© Peuples Noirs Peuples Africains no. 11 (1979) 152-158



POEMES

Prière d'un enfant Noir

Monsieur le Père Noël,
Quand, avec votre houlette, l'ECU en poche
Et vos sous en RFA
Vous décidâtes d'un voyage en Afrique,
Pour disiez-vous « apprendre aux Africains que le socialisme
Ce n'est pas bon pour eux
Que le capitalisme,
Il vaut mieux que vous en profitiez pour eux,
Et qu'il n'y a pas de voie pour l'Afrique,
Que la TROISIEME », c'est-à-dire la vôtre
L'obscure voie de la crise, que vous nommez
Pudiquement et hypocritement « libéralisme avancé ».
Quand sans votre cravate, vous donniez l'accolade à
Un président dont l'Afrique fut fière
Mais qu'aujourd'hui elle renie...
Quand enfin vous promettiez que désormais
« L'Afrique sera aux Africains »... Et Alea jacta est !
Vous n'avez pas oublié, Monsieur le Père Noël,
De signer un visa pour la « Force d'intervention Africaine » !
Vous avez pris soin, Monsieur le Père Noël,
Partout, à chaque étape de votre voyage en terre promise
Comme les rois mages d'apporter un cadeau [PAGE 153]
A chacun de vos vassaux
Vous avez pris soin, Monsieur le Père Noël,
De sceller votre amitié avec eux pour que
Dans l'unité de votre troisième voie
Qui passe par l'axe RFA, Washington et ailleurs,
Vous continuiez à réduire à la misère les peuples Africains...
Mais sachez Monsieur le Père Noël,
Sachez que l'histoire du Père Noël
Avec une barbe blanche couleur de neige,
Lorsqu'on la raconte aux petits enfants africains,
Ils rigolent en disant : « comment voulez-vous qu'on croie
Au Père Noël, un Père Noël noir, avec une barbe blanche ? »
Alors nos grand-mères de répondre : « les soucis fils, les soucis !
L'Afrique aux Africains, c'est un mot déguisé pour dire :
« Les richesses de l'Afrique à l'Europe des multinationales ! »
Voilà pourquoi aujourd'hui, à l'écharpe rouge qu'il brandissait
Le président Sékou Touré a troqué un boubou blanc...
Et vive l'alliance et vive l'Euro-Afrique de papa.

Anha RODRIGUES

[PAGE 154]

CLERGE CONGOLAIS

Imperceptible, envahissant, assourdissant et meurtrier :
Il arriva, nous enveloppa, nous troubla et nous posséda.
La brise, le vent, l'ouragan : « La Civilisation ».
Il s'appelait Pierre Savorgnan de Brazza.
Il venait de France pour s'agripper au Congo.
Dans son euphorie civilisatrice.
                 Tiens ! Il avait deux faces
La brise, le vent, l'ouragan : « Le Christianisme »
Son nom était Philippe Prosper Augouard
Il venait de France pour s'implanter à jamais au Congo,
Dans sa folie salvatrice.
C'était pareil ! Civiliser et Christianiser.
Délivrer les Noirs de la misère, de la sauvagerie.
Tirer les Noirs de la boue du paganisme.
Le nom commun et officiel : Colonialisme.

Au bout de tes courses apostoliques,
O missionnaire : Dieu t'a ouvert la tombe
La tombe du missionnaire : trop tôt pour la plupart
Tu as rejoint la tombe
Ou bien tu repartiras chez toi !
                 Rien de plus !
A travers mon Congo, ô missionnaire,
Tu t'es mis à ma poursuite
Tu as exploré ma nudité, mon cœur, mon âme
Tu as piétiné mes mœurs, tu as osé me prendre.
Carnage de coutumes, de civilisation, de personnalité !
C'est cela me christianiser, me civiliser : Bravo !
                 J'ai été leste : c'était sur mes sentiers,
                 Ma forêt, mon univers.
C'était moi-même – j'ai tenu ferme -
Triste, amusant, parlant est l'itinéraire,
D'anthropophage tu m'as traité
« Missionnaire, des anthropophages » tes amis
                 t'ont appelé-toi Augouard
Quel titre honorable, n'est-ce pas ?
Je l'ai moi aussi vérifié sur ton cadavre
Oh pas assez bon !
Epuisé par la course, tu as été dégoutant
Je t'ai vomi, je t'ai échappé
                 Je suis resté moi-même : Congo
Par delà la course, les veilles, le carnage,
Tu voulais me donner ton Dieu.
Mais hélas : je l'avais depuis des millénaires
Je le connaissais mon Dieu : NZambi MPungu
Il était tien, il était aussi mien
Il est resté tel : Il est le même
Occidental et africain ? Non
Dieu est Dieu pour tous
Seul lieu où nous avons pu nous communiquer.
C'est l'aube d'un monde nouveau
Il est fini le temps de se renier
Il est fini le temps de la poursuite
Il est fini le temps de la honte
Il est là : le clergé congolais
L'aube du monde nouveau
Fruit du seul lieu commun entre Toi et Moi
                 Dieu : NZambi MPungu

Les tam-tams déchirent le silence,
Qui succès à la « Civilisation »
Je crie à tue-tête : c'est la joie !
Je bats des mains : c'est l'allégresse !
Mon talon martèle le sol : c'est la vie
Clameur, coups de fusil, extase. [PAGE 156]
C'est le clergé congolais qui apparaît
Tu es là; avance, avance, avance
Te voilà clergé congolais, des vieux et des jeunes
Et te voilà encore; des jeunes tout frais
Clergé congolais, avance et viens.
Moi, ton peuple, je t'attends, je t'attends.
Il est fini le temps de la poursuite
Il est fini le temps de la honte
Chrétien, tu es l'homme de Dieu
Vivant de lui, avec lui pour le peuple.
Clergé congolais, tu es fils du peuple
Avance, oui avance, moi ton peuple
                 Je t'attends-

Albert Sourire NKOUMBOU
Grand séminariste à Brazzaville

[PAGE 157]

GENERAL

Hier
        je voulais une étoile en Plus
        une étoile qui nourrisse mes enfants en Plus
        et qui mange la provision des autres en Plus
Hier Général
        je me demandais SI
        une palme verte ne la couronnerait pas
        elle cracherait sur ceux qui ne savent plus
        quoi manger aux fins-des-mois
Général, hier
        je me demandais
        SI je ne changerais pas Tout
        SI je ne changerais que Tout
        Si je changerais aussi Tout
Mais Hier
        une pluie m'a surpris
        elle a effacé une étoile
               puis une autre
        elle a effacé une palme
               puis une autre
        et la grêle a suivi de lambeau en lambeau
        ces habits d'épouvante [PAGE 158]
        Hé ! je ne suis resté qu'homme.
Demain, Général
        je te remettrai tes étoiles
               tes salaires
               tes-femmes-
               tes voitures
               tes tortures
               tes prisons
        et aussi
        tes affamés de fin-de-mois
        une étoile en PLUS
        tu seras général DE-PLUS
        moi je veux être un homme
        général
        une pluie m'a avisé
        je ne veux rester qu'HOMME.


*
*  *

à J-B. Bilombo-Samba

L'AINE

Les enfances fébriles
Sucent avec langueur
Les ma-melles défraîchies
        Hélas !
Plus loin irait la traînée
        Creuse.
        Creuse.
Des lumières inconnues
        Creuse.

Dominique NKOUNKOU-MOUNDELE