au Nigeria deux mois avant la remise du pouvoir aux civils élus (le premier octobre 1979).

Pour dévoiler davantage toutes les implications racistes et impérialistes des autorités britanniques dans cette affaire, posons-nous encore quelques questions. Le Nigeria n'a-t-il pas le droit de disposer de son pétrole comme bon lui semble ? A-t-il des intérêts économiques dans le pétrole britannique de la mer du Nord sur la côte écossaise ? Exploite-t-il les ressources pétrolières des Anglais ? Les autorités britanniques ne sont-elles pas satisfaites de l'exploitation et du pillage systématiques auxquels elles se livrent au Nigeria et dans les autres anciennes colonies depuis des siècles ? Doivent-elles continuer à opprimer les Africains anglophones ? N'ont-elles pas toujours d'autres intérêts économiques au Nigeria ? Pourquoi doivent-elles garder ces intérêts injustes et oppresseurs ? Les Noirs doivent-ils rester toujours les esclaves des Blancs ?

Malgré tous ses démentis mensongers, le gouvernement britannique de Mme Thatcher a certainement été influencé par l'action très correcte et juste du Nigeria. C'est en grande partie la raison pour laquelle il essaie maintenant de résoudre le problème du Zimbabwe. L'imbroglio du Zimbabwe est aussi dû essentiellement au racisme des Anglais. Cecil Rhodes, d'après qui le Zimbabwe a été nommé à tort Rhodésie, était britannique. C'est lui qui voulait établir le même système inique d'apartheid au Zimbabwe comme en Afrique du Sud; il avait échoué de prime abord parce que les colons britanniques étaient peu nombreux dans ce pays. [PAGE 24]

Mais un de ses descendants, lan Smith, qui s'accroche toujours au pouvoir derrière la façade de son valet l'évêque Muzorewa, a encore essayé de copier l'exemple exécrable des racistes sud-africains. Il est en train d'essuyer un nouvel échec, malgré les machinations machiavéliques et racistes du gouvernement Thatcher.

Comment se déroulent actuellement les pourparlers sur le Zimbabwe à Londres ? Le soi-disant président de ces négociations, le raciste Lord Carrington, tente tout pour maintenir au pouvoir lan Smith et leur homme de paille, l'évêque Muzorewa. Il prend le Front Patriotique de Nkomo et de Mugabe pour une bande de crétins. Sur chaque point des pourparlers, il se met d'accord au préalable avec Smith et Muzorewa avant d'aller le présenter comme fait accompli aux leaders du Front Patriotique. Chaque fois, il réitère le chantage : si le Front Patriotique n'accepte pas l'accord préétabli, il portera toute la responsabilité pour l'échec des négociations. Jusqu'ici, il semble réussir avec ce chantage; du moins, c'est ce que la BBC veut nous faire croire.

Pour montrer son mépris raciste aux délégations africaines qui participent aux négociations, Lord Carrington ne discute pas ses propositions avec elles. Il les fait et part tout de suite à l'étranger. Après les premières propositions importantes concernant les sièges au Parlement du Zimbabwe, il annonce Nations Unies, même avant l'acceptation du Front Patriotique, que les pourparlers font des progrès satisfaisants. Le Front se voit contraint d'accepter les propositions injustes : 20 % des sièges pour les Blancs qui ne constituent que 5 % de la population du Zimbabwe.

Au moment où cet article s'écrit, Lord Carrington vient de partir avec Mme Thatcher pour l'Italie après avoir formulé d'autres propositions péremptoires. Voici la réaction bien réfléchie d'un des leaders du Front Patriotique, selon Le Monde du 5-10-19 (p. 3) :

    « M. Robert Mugabe, coprésident du Front Patriotique, a critiqué, jeudi 4 octobre, le nouveau plan constitutionnel britannique, qui « ne saurait en aucun cas » mettre fin à la guerre en Rhodésie.

    « Dans une interview accordée à l'A.F.P., il a assuré que la délégation du Front Patriotique à la conférence de Londres sur le Zimbabwe-Rhodésie refuserait de voir dans le prétendu document constitutionnel britannique [PAGE 25] une initiative à prendre ou à laisser. Le Front Patriotique, a dit M. Mugabe, est venu à Londres pour négocier et non pas pour répondre par un oui ou un non, car nous n'assistons pas à un mariage ! La délégation du F.P., a-t-il ajouté, n'acceptera pas de menaces et rejettera tout aspect du document britannique qui lui paraîtra inacceptable. »

Voilà donc la méthode autoritaire et raciste qu'emploie le soi-disant président de la conférence. Le même numéro du Monde poursuit :

    « Mais l'objection la plus vigoureuse du Front Patriotique concerne une des clauses de la déclaration des droits protégeant les Blancs pendant une période de dix ans contre toute acquisition forcée, même avec compensation, de leurs terres, sauf pour des raisons clairement spécifiées d'ordre public, de défense nationale, d'hygiène et d'amélioration du rendement. Le F.P. estime que la formule permettra aux Blancs de maintenir une répartition inégale de la propriété foncière au détriment des Africains entassés dans les villages tandis que la communauté blanche exploite des fermes de larges dimensions. »

Lord Carrington veut sans doute renforcer au Zimbabwe le même système inique d'apartheid qu'en Afrique du Sud, au moins pendant dix ans. Cet intervalle est nécessaire pour permettre aux Blancs d'épuiser toutes les ressources du Zimbabwe et en remettre les profits en Angleterre. Y a-t-il un dessein plus injuste et raciste ?

Les menaces de Lord Carrington sont complètement insupportables. Le gouvernement conservateur de Sa Majesté cherche simplement le prétexte de reconnaître et d'appuyer militairement le régime non démocratique de son valet Muzorewa et du raciste Smith au Zimbabwe. Personne ne se trompe. Les négociations de Londres sont vouées à l'échec. Le gouvernement britannique doit en porter toute la responsabilité pour l'imbroglio sanglant qui en résultera.

Entre temps, le régime Thatcher démontre son racisme dans le domaine sportif. Contrairement aux actions bien intentionnées des gouvernements français et irlandais, le gouvernement britannique a permis à l'équipe sud-africaine [PAGE 26] de rugby, « The Barbarians », d'effectuer une tournée en Angleterre. La charte de l'O.N.U. et les règles du Comité International Olympique (C.I.O.) interdisent les rapports sportifs avec l'Afrique du Sud à cause de son apartheid. L'Union Soviétique qui organise les prochains jeux Olympiques a déjà fait savoir que tout pays qui entretient de tels rapports avec l'Afrique du Sud pourrait être exclu des jeux de 1980. Même avant la tournée, le secrétaire général du Conseil Suprême pour le Sport en Afrique (C.S.S.A.), M. Jean-Claude Ganga, a affirmé que le C.S.S.A. demanderait l'exclusion de la Grande-Bretagne des prochains jeux.

En permettant la tournée des « Barbarians », le gouvernement raciste de Mme Thatcher montre non seulement son mépris pour les Africains mais aussi son désir de saboter les prochains jeux Olympiques. Il espère que les autres pays occidentaux boycotteront aussi les jeux si la Grande-Bretagne en est exclue. Si les autres pays occidentaux amorcent ce chantage, ce sera une conspiration raciste contre les Africains qui en tireront toutes les conclusions nécessaires.

J'accuse formellement le gouvernement de Mme Thatcher de racisme. Je l'accuse d'impérialisme. Je l'accuse de chercher à provoquer une confrontation et un conflit racistes entre l'Afrique et l'Occident d'une part et entre les pays de l'Est et les pays occidentaux de l'autre. L'Histoire et la postérité apprécieront.

Octobre 1979.

A.O. BIAKOLO
French Department, Ahmadu Bello University,
Zaria, Nigeria